Mes pieds avaient lâchés les pédales pour descendre la petite pente qui menait à la rivière. Derrière moi, le vélo de Leo tressautait sur les cailloux et les petites bosses avec un petit bruit de ferraille. Les oiseaux chantaient et le vent soufflait doucement dans les arbres. La rivière se trouvait à quelques mètres désormais.
“-Pose ton vélo et prend ton sac.”
J'ai ordonné à Leo, avant de me mettre à marcher vers la source d'eau. Il était onze heures et le soleil nous réchauffait déjà. Foutu sud, foutue canicule.
Il a obéi et m'a suivi. Je tremblais un peu, c'était la première fois que je montrais cet endroit à quelqu'un d'autre.
Une guirlande était accrochée entre deux arbres, vestiges d'un temps où je construisais une cabane près de l'eau.
Désormais, nous étions face à une rivière dont le son m'apaise immédiatement.
“-Karen…”
A commencé Leo. Je me suis retourné, et son visage était tout près du mien. Ses lèvres étaient entrouvertes. J'aurai adoré l'embrasser à ce moment précis. Mais je ne l'ai pas fait. Je suis resté sage, j'ai reculé, tout rouge, et j'ai désigné l'eau à côté de nous.
“-On y est. Tu peux te baigner si tu veux.”
Leo a commencé à enlever son tee-shirt, et j'ai détourné le regard. Je ne voulais pas voir ça. Pas tout de suite.
“-Tu ne te changes pas, Karen?
-Si, si, attend…”
J'ai senti une étrange sensation dans ma poitrine en me retournant. Comment Tessa avait-elle pu laisser tomber ce corps frêle et couvert de tâches de rousseur? Il était magnifique. J'en avais le souffle coupé.
“-Leo…”
J'ai murmuré. Il a soudainement rougi.
“-Karen… je… tu veux ta serviette?”
J'ai souri doucement, avant de hocher la tête, mes mains cherchant à attraper mon sac.
“-Attend, j'ai de la crème solaire…
-Pas la peine, je serai dans l'eau, Karen.”
Je lui ai quand même tendu la crème, et j'ai encore regardé ailleurs quand il s'en est mis sur les bras, le torse, le dos, le visage. Quelque chose de froid s'est posé sur mon dos et j'ai laissé échapper un cri.
“-Mais ça va pas la tête ?!”
Leo était mort de rire. C'était un caillou qu'il avait posé contre mon omoplate. Pour me venger, je lui envoyais de l'eau glacée sur le visage. Nous riions comme deux imbéciles heureux quand soudainement j'ai décidé de me plonger avec délice dans l'eau, Leo à ma suite.
“-Tu es belle comme ça. Plus qu'au lycée.”
Il a dit, une fois qu'on était dans l'eau, assis sur un rocher.
“-Ce n'est pas l'avis de tout le monde.
-Je sais. Mais ton rire sincère est plus beau que ton sourire collé sur ta figure du matin au soir.
-Tu ne sais pas ce que tu dis, Leo. Tu essaies de flirter avec moi parce que tu t'ennuies. Tu aimes les garçons. Tu devrais plutôt essayer de draguer Tristan.”
Il est resté silencieux. Je le savais. J'aurai dû m'en douter. Je n'étais qu'un jeu, alors que Tristan pourrait être plus que ça.
C'était triste mais c'était la vérité.
“-Karen, tu te trompes totalement. Tu me plais.
-Peut-être aujourd'hui, mais demain ça te sera passé ! Et comment ferais-tu si je te brisais le cœur, Leo?”
Son prénom a résonné dans la clairière.
Leo.
Leo Salton était en face de moi, il venait de me dire que je lui plaisais et moi, tout ce que j'avais fait, c'était de le détruire encore plus.
“-Tu as raison, ça passera. Tu te disais ça aussi quand tu me regardais en cours de maths?”
Mon sang s’est glacé. Il avait remarqué ?
“-Comment…
-Comment j'ai remarqué ? Parce que tu es aveugle! Bordel, je te regardais aussi, Karen!
-Ne m'appelles pas Karen.”
J'ai sifflé. C'était sorti tout seul et ni lui ni moi ne nous y attendions.
“-Je… tu… tu veux me dire quelque chose ?”
J'ai secoué la tête.
“-Non, c'est rien…
-Tu ne peux pas te voiler la face éternellement, tu sais. Si… c'est sorti comme ça, il doit bien y avoir une raison…”
J'ai éclaté en larmes. La main de Leo s'est posée sur mon dos, me réconfortant.
“-Je sais pas, Leo, je sais pas qui je suis, je sais pas ce que je fais, je sais rien, je comprends plus… j'ai pas l'impression d'être une fille mais je suis pas… pas… transgenre, tu comprends? C'est juste les complexes!
-Eh. Calme toi. Tu seras parfait… parfaite à mes yeux quoi qu’il arrive.”
Mon cœur a loupé un battement quand il m’a parlé au masculin.
“-Redis le.
-Que tu es parfaite?
-Non. Dis moi la phrase comme tu l’as pensée.
-Tu seras parfait à mes… c'est gênant, tu sais.”
Je me suis remis à pleurer de plus belle. Leo m’a serré dans ses bras, l’eau faisant de petits cercles quand mes larmes tombaient.
“-Mais si tu veux, on en parlera plus tard. Tu veux que je t'appelles autrement ?
-Appelle moi Cole.”
Il a souri.
“-Je peux?
-Tu peux quoi? Me lâcher ? Oui.”
Il a ri, encore une fois. Son rire était juste adorable. Il a déposé un baiser sur ma joue écarlate et s'est éloigné.
“-Je vais aller chercher le pic nic!”
Il a crié, une fois sur la berge. J'étais un peu plus calme, ça m'allait bien. Mes cheveux dégoulinaient sur l'herbe et mon sandwich, mais j'avais l'habitude.
Je pensais à sa main sur mon dos. À ses lèvres sur ma joue. Aux battements de mon cœur. À son torse fin, presque trop, et aux multiples tâches de rousseur qui le parsemaient. À son sourire avec son appareil dentaire, que j'avais envie d'embrasser.
Ça me perturbait tellement. Leo avait l'air tellement différent. Il ne me pressait pas, il m'attendait. Il me regardait discrètement et il me souriait. Il me parlait de tout et de rien tout en mangeant, et je trouvais ça mignon. Je n'avais pas envie de lui sauter dessus. J'avais plutôt envie de lui sourire aussi et de prendre sa main, de jouer avec ses doigts fins, de caresser ses cheveux, d'embrasser ses joues, de peindre ses ongles en bleu canard et de mettre des fleurs derrière ses oreilles.
Leo a relevé la tête une fois son sandwich fini. Le soleil avait fini par nous sécher totalement et il a souri. Juste un petit sourire et mon cœur s'est emballé comme pas possible.
“-Je suis désolé pour tout à l'heure.”
J'ai dit, honteux. J'avais pleuré comme un gamin et je m'étais énervé. Leo m'a pris la main, ses doigts dans les miens, sa peau contre la mienne, son sourire face à mon air peiné.
“-Eh, Cole. C'est rien, tu n'as pas à t'excuser.”
Il a rangé le pic nic tranquillement, ses mouvements d'une élégance rare. J'appréciais ce calme qu'il m'apportait.
“-Tu es beau.”
J'ai lâché subitement, sans réfléchir. Leo a relevé la tête, et il a rit. Un rire léger et aérien.
“-Tu es bien le seul à me trouver beau.
-C'est pas une blague.
-Je sais, Cole.”
Je l'aurai bouffé, son sourire. J'aurai passé ma main dans ses cheveux, je lui aurai enlevé ses lunettes, et nos nez se seraient cognés. J'ai déjà embrassé pas mal de monde dans ma vie. Des gens plus ou moins bourrés, plus ou moins musclés, qui me plaisaient à peu près. Mais ça n'était pas comme Leo. Rien n'était comme Leo. Et aujourd'hui, c'était lui que j'avais envie d'embrasser.