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- Alors, quels sont vos hobbies, Mademoiselle Brown ? demande Juan, l'époux de Marta.
Voici la énième question qu'on lui pose depuis qu'elle a été présentée à chacun des membres de la famille de Chad. Cinq enfants jouent dans l'immense cour à la limite de la forêt et approximativement trente personnes siègent autour de la table, mélangeant grands-parents, frères, sœurs, oncles, tantes, parrains et marraines. Chacun a une question à lui poser et aucun ne possède de filtres quant à leurs questions, car tous les sujets y passèrent : études, sport, famille, amis, relations avec d'autres hommes et maintenant, ses loisirs. Elle n'est décidément pas sortie de l'auberge.
- Avant je faisais de la peinture, mais j'ai arrêté depuis je n'en ai plus, répond l'intéressée en fourrant un croissant dans sa bouche.
- Pourquoi donc ? intervient Andrea, sa fille et donc la sœur de Natalia.
- Le gouvernement a pété les plombs, déclare-t-elle, franchement. Ils ont interdit tout ce qui est peinture dans les lieux publics et ce qui m'intéressait c'est les fresques alors j'ai dû laisser tomber.
- Ah bon ? s'étonne Natalia. Pour quelles raisons le gouvernement aurait-il interdit cette liberté ? Cela ne rapporte rien. Mais dis-moi, pourquoi ne pas avoir repris le papier, la questionne-t-elle.
- Le papier me servait uniquement débauches. Le mur est mon papier. Je peignais les maisons sur demande, des bâtiments entiers, des vitrines. Pas mal d'immeubles portaient ma signature, mais ils ont été détruits.
Tous hochent la tête, pensifs et la considèrent comme une étrange bête en voie de disparition. Notamment, Chad. Sûrement lui reproche-t-il de ne pas lui avoir mentionné cette information, mais bon, il n'a jamais demandé et cela concerne un passé profondément enfoui.
- Vous êtes I.P, n'est-ce pas ? suppose Calum qui se trouve être le frère cadet de Chad. "Au-delà de l'éternité mortelle" est votre slogan. Je m'interrogeais sur les raisons de votre disparition soudaine.
Phœbé relève la tête vers le jeune homme et sourit de manière énigmatique en le scrutant. Cela fait une éternité que ce nom n'a pas été prononcé. Des années auparavant, alors qu'elle est âgée d'à peine seize ans, sa passion est devenue une obsession. Elle a parcouru toute la Californie à la recherche de tableaux vierges qui n'attendaient qu'elle pour raconter un instant, une histoire qui serait signé de ces deux lettres : I.P., Insouciante Plume. Malheureusement, son nom a disparu avec ses œuvres dispersées dans chaque recoin de son État d'origine.
- Qu'est-ce qu'I.P ? interroge Juan installé en bout de table.
- Insouciante Plume, confie l'Afro-Américaine. Comment me connaissez-vous ? poursuit-elle à l'intention de Calum.
- Je vous suivais de près. Votre façon de peindre est impressionnante, je ne m'attendais à ce que ce soit une adolescente qui se cache derrière tout ceci. Mon frère, tu as une artiste à ton bras ! se réjouit-il.
- Il semblerait, dit-il en fixant Phœbé de façon insistante.
- Étant donné que nous avons une artiste dans la famille, reprend Natalia ; pourrais-tu nous faire une fresque de loups ? Représentant chacun d'entre nous ?
- Maman, râle Chad, excédé.
- Quoi ? boude sa mère. Je demande, c'est tout.
- Je voudrais bien, mais cela remonte à loin, la dernière fois que j'ai touché à un pinceau, Natalia, s'excuse Phœbé. Je ne sais plus ce que je vaux.
- Je suis certain que vous êtes remplie de surprise. À part votre look, il ne doit pas avoir grand-chose de différent, avance Calum en farfouillant dans son téléphone. Regardez.
Un hologramme apparaît sur la table malgré les protestations de Phœbé. Il représente une jeune femme noire de dos et face à un énorme dessin d'une sublime brune aux traits hispaniques maquillée comme la célèbre « Santa Muerte ». Sa main, tenant un pinceau, achève une rose rouge, pourtant, son regard est tourné vers la droite, dévoilant une bulle créée d'un chewing-gum et un piercing au septum. Ses cheveux, montés en un énorme afro, sont de couleur bleu nuit et s'accordent avec son collant noir et son crop-top de même couleur. Le pire dans cette photo est qu'elle a été faite de près donnant un aperçu complet de chacun de ses traits légèrement plus enfantins.
Tentant d'ignorer cette image en plein milieu de la table, elle attrape un pain au chocolat et l'une des brioches au nom bien trop long pour qu'elle le retienne. Finalement, l'attention se tourne sur d'autres sujets qui ne la concernent ni de près ni de loin, à son grand soulagement.
✶❍✶
- Tu ne m'as pas parlé de cette histoire d'I.P, entame Chad alors qu'ils débarrassent ensemble.
- Je n'ai pas vu l'intérêt de parler d'une chose qui ne regarde que moi et qui remonte à bientôt trois ans.
- Tu n'en as pas vu l'intérêt ? continue-t-il à son grand désarroi.
Phœbé expire bruyamment en faisant les gros yeux et dépose la vaisselle dans l'évier avant de repartir pour l'extérieur toutefois, Chad la retient par le bras et la retourne.
- Que puis-je pour toi ? lance-t-elle.
- Phœbé, grogne-t-il.
- Phœbé ? redit-elle avec un air faussement étonné. Il n'y a plus de Mía ? Que je ne te parle pas de mon passé te dérange à ce point ? Monsieur je cache plein de choses ?
- Ce n'est pas comparable.
- Ah, ce n'est pas comparable ? articule la jeune femme du bout des lèvres. C'est sûr que moi qui cache d'anciens loisirs n'est pas comparable à Monsieur j'ai fait de la prison.
Dans sa tête, un témoin rouge s'illumine. La prévenant qu'elle s'engage sur un terrain glissant. Un terrain très glissant. Seulement, Chad commence sérieusement à l'agacer avec son attitude des plus hypocrites. Avant de lui reprocher quoi que ce soit, il devrait commencer par nettoyer devant sa porte. À commencer par cette histoire de prison et de cet Hayden Alexandesco.
- Pendant que nous y sommes, pourquoi as-tu fait de la prison ? lui demande Phœbé. Peut-être que si tu te décides à parler, j'aurai un minimum envie de te retourner la politesse, Mío.
Le regarder droit dans les yeux et utiliser son propre mot contre lui dans l'unique but de le provoquer. L'Afro-Américaine n'y a jamais pensé et maintenant qu'elle voit le résultat, elle ne se gênera pas pour reproduire cette action. Ses yeux d'or se durcissent et sa mâchoire se crispe tellement, que la jeune femme se dit que tôt ou tard, il finira par se la bloquer. Malgré son énervement certain, il relâche son poignet.
- C'est agaçant, n'est-ce pas ? reprend-elle dans l'intention unique de le provoquer un peu plus. Vouloir quelque chose que l'on est incapable de donner en retour.
En prononçant cette phrase, quelque chose de plus profond paraît s'être infiltré entre les grandes lignes. Pourtant, à sa connaissance, Phœbé n'attend pas grand-chose de sa part. En tout cas, rien de plus que ce qu'il a déjà montré. Un peu d'humour. Un peu de sérieux. Un peu de joie. Un peu de tristesse. Un peu d'amour. Un peu de haine. Tout en sachant que les ténèbres ont une place plus importante au fin fond de ses prunelles et que la lumière se contente de berner par leur couleur.
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