chapitre 17
Eden poussa un soupir de soulagement lorsque la journée prit fin. Elle n'avait pas touché à son assiette et s'était précipitée dans son dortoir dès qu'elle l'avait put. Mais une fois là, elle se mit à tourner en rond, prisonnière de son esprit tourmenté. Les cauchemars, plus intenses que jamais, l'empêchaient de dormir, et la fatigue ne faisait qu'accentuer son malaise. Grommelant, elle enfila un sweat et un pantalon, puis grimpa sur le toit, son refuge. Ici, personne ne viendrait la déranger à part Tom ou Mattheo, à la rigueur Rusard, une idée qui la fit grimacer. Elle s'allongea sur le sol froid et tourna les yeux vers les étoiles scintillantes.
— Pardon, murmura-t-elle, désolée d'être une déception.
Les larmes montèrent, et cette fois, elle ne chercha pas à les retenir. Elles coulèrent librement, témoins silencieux de sa souffrance. D'un geste hésitant, elle glissa une main dans sa poche et en sortit la petite fiole que Cormac lui avait donnée. L'odeur douce, un mélange de fruits et de sucre, lui parvint alors qu'elle vidait la potion d'un seul trait.
La sensation de soulagement fut presque immédiate. Son corps, tendu de fatigue et de stress, commença à se détendre, et la lourdeur dans son esprit se dissipa peu à peu. Eden ferma les yeux, se laissant emporter par cette légèreté apaisante qui l'enveloppait. La fiole glissa de sa main sans qu'elle s'en aperçoive, et elle rouvrit doucement les yeux, se sentant étrangement vide et sereine à la fois.
Les yeux d'Eden étaient vitreux, dilatés, ses pupilles presque démesurées, et soudain, plus rien n'avait d'importance. Tout semblait léger, flou, comme si le monde autour d'elle n'était plus réel. Elle se leva avec une insouciance étrange et s'avança vers le rebord du toit. Grimpant sur le petit muret, elle laissa un pied pendre dans le vide, une sensation de vertige la traversant. Cela lui parut amusant. Elle chancela un instant, se rattrapa maladroitement en éclatant de rire. Le vent sifflait dans ses oreilles, écho de ce qu'elle ressentait à l'intérieur : un vide, une liberté illusoire.
Redescendant du rebord, Eden tourna sur elle-même, un sourire béat étirant ses lèvres, avant de se laisser tomber lourdement sur le sol. Elle était loin, ailleurs, perdue dans un bonheur factice. Elle ferma les yeux, sentant la potion se diffuser dans son sang, lui procurant des frissons de plaisir. C'était comme flotter sur un nuage doux, moelleux et chaud. Mais bientôt, une sensation étrange la rattrapa. Sa tête bascula sur le côté, sa bouche devint pâteuse. Elle essaya de se redresser mais son corps se déroba, et elle s'effondra. Sa tête heurta un tuyau métallique, un bruit sourd résonna, mais elle était déjà inconsciente, sombrant dans les ténèbres.
Pendant ce temps, Mattheo arpentait les couloirs déserts du château, les mains enfoncées dans ses poches. Il observait distraitement les portraits endormis, l'air las. L'idée de rester immobile dans son lit toute la nuit à se retourner sans fin l'irritait. Il préférait marcher, même seul. Ses pas le conduisirent naturellement vers le toit. L'envie de fumer devint tentante. Il monta les escaliers deux par deux puis ouvrit la porte du toit. Une bouffée d'air frais l'accueillit alors qu'il laissait son regard balayer les alentours. La nuit était belle, les étoiles scintillaient, et il pensa à Eden. Elle aimait tellement les étoiles. Un sourire lui effleura les lèvres à cette pensée, avant que quelque chose ne vienne troubler sa tranquillité.
— Eden?! s'exclama Mattheo.
Il repéra sa silhouette immobile sur le sol, ses cheveux flamboyants éparpillés autour d'elle comme un halo. Son estomac se serra tandis qu'il se précipitait vers elle, tombant à genoux. Il prit délicatement sa tête entre ses mains tremblantes. C'est alors qu'il remarqua la mousse blanche s'échappant de sa bouche, et le flacon vide non loin de là. Son cœur fit un bond dans sa poitrine.
— Merde, merde, merde! jura-t-il en comprenant l'ampleur de la situation.
Elle faisait une overdose mais il ne comprenait pas, comment était-ce possible alors qu'il ne lui avait pas donné de potion depuis la dernière fois? Dans l'esprit d'Eden, tout était différent. Elle flottait dans un vide silencieux, baigné d'une douce chaleur. Il n'y avait ni douleur, ni tourments, juste un calme apaisant. Un silence total. C'était comme un rêve, comme si elle avait enfin trouvé un endroit sans cris ni flammes, un lieu de paix où elle se sentait étrangement sereine.
Mattheo, cependant, était plongé dans une panique totale. Il grogna en soulevant son corps inerte, son esprit en ébullition. Il luttait pour maintenir son calme alors qu'il s'empressait d'ouvrir la porte du toit, luttant avec Eden dans ses bras. Chaque seconde comptait. Il dévala les escaliers à toute vitesse, priant pour ne pas trébucher. Son unique pensée : Tom. Il n'y avait qu'un endroit où il pouvait aller, et il espérait désespérément que son frère serait encore dans son bureau. Il se précipita à travers les couloirs sombres, la jeune fille toujours inconsciente dans ses bras. Le souffle court, il déboula dans le bureau de son frère.
— TOM! cria-t-il.
— Pourquoi est-ce que tu cries comme un ...
Eden.
Tom se releva brusquement, les traits tendus, et ordonna à Mattheo de déposer Eden sur son bureau. D'un mouvement rapide, il balaya tout ce qui encombrait la surface, laissant un espace suffisant. Son regard était glacial, mais son esprit tournait à toute vitesse. Sans perdre une seconde, il se dirigea vers son armoire personnelle, en extirpant un petit sac de velours. De l'intérieur, il sortit une pierre grise, un bézoard. En trois enjambées, il fut de nouveau près d'Eden, lui ouvrant la bouche d'un geste ferme.
— Eh! Qu'est-ce que tu fais? s'alarma Mattheo.
— Je lui sauve la vie, répliqua froidement Tom. Si tu écoutais en cours tu le saurais. C'est un bézoard, ça va empêcher qu'elle ne meurt d'un empoisonnement.
Tom enfonça la pierre dans la gorge d'Eden, il fit tout pour garder une façade impassible, mais intérieurement, la peur le rongeait. Pas pour elle, essayait-il de se convaincre. C'était pour ses plans, pour le contrôle qu'il voulait exercer sur elle. Pourtant, un doute insidieux s'insinuait en lui, une petite voix qu'il étouffait. Ne pouvant plus ignorer l'agitation qui grondait en lui, il se tourna vers Mattheo, les yeux brûlants de colère.
— C'est toi qui lui as parlé de cette potion? siffla-t-il. C'est pour ça qu'elle est dans cet état depuis des jours?
— Je... Je ne pensais pas..., balbutia-t-il.
— Regarde le résultat! tonna Tom.
Mattheo baissa la tête, ses mains tremblantes. Chaque mot de Tom le poignardait un peu plus profondément. S'il arrivait quelque chose à Eden, il ne se le pardonnerait jamais. Le poids de la responsabilité lui écrasait la poitrine. Soudain, le corps d'Eden convulsa, elle se redressa sur le bureau, confuse, avant de se pencher pour vomir sur le sol. Haletante et le corps brûlant, la jeune fille se laissa retomber sur le bureau. Sa gorge était en feu et sa tête tournait. Encore désorientée, elle entrouvrit les lèvres.
— Maman..., souffla-t-elle.
Tom se pinça les lèvres en l'entendant et s'approcha lentement pour caresser ses cheveux. Mattheo se crispa, le cœur lourd de culpabilité, mais il resta silencieux. Eden frissonna sous le toucher de Tom, sa présence était étrangement réconfortante. Finalement, elle posa les yeux sur les deux visages soucieux qui se penchaient au-dessus d'elle et reconnut les frères Riddle. Les jeux de lumière lui brûlaient la rétine, et elle ferma les paupières pour s'en protéger.
— On dirait que vous allez à un enterrement, grogna-t-elle.
— On a bien failli, répondit Tom.
Eden grimaça, consciente que parler lui faisait mal à la tête. Elle n'avait pas encore pleinement réalisé ce qui s'était passé, ni pourquoi elle se trouvait là, avec eux. Se redressant, incapable de rester en place, la nausée la saisit à nouveau, et elle se força à se rallonger sur le bureau.
— Qu'est-ce qui s'est passé ? demanda-t-elle, la voix tremblante.
— Je t'ai trouvée inconsciente, expliqua Mattheo timidement. Tu as fait une overdose, et je... je t'ai amenée ici. Mon frère... t'a sauvée.
Le jeune homme grimaça, avouer que Tom avait sauvé la fille dont il était éperdument amoureux lui coûtait cher. Tom aida Eden à se relever doucement, faisant apparaître un verre d'eau qu'il lui tendit avant d'effacer d'un geste de sa baguette la flaque de vomi. Il s'efforça de prendre un ton de professeur inquiet pour son élève.
— Vous auriez pu mourir étouffée, gronda-t-il, mais vous auriez aussi pu tomber du toit. Puis-je savoir pourquoi diable vous avez pris autant de potion, Miss Marks?
Bien qu'il ait opté pour le vouvoiement afin de ne pas éveiller les soupçons de Mattheo, il plongea ses yeux sombres dans ceux de la rouquine, lui montrant à quel point il était confus. Pas seulement à cause de ce qui venait de se passer, mais aussi à cause du comportement d'Eden depuis un certain temps.
— Parce que c'est la seule chose qui me fait oublier, souffla Eden. J'ai besoin d'en prendre. Et ne regardez pas votre frère comme si c'était de sa faute. Mattheo... ça fait des semaines que je n'ai plus la dose qu'il m'a donnée. C'est Cormac qui m'en a rapporté, Matty-heo n'est pas à blâmer.
Elle sentait bien la tension palpable entre les deux frères, mais Mattheo n'avait rien à se reprocher. Si Eden était devenue dépendante, elle en était la seule responsable. Elle vit l'inquiétude dans les yeux de Tom et en éprouva un profond regret. Il l'avait sauvée. Il aurait pu la laisser mourir, mais il ne l'avait pas fait. Le jeune professeur se tourna alors vers son frère.
— Mattheo, tu devrais sortir, déclara-t-il. J'ai besoin de m'entretenir avec Miss Marks en privé.
Mattheo protesta, conscient que c'était lui qui avait trouvé Eden, lui qui l'aimait. Cependant, il savait que Tom ne céderait pas, et il ne voulait pas que leur dispute perturbe Eden. Après un dernier regard inquiet pour la jeune fille, il tourna les talons.
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro