Cette réponse lui vaut une œillade courroucée de Lenora mais aussi son silence. Qui en a les moyens peut, en effet, construire ce qui lui chante, après tout. Ils s'enfoncent sur le sentier de la forêt environnante et sa vue s'ajuste à cette obscurité aveuglante. Certes, elle ne lui permet pas de distinguer les couleurs, seulement, elle lui donne la possibilité de discerner chacune des formes qui habite ce bois. Le ruissellement d'un lointain cours d'eau lui parvient et apaise cette lourde atmosphère.

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A la suite d'une durée indéterminée, les vampires arrivent à bout de l'épaisse sylve et une longue voie piétonne s'ouvre devant eux, éclairée sobrement par des lampadaires.

— Où sommes-nous ? demande Lenora en promenant son regard de droite à gauche.

— A Krekose, c'est ici qu'étudient les vampires qui le désirent ou y sont contraints, peu importe leur âge.

— Qu'allons-nous faire dans cette école ? Vous allez m'y inscrire ?

— Bien sûr que non, répond-il ; il n'y a rien qui est enseigné à Krekose que je ne puisse t'enseigner moi-même. L'aile Est se compose de bâtiments administratifs en lien direct avec l'Etat, je comptais simplement rendre visite à un ami toutefois, autant profiter de ton réveil. Contrairement à bon nombre de mes congénères, je vais leur signaler ton existence afin qu'il n'ait rien à nous reprocher et ainsi te retirer de ma garde. Cela ferait bien trop plaisir à certains.

Pour résumer, elle est l'équivalent d'un bébé dont la naissance doit être enregistrée dans les données de "l'Etat" sous peine d'être dans l'illégalité procédurière ? Charmant. La jeune femme acquiesce tout de même et ils poursuivent leur progression tandis que son regard s'attarde sur les immenses jardins aux parfums harmonieux.

Quand elle se décide finalement à lever la tête pour voir à quoi peut bien ressembler ce lieu, elle est impressionnée. Colossal... Il n'existe pas d'autres mots pour décrire cet établissement. Le bâtiment principal est d'une forme rectangulaire allongée et possède plus de cinq étages en plus d'une tour à chaque extrémité. Il est surmonté d'une autre bâtisse plus petite en son milieu et, est également entourée de deux étranges tours. Et pour parfaire ce tableau à l'architecture révolutionnaire, d'innombrables tours s'élèvent en demi-cercle derrière cette construction.

Ils atteignent une place avec une majestueuse fontaine et où confluent quatre allées semblables à celle qu'ils empruntent. Et en se faisant plus attentive, elle s'aperçoit que de l'eau s'écoule d'étroits canaux, creusés le long de ces rues piétonnières, aux quatre coins de cet espace. Ils la contournent et gravissent les marches précédant l'entrée, qui, alors qu'ils leur manquent quelques marches, s'ouvre dans un léger grincement.

— Bonsoir, Monsieur BORGIA, le salue un homme à peine la porte franchie.

Celui-ci reste muet et Lenora observe l'employé refermer la porte derrière eux. Toujours à son bras, ils se dirigent vers un escalier à leur droite et des minutes plus tard, tant il est interminable, ils atteignent un hall. A l'intérieur se trouve de nombreuses portes ainsi qu'un secrétariat dont ils prennent la direction. Une femme y est attablée. Ses fins cheveux bruns tombent dans son dos, aucune mèche ne venant chatouiller son visage au teint pâle, et ses yeux rouges la dévisagent avec interrogation. Des dossiers sont parfaitement rangés sur son bureau et un stylo est crispé dans sa main, au-dessus d'un document.

— Bonjour, Monsieur BORGIA, commence-t-elle en portant son attention sur lui ; est-ce avec Monsieur CANOSSA que vous désirez vous entretenir ?

— Est-il présent ? la questionne le concerné.

— Oui, il vous attendait, déclare-t-elle. Vous pouvez y aller.

— Attends-moi ici quelques instants, Lenora, lui intime-t-il.

La jeune femme opine et prend place sur l'un des canapés à l'opposé de la réception. Aurel disparaît et très vite, une étagère de livres attire son attention. Elle s'en approche et aucun de ces auteurs et titres ne lui parlent à l'exception de trois. L'existence éternelle, d'Elijah CANOSSA, la Lignée immortelle, de Keir BORGIA et le Pacte du Diable, d'Aurel BORGIA. Le nom de cet Elijah CANOSSA revient souvent ainsi que celui des BORGIA mais avec différents prénoms. Elle en déduit que cette famille se compose d'érudits. Sa curiosité la pousse à attraper celui de Keir et s'asseoir confortablement dans son siège.

— Désirez-vous quelque chose à boire ? intervient la secrétaire.

— Auriez-vous cette boisson rouge légèrement épaisse et très sucrée ?

La vampire la considère, dubitative, et finit tout de même par acquiescer, ravissant la jeune femme. Satisfaite, elle reprend sa lecture et découvre la famille BORGIA qui, au commencement, n'était qu'une banale famille espagnole. C'est à la Renaissance qu'un tournant fut pris par ses membres grâce au père de la famille, Amadéo.

Évêque, il a été fait cardinal par Alphonse V d'Aragon et de Sicile, lors d'un grand schisme. Il semble qu'en mille quatre cent quarante-cinq, cet homme finisse par acquérir la tiare romaine, symbole pontificale. Malheureusement, le pouvoir aveugla cet homme qui s'aventura dans une vie de débauche et de criminel et c'est à cette partie de l'histoire que tout devient étrange.

— Tenez, Mademoiselle, l'apostrophe la vampire en revenant.

Cette dernière lui tend un verre et l'agacement pointe rapidement le bout de son nez en Lenora. L'odeur qui s'échappe de ce verre fumant n'est pas la même que ce que lui a proposé Aurel. Il n'y a rien de sucré, rien de gourmand, rien de riche, c'est tout le contraire. Elle ne retient pas une grimace de dégoût en recevant cette abjection dans ses narines et si elle en croit le visage effrayé de la secrétaire, le regard qu'elle lui adresse doit être particulièrement menaçant. Celle-ci lui fait un poli signe de tête et court presque pour retourner à son bureau sans que Lenora ne la lâche du regard.

Son attention se reporte sur son verre et malgré les signaux rougeoyants qui envahissent sa tête, elle se risque une gorgée qu'elle le regrette aussitôt. Quelle est cette immondice ? Elle recrache vivement ce liquide imbuvable et reposant le verre sur la table-basse, elle jette un coup d'œil à la secrétaire qui baisse immédiatement les yeux. Un sentiment de satisfaction émerge face à cette soumission et, après avoir essuyé la commissure de ses lèvres du doigt, elle continue sa lecture.

Se replongeant dans l'histoire des BORGIA, Lenora ne sait quoi penser de la suite des événements. Alors que le destin de cette famille était scellée par le comportement d'Amadéo, ce dernier fit la rencontre d'un homme nommé Vlad Țepeș. Il est décrit comme élégant et à la carrure fière. Il avait des traits nobles, un visage très fin ainsi que des pommettes saillantes et son regard d'or était sévère. Sa barbe et sa moustache parfaitement taillées ainsi que sa longue chevelure, tous immaculés, durcissaient davantage ses traits. 

Étonnamment, les deux hommes sympathisèrent et comme gage de leur amitié, il lui fit don de la vie éternelle. Et Aurel choisit cet instant pour revenir et l'interpeller.

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