𝐗𝐗𝐗 | 𝐓𝐡𝐞 𝐓𝐫𝐞𝐞𝐬 𝐊𝐧𝐨𝐰 (𝐈)
*Les arbres savent
Elle représente Seungmin, l'image 🤭
30k divisé en deux parties de +/- 15k chacune ! Attention, c'est hyper dense en infos.
😇 Profite au max de la « légèreté » de ce chap 😇
Je sais que certains adorent Seungmin, alors j'ai étoffé pour offrir une dernière fois cette version de lui, avant son départ au palais
En espérant que ça te plaise, et que ça te permette de lui dire au revoir avec douceur (je l'adore aussi, ce gars 😭🤌🏼✨)
(😇 J'ai pas dit que tu ne reverras plus Seungmin 😇
😇 J'ai parlé de version 😇)
Active les commentaires, j'ai expliqué pas mal de choses importantes en 6 étoiles (*) en tout, dans les deux parties ! Sinon je les mets en fin de chap
Enjoy ♡
☾
Sungkyunkwan se tenait sous un ciel nocturne constellé d'étoiles, alors que le départ de la cour royale se profilait, son retour prévu dès l'aube.
Les festivités avaient à peine tremblé sous la tragédie qui s'était achevée avec la mort du professeur Shin. Les circonstances de cette disparition avaient été soigneusement dissimulées par le doyen Jeong et appuyées par le général Kim, dont l'autorité avait su apaiser les interrogations.
Peu pleuraient Shin, cet homme distant peu soucieux de plaire à ses pairs ou de s'attirer l'affection de ses élèves.
Dans la chambre de Jungkook, le petit groupe s'était réuni depuis un moment déjà. La soirée avançait, et vint le moment du dîner avec Seungmin et Yeseo.
Mingyu fut le premier à sortir de la chambre, tout sourire, son enthousiasme contagieux, suivi de tous les autres. Jungkook émergea à son tour dans le couloir de leur dortoir juste derrière Namjoon, attirant sur lui tous les regards.
Tous le fixaient avec attention et fierté. Malgré son pas encore hésitant et le léger boitillement, il avançait seul, appuyé sur son bâton.
Chacun l'encouragea, des mots chaleureux et de soutien volant jusqu'à lui.
En retrait, Namjoon observait la scène, les bras croisés, deux fossettes discrètes creusant ses joues. S'il avait pu choisir, il l'aurait volontiers porté jusqu'au point de rendez-vous avec Seungmin, mais il respecta la volonté de Jungkook et admira son courage.
En sortant du dortoir, ils échangèrent leurs adieux. Les dernières paroles d'encouragement pleuvaient sur Jungkook, qui les recueillait avec gratitude, se nourrissant de leur énergie.
Après un dernier remerciement, les autres s'éloignèrent, laissant Taehyung, Namjoon et Jungkook poursuivre leur chemin ensemble dans la cour de l'école.
Taehyung glissa un bras autour de celui de Jungkook, son regard doux, mais pénétrant cherchant le sien. Ce dernier le fixa, à la fois attentif et curieux, un fin sourire effleurant ses lèvres.
Il ne se lassait pas de cette manie qu'avait son aîné d'être tactile. Surtout cette façon instinctive — et adorable — de s'accrocher aux bras des autres pour demander un peu de leur attention.
Ce hyung était une singularité à lui seul et il l'adorait.
« Kook, écoute... dit-il prudemment. Papa essaie de te parler et de créer un lien, mais il échoue. »
La démarche déjà lente de Jungkook ralentit. Son sourire se fana, et son expression se fit plus appréhensive.
« Comment ça... ? souffla-t-il, troublé.
— Je sais que tu ne le repousses pas volontairement, mais lui le ressent comme tel », expliqua Taehyung d'un ton doux.
Un tressaillement effleura les lèvres de Jungkook. Son cœur s'emballa.
« Non, pas du tout, balbutia-t-il. Enfin... il m'a proposé de passer du temps ensemble, et j'ai accepté, pourtant...
— Oui, mais il a senti ton angoisse et ne voulait rien t'imposer. »
Un petit silence. Puis, un discret « oh » échappa à Jungkook.
« Même si j'étais appréhensif, je n'ai pas dit non. C'est juste que... Me retrouver seul avec lui dès le début m'a paru trop brusque, avoua-t-il dans un murmure contrit. Je suis désolé, hyung, c'est ton père, mais je...
— Jungkookie », le coupa-t-il doucement.
Taehyung lui offrit un sourire rassurant. Loin d'être peiné, il s'amusa de son air interdit, du léger sursaut qui marqua sa surprise au nouveau surnom. Il fut attendri par ses grands yeux ronds, expressifs et scintillants d'étoiles, par cette candeur qui ressurgissait et les surprenait, et dont il avait le secret.
Pas étonnant que Namjoon ait succombé.
« Tu n'as pas à t'excuser. Les découvertes sont récentes et les évènements se sont enchaînés pour toi. »
Jungkook baissa la tête, puis acquiesça.
« Et on sait que c'est difficile avec tout ce passé, surtout vis-à-vis de ton père », ajouta Taehyung.
Jungkook releva les yeux vers lui, un peu pris au dépourvu.
« C'est surtout ça, oui, souffla-t-il, à la fois surpris et soulagé d'être compris.
— Il s'en est rendu compte après. Il s'en veut. »
Jungkook tressaillit, battit des paupières. Une ombre de tristesse passa dans son regard, et son cœur se serra.
« Il ne devrait pas... », souffla-t-il.
Taehyung haussa légèrement les épaules, l'air de dire qu'il n'y pouvait rien. Puis, il esquissa un sourire malicieux.
« Il est jaloux de maman, glissa-t-il d'un ton mutin. Tu les aurais vus... Papa boudait, et maman rayonnait de fierté d'avoir pu te parler. »
Namjoon sourit, et Jungkook pouffa, son cœur s'allégeant un peu à l'image de cette scène cocasse. Il lui était désormais si facile de les imaginer comme deux grands enfants dans des corps d'adultes.
« Et maintenant qu'on sera tous les cinq, peut-être que ça t'aidera. »
Jungkook resta muet. Son regard se perdit dans le vide, troublé. L'idée d'un moment seul avec Seungmin lui plaisait autant qu'elle l'effrayait. Il en avait envie. Il s'en sentait capable. Mais il hésitait.
« Je ne veux pas t'imposer quoi que ce soit. Juste que tu le saches, ajouta Taehyung avec une voix douce. Et je n'attends pas de réponse. »
Jungkook déglutit, puis acquiesça. Il sentit peser sur lui cette responsabilité, mais il ne voulait pas la refuser, même si l'idée le dépassait encore un peu.
Il savait seulement qu'il ne pourrait pas le faire sans la présence de Taehyung.
Encore moins sans celle de Namjoon.
Il sentit la main de ce dernier se glisser dans la sienne en une pression douce. Discrète, mais si encourageante. Jungkook sourit. Il baissa la tête, cachant la chaleur qui colorait légèrement ses joues, puis la releva, happé.
Il croisa le regard calme et tendre de Namjoon. Ses yeux tombèrent ensuite sur son fin sourire infiniment réconfortant. Il se délecta intérieurement de sa fossette, charmé, distrait.
Et Jungkook se souvint. Il n'était pas seul. C'était eux, ensemble.
La présence de Namjoon était constante et solide. Ce simple contact dissipa doucement l'oppression qui l'enserrait.
Tous trois aperçurent Seungmin près du temple, entouré de curieux venus échanger avec lui. Son rire s'élevait dans l'air, clair et franc, traversant la nuit naissante pour venir réchauffer leurs cœurs et éveiller leurs sourires.
Surtout, il rassurait aussitôt l'appréhension de Jungkook.
Il riait comme si rien ne pesait sur ses épaules, comme s'il n'avait jamais connu le poids du devoir.
Il discutait avec quelques professeurs et érudits, dominant l'assemblée d'une tête, drapé d'une majesté ténébreuse. L'armure noire épousait sa forte stature avec une élégance austère. Sous la lueur de nombreuses torches et lanternes, le cuir laqué brillait, faisant scintiller un entrelacs d'arabesques royales, cousu aux armoiries de la lignée de Seungmin. Un dragon s'y lovait, sa silhouette sinueuse gravée dans la matière, ses griffes enfoncées dans le cuir comme s'il s'y agrippait. Son regard sculpté d'une gravure précise, transperçait quiconque osait le soutenir.
Une créature de légende, équilibre entre puissance guerrière et lignée noble.
Les épaulettes marquaient son rang, non par ostentation, mais par nécessité. Une parure de commandement, imposante sans être écrasante. Jungkook reconnut l'attention portée à ce détail. Seungmin s'était changé, lui aussi, troquant le fracas du métal pour une tenue plus souple, plus sobre.
Comme eux.
Tous trois portaient un hanbok de ville suffisamment élégant pour honorer un général, assez simple pour respecter la sérénité du lieu : Taehyung rayonnant dans un jaune solaire, Namjoon drapé d'un noir élégant, et Jungkook vêtu d'un beige chaleureux.
L'air était doux, chargé du parfum boisé des lanternes crépitant à l'entrée du temple. Le crépuscule s'attardait sur les toits de Sungkyunkwan, drapant leurs tuiles d'un éclat mordoré. Les ombres s'étiraient lentement sur les dalles comme une encre déliée. Un dernier rai de lumière glissait entre les colonnes, caressant les moulures d'un éclat furtif, avant de s'éteindre dans le silence du soir.
Cette sérénité tranchait avec les tumultes des jours passés.
À leur approche, les hommes entourant Seungmin s'interrompirent, reconnaissant son fils. Après quelques salutations respectueuses, ils s'éclipsèrent, laissant place à une atmosphère plus intime.
Namjoon s'inclina en premier. Jungkook suivit, le regard pétillant d'amusement lorsqu'il constata qu'ils avaient presque la même coiffure : Seungmin portait un chignon bas, lui une queue de cheval nouée à la même hauteur. Deux mèches s'échappaient pour encadrer leur visage. Une harmonie involontaire qui, étrangement, lui plut.
Taehyung eut droit à une caresse sur ses cheveux, d'une douceur qui le fit sourire et baisser les yeux.
« Vous voilà enfin, dit Seungmin avec un sourire éclatant. Je craignais que vous ne m'abandonniez à ces bavards.
— La tentation était grande », répliqua Namjoon, railleur.
Seungmin lui décocha un regard plissé, faussement sévère.
« Insolent. »
Namjoon arqua un sourcil, le défiant d'un air bravache, mais son rictus ne fit qu'encourager Seungmin qui, dans un geste vif, fourragea dans ses cheveux pour les décoiffer sans vergogne. Namjoon poussa un soupir faussement résigné, un léger sourire creusant ses fossettes, avant de simplement se recoiffer sous leurs regards amusés.
Jungkook jeta un regard autour d'eux et nota l'absence de Yeseo. Un creux étrange se forma en lui, une déception qu'il ne sut nommer. Instinctivement, il posa une main sur sa poitrine.
Quelle étrange sensation.
En observateur attentif, Namjoon fronça les sourcils, son esprit cherchant déjà une raison à l'absence de Yeseo.
Taehyung, en revanche, n'y prêta guère attention. Il devina ce qui aurait pu se tramer : sa mère avait dû trouver une excuse habile pour laisser à son père et à Jungkook le temps d'un rapprochement. Une manœuvre trop évidente et trop ressemblante à sa Yeseo pour qu'il s'en étonne.
Il sourit. Il connaissait ses parents comme s'il les avait façonnés.
« Jungkook, j'ai fait appel à un carrosse. Qu'est-ce que tu préfères ? Marcher ou préserver tes forces ?
— Hein ? »
Jungkook cligna des yeux, surpris. Du bout du doigt, Seungmin désignait un attelage d'apparat, et, lorsqu'il suivit la direction indiquée, son souffle se coupa.
« Woah... », souffla-t-il.
Un carrosse royal.
La lourde caisse de bois sculpté peinte d'un noir lustré, scintillait sous la lune et les nombreuses torches et lanternes. Les ornements d'or rehaussaient la noblesse de ses contours, et les rideaux de soie, tirés à moitié, laissaient voir le velours cramoisi de l'intérieur. Devant, un étalon bai piaffait sous l'emprise ferme du cocher, un vieil homme élégant, aux tempes grises, au dos droit malgré son âge.
M... moi, monter dans ça ?!
Il jeta un regard à Namjoon qui l'observait déjà. Son expression était lisible : il voulait qu'il accepte.
Oui, mais non.
« Je... je préfère marcher, mais merci d'y avoir pensé, Janggun-nim. »
— Tu es sûr ? », demandèrent Seungmin et Namjoon d'une même voix.
La voix de ce dernier vibrait d'inquiétude. Ce fut suffisant pour que le cœur de Jungkook bondisse fasse à leur sollicitude qui le touchait.
« Oui, je veux profiter du chemin pour me dégourdir les jambes. »
Et faire durer cette soirée, aussi...
Tous s'assurèrent que Jungkook disait vrai, puis hochèrent la tête.
En quelques mots et remerciements, Seungmin donna un signal au cocher de s'en aller. Ce dernier s'inclina et détendit les rênes. L'étalon s'ébroua, souffla bruyamment par les naseaux avant de s'élancer dans un grondement sourd. Les roues ferrées du carrosse crissèrent sur les pavés de petites pierres, avant que le roulement se fonde dans l'animation de la cour de l'école.
« Très bien, allons-y, dit Seungmin. Si j'attends une seconde de plus, je risque de dévorer quelqu'un. »
Taehyung lui lança un regard en biais, l'air de le juger. Amusé, Seungmin le bouscula légèrement du coude, lui arrachant un râle indigné.
Il n'en fallut pas plus pour que la chamaillerie débute entre père et fils, en de gestes faussement agacés et répliques piquantes. Namjoon leva les yeux au ciel, exaspéré d'avance, tandis que Jungkook, captivé et incapable de se contenir, émit un petit rire vite réprimé.
Il ne comprenait même plus pourquoi ce dîner l'avait tant inquiété.
Dans sa chambre, il s'en était rongé les ongles, et Namjoon n'avait cessé de le réconforter, de l'enlacer, de lui murmurer des mots rassurants. Ses lèvres avaient effleuré sa peau, s'étaient glissées sur son visage dans des caresses douces et délicates, avaient chassé son trouble de tendres baisers échangés.
Il avait été un baume sur son angoisse.
Mais à peine apaisée, l'appréhension revenait sans cesse.
Et Namjoon avait été patient. Si parfait.
Et pourtant, à présent, elle n'existait plus. Elle s'était complètement volatilisée. Dissoute face à la présence de Seungmin qui n'exigeait rien, qui n'imposait que sa chaleur, sa simplicité, et son honnêteté sans détour.
Certes, une pointe de timidité persistait. Comment ne pas être impressionné par un homme aussi puissant ? Fouler la terre à ses côtés relevait de l'inconcevable. Un stratège du royaume, un protecteur suprême, un colosse façonné par la guerre et le devoir. Un père et un époux aimant, un général aimé du peuple. Tout en lui inspirait le respect et l'admiration.
Mais il se sentait bien.
Heureux d'être là.
Heureux d'être compté parmi eux.
Ils avançaient lentement, leurs pas en accord avec ceux de Jungkook. À sa droite, Seungmin marchait d'un pas sûr, l'œil attentif, surveillant discrètement ses gestes. À sa gauche, Namjoon en faisait de même, ne cherchant guère à dissimuler sa vigilance.
« On n'attend pas Yeseo-ssi ? », demanda Namjoon, curieux.
Seungmin tourna la tête vers lui, un sourire en coin.
« Elle vous prie de l'excuser, elle ne viendra pas.
— Dommage... Pourquoi ? »
Seungmin prit le temps de répondre, comme s'il savourait déjà la saveur de ses mots.
« Elle est fatiguée. »
L'étincelle malicieuse dans son regard n'échappa à personne. Personne, sauf Namjoon.
Taehyung leva les yeux au ciel en soupirant, déjà las de la tournure que cette conversation risquait de prendre.
Jungkook, lui, sentit son esprit déraper avec une aisance déconcertante. Il se mordit l'intérieur de la joue pour se punir de la pensée impudique qui lui était venue aussi naturellement que respirer.
Fatiguée, ou bien elle ovule ?
Il regretta aussitôt sa pensée.
...ARGH.
Il serra les lèvres, s'imaginant la réaction de Yoongi s'il avait été là. Il aurait ri bas, et répondu plus salement encore.
Namjoon fronça légèrement les sourcils, toujours soucieux.
« Fatiguée ? Elle se sent malade ? », insista-t-il, sincèrement inquiet.
Jungkook détourna la tête, secoué d'un rire qu'il réprima de justesse. L'innocence de Namjoon était un spectacle en soi, tant elle était... rare.
Seungmin eut un rictus, le genre de sourire à la fois goguenard et assuré qui lui était propre.
« Pas malade, non. Juste... épuisée. »
Il appuya sur le dernier mot, le laissant s'étirer en un silence suggestif.
Voyant que Namjoon ne saisissait toujours pas, Jungkook pouffa et leva les yeux au ciel, attendri.
« Il faut te le dire comment ? Par ses soins, hyungie... », murmura-t-il, désignant Seungmin d'un discret mouvement du menton.
Sa voix se fit légèrement traînante, tant il était gêné. Il n'aurait pas voulu expliciter davantage, surtout pas à propos de gens qu'il respectait. Pas devant Seungmin lui-même qui, il le savait, se délectait de cet échange.
L'illumination fut soudaine. Namjoon écarquilla les yeux. Une chaleur grimpa le long de son cou, enflammant ses joues d'un rouge cocasse. Il émit un claquement irrité de la langue et détourna la tête.
« On n'a pas besoin de savoir ça, Seungmin-ssi, grommela-t-il.
— Tu es celui qui a demandé. »
Namjoon soupira et se massa les yeux d'un geste las, les joues toujours aussi empourprées.
Jungkook ne tint plus et éclata de rire, vite suivi par Seungmin, dont le sourire s'étira en une expression mutine, satisfait du trouble qu'il venait de semer.
Taehyung ne riait pas. Il dardait sur son père un regard profondément jugeur, sa grimace froissée en une exaspération sans bornes. Il le bouscula de l'épaule, accusateur.
« Tu es vraiment sans gêne », grommela-t-il.
Seungmin haussa les épaules, une expression faussement innocente sur le visage.
« Comment tu crois que tu es arrivé au monde, toi ? »
Taehyung se crispa.
« Où est le rapport ! », grinça-t-il.
À peine son père ouvrit-il la bouche que Taehyung plaqua ses mains contre ses oreilles, son visage se tordant en une moue de pure détresse.
« Arrête ! Je ne veux pas savoir ! Je t'ai dit mille fois de garder ça pour toi ! »
Un ricanement moqueur échappa à Seungmin. Jungkook était hilare et s'amusait comme un gosse, ravi au-delà du raisonnable, non seulement par la gêne manifeste de Taehyung et Namjoon, mais surtout par le fait que le général partageait le même humour grivois que lui et Yoongi.
Une complicité tacite s'alluma dans son esprit lorsqu'il croisa le regard espiègle de Seungmin. Ils se sourirent. Voilà qui promettait.
Et Namjoon, bien qu'un sourire amusé flottât sur ses lèvres, était consterné. Il cherchait désespérément un coin où se cacher, habitué, mais aussi terriblement embarrassé.
Après tout, il connaissait trop bien les tendances impudiques de Seungmin, cet homme sans la moindre once de gêne, toujours prêt à étaler sa vie intime avec cette désinvolture qu'il ne comprenait pas.
Qui est le pire entre lui et Yoongi ?
« Non, mais quel enfant, celui-là, soupira Seungmin.
— Exactement ! s'exclama Taehyung en le pointant du doigt. Laisse mon innocence tranquille !
— Tu n'es pas innocent, fils. »
Rouge de gêne, Taehyung roula des yeux.
« Je n'aurais jamais dû venir », geignit-il entre ses dents.
Les rires de Jungkook et Namjoon éclatèrent, l'un sonore, l'autre plus contenu. Mais avant que Taehyung ne puisse fuir cette situation embarrassante, Seungmin se pencha brusquement pour l'attraper par le cou, l'enserrant de son bras couvert de cuir noir, épousant ses muscles.
« Tu aurais préféré rester avec le rival ? », murmura-t-il, sa voix basse et narquoise glissant à son oreille.
Taehyung se figea instantanément. Son teint déjà rougi vira à un cramoisi plus prononcé, et ses yeux se plantèrent au sol, espérant disparaître sous terre. Seungmin se redressa avec un petit ricanement satisfait, croisant cette fois les regards stupéfaits des deux autres.
Leurs yeux étaient éloquents : « Parlait-il de Jimin ? ». Seungmin les ignora, un rictus malicieux aux lèvres.
Les plus jeunes se tournèrent vers Taehyung, qui, sentant le poids de leurs interrogations, rougit encore plus vivement.
Seungmin, lâcha une dernière pique.
« Attention, la fumée va te faire exploser la tête. »
Un gémissement frustré échappa à Taehyung, qui cacha précipitamment son visage entre ses mains. Cela ne fit qu'amplifier l'hilarité générale.
Voyant le désarroi grandissant de Taehyung, Jungkook décida d'intervenir, trouvant un moyen de le distraire.
« D'ailleurs, je tiens à vous remercier pour vos présents, Janggun-nim, ainsi que Yeseo-nim », dit-il avec un petit sourire sincère.
Seungmin reporta son attention sur lui, son expression espiègle laissant place à un air plus rayonnant.
« Ils vous ont plu ?
— Oui, vraiment », dit Jungkook en s'inclinant légèrement, aussitôt suivi par un Namjoon tout aussi reconnaissant.
Seungmin sourit d'un air nostalgique. Ses yeux semblaient regarder plus loin, au-delà du présent.
« J'aurais aimé être là lorsque vous les avez découverts. Pour vous raconter leur histoire. Mais je n'en aurais pas eu la force. »
Sa voix basse contenait une douleur maîtrisée. Taehyung l'entendait, là où les deux autres ne voyaient qu'un calme apparent.
« Ce n'est pas grave, Seungmin-ssi », dit Namjoon, légèrement confus.
Seungmin secoua lentement la tête, son regard se voilant.
« Si, ça comptait, car deux objets portent l'empreinte de vos pères. La plume blanche, par exemple... Elle appartenait à Dongwon. »
Jungkook s'immobilisa net, ses pas boiteux cessèrent. Ses yeux s'écarquillèrent, incrédules, rivés sur le général. Tous suspendirent leur marche.
Cette plume... Elle avait attiré son regard parmi l'éclat de l'or et le velours des étoffes. Son teint nacré, sa finesse sublime, la perfection du filigrane qui cerclait son encrier d'ébène... Une œuvre d'art. Un trésor que seuls les lettrés fortunés pouvaient s'offrir.
Mais ce n'était pas sa rareté qui l'avait troublé.
Lorsqu'il l'avait effleurée, un frisson l'avait traversé. Il avait cru à un coup de foudre, mais ce n'était pas sa beauté rare qui l'avait saisi. C'était une empreinte. Une trace. Une présence. Il comprenait, maintenant, que c'était autre chose.
L'influence d'une main, d'une vie, d'une mémoire.
L'énergie de son père avait effleuré la sienne.
Il l'avait nettement ressentie, sans même savoir ce que c'était.
Sa gorge se serra, la brûlure des larmes montait, violente. Il déglutit et repoussa l'émotion qui menaçait de l'engloutir.
« Et le carnet vert scellé appartenait à ton père, Namjoon. »
Namjoon sursauta, l'information le frappant de plein fouet. Son regard bascula, traversé par le trouble et l'étonnement.
« Il y écrivait des poèmes magnifiques. Je sais combien tu adores en lire, alors il te revient », poursuivit Seungmin.
Namjoon demeura muet, sonné.
« Je... je ne l'ai pas encore ouvert », souffla-t-il enfin, presque hésitant.
Seungmin eut un sourire rassurant, ses yeux restant doux.
« Pourquoi ?
— Je ne sais pas. »
Quelque chose m'en a empêché.
Namjoon se souvint du sentiment de déjà-vu troublant, cet étrange vertige fugace qui l'avait envahi la première fois qu'il l'avait effleuré du regard. Il tranchait parmi les présents, dissonant et pourtant intime. Quelque chose en lui s'était agité, un frémissement, une secousse sous la peau.
Perplexe, il avait cherché à comprendre, à saisir cet imbroglio qui s'agitait dans son esprit.
L'appréhension ? L'inquiétude ? La crainte ? Ce n'était pas tout à fait de la peur.
Presque ?
Il n'avait pas su. Il n'avait pas voulu s'introspecter.
Alors, il avait détourné les yeux et remis à plus tard le moment de le feuilleter, quand il aurait la force d'ouvrir ces pages et d'en découvrir le contenu.
« C'est une ode à notre amitié, à notre trio, dit Seungmin. Il écrivait des vers épars sur chacun de nous depuis ses treize ans. Puis, au fil du temps, ses mots ont changé. Il a commencé à écrire pour ceux qui entraient dans sa vie et qu'il aimait. »
Seungmin marqua une courte pause avant de reprendre, plus doucement encore.
« Les trois quarts du carnet te sont entièrement dédiés. »
Le cœur de Namjoon s'emballa, son esprit tourbillonnant.
« ... Moi ? »
Seungmin acquiesça et fit un pas, reprenant sa marche. Instinctivement, tous l'imitèrent.
« Ses mots te sont directement adressés. Il te livre beaucoup de choses. Il nous en lisait quelques-uns, c'était émouvant et bouleversant. »
Seungmin lâcha un souffle rieur, nostalgique.
Il revit ses propres larmes, ébranlé, secoué par la beauté des vers, par la justesse d'une plume qui parlait à un fils avec une tendresse que seul l'amour d'un père pouvait insuffler. Et Dongwon et lui, étant aussi pères, en avaient saisi la véritable profondeur.
Il se souvint de Dongwon, tout aussi ému, mais trop orgueilleux pour l'admettre, préférant railler sa sensibilité exacerbée. Même Taejoon finissait par se joindre à la plaisanterie.
Et tous trois se retrouvaient à se quereller, le rire dans la voix, les larmes aux cils, les cœurs serrés d'un amour paternel, chacun pensant à son enfant. Ils avaient ri pour ne pas flancher. Même si Seungmin finissait toujours par éclater en sanglots, son cœur bien trop sensible, s'attirant leurs tendres railleries, avant qu'ils le consolent en riant.
Seungmin soupira, le cœur lourd. Même après tant d'années, son âme restait meurtrie à chaque souvenir.
Namjoon lutta contre l'envie soudaine de courir dans la chambre de Jungkook, prendre ce carnet, de retrouver l'intimité de la sienne pour l'ouvrir et déchiffrer ces fragments d'âme laissés par son père.
Mais la voix de Seungmin l'enveloppa à nouveau.
« Partage quelques poèmes avec Jungkook. Tu sauras lesquels. Le reste, lis-le seul », murmura-t-il.
Jungkook sentit son cœur battre d'appréhension et d'impatience. Il fixa Namjoon qui ralentit légèrement, incertain.
Une bataille se jouait en Namjoon, entre l'envie de lire ce carnet, et la peur des vérités qu'il pourrait contenir. La crainte d'être submergé par l'amour qu'il savait lui être destiné. Et pire encore, l'effroi de mesurer l'étendue de cette absence, cette béance qu'aucun temps ni personne ne saurait combler.
Son cœur se serra douloureusement.
Tout ce qu'il aurait voulu, c'était sentir la chaleur des bras de son père, s'y réfugier et trouver ce réconfort qui lui avait été soudainement arraché.
Arraché par sa mère, cette traîtresse.
Un feu l'embrasa, une colère insoutenable qui lui fit mal. Elle montait, consumait sa poitrine. Puis, comme si la flamme s'éteignait brutalement, une souffrance glaciale gela ses veines, paralysant son souffle.
Le chaud et le froid se succédaient. Ses épaules frémirent sous ces ondes persécutrices.
Et soudain, une main chaude se posa sur sa nuque. Une chaleur tendre. Un geste simple, mais infiniment puissant.
Jungkook.
Ses muscles se détendirent légèrement sous son doux toucher. Sa respiration lourde et entravée devint un long soupir, chassant sa tension accumulée. Pourtant, son regard restait perdu dans le vide, errant parmi des pensées agitées, incapable de trouver un véritable apaisement.
Sa présence atténuait à peine sa tempête.
Ils avancèrent en silence, chacun plongé dans ses pensées, bien qu'appréciant la légèreté de ce répit bienvenu pour que chacun puisse se reprendre.
« N'hésite pas à nous dire si tu veux ralentir ou t'arrêter pour te reposer, Jungkook. »
La voix grave de Seungmin perça le silence, le tirant de ses réflexions. Il sursauta, pris de court, avant de réaliser que le général s'adressait à lui.
Et une soudaine réalisation l'ébranla.
Seungmin...
Il contemplait cet homme, et une étrange chaleur mêlée à un respect fit accélérer les battements de son cœur. Ce n'était pas seulement un général ou un ministre respecté à ses côtés, mais aussi un ami. Celui de son père, celui du père de Namjoon.
L'image le frappa, lui paraissant venu d'un songe. C'était comme une boucle du passé rejouée dans le présent.
Il esquissa un petit sourire incrédule en songeant à ce curieux écho : lui, Namjoon et Taehyung formant actuellement le trio à l'image de celui que leurs pères avaient jadis incarné.
« Jungkook ? l'appela doucement Seungmin.
— Oui ? souffla-t-il aussitôt, battant des paupières.
— Tu es fatigué ? », insista-t-il, prenant son silence précédent pour un aveu.
Sa bienveillance sincère surprit le plus jeune, le laissant muet.
« Je suis navré de te sortir de ton repos, ajouta-t-il, contrit. Tu aurais pu refuser notre invitation, vraiment. »
La spontanéité dans sa voix toucha Jungkook. Il secoua doucement la tête, lui offrant un sourire timide.
« Non, au contraire, je n'en pouvais plus d'être alité, ça me fait du bien de sortir. Merci, Janggun-nim. »
Il s'inclina.
Seungmin plissa les yeux, conscient que Jungkook n'avait pas répondu à sa première question.
« Donc, tu n'es pas fatigué ?
— Pour le moment, non », sourit-il.
Seungmin parut soulagé, et Jungkook sentit un pincement au cœur devant tant de bonté. Namjoon et Taehyung échangeaient des sourires discrets, espérant secrètement que le plus jeune permette au général de créer un lien, comme il avait tenté de le faire plus tôt, dans sa chambre.
« Seungmin-ssi, l'appela Namjoon, légèrement hésitant. C'est mon père qui vous a confié ce carnet pour que vous me le remettiez ?
Seungmin s'attarda dans ses souvenirs avant de secouer doucement la tête.
« Pas exactement. »
Il inspira profondément, cherchant l'air et le courage. Il hésitait, une crainte lui serrait la poitrine. Il pressentait que les mots qu'il s'apprêtait à prononcer jetteraient un froid entre eux.
Il soupira, résigné.
« Je pense que vous êtes prêts à l'entendre, maintenant », dit-il, plus pour lui-même.
Je suis aussi venu pour ça, après tout.
Les plus jeunes se regardèrent, confus, avant de reporter leur attention sur le plus âgé.
« Taejoon, Dongwon et moi avions fait rédiger un accord, parce qu'ils étaient en danger. Si l'un de nous venait à disparaître, les deux autres veilleraient sur ses biens jusqu'à ce qu'ils puissent être remis à sa descendance. »
Taehyung hocha la tête pour lui-même. Il savait déjà tout de ce pacte de garde temporaire, mais Jungkook et Namjoon échangèrent un regard troublé.
« Vous étiez encore trop jeunes pour les protéger, reprit-il. Sans ce pacte, l'héritage de vos pères aurait pu être saisi ou volé. Il était convoité par des fonctionnaires corrompus. »
L'ampleur de cette révélation leur apparaissait clairement : leurs pères avaient placé entre eux une confiance si absolue qu'ils s'étaient remis leurs héritages respectifs, sans crainte de trahison.
« Donc... tout ce que possédaient nos pères est entre vos mains ? », s'enquit Namjoon, légèrement perturbé.
Seungmin soutint son regard, grave.
« Jusqu'à ce que je vous le remette, oui. »
Namjoon fronça les sourcils.
« Je ne comprends pas. Et le Grand Code de l'État* ? », demanda-t-il, perplexe.
Seungmin eut un sourire discret. Il s'attendait à cette question de la part d'un esprit aussi acéré que celui de Namjoon.
« Une exception royale peut primer sur la loi. Ce pacte a été ratifié par l'ancien roi lui-même. Ce n'est pas un simple accord entre amis. »
Namjoon battit des paupières, troublé.
« Donc un roi peut annuler le Grand Code même si c'est la loi suprême ? », souffla Jungkook, confus.
Seungmin le regarda longuement, intérieurement impressionné.
« Non, il ne le peut pas. Mais il peut accorder une grâce royale ou promulguer un décret exceptionnel qui transcende temporairement la loi. »
Un bref silence s'installa, lourd de réflexion.
« Et nos mères ? demanda Jungkook d'une petite voix.
— Tant que vous êtes vivants, elles ne peuvent rien hériter. C'est ainsi que la loi est faite, malheureusement. J'aurais aimé leur transmettre quelques biens, mais je n'ai aucun droit dessus ; ils vous appartiennent. »
Namjoon et Jungkook échangèrent un regard, un mélange d'incompréhension et d'intuition inconfortable.
« Il y a tant de choses que je dois vous remettre... Venez au palais, un de ces jours, d'accord ? J'attends ce moment depuis si longtemps. »
Un silence pesa. Ce fut Jungkook qui le rompit, hésitant.
« Pourquoi maintenant ? Pourquoi ne pas nous l'avoir dit plus tôt ? »
Sa voix portait un léger reproche.
Une bourse. Voilà ce qui leur donnait un pouvoir d'achat, à Namjoon et lui. Une maigre aide, alors que tout ce temps... un héritage les attendait.
Jungkook s'était déjà demandé s'il avait reçu quelque chose de son père. Il en avait même parlé à sa mère, lui demandant si elle possédait un bien. Mais la réponse avait toujours été la même : rien.
M'aurait-elle menti ? Ou l'avait-on trompée comme on m'avait trompé ? Mais comment aurait-elle ignoré l'existence de biens si elle avait vécu dans l'opulence grâce à mon père ?
Namjoon, lui, ne s'était jamais interrogé. Il avait supposé, avec cette lucidité froide qui le caractérisait, que sa mère s'était arrangée pour tout rafler. L'affaire était close. Il n'y avait rien à attendre.
Mais il s'était trompé.
Il était toujours l'héritier légal.
Un frisson lui mordit l'échine, lent et insidieux.
Seungmin les observa, avant de répondre d'une voix posée.
« Ce n'était pas le moment. Et puis, tu ne me connaissais pas, Jungkook. Mais c'est aussi pour ça que je suis venu, même si... chaque chose en son temps, les garçons. »
Namjoon s'éclaircit la voix, hésitant.
« Mais moi, je vous côtoie depuis l'enfance. Pourquoi ne m'avoir rien légué ?
— J'aurais pu, mais même lorsque tu es devenu majeur, ce n'était pas encore le bon moment. Un héritage, Namjoon, ce n'est pas une simple transmission de biens. Le gérer est un fardeau, tu portes un nom, tu as une responsabilité à assumer. Le pouvoir qu'il confère attire autant qu'il menace. Or, tu n'es pas aimé des autres. Je te laisse deviner la suite. »
Namjoon serra les poings. Il comprit. On l'aurait traqué, abattu, dépouillé. Son existence même aurait été un prétexte. Fils de traîtres, disaient-ils. Ces mots auraient suffi à justifier tous les crimes.
Seungmin reprit, mesurant ses mots.
« Je devais garder vos biens par nécessité. Si j'avais officialisé votre héritage plus tôt, vous auriez été exposés et seriez devenus des cibles à abattre. Vous croyez qu'on aurait laissé des orphelins jouir d'une telle fortune en paix ? Qu'aucun vautour n'aurait rôdé pour s'en emparer ? Ceux qui en voulaient à vos pères auraient trouvé là une occasion inespérée. Ce qu'ils vous ont laissé est colossal, trop visible. »
Jungkook entrouvrit les lèvres, mais Seungmin poursuivit.
« Votre jeunesse vous protégeait autant qu'elle vous mettait en danger. Mais en grandissant sans titre, sans richesses, vous étiez en sécurité. »
Il marqua une pause, son regard se tamisant.
« Namjoon était sous ma protection, sous mon influence. Il a grandi en sachant qui j'étais, même lorsque sa mère l'a confié à sa sœur. Quand il est entré à Sungkyunkwan, j'ai pris la responsabilité de son avenir. Il repousse l'argent que je lui tends, mais ça ne change rien, tant que je veille sur lui », soupira-t-il avec douceur.
Namjoon le fixa. Ils ne se sourirent pas, mais leur regards murmuraient leur affection mutuelle.
« Mon nom l'a couvert, mon autorité l'a préservé, parce qu'il était celui en plus grand danger. Parce que son sang portait l'infamie d'une trahison qu'il n'avait jamais commise. On l'aurait tué même sans héritage en jeu. »
Son regard s'attarda sur Namjoon, dont le visage s'était assombri, et sur Jungkook, dont l'expression s'était durcie. Un silence pesant s'étira.
Il hésita, face au regard à la fois vide et perçant de ce dernier.
« Mais toi... Toi, on t'a temporairement effacé du monde, contrairement à Namjoon qui a été propulsé sur le devant de la scène, malgré lui. On t'a caché, privé de renom, privé d'histoire pour que tu restes en vie. Je n'avais donc aucun droit sur toi, aucun lien officiel. Rien qui me permette de t'aider, de te défendre, si un jour... »
Sa voix mourut. Mais tous comprirent.
Namjoon baissa la tête. Son cœur cognait, un étau lui serrait la poitrine. Il n'osait affronter le regard de Jungkook qui resta figé.
Seungmin échangea un regard avec Taehyung, un peu en retrait, qui l'encouragea d'un léger hochement de tête.
Puis, il reprit, le ton bas.
« J'ai longtemps cru que c'était la meilleure chose à faire. Que rester loin de toi était la seule manière de te préserver. Tu avais peut-être presque tout perdu, mais tu n'avais aucun ennemi à craindre, aucun fardeau politique à porter. Rien qui puisse justifier qu'on te traque. Même ta ressemblance avec ton père est passée inaperçue, tant tu n'est personne aux yeux du monde. Alors, si je t'avais approché, j'aurais éveillé les soupçons de mes ennemis, attisé la curiosité de ceux qui n'attendent qu'un faux pas pour frapper. Et si j'avais commis la moindre erreur... »
Il se tut. Son regard se perdit sur le sol, son visage se froissa légèrement. Jungkook ne le quittait plus des yeux, statufié, pendu à ses lèvres, les mains crispées sur le sommet de son bâton.
Mourant de l'intérieur.
« Je ne pouvais pas me le permettre, pas après le sacrifice de Dongwon. Il a donné sa vie pour vous épargner, ta mère et toi, pour vous laisser une chance d'exister. Alors, hormis à Yeseo, je n'ai parlé de toi à personne, pas même à Namjoon, qui ne se souvenait pas de toi. »
Taehyung frémit. Il chercha le regard de son père qui l'ignora. Il n'y avait pas eu la moindre trace d'hésitation dans ses mots. Et pourtant, son cœur à lui s'affolait, parce qu'il comprit que son père venait volontairement d'omettre un détail : qu'il avait appris la véritable histoire dès ses dix ans, de la bouche même de ses parents.
Qu'il avait été tenu au silence, interdit d'en parler à Namjoon, interdit d'approcher Jungkook pour lui dire la vérité, mais qu'il avait été encouragé à renouer avec lui.
Comme si cela avait pu suffire. Comme si cela avait eu la moindre importance, alors que Jungkook l'avait oublié.
Et Taehyung l'avait très mal vécu, lui dont la mémoire était restée intacte. Parce qu'il avait été plus âgé. Parce qu'il se souvenait des visages, des voix, des rires, des larmes, et des promesses murmurées dans l'enfance. Il avait porté seul le poids de souvenirs avortés.
Qu'il avait toujours été celui qui rapportait leurs nouvelles à ses parents. Celui qui veillait sur eux en secret. Celui qui aurait voulu faire plus, mais qui n'avait jamais pu, impuissant face aux risques et aux dangers.
Il se sentait déjà assez coupable, inutile d'en rajouter. Alors, il remercia son père en silence.
Il est des vérités qui n'ont pas besoin d'éclore, ni d'exister.
« J'ai attendu en veillant de loin, préparé ce qu'il fallait pour que, le jour venu, on se rencontre enfin. Que je puisse aussi te tendre la main et t'offrir une protection digne de ce nom. »
Son regard revint vers Jungkook. Plus doux. Presque brisé.
« Mais je comprends aujourd'hui que mon silence puisse te blesser et te mettre en colère. »
Un souffle tremblant échappa à Jungkook, léger. Bien sûr qu'il était blessé. Bien sûr que la colère le consumait. Mais avant même qu'il approfondisse ses pensées, Seungmin poursuivit.
« Maintenant, tu as grandi, et il m'est devenu inconcevable de rester dans l'ombre. »
Son regard passa de l'un à l'autre, grave, déterminé.
« Je veux que vous héritiez ensemble, sous ma protection, et avec les mêmes garanties de sécurité. Vous ne serez plus seuls, ni vulnérables, ni condamnés à vivre dans l'incertitude. »
Il marqua une dernière pause, alors que Jungkook esquissait un sourire sans joie, irrité et nerveux.
« Et je te demande pardon, Jungkook. »
La voix de Seungmin se fit plus basse. Plus pesante.
« Je sais que tu as cherché des réponses. Que l'attente a été un gouffre. Je sais que tu as eu besoin de comprendre, et que je t'ai laissé seul face à ce vide. »
Il ferma brièvement les yeux, comme pour contenir quelque chose.
« Je ne saurai jamais si j'ai fait le bon choix ni ce qu'auraient été les choses si j'étais revenu plus tôt dans ta vie. Mais ton ignorance était le prix à payer pour que tu aies une chance de vivre, de te développer et d'affronter, ensuite, ta véritable histoire. »
Jungkook sentit quelque chose se déchirer en lui. Une torsion, une sensation âcre et désagréable.
Il ouvrit la bouche, puis la referma. Un poids lui écrasait la poitrine, l'amertume lui montait à la gorge. Il ne savait même pas ce qu'il voulait dire. Ce qu'il voulait hurler. Tout se s'entrechoquait dans une cacophonie. Ses mots, ses pensées, ses émotions. Sa détresse. Impossibles à dompter.
Quand il parvint enfin à articuler, sa voix se brisa. Namjoon ferma aussitôt les yeux en détournant la tête. La douleur de Jungkook, de son amour, était trop vive pour qu'il reste de marbre.
« Alors tout ce temps... »
Il inspira, ravalant la brûlure.
« Tout ce temps, j'ai grandi sans rien. Ni histoire, ni réponse, ni renom. »
Sa respiration était légèrement saccadée, mais il ne criait pas. Il ne haussait même pas le ton. Pourtant, son corps entier vibrait d'une tension qu'il ne contrôlait plus.
« En pensant qu'il ne me restait que des souvenirs, et encore, je m'en souviens à peine. »
Son regard accrocha celui de Seungmin, hargneux, blessé.
« Et vous... vous attendiez le bon moment ? »
Seungmin ne broncha pas. Sa mâchoire se contracta, son cœur se serra, ses poings se crispèrent, mais il ne détourna pas les yeux.
« Oui. »
Un seul mot, brutal. Une lame enfoncée en plein cœur aurait été moins douloureuse.
« Parce que si j'avais fait autrement, Jungkook, tu ne serais peut-être plus là aujourd'hui. »
Un silence tomba sur eux, oppressant. Seungmin n'avait pas besoin d'ajouter quoi que ce soit. La vérité était là, brute et cruelle.
Jungkook sentit son souffle se bloquer. Il détourna les yeux, serrant la mâchoire, incapable de répondre. Seungmin avait raison. Mais cela ne changeait rien à la douleur ni au vide qu'il traînait depuis toujours.
Il tourna la tête vers Namjoon. Leurs regards se croisèrent à peine avant que ce dernier ne détourne les yeux, comme pris en faute. Un bref souffle rieur échappa à Jungkook. Un souffle nerveux, dérisoire.
Son cœur battait trop fort. Sa gorge se serrait douloureusement. Tout son corps lui criait de fuir cette conversation, de se détacher, de ne plus écouter. Mais les mots s'accrochaient à lui et enfonçaient des échardes là où les blessures étaient encore à vif.
Mais au-delà de tout, la douleur n'était pas dans les justifications de Seungmin. Elle n'était pas dans les choix, dans les sacrifices, dans les enjeux trop grands pour être évités.
Ça, Jungkook le comprenait.
La douleur était dans cette protection. Dans ce lien qui existait entre Seungmin et Namjoon, mais qui, pour lui, n'avait jamais existé.
Il encaissait. Il comprenait. Mais cela ne rendait pas la blessure moins profonde.
« Je comprends. Vous n'aviez pas le choix. »
Sa voix était douce, mais l'émotion y creusait une faille infime, mais suffisante pour deviner la fissure sous la surface.
Seungmin hocha la tête, soulagé. Mais ce soulagement s'évanouit aussitôt. Jungkook ne le regardait pas. Son regard restait rivé au sol, perdu dans un vide que Seungmin ne pouvait atteindre. Cette distance le heurta plus qu'il ne l'aurait cru.
« Alors pourquoi j'ai l'impression que c'est encore pire ? », murmura Jungkook.
Une plainte, plus qu'une question.
Seungmin ouvrit la bouche, puis se ravisa. Les mots ne serviraient à rien. S'excuser ? Ce serait pire encore. Il aurait voulu lui dire qu'il avait fait au mieux. Que ce monde était imparfait, grouillant de bêtes voraces et cruelles insensible aux âmes égarées. Mais ce serait creuser la plaie au lieu de la panser.
Jungkook n'était pas en colère. Juste... vide, perdu. Comme si une part de lui venait de se fendre en deux, emportant avec elle quelque chose d'essentiel.
« Je suis désolé », souffla Namjoon.
Ce dernier s'appropria les mots que Seungmin n'avait pas su prononcer. Mieux valait ainsi. Seungmin choisit de se taire ; il n'avait rien d'autre à offrir. Il sentit la main de Taehyung sur sa nuque, et ferma brièvement les yeux afin de ne pas basculer, puisant de la force dans cette paume chaude et rassurante.
Il bénissait sa présence, son roc solide.
Jungkook haussa les épaules, baissant les yeux. Son visage se froissa. Il devint l'ombre d'un enfant abandonné. Il n'en voulait à personne, pas vraiment. Mais une part de lui était restée sur le bord du chemin, oubliée, insignifiante.
Namjoon avait eu un ange gardien.
Lui, il n'avait eu que le vide, livré à lui-même.
Mais au fond, il savait que ces pensées étaient injustes. Que c'était son orgueil blessé qui parlait, une voix qui criait sa rancune ultime et tenace.
Son esprit rationnel s'imposa. L'équilibre se rétablit. Il ne pouvait décemment pas en vouloir à Namjoon pour ce qu'il n'avait pas maîtrisé. Ce serait mesquin, ridicule. Ce n'était pas Namjoon qu'il devait blâmer, mais cette situation absurde qui les avait contraints à choisir entre perdre et se perdre.
Il releva enfin les yeux.
Namjoon soutint difficilement son regard, mais le sien était voilé. Jungkook y lut des remords qui n'avaient pas lieu d'être. Une douleur lui serra le cœur. Il ne voulait pas qu'il ressente cela. Alors, il lui offrit un sourire. Léger. Brisé. Une tentative maladroite d'apaiser cette culpabilité en Namjoon qu'il n'avait jamais réclamée.
Mais son sourire heurta ce dernier. Son souffle se coupa. Puis, il inspira profondément, cherchant à maîtriser la vague d'émotions qui montait en lui.
« En parlant d'héritage, Namjoon », intervint Seungmin, les surprenant.
Il ne voulait pas s'attarder davantage sur ce qui pesait sur eux. Ils étaient déjà trop bouleversés. Il valait mieux refermer cette plaie tant qu'elle saignait encore doucement.
« J'ai préféré te donner l'étoffe de ton père, celle où les armoiries de ta famille sont gravées. C'était le seul héritage que tu pouvais porter sans risquer de tout perdre. »
Jungkook se figea.
L'étoffe.
L'image lui revint en plein visage. Ce tissu précieux qu'il avait dérobé pour contraindre Namjoon à lui venir en aide. Il se revoyait, savourant l'idée de l'agacer, de le provoquer, de le forcer à courir après lui. Namjoon avait dû paniquer, la chercher partout, s'angoisser à l'idée de l'avoir perdue...
Un poids s'abattit sur sa poitrine, la culpabilité le rongeant.
Il avait fini par comprendre l'importance de ce bout de tissu. Mais aujourd'hui... aujourd'hui, il la mesurait dans toute son ampleur.
« Et pour le reste... », reprit Seungmin.
Il les regarda tour à tour, le regard plus doux, plus indulgent.
« Il y a des choses que vous devez entendre. Mais pas maintenant. Si vous êtes d'accord, venez à la cour, après vos examens de fin d'été, je vous accueillerai chez moi. On s'occupera des préparatifs pour le voyage. »
Taehyung acquiesça aussitôt, l'air grave, mais un petit sourire rassurant flottait sur ses lèvres.
Les amants échangèrent un long regard, puis s'inclinèrent devant Seungmin qui ne sut comment interpréter leur geste.
Puis, plus personne n'osa prononcer le moindre mot. Alors, ils reprirent leur chemin, perdus dans leurs pensées, les uns bouleversés, les autres noyés de remords.
Ils marchaient au milieu de la cour illuminée de lanternes. L'air était encore empli des rires et des conversations des étudiants. Certains, fiers de leur parcours, guidaient leur famille à travers les allées, partageant anecdotes et souvenirs. D'autres flânaient, profitant des derniers instants de la soirée, avant que les portes de Sungkyunkwan se ferment définitivement au public, dès le départ des émissaires royaux.
Mais Jungkook ne voyait rien de tout cela. Il était ailleurs, perdu dans ses pensées.
Ses trois compagnons de marche continuaient de lui jeter des regards furtifs, s'observant parfois entre eux, silencieusement inquiets. Mais il ne les remarqua que lorsqu'il releva enfin les yeux... et croisa ceux de Namjoon.
Un regard intense. Hanté. Étincelant de remords.
Jungkook soupira tendrement, puis lui offrit un petit sourire sincère. D'un geste doux, il tapota son épaule, comme s'il secouait la tristesse qui s'y était accrochée.
« Nam, arrête de te tracasser. »
Namjoon cligna des yeux, pris au dépourvu. Il ouvrit la bouche, puis la referma, le trouble marquant encore son expression.
« Si tu veux, on en parlera après, reprit Jungkook, détendu. Mais je n'ai aucun reproche à te faire. Alors arrête avec ce regard de chiot éploré qui ne te ressemble pas, c'est perturbant. »
Namjoon garda le silence, battant des paupières, muet de stupeur. Taehyung pouffa, tandis que Seungmin détournait le regard en souriant doucement, soulagé.
« Tu as dit chiot éploré ? », répéta Namjoon d'un ton neutre, le regard indéchiffrable.
Au fond, le soulagement se distillait en lui, apaisant la tension nouée à ses entrailles. Il avait craint l'irréparable, redouté la brisure de leur complicité. La seule idée de le perdre l'avait dévoré tout entier. Il savait ses peurs démesurées, mais elles s'accrochaient à lui. Elles le hanteront longtemps.
Jungkook hocha vivement la tête, les yeux pétillants d'espièglerie.
« Exactement. »
Namjoon ne réagit pas immédiatement. Il se contenta de l'observer, impassible, alors qu'intérieurement, des carillons tintaient joyeusement. Jungkook était trop adorable. Une faiblesse. Une tentation. Il retint l'envie brutale de l'attirer à lui et le presser contre son torse à l'en étourdir.
Alors, il leva une main et pressa deux doigts contre le front de Jungkook, le repoussant doucement. Jungkook stoppa sa marche.
« Aïe ! », s'exclama-t-il, portant une main à son front pourtant indolore, faussement indigné.
Namjoon s'arrêta à sa suite, et arqua un sourcil sceptique.
« Je t'ai à peine frôlé.
— C'était suffisant pour me blesser ! », protesta-t-il, la moue boudeuse.
Namjoon soupira, amusé.
« J'ignorais avoir adopté un enfant.
— Je rêve où tu m'accuses de tes propres travers ? dit-il, les yeux plissés.
— Tu oses insinuer que c'est moi l'enfant ici ?
— Oui, et d'une mauvaise foi désarmante, en plus de ça », railla-t-il.
Namjoon ouvrit la bouche, prêt à riposter, mais un ricanement moqueur s'interposa.
« Il a raison. Mauvaise foi flagrante. »
Taehyung et Jungkook échangèrent un regard complice. Tous savaient que Namjoon n'avait rien d'un enfant — contrairement à eux. Mais c'était précisément ce qui rendait le jeu savoureux : l'attaquer là où il était irréprochable, juste pour le plaisir de le voir réagir.
Lentement, l'œil perçant, Namjoon tourna la tête vers Taehyung, qui, tout près, faisait mine d'inspecter ses ongles avec un détachement feint.
Un peu plus loin, Seungmin les observait, les bras croisés et un sourire léger flottant sur ses lèvres. Puis, exhalant un soupir amusé, il secoua doucement la tête. La tension qui froissait ses traits venait de s'effacer.
« Voilà qui est exquis venant du plus bruyant d'entre nous. Et d'un seonbae, accessoirement », dit Namjoon d'un ton neutre.
Jungkook gloussa, tandis que Taehyung portait aussitôt une main à sa poitrine, faussement scandalisé.
« Mais ! Après tout ce que j'endure ! Faux et diffamatoire. Calomnie pure.
— Non. Factuel et vérifiable », répondit Namjoon, calme.
Jungkook trouva l'occasion trop belle pour ne pas enfoncer le clou.
« Il n'a pas tort, Tae hyung », intervint-il, mesquin.
L'intéressé se redressa brusquement, pointant un doigt accusateur vers lui.
« Traître ! Depuis quand tu prends son parti ? scanda Taehyung.
— Depuis qu'il a raison », répondit-il, en haussant les épaules, railleur.
Taehyung ouvrit la bouche, mais aucun argument ne lui vint. Alors, il lui ébouriffa sauvagement les cheveux, mesquin, et Jungkook recula légèrement en protestant.
Un rictus aux lèvres, Namjoon s'écarta juste assez pour ne pas être entraîné dans l'escarmouche enfantine, puis, avec la tranquillité qui lui était propre, mit fin à leur chamaillerie. Jungkook devait ménager ses forces.
Sans un mot, alors que les deux autres continuaient de babiller avec insouciance, il se plaça derrière lui et entreprit de recoiffer sa chevelure désordonnée. Détachant le noeud du ruban, ses doigts glissèrent avec soin entre les mèches sombres, rassemblant une à une les mèches avant de la nouer, reformant sa queue basse avec délicatesse.
« Merci, hyungie », sourit Jungkook.
Namjoon ne répondit que par un clin d'œil, savourant l'instant où un afflux fulgurant de sang envahit le visage de Jungkook. Ce dernier détourna aussitôt le regard, avant de s'éclipser vers Seungmin en boitillant légèrement. Il le suivit du regard, un sourire satisfait creusant ses fossettes, le cœur épris. Mais bien vite, son attention fut attirée par une paire d'yeux pétillants. Taehyung l'observait, l'air espiègle. Il raffermit aussitôt son expression, attrapa son bras et l'entraîna à sa suite. Taehyung se laissa faire, secoué de petits rires taquins, sans opposer la moindre résistance.
La tension s'était définitivement évaporée, remplacée par cette légèreté qui les ramenait toujours à eux-mêmes.
Seungmin n'avait pas bougé, les observant toujours avec un petit sourire. Lorsque tous le rejoignirent, ils reprirent leur chemin d'un commun accord, non sans observer silencieusement l'état de Jungkook.
Ce dernier jeta un regard à Seungmin, et fixa son profil de ses yeux un peu plus sérieux. Lentement, il boitilla jusqu'à se tenir à sa hauteur.
« Janggun-nim », murmura-t-il.
Seungmin tourna la tête vers lui, surpris.
« Merci d'avoir veillé sur moi, même si je ne l'ai jamais su. Pendant toutes ces années, vous avez accompli ce qui vous incombe, et je ne doute pas que vous y ayez mis tout votre cœur. Sachez que je n'éprouve aucun ressentiment. Si mes paroles, plus tôt, vous ont paru déplacées ou accusatrices, je vous prie de m'en excuser. »
Il stoppa sa marche, puis s'inclina profondément, s'appuyant sur son bâton pour ne pas fléchir. Enfin, il se redressa, le regard ferme.
Tous étaient immobiles. Autour d'eux, le silence tomba.
Seungmin ne répondit pas. Ses traits s'étaient détendus, mais ses lèvres closes frémirent. Il hocha seulement la tête. Ces mots suffisaient. Rien d'autre n'avait besoin d'être dit. Il inspira profondément, ses doigts se crispèrent avant de se délier, puis il acquiesça une dernière fois, doucement, avec retenue.
Comme si les paroles de Jungkook ne l'ébranlaient pas. Comme s'il ne sentait pas en lui ce frémissement profond, ce poids qu'on lui ôtait enfin.
L'apaisement. La gratitude. Il était soulagé au plus profond de lui devant tant de maturité. Quelques mots avaient suffi. Quelques mots pour dissiper l'angoisse et donner un sens aux aux années passées à protéger Jungkook, aux sacrifices consentis pour lui.
Mais sa gorge nouée l'empêchait de parler. S'il ouvrait la bouche, il craignait que l'émotion le trahisse, que sa voix se brise. Il était un homme à s'abandonner à ses sentiments, mais pas devant Jungkook. Il se sentait encore pudique en sa présence.
Namjoon et Taehyung échangèrent un regard, ayant perçu sans peine son masque de retenue. Ils devinèrent son trouble, et s'en attendrirent. Sa sensibilité cachée n'en était que plus touchante.
Jungkook le devina à sa déglutition anormale, à ses yeux fuyants, et ses épaules tendues. Il esquissa un petit sourire, et choisit de ne pas s'attarder sur le sujet. Il n'avait pas envie d'alourdir ce moment, de creuser plus profondément dans ce qu'il n'était pas encore prêt à affronter.
Car en vérité, il n'avait pas encore assimilé toutes ces vérités. Il lui faudrait du temps. Réfléchir, prendre du recul, digérer...
Mais pas ce soir.
Ce soir, il refusait que leur passé trouble vienne troubler leur présent lumineux.
Lorsqu'il aperçut Seungmin et Namjoon plus sereins, et que Namjoon, dans un dernier regard, scruta en lui une rancune qu'il ne trouverait jamais — ce qui fit tendrement lever les yeux de Jungkook au ciel —, il sentit enfin son esprit s'apaiser.
Un peu.
Alors, il décida de ne plus y penser.
Seungmin ralentit le pas, le regard fixé sur le dernier dortoir, juste avant le sentier qui menait à la sortie.
Il sourit.
« J'habitais ce dortoir avec Dongwon et Taejoon. Juste à quelques pas du portail... Autant dire que nos escapades nocturnes étaient un jeu d'enfant, rit-il.
— Comme Jungkook, tiens », railla Taehyung.
Jungkook lui fit les gros yeux, que Taehyung ignora sciemment. Seungmin haussa un sourcil, l'œil pétillant.
« Tu fuis l'école ? demanda-t-il, un rire perçant dans sa voix.
— Non, le couvre-feu. J'ai déjà assez de problèmes comme ça », rectifia Jungkook, amusé.
Il était un brin gêné d'évoquer ses incartades, même en sachant que son père, en son temps, n'avait guère été plus sage. Encore moins Seungmin.
« Pour aller où ? »
Jungkook s'éclaircit la voix, pris au dépourvu et embarrassé par les regards lourds de sens de Taehyung et Namjoon.
« Oh, juste flâner en ville avec mes amis.
— Aller au Jardin, surtout », ajouta Namjoon d'un ton placide.
Taehyung s'esclaffa derrière sa main, railleur. Jungkook fit claquer sa langue contre son palais, foudroyant Namjoon du regard. L'air impassible de ce dernier ne laissait aucun doute : il savait ce qu'il faisait.
Il s'amusait à le titiller.
Jungkook expira du nez, irrité.
Mais pas devant Kim Seungmin !
« Hm. Ce n'est pas bien, Jungkook », commenta Seungmin, son timbre vibrant d'un rire contenu.
Jungkook pouffa malgré lui. Namjoon lui-même esquissa un sourire, bien que sa mâchoire restât crispée au souvenir des courtisanes du Jardin entourant son Jungkook.
« Mais papa, tu es sournois ! ricana Taehyung. Tu veux que je leur dise où tu te rendais avec leurs pèr... »
Seungmin lui donna une bourrade vive, secouant la tête, mi-amusé, mi-gêné.
« Pas un mot de plus, insolent. »
Et Taehyung reprit son équilibre tout en partant dans un rire diabolique, attisant la curiosité des deux autres qui n'osèrent demander la suite.
« Passons, reprit Seungmin d'un geste désinvolte de la main. À l'époque, il n'y avait que quatre bâtiments. Bien moins confortables que vos chambres actuelles, croyez-moi. Vous êtes bien lotis.
— Le bon vieux temps, hein ? », taquina Taehyung, l'œil pétillant, amusant les deux autres.
Seungmin tourna un regard las vers lui.
« Épargne-moi tes remarques irrévérencieuses, toi. Surtout après ta performance pitoyable au tournoi de lutte. Il serait donc sage que tu fermes ta bouche. »
Namjoon et Jungkook regardèrent Taehyung, leurs sourires moqueurs parfaitement synchronisés, et ce dernier grogna, la moue renfrognée.
« D'un, je riposte à ma façon parce que tu ne cesses de forcer. De deux, je suis avant tout un intellectuel, et tu le sais très bien.
— Certes, dit-il, ignorant sciemment l'accusation, amusé. Mais ce n'est pas une excuse pour négliger ton corps. Mens sana in corpore sano.* L'un n'empêche pas l'autre.
— Hein ? grimaça Taehyung. C'est quoi ce charabia ?
— Latin. Un esprit sain dans un corps sain », répondit son père.
Les yeux de Taehyung et Jungkook s'écarquillèrent légèrement.
« Mais... attends, tu comprends le latin ?! Ce n'est pas interdi...
— Ça vient de Juvénal, le coupa Namjoon, un petit rictus complice.
— Oh ! Tu connais ! s'enthousiasma Seungmin, impressionné. Pourtant, ces philosophes profanes sont bannis. »
Namjoon haussa légèrement les épaules, détaché.
« Je n'aime pas me limiter à ce qu'impose l'éducation confucéenne. J'en ai fait le tour. »
Taehyung échangea un regard rond avec Jungkook, tous les deux dépassés.
Seungmin scrutait Namjoon, intrigué, admiratif. Puis il sourit, fier.
« Et tu ne me le dis que maintenant ?
— Vous ne m'avez jamais posé la question », dit Namjoon joueur.
Seungmin émit un petit rire.
« C'est vrai... Et où trouves-tu ces textes interdits ? »
Un silence. Namjoon jeta un regard prudent autour de lui, traquant la moindre oreille indiscrète.
« Sur le marché noir », murmura-t-il avec nonchalance.
Taehyung hoqueta, et Jungkook écarquilla les yeux.
« Tiens donc, pouffa Seungmin d'une voix plus basse. Moi aussi. »
Un frisson de stupeur parcourut Taehyung et Jungkook dont les mâchoires frôlaient maintenant le sol.
« Mais reste prudent, reprit Seungmin. Les contrefaçons pullulent et les prix sont souvent scandaleusement injustifiés.
— Ne vous en faites pas, Seungmin-ssi, j'ai l'œil affûté, sourit-il. Dites... vous en possédez beaucoup ? J'en ai une dizaine.
— Une bonne cinquantaine. »
Namjoon lâcha un soupir émerveillé.
« Par tous les dieux... »
Seungmin pouffa.
« Tu me prêteras les tiens ?
— Seulement si vous me prêtez les vôtres en retour, rétorqua Namjoon, complice.
— Mais avec plaisir. Discutons-en aussi, j'aime bien ta façon de penser.
— Ce serait un honneur. Vous savez bien que j'ai toujours beaucoup à apprendre de vous.
— Flatteur. Comme si un esprit aussi affûté que le tien ne m'enseignait rien en retour ! »
Namjoon sourit. Leur pacte fut scellé d'un tope-là sonore. Le claquement sec de leurs paumes fit sursauter Taehyung et Jungkook qui furent figés, bouches grandes ouvertes.
« Mais vous êtes sérieux ?! finit par brailler Taehyung, indigné.
— Et vous en parlez comme si c'était une habitude, comme si le... »
Jungkook baissa le volume de sa voix, et reprit.
« Comme si le marché noir était une promenade de santé ! »
Un silence dans lequel il fixait, abasourdi, Namjoon et Seungmin esquisser un sourire mutin.
« Et on est littéralement accompagnés par un ministre censé rétablir l'ordre ! », acheva Jungkook dans une exclamation amusée, malgré lui.
Seungmin éclata d'un rire clair et puissant, joyeux. Namjoon émit un éclat plus discret, mais tout aussi espiègle, ses yeux épris et pétillants se posant sur Jungkook, savourant sa réaction.
« Très peu de gens ont accès aux idées occidentales, lança Seungmin d'un ton plus posé. Ce sont surtout les plus fortunés qui s'en procurent, et tout fonctionne par bouche-à-oreille. Moi, je l'ai appris dans une taverne, il y a dix ans. Des vendeurs clandestins parlaient affaires, et ça a piqué ma curiosité.
— Tu le sais, mais tu ne fais rien ? », s'enquit Taehyung, confus.
Seungmin haussa les épaules avec désinvolture.
« J'ai choisi de fermer les yeux.
— Parce que tu en profites », soupira Taehyung.
Seungmin sourit et haussa les épaules, désinvolte, faisant s'élargir le sourire incrédule de Jungkook.
« Pourquoi je ne suis pas au courant ? s'enquit Taehyung, simplement curieux.
— Tu le sais, maintenant, éluda-t-il, un fin rictus en coin.
— Et... maman sait que tu collectionnes ce genre d'ouvrages ?
— Ta mère est une érudite, tu le sais bien. Je ne lui interdis jamais l'accès au savoir, n'est-ce pas ?
— Oui... ? lâcha-t-il, méfiant, plissant les yeux avec suspicion.
— Donc oui ; elle raffole des idées occidentales.
— Quoi ?! s'étrangla-t-il, les yeux ronds d'incrédulité.
— Oui, poursuivit-il, imperturbable. Surtout Érasme*. Elle trouve dommage que nos idéologies ne prônent pas la même liberté d'esprit. Elle et moi avons en horreur les pensées figées. Tout comme Érasme, on préfère le mouvement des idées à l'immobilisme. »
Son regard s'illumina d'une lueur passionnée, et perçut celui de Namjoon. Il lui fit un clin d'œil complice, arrachant un sourire discret à son cadet. Tout en Namjoon montrait son admiration : il n'attendait pas moins de Yeseo. Il était d'ores et déjà convaincu que cet Érasme — qu'il brûlait désormais de découvrir — deviendrait l'un de ses auteurs de prédilection.
Car, à ses yeux, Seungmin et Yeseo incarnaient l'essence même de la liberté de pensée : une soif insatiable de savoir, un rejet absolu des dogmes figés, une fascination pour ces esprits étrangers qui défiaient les carcans du monde.
C'était grâce à eux qu'il avait forgé son esprit littéraire et critique. Ils avaient été les premiers à lui mettre des livres entre les mains, à lui ouvrir des portes d'autres mondes pour combler cette solitude dans laquelle il s'était volontairement retranché.
Dix vies ne suffiraient pas à leur témoigner sa reconnaissance, pour tout ce qu'ils lui avaient inculqué, pour les valeurs qu'ils lui avaient transmises, pour l'amour indéfectible dont ils l'avaient entouré.
Même s'il n'avait été qu'une coquille vide, presque muet, enfermé dans son monde. Même s'il les aimait, malgré son cœur brisé et trahi.
« Mais vous êtes complètement tarés..., souffla Taehyung, complètement dépassé par l'audace de ses parents. Vous n'avez peur de rien, et vous faites la paire : l'un qui collectionne des livres subversifs, l'autre qui s'extasie devant des philosophes étrangers... Et c'est moi qu'on traite de vilain petit canard dans cette famille ? À ce stade, je me demande si je ne suis pas le plus raisonnable de nous trois ! Mais bon, pas grave, continuez donc à défier les règles que vous êtes censés respecter et en montrer l'exemple, je vais commencer à mettre des sous de côté pour vos funérailles précoces. »
Jungkook et Namjoon ricanèrent, profondément amusés, tandis que Seungmin rit, l'âme légère, comme si l'avenir de son fils ne l'inquiétait en rien.
Au fond, pourtant, Taehyung affectionnait cette marginalité assumée. Il admirait la manière dont ses parents brisaient les règles, la manière dont leur esprit s'élevait au-dessus des conventions. Il savait combien il avait de la chance d'avoir de tels parents. Et plus encore, il se savait chanceux d'avoir un père comme Seungmin.
Un père dont l'ouverture d'esprit allait jusqu'à l'accepter.
Émotif et le cœur soudain gorgé d'amour, il saisit sa main, la serrant doucement dans la sienne. Il la garda ainsi, dissimulée à l'abri des regards de ses amis, par respect pour leur perte, eux qui n'avaient plus de père pour les aimer.
Seungmin émit un petit rire attendri et pressa tendrement sa main.
« Je comprends ton étonnement, fils. Mais un brin de folie garde ton esprit libre. Il faut oser sortir des sentiers battus. Je trouve certaines règles idiotes, et un peu de désobéissance lorsqu'elle est au service du savoir, n'a jamais fait de mal. La connaissance ne devrait connaître ni chaînes ni frontières, n'est-ce pas, Namjoon ? »
Namjoon hocha la tête, un sourire en coin, l'âme en complète harmonie avec les mots de son aîné.
Quant à Jungkook, ses yeux brillaient, buvant chaque mot. Il contemplait Seungmin sous un jour nouveau. Il respirait la liberté. Il défiait la lucidité commune. Il était un esprit affranchi, rebelle, insoumis. Comme lui.
Et plus Jungkook apprenait à ses côtés, plus l'empreinte de Seungmin se gravait en lui. Sans même s'en rendre compte, il devenait un modèle.
« Admirable ! lança Taehyung, les mains jointes dans une fausse dévotion. Quel exemple resplendissant de discipline, j'en suis tout ému... Moi aussi, je veux suivre tes traces, papa. Je veux défier les lois, piétiner les règles, inspirer la rébellion, et... oh ! Peut-être même que je pourrais fonder ma propre secte d'illuminés ? Un courant philosophique du chaos inspiré par ton auguste sagesse ! »
Il posa une main sur son cœur, l'autre tendue vers le ciel, théâtral au possible.
Jungkook éclata de rire, Namjoon émit un souffle amusé. Quant à Seungmin, il roula des yeux avec un claquement de langue, avant de bousculer doucement son fils d'un mouvement affectueux, mettant un terme à son numéro.
« Outrageux ! s'indigna faussement Taehyung en tanguant. Réprimer l'essor de ma vocation, c'est ainsi que tu traites ton propre héritier ?
— La ferme, cesse donc ta comédie, sale garnement. »
Père et fils se jaugèrent, puis éclatèrent d'un rire franc et sonore, entraînant les ceux plus légers des deux autres. Puis, leurs mains se joignirent à nouveau.
« Et puisque tu as tant à dire, Taehyung, dit Seungmin, après s'être calmé. Je te ferai lire quelques ouvrages, pour élargir tes horizons, si tu veux.
— Je ne lis pas le latin, soupira-t-il.
— Ils sont traduits en hanja*, triple buse, dit-il, souriant à l'entente de l'esclaffement discret de Namjoon.
— Ah ! Alors, je veux bien ! s'enthousiasma Taehyung.
— Tu le gardes pour toi. »
Il échangea un regard sévère avec Taehyung, qui comprit parfaitement à qui il faisait référence : Jimin.
Gêné, Taehyung détourna le regard, marmonnant un petit « oui » rauque.
Seungmin pressa doucement la main de son fils, puis se tourna alors vers Jungkook, un sourire en coin.
« Toi aussi, Jungkook ?
— De quoi... ? demanda-t-il, le cœur accélérant sa cadence à chaque fois que Seungmin s'adressait à lui.
— Les livres. »
Jungkook esquissa une grimace exagérée qui fit sourire Namjoon.
« Non merci. Moi, tant que j'ai un corps sain, ça me suffit largement », plaisanta-t-il.
Seungmin ricana, puis une lueur malicieuse anima son regard alors qu'il se tournait vers son fils.
« À propos de corps sains, fiston... J'ai discuté avec ton professeur Kwon Daeho. Il a accepté de t'aider à renforcer ces bras bien trop maigres. Une chance qu'il soit un vieil ami, il n'a pas hésité une seconde.
— Quoi ?! », s'écria-t-il, arrachant sa main de celle de son père, ses yeux ronds d'horreur.
Namjoon et Jungkook n'eurent pas la décence de masquer leur amusement, tandis que Seungmin savourait pleinement le désarroi de son fils, un sourire sadique aux lèvres.
Sous leurs regards moqueurs, Taehyung poussa un grognement exaspéré. L'idée de passer d'interminables heures d'entraînement entre les mains de son professeur le plus redouté lui donna envie de s'enfuir sur-le-champ.
« Je n'irai pas.
— Fais donc, et je double ma peine.
— Fais donc, et je n'irai toujours pas.
— Fais donc, et je triple ma peine. »
Jungkook partit dans un rire éclatant, emportant Namjoon, plus discret. Taehyung expira bruyamment, agacé. Ils verraient presque une veine pulser sur sa tempe.
« Qu'est-ce qui vous fait rire, vous ? », grogna Taehyung, lançant un regard noir à ses amis.
Loin de se démonter, Namjoon le regarda de haut, et Jungkook arqua exagérément les sourcils, le narguant. Ils se délectaient l'embarras de Taehyung, sous l'œil amusé de Seungmin qui les observait avec un sourire tendre.
Mais la plaisanterie s'essouffla bien vite, remplacée par un silence plus léger. Taehyung croisa les bras, renfrogné, mais son regard glissa vers Namjoon, qui avait retrouvé son sérieux. Ce dernier fixait Seungmin et lui rendit son regard, attentif.
Ils s'engagèrent enfin sur le chemin menant à la ville, bordé de lanternes suspendues aux branches des arbres bordant leur route. Quelques carrosses tirés par des chevaux passaient à leur hauteur, le rythme de leurs sabots résonnant dans la nuit. Sur leur passage, les passants s'inclinaient devant Seungmin qui, habitué à ces marques de respect, n'y prêtait qu'une vague attention.
« Qu'est-ce qu'il va se passer maintenant, depuis Shin ? demanda Namjoon.
— Pour l'heure, rien de bien alarmant, répondit Seungmin avec calme. Mes hommes ont effacé toute trace pouvant t'impliquer avec Jungkook. »
Les concernés hochèrent la tête d'un air grave.
« Et Chan ? Personne n'a fait de lien avec lui, dans cette affaire ? », s'enquit Jungkook.
— Ne t'en fais pas, l'héritier est à l'abri de tout soupçon. La version officielle est simple : le professeur a été victime d'un vol qui a mal tourné. Quelques coupables de seconde zone seront désignés, et l'affaire sera enterrée. »
Un silence pesant s'installa, jusqu'à ce que Taehyung le brise.
« Tu crois vraiment que ce traître a agi seul ? Tu as toi-même laissé entendre qu'il y avait quelqu'un derrière tout ça. Un esprit plus sombre et plus retors.
— Je n'ai que des soupçons, pas de preuve. »
Un sourire espiègle étira les lèvres de Taehyung.
« Ils savent déjà ce que tu m'as rapporté de la cour. Alors, arrête de tourner autour du pot et livre-nous la suite. Ces mystères sont mon terrain de jeu. Laisse-moi t'aider.
— Je veux aider, aussi, ajouta Namjoon avec aplomb.
— Moi aussi », renchérit Jungkook.
Seungmin soupira, une lassitude affective froissant ses traits.
« Ces gosses... », marmonna-t-il pour lui-même.
Les jeunes sourirent, mais leur amusement fut de courte durée, face à la voix vibrante de fermeté de Seungmin.
« Vous avez déjà pris trop de risques. Taehyung, ça n'a rien d'un jeu, tout ça. Quant à vous deux, dit-il en désignant les deux autres, vos imprudences auraient pu coûter cher. Le doyen Jeong s'est engagé à veiller sur vous pour éviter d'autres... excès de bravoure.
— On n'est plus des enfants, protesta Taehyung. On sait se protéger. Et si on a agi, c'est en toute connaissance de cause et on sait ce qu'on fait. »
Ses amis acquiescèrent, mais Seungmin planta un regard perçant dans celui de son fils.
« Moi, ce que je vois, ce ne sont que des jeunes impétueux, entêtés et suicidaires. Vous mériteriez bien plus qu'un simple avertissement. »
Jungkook ralentit le pas. Un pli mécontent barra son front. Derrière lui, les autres s'immobilisèrent d'un même mouvement, inquiets, mais lui s'avança doucement, jusqu'à faire face à un Seungmin confus.
Puis l'arrêta net.
L'homme le dominait de toute sa hauteur et de sa large silhouette. Une prestance qui écrasait, un regard qui perçait. Jungkook déglutit, sentant sa détermination tanguer sous cette aura faite de puissance.
Mais Seungmin n'était pas venu en général. Pas d'uniforme en métal, pas d'armes, pas d'ornements, juste lui.
Pourtant, son charisme s'imposait sans artifice, et Jungkook se sentait à la fois minuscule et étrangement en sécurité sous son regard.
Il s'éclaircit la gorge, impressionné.
« Avec tout le respect que je vous dois, Janggun-nim... »
Une seconde d'hésitation.
« J'aimerais savoir qui vous soupçonnez. »
Un silence. Seungmin l'observa longuement, scrutant ses yeux comme pour en sonder les intentions. Il ne bougea pas, imposant, impassible. Puis, alors même que Jungkook s'attendait à un refus, un petit sourire en coin releva la commissure de ses lèvres, adoucissant la fermeté de ses traits striés.
« Au risque de vous mettre encore plus en danger ? »
Il secoua légèrement la tête.
« Non. »
Jungkook ne cilla pas.
« On pense comme vous que c'est le yangban imposteur », dit tout de même Jungkook.
Namjoon et Taehyung échangèrent un regard furtif. Avec la bande, ils en avaient parlé plus tôt, reclus dans la chambre de Jungkook, leurs voix basses et graves. Et lorsque Taehyung et Hoseok rapportèrent les informations de la cour et de la bouche même du général Kim, leurs indices se précisant et se complétant avec leurs soupçons, tous s'accordèrent sur une même vérité.
Yoon Insoo, le yangban actuel ; présumé imposteur.
Le sourire de Seungmin s'élargit à peine, un scintillement de satisfaction brillant dans ses yeux, malgré lui. Ils l'impressionnaient par leur bravoure.
Jungkook sentit un frisson lui remonter l'échine.
« Tu as une preuve ? dit Seungmin.
— Non, mais on...
— Alors, ce ne sont que des spéculations. »
Jungkook se mordit la langue et retint un soupir agacé. La soumission n'avait jamais été son fort. Chaque fois qu'on tentait de l'écraser, son instinct lui hurlait de riposter.
« Vous n'en avez pas non plus.
— Peut-être. Mais je suis général et c'est mon métier. L'armée et les autorités compétentes doivent s'en charger, pas des lettrés sans formation ni connaissances en investigation criminelle. »
Jungkook se raidit, Namjoon et Taehyung aussi. Une pointe d'orgueil blessé s'alluma dans leurs regards.
« Restez en dehors de ça, c'est tout ce que je vous demande. »
Un tic nerveux fit tressaillir la paupière de Jungkook. Ses doigts se crispèrent autour de son bâton.
Puis, il se lança.
« Janggun-nim. Je n'aurais jamais imaginé qu'en cherchant les traces de mon père, j'exhumerais un secret d'État. »
Sa voix était calme, trop calme.
« Encore moins découvrir que nos pères... étaient aussi proches. »
Il tourna des yeux plus doux vers un Namjoon qui le fixait comme s'il contemplait une œuvre d'art.
« Tu avais raison. J'aurais amèrement regretté d'abandonner les recherches. Merci de m'y avoir encouragé. »
Namjoon aurait voulu l'embrasser. Là. Maintenant. À la place, il hocha simplement la tête, un fin rictus au coin des lèvres.
Ils se regardèrent. Longtemps. Trop longtemps peut-être. Assez pour que Seungmin perçoive la profondeur de l'échange. Son regard lourd de sous-entendus glissa vers son fils qui détourna aussitôt les yeux, mal à l'aise, et Seungmin ferma brièvement les yeux, retenant un soupir.
Namjoon et Jungkook brisèrent leur échange, leurs cœurs troublés par cette connexion, puis ce dernier inspira profondément, et se tourna vers le général.
« Et puis, c'est nous qui avons trouvé le poème laissé par mon père et l'identité de l'héritier. Grâce à ces découvertes, vous tenez une piste supplémentaire pour démasquer le coupable, peut-être prouver l'imposture du yangban actuel... et venger nos pères. »
Ses mots vibrèrent dans le cœur de chacun.
Puis le silence retomba, plus lourd.
Lourd de vérités.
Namjoon et Taehyung ne pipèrent mot, mais ils n'en pensaient pas moins. Namjoon sentait presque son souffle se raccourcir en voyant Jungkook tenir tête à un homme tel que Seungmin. Quelque chose remua en lui, dans son ventre, dans son cœur épris.
Seungmin soupira.
« Ne vous méprenez pas, les garçons. Je sais ce que vous avez accompli. »
Un battement.
« Je ne devrais pas le dire, mais... »
Sa voix s'adoucit légèrement.
« Je suis fier de vous. Vous m'avez tous impressionné, vos amis aussi. Vous avez tous été braves, et je pense surtout au fils du médecin Min... Celui qui t'a ramené à la vie, Jungkook. Yoongi. J'ai échangé quelques mots avec lui. Je l'aime bien, ce poète en herbe. »
Un moment de flottement.
Puis, sur les lèvres des plus jeunes, naquirent des sourires. Infimes, timides, surpris. La douce chaleur de la fierté s'insinua dans leurs cœurs. Jungkook sentit une vague de rouge lui monter aux joues. Peu habitué aux éloges, il détourna les yeux, troublé.
Mais Seungmin reprit, son ton redevenu grave.
« Cela dit, je ne veux plus vous voir mêlés à cette affaire. Votre participation s'arrête ici. Tous. Faites passer le message à vos amis. »
Ils se figèrent. Leurs visages se fermèrent, leurs épaules se tendirent. Mais aucun d'eux ne trouva de réplique.
Seungmin les observa, retenant un soupir. Il les connaissait. Ces garçons avaient trop de fougue, trop de volonté pour qu'un simple avertissement les détourne de leur chemin. Même ayant frôlé les portes de la mort, même meurtris par ses séquelles, ils voulaient aider.
Malgré lui, il sourit. Ce feu qui brûlait en eux... il n'était pas né d'hier. Il courait dans leurs veines, héritage ancien d'âmes insoumises. Un jour, cette flamme les mènerait plus loin qu'ils ne pouvaient l'imaginer. Il en avait connu d'autres avant eux.
Son cœur se serra. Détournant le regard, il reprit sa marche. Derrière lui, des pas se firent dociles.
Namjoon caressa distraitement les cheveux de Jungkook, légèrement lové contre lui. Un doux flottement s'insinua entre eux, Namjoon dardant sur lui un regard fier, Jungkook lui renvoyant deux perles noires scintillantes, happées.
Jungkook baissa les yeux, les joues empourprées. Namjoon sentit son cœur cogner un peu plus fort.
« Ton père était sans doute le mieux placé pour déceler cette piste, Namjoon », dit-il, le regard perdu dans l'horizon.
Namjoon sursauta, puis, le cœur lourd, il sentit Jungkook se détacher de lui et marcher tranquillement. S'assurant qu'il allait bien, Namjoon accéléra le pas, se mettant au même niveau que Seungmin, prêt à écouter la suite.
« Taehyung m'a récité le poème. Il est bien adressé à Taejoon. Mais Won aurait pu laisser un indice plus subtil. »
Un soupir.
Les plus jeunes échangèrent un regard amusé.
« Certes, cacher l'héritier dans une maison de plaisir relevait d'un mélange de génie et de bêtise. Mais laisser un poème aussi évocateur ? », grogna-t-il.
Sa réprobation n'était pas exempte d'une certaine tendresse. Son regard glissa vers le ciel, comme s'il s'adressait directement à Dongwon.
« Ah, toi... Toujours aussi insensé. »
Mi-interloqué, mi-amusé, Jungkook arqua un sourcil curieux.
Taehyung roula des yeux avant de croiser les bras.
« Je te l'accorde, papa. J'ai voulu disparaître sur le moment en te le récitant. »
Seungmin pouffa, vite suivi par les autres. Gêné, mais amusé, Taehyung secoua la tête, tandis que son père lui ébouriffait les cheveux, un sourire narquois.
« C'est moi qui devrais aller m'enterrer, maugréa Jungkook. Tout le monde a dû lire ce foutu poème.
— Mon pauvre », railla Seungmin, compatissant.
Jungkook grimaça.
« Le pire ? continua-t-il, les yeux plissés de frustration. Une femme me l'a récité. Et mieux encore... »
Il expira lentement, peinant lui-même à croire ce qu'il allait dire.
« C'est mon propre père qui le lui a appris quand elle était enfant ! »
Seungmin cligna des yeux, incrédule, avant de ricaner.
« Ah, ça te pesait, hein ? »
Jungkook sentit l'agacement le gagner, et dissimula son visage dans sa main, masquant ses rougeurs d'embarras.
Taehyung, lui, s'écroula de rire.
Namjoon lutta pour ne pas en rajouter. Mais il se souvenait trop bien de la scène, du visage de Jungkook, de sa consternation devant Jiwon déclamant le poème avec une désinvolture cocasse.
Il mordit son sourire grandissant.
« Ton père avait... une certaine singularité », lâcha Seungmin, un rictus en coin.
Jungkook releva aussitôt la tête. L'embarras oublié, il scruta intensément Seungmin, dans l'attente de plus.
Seungmin perçut la curiosité dans son regard, et se permit un bref rire.
« Je te raconterai ça une autre fois. Il faut du temps pour peindre le personnage haut en couleur qu'il était.
— À ce point ?
— Oh, bien au-delà de ce que tu peux imaginer. »
Il songea à d'anciens souvenirs. Un léger sourire, un discret soupir. Puis il secoua la tête.
« Comment s'appelle cette femme ? »
Jungkook soupira, un peu frustré d'avoir à attendre son histoire, mais répondit sans hésiter.
« Han Jiwon. »
Seungmin s'immobilisa et répéta le nom à voix basse, songeur. Il se perdit dans ses pensées sous les regards curieux des plus jeunes.
Puis, un éclair traversa son regard.
« Ah, je comprends », murmura-t-il.
Une pièce du puzzle venait enfin de s'imbriquer.
« Elle pourrait appartenir à la famille Han, une lignée domestique au service de la tienne depuis des années, Namjoon. Ton père aurait pu l'approcher sans mal. Il y a un indice dans ce poème, dissimulé entre les lignes. Voilà pourquoi Dongwon voulait que Taejoon soit celui qui le découvre. »
Il tourna alors les yeux vers Jungkook, le ton grave.
« Quant à moi... Ton père m'a confié un parchemin noirci de noms. Mais il m'a prévenu qu'il lui manquait encore deux éléments. »
Seungmin hésita. Les mots lui brûlaient les lèvres, mais leur importance et leur dangerosité le retenaient encore. Ils étaient lourds de conséquences.
Pourtant, il faisait face à leurs regards attentifs, graves et sérieux. Déterminés. Il avait face à lui des hommes, non plus des enfants, prêts à prendre de nouveaux risques.
Il sentit sa résistance basculer. Il soupira.
Je me contredis. C'est une folie. Mais ils méritent au moins une parcelle de vérité.
Alors, il leva la main et compta du bout des doigts.
« Premièrement, une preuve irréfutable que le yangban en place n'est qu'un imposteur. »
Les yeux de Namjoon et Jungkook s'illuminèrent, ce dernier prêt à courir en sens inverse pour en informer le reste de la bande. Taehyung, lui, hocha la tête d'un air grave.
« Deuxièmement, la certitude que l'héritier légitime existe bien, et que Taejoon me tiendrait informé dès qu'il l'aurait trouvé grâce au poème de Dongwon. Seulement... il n'en a jamais eu le temps. Dongwon non plus. Leur mort a tout figé. Sans eux l'héritier est resté dans l'ombre, et moi, dans l'ignorance. Quinze ans ont passé, sans que personne ne sache où chercher. »
Le silence pesait par la densité des révélations.
Ébranlés, les plus jeunes échangeaient des regards incertains. Les mains croisées dans son dos, Seungmin reprit lentement sa marche, bientôt imité par les autres.
« Dire que j'étais en contact avec l'héritier depuis tout ce temps... », lâcha Namjoon, incrédule.
Seungmin le regarda avec curiosité.
« Ah bon ?
— Moi aussi, » intervint Jungkook.
Un pli soucieux barra le front du général.
« Il ne vous a jamais révélé sa véritable identité ? »
Ils secouèrent la tête.
« Et qui est-il, pour vous ? »
Leurs réponses tombèrent en même temps.
« Un ami. »
Jungkook s'éclaircit la voix, hésitant une seconde avant d'ajouter.
« Chan a grandi en... »
Il ravala le nœud dans sa gorge.
« Il connaissait mon père qui allait le voir souvent, au Jardin. »
Seungmin fronça légèrement les sourcils.
« Oui, c'est lui qui l'a caché, je savais qu'il prenait de ses nouvelles et veillait sur lui, à l'occasion. C'est l'héritier qui te l'a dit ?
— Non, c'est Haein-ssi. La gérante de la maison. »
Seungmin fut troublé par son regard fixé au sol, par sa mâchoire serrée, par son expression froissée.
« Et tu en as parlé avec l'héritier ?
— Non. »
Seungmin perçut une légère animosité émaner de Jungkook. Il la reconnut immédiatement, parce qu'il savait. Parce qu'il connaissait toute l'histoire. L'enfance d'un fils en quête d'un père qui, malgré tout l'amour qu'il lui portait, avait fait le choix terrible de s'effacer.
Dongwon avait négligé son propre enfant pour protéger un autre.
Seungmin serra les poings. Il savait que Dongwon n'aurait jamais abandonné son fils sans raison. Il savait que s'il l'avait fait, c'était parce qu'il n'avait que ce moyen-là pour le protéger. Parce que le prix à payer pour la survie de l'héritier avait été l'absence.
Un poids s'écrasa sur son cœur. Il aurait voulu porter ce fardeau à la place de son ami. Lui épargner ce dilemme insoutenable.
Il posa une main compatissante sur l'épaule de Jungkook.
Ce dernier releva la tête, surpris. Il croisa alors le regard de Seungmin. Un regard lourd de sens, peiné, et compréhensif.
« Au nom de mon ami, je suis désolé. »
Dans ces yeux, Jungkook lisait vraiment des excuses. Pas celles du général, mais celles de son père. Et ce fut peut-être cela qui l'atteignit le plus profondément.
Seungmin semblait le comprendre. Le voir, réellement. Et Jungkook ne savait pas si cela le réconfortait ou le troublait davantage. Instinctivement, son regard chercha celui de Namjoon. En peu de temps, c'était devenu un réflexe chaque fois qu'il se sentait perdu, incapable de savoir que faire, que penser, que dire.
Namjoon perçut immédiatement son hésitation et, sans un mot, lui s'approcha, sachant que sa proximité apaiserait Jungkook. Puis, il lui offrit une échappatoire.
« Vraiment, je ne m'y fais pas. La vérité était sous notre nez depuis le début, ça m'énerve un peu », soupira Namjoon.
Les amants échangèrent un regard, et se sourirent discrètement.
« Et il nous aura fallu quinze ans pour le voir », ajouta Taehyung dans un rire léger, mais amer.
Seungmin secoua la tête, son regard perdu dans un point invisible.
« Disons que le destin a parfois ses raisons. Si l'héritier avait été découvert plus tôt, il aurait peut-être été en danger. Peut-être fallait-il ce temps. Peut-être n'étions-nous pas prêts. Et peut-être parce que vous étiez ceux qu'on attendait pour relancer l'affaire. »
Un silence s'étira de pensées inachevées. Chacun digérait à sa manière l'amertume de cette vérité longtemps enfouie.
Puis, dans un souffle, Seungmin reprit.
« Je vais me contredire et me répéter... mais en tant que père, je vous en conjure : n'allez pas plus loin. Cette affaire a déjà coûté la vie à ceux que j'aimais le plus et a faillit vous coûter la vôtre. »
Ses mots tombèrent avec la lourdeur d'un adieu.
Le cœur serré, Taehyung l'observa, lisant dans ses traits la peur d'un homme qui avait déjà trop perdu. Puis il baissa les yeux, comme ses cadets. Aucun d'eux ne trouva la force de répondre ou de le contredire.
Seungmin laissa passer un silence. Mais lorsqu'il reprit la parole, son ton avait changé.
« Mais en tant que général et ministre de la Guerre, je vous exprime ma profonde gratitude pour votre dévouement. Je ne manquerai pas de vous évoquer, vous et le reste de vos compagnons, auprès de notre souveraine à son retour. »
Jungkook tressaillit. Figé, Namjoon ne réalisa qu'après une seconde son immobilité, trottinant pour rejoindre le groupe, les traits marqués par la stupeur.
L'idée que la reine — l'incarnation même du pouvoir suprême et de la grâce inégalable — puisse entendre parler d'eux leur procura une fierté irréelle.
Dans un royaume où la parole royale pesait plus lourd que n'importe quelle loi, être mentionné dans les cercles du palais relevait du divin.
Un honneur capable de changer un destin.
Seungmin poursuivit, n'ayant pas remarqué leur stupeur, alors que Taehyung les observait, amusé.
« Vous nous avez grandement aidés, plus que vous ne l'imaginez. Cette affaire traîne depuis trop longtemps. Vous lui avez offert un nouvel élan. Grâce à vous, elle pourra enfin être close. »
Namjoon ouvrit la bouche, hésitant.
« Pourquoi ? murmura-t-il. C'est un trop grand honneur pour moi, Seungmin-ssi, je...
— Namjoon. »
Sa voix douce, mais ferme l'interrompit.
Seungmin s'arrêta et se tourna vers lui. Ses mains croisées derrière le dos, il le fixa avant de s'approcher, sans cesser de le regarder avec cette tendresse paternelle qui le désarmait toujours.
« Combien de fois faudra-t-il que je te dise de m'appeler Seungmin, sans suffixe ? soupira-t-il en lui ébouriffant les cheveux, comme à un enfant trop respectueux. Même Ahjussi* suffira. »
Sous les regards amusés et ébahis de ses amis, les joues de Namjoon s'embrasèrent d'un doux incarnadin. Il détourna légèrement la tête, incapable de prononcer ce nom avec tant de familiarité.
Il le respectait beaucoup trop pour cela.
Seungmin lâcha un souffle amusé.
« Puis, vous faites tous les deux partie d'une famille qui a toujours été proche et fidèle à une longue lignée royale. Il est temps de rétablir ça, reprit-il d'un ton plus posé. C'est tout. »
Namjoon et Jungkook le fixèrent, troublés, émus.
Jungkook, surtout.
Il savait sa lignée noble et plus ancienne, sa mère lui avait soufflé quelques mots... Mais entendre Seungmin affirmer qu'elle avait été liée au trône, qu'il portait en ses gênes une mémoire et un héritage qui aurait pu s'effacer avec lui, donnait à ces mots un poids qu'il n'avait jamais mesuré jusqu'alors.
Alors, ils s'inclinèrent profondément.
Lorsqu'ils se redressèrent, Jungkook dut faire un effort pour conserver son équilibre déjà précaire. Leurs esprits tournaient, leurs corps peinaient à encaisser le choc.
Leur nom allait être prononcé devant la reine.
« Et... Qu... qu'en est-il de Chan ? », balbutia Namjoon.
Il maudit son balbutiement, et se refusa à croiser les regards de Taehyung et Jungkook qu'il devinait railleurs. Il s'éclaircit la voix, il tenta de se reprendre sous l'œil amusé de Seungmin.
« Que va-t-il devenir ? ajouta-t-il d'une voix plus ferme.
— Déjà, son vrai nom est Kwon Soonyoung. Gardez-le pour vous », répondit calmement Seungmin.
Un silence s'abattit, aussi abrupt qu'assourdissant, et le général n'en fut que plus amusé, bien que surpris. Il attendit.
Puis, d'un coup, l'explosion.
« ...Quoi ?
— Kwon Soonyoung ?!
— Mais comment tu sais ça ?! »
Les voix des plus jeunes se chevauchèrent en une cacophonie disparate. Seungmin ricana doucement.
« C'est lui qui me l'a confié », répondit-il à son fils.
Jungkook écarquilla les yeux.
« ... Mais ça ne lui va pas du tout ! s'exclama Jungkook, jetant un regard effaré à Namjoon, cherchant son approbation.
— J'ai l'impression de ne plus le reconnaître..., murmura ce dernier, presque contrarié, croisant les bras sur sa poitrine.
— Je refuse. Ce sera toujours Chan pour moi. Ça va pas, non ? grommela-t-il.
— Moi aussi », grogna Namjoon.
À les voir ainsi, on aurait cru qu'ils redoutaient de prononcer ce nom comme s'il allait leur brûler la langue.
Taehyung les observait avec un sourire en coin.
« Certes, c'est un peu choquant, mais vous n'allez pas le renier pour si peu, taquina Taehyung.
— J'aimerais t'y voir à notre place ! protesta Jungkook avant de souffler, désorienté. Notre Chan... Kwon Soonyoung ? »
Il se tut, comme si les syllabes refusaient de faire sens, comme s'ils sonnaient faux. Cette vérité trop brutale échappait encore à son entendement.
Seungmin les regarda, l'amusement scintillant dans le regard.
« Pour te répondre, Namjoon, l'héritier se prépare à quitter le Jardin des Lys pour sa sécurité, en espérant que ceux qui intriguent à la cour ne connaissent pas encore sa véritable identité. Il est encore temps d'espérer que ce chien de Shin n'ait pas eu le temps d'envoyer un messager. »
Son regard s'assombrit légèrement.
« Dès que je l'ai vu, j'ai été frappé par sa ressemblance avec son père. Il restera donc travesti, jusqu'à ce que la situation se dénoue. Pour le moment, je l'ai caché dans la chambre de Taehyung. J'irai le voir pour discuter avec lui avant qu'il parte.
— Il va rester là-bas ? s'enquit Jungkook.
« Non. Je prévois de le loger chez moi. Ma demeure est sous bonne garde, au palais. J'ai encore les noms laissés par ton père, et la plupart sont encore présents à la cour. Il serait imprudent que l'héritier voie le jour, ils pourraient le reconnaître et le dénoncer. Puis le supprimer. »
Jungkook tressaillit et Namjoon sentit ses veines se glacer.
« On peut lui rendre visite avant son départ ? », demanda Namjoon, le cœur lourd.
Seungmin posa sur lui un regard tranquille.
« Voyez avec mon fils. »
Un simple regard échangé avec Taehyung suffit à Namjoon et Jungkook : ils reverraient Chan.
« Mais pas dans ma chambre, dit Taehyung. Il sera escorté cette nuit au Jardin. Vous pourrez vous y rendre pour lui parler, à l'aube, avant qu'il s'en aille au palais. »
Instinctivement, il chercha l'approbation de son père. Seungmin lui répondit d'un fin sourire fier, et hocha lentement la tête.
Taehyung sentit un frisson d'émotion lui effleurer la poitrine. L'ombre d'un sourire voulut s'inviter sur ses lèvres, mais il le réprima d'un discret hochement de tête, feignant l'indifférence, trop orgueilleux.
Amusé, son père n'en perdit pas une miette.
Seungmin connaissait cette retenue. Il l'avait vu grandir, se forger, s'affirmer sous son œil à la fois bienveillant et exigeant. Depuis l'enfance, il l'avait poussé à penser par lui-même, à voir plus loin, à ne jamais se satisfaire du facile. Aujourd'hui, l'homme qu'il avait guidé se tenait devant lui, maître de ses décisions, sûr de ses choix.
Un souffle d'orgueil l'envahit. Mais derrière la fierté, une douce mélancolie se glissa. Son fils, cet enfant qu'il avait tant préparé au monde, s'éloignerait bientôt du foyer. Une part de lui aurait voulu retenir le temps, mais il ne céda pas à cette faiblesse.
Les oiseaux finissent toujours par s'épanouir loin du nid qui les a vus naître.
Et en le voyant s'élever, Seungmin ne ressentait que de l'honneur.
« Les garçons, lâcha Seungmin, le visage grave. Les corrompus ne resteront pas impunis. »
Il laissa la gravité de ses mots s'insinuer en eux, puis tourna les yeux vers Namjoon.
« Quant à toi... »
Il posa son bras autour des épaules de ce dernier.
« J'ai juré de rétablir l'honneur de ta famille. Il sera restauré. Et j'y veillerai personnellement. »
Le feu dans ses yeux sembla crépiter, les faisant presque rougeoyer, le rendant d'autant plus impressionnant que les stries sur son visage. Il se tenait là, massif, forgé par des batailles plus profondes encore que celles livrées sur un champ de guerre.
« Vos pères étaient tout pour moi. Plus que des frères. »
Sa voix s'érailla. Il déglutit.
« On a tout vécu ensemble. Qu'ils me soient arrachés a été la pire épreuve de ma vie, et je n'ai failli jamais m'en relever. »
Peiné, Taehyung baissa les yeux. Il enroula son bras autour de celui de son père, lui offrant un soutien discret, une présence. Il devinait sa douleur, cette faille cachée sous l'armure de son assurance.
Seungmin redressa la tête. Son regard se durcit, sa voix se fit rocailleuse.
« Alors, les venger est la plus grande quête de ma vie. Pour moi, pour eux, mais surtout pour vous. »
Namjoon et Jungkook restèrent muets, leurs regards accrochés à Seungmin. Trop longtemps peut-être. Mais ce n'était ni de l'insolence ni du défi. Seulement la marque d'un esprit qui basculait sous une vérité qu'il ne sait encore embrasser. Leurs yeux étaient vitreux, absorbés par leurs réflexions et leurs émotions enchevêtrées.
Namjoon finit par baisser la tête. Bouleversé, reconnaissant, mais habité par un doute insidieux. Seungmin parlait comme un homme qui savait. Qui connaissait une vérité que lui-même ignorait.
C'était une certitude qui l'effrayait.
Pourquoi une telle assurance ? Pourquoi cette quête de réhabilitation, aussi absolue qu'inébranlable ?
Jungkook brisa le silence.
« Pourquoi ? »
Son regard acéré se planta dans celui confus du général. Un mot, sec, tranchant. Son souffle était plus court, et son cœur battait plus vite.
« Pourquoi vous feriez ça pour nous ? »
Ses doigts se crispèrent sur le bâton, malgré lui.
« Je ne vous connais pas. Namjoon vous connaît depuis des années, mais moi, je viens à peine d'apprendre que vous étiez lié à mon père. »
Son ton vibra. Il déglutit. L'air s'alourdit dans ses poumons.
« P... pourquoi je vous ferais confiance ? »
Le dernier mot tomba, plus bas, plus hésitant. Mais son regard restait ferme, fouillant celui de Seungmin comme s'il pouvait y lire une réponse. C'était la méfiance de Jungkook qui parlait à sa place, instinctive, viscérale.
Namjoon écarquilla les yeux. Il avait presque oublié à quel point Jungkook pouvait se montrer abrupt, frôlant l'irrespect face à ses aînés.
Taehyung esquissa un sourire triste. Il comprenait. Jungkook avait grandi dans la méfiance, le doute l'habitait constamment comme une seconde nature, même envers les siens. Pourtant, derrière son ton tranchant, il devinait le besoin d'être rassuré.
Que son père lui prouve, sans la moindre hésitation, qu'il était véritablement de son côté.
Loin de s'en offenser, Seungmin se contenta d'un petit sourire. Il délogea son bras des épaules de Namjoon, son regard se posant sur l'entrée de la ville qui se dessinait à l'horizon.
« Tu veux dire, quelle est ma motivation, hormis le fait que tu sois le fils de mon plus cher ami ? », demanda-t-il, d'un ton calme.
Jungkook hocha la tête, hésitant. Sa gorge se noua sous ses propres paroles. Il s'en voulait déjà. Mais il devait l'entendre, l'éprouver. C'était ainsi qu'il jaugeait les gens. Il n'avait jamais su donner sa confiance à la légère.
Peu importait qui Seungmin avait été pour son père ni qui il devenait doucement mais sûrement pour lui.
« Je suis le ministre de la Guerre et je défends une justice équitable. Alors pourquoi je m'en abstiendrais ? », répondit-il, l'air tranquille.
Seungmin soutint son regard et, voyant que Jungkook en attendait davantage, il parla à cœur ouvert.
« J'agis parce que la justice ne devrait jamais être un privilège. Parce qu'aucun homme ne devrait être condamné pour un crime qu'il n'a pas commis. Parce que les cicatrices que l'on porte ne devraient pas définir ce qu'on est ni ce qu'on mérite. »
Jungkook battit des paupières, happé.
« Je me bats pour ceux que l'on oublie. Pour ceux que l'on trahit. Pour ceux qui n'ont personne pour parler en leur nom. »
Seungmin ne détourna pas les yeux. Son regard perça les défenses de Jungkook, franchit les murs qu'il avait érigés.
« Et toi... Toi aussi, tu te bats pour ça. Peut-être sans même t'en rendre compte. Il suffit d'entendre les rumeurs qui courent sur toi, d'écouter tes amis parler de toi, de t'observer, et on devine ton essence réelle. »
Les battements de cœur de Jungkook s'accélérèrent.
« Tu es un esprit rebelle, mais ce n'est pas la révolte qui te guide. C'est la justice. Elle brûle en toi, comme un feu que personne n'a su éteindre. »
Namjoon et Taehyung sourirent, émus.
Mais Jungkook... Ces mots... Ils ne se contentaient pas de l'atteindre. Ils s'ancrèrent en lui.
Ils coururent sous sa peau, se faufilèrent jusqu'à son cœur, là où battaient ses certitudes et ses doutes. Ils frappèrent trop juste. Trop fort. Son cœur se serra douloureusement. Parce que c'était vrai. Parce que c'était tout ce qu'il était.
Un souffle court lui échappa. Sa gorge se noua, comme s'il peinait à contenir ce qui naissait en lui. Une reconnaissance brutale. Une évidence.
Jungkook ne sut que répondre. Il ne le pouvait pas.
Mais quelque chose naquit en lui.
Un frisson. Une aspiration. La même qu'il avait ressentie, plus tôt, dans sa chambre, en la présence de cette famille. Une force qui avait déjà pris racine et qui grandissait au creux de sa poitrine. Un but flou encore, inconnu, mais là, vivace, résonnant avec son âme.
Une main chaude et douce se posa sur sa nuque. Il frémit.
« Il est digne de confiance, Kook », intervint Namjoon d'une voix basse.
Jungkook resta muet. Namjoon n'accordait sa confiance qu'avec une prudence accrue. L'entendre prononcer ces mots était rare, précieux, significatif. Cela le rassurait, le confortait dans ce qu'il ressentait envers Seungmin ; de l'admiration et de la confiance.
Alors, lentement, il relâcha la tension qui nouait ses muscles et, dans un hochement de tête coupable, il abandonna sa méfiance.
Juste un peu.
Muet, la gorge nouée, le cœur frénétique, il s'inclina profondément, et demeura longtemps ainsi, livrant toute son âme à cette prosternation. Il regretta son incapacité de poser front au sol. Une prosternation si longue n'admettait que deux choses : un respect absolu ou un regret dévorant qu'il en rongeait jusqu'à l'âme.
Seungmin posa une main sur son épaule, chaude et rassurante.
« Je ne t'en veux pas, Jungkook. J'aurais aussi été méfiant, si j'étais à ta place. Tu as agi pour te protéger, c'est honorable, je trouve. »
Sa voix était douce, calme, sans trace de reproche, et pourtant, elle brisa quelque chose en Jungkook. Lentement, presque à contrecœur, il se redressa, mais sa tête resta baissée, comme si affronter son regard aurait été une épreuve trop grande.
Il se sentait coupable. Il s'en voulait plus qu'il ne l'aurait cru. Pourtant, il était rassuré, plus serein quant à cette nouvelle présence qui bouleversait sa vie.
Tous virent son trouble et, bienveillant, Seungmin souhaita alléger son poids et lui arracher un sourire.
« Remerciez surtout mon fils. C'est son plaidoyer en votre faveur qui m'a convaincu de venir. Bon... à part le fait que c'est une véritable pipelette. Même sa mère n'est pas aussi bavarde. »
Un hoquet outré fendit l'air.
« Mais ! J'ai rien demandé ?! »
Un silence stupéfait flotta après ses paroles.
Puis, Namjoon ricana, et Jungkook émit un petit souffle rieur, bien qu'encore bouleversé, et Seungmin en fut satisfait. Les cadets se tournèrent vers Taehyung, mais ce dernier détourna aussitôt le regard en grommelant, les joues rosies, se cachant presque derrière la silhouette de son père.
« Ce n'était pas moi qui devais venir, mais le Ministre des Rites*, en toute logique. Mais plus Taehyung me parlait de vous et de votre enquête, plus je sentais que je devais voir de mes propres yeux et agir, puisque c'est mon domaine. Et me voilà. »
Taehyung croisa les bras, les lèvres pincées.
« Tu aurais pu dire ça simplement, au lieu de m'insulter de pipelette ! », protesta-t-il, irrité.
— Ben quoi ? Ce n'est pas ce que tu es ? », taquina Seungmin.
La paupière de Taehyung tressauta nerveusement, puis inspira profondément.
« Non ! », lâcha-t-il d'un ton buté.
Seungmin arqua un sourcil. Un silence pesa entre eux. Il fixa son fils d'un regard perçant. Taehyung soutint le défi une seconde... puis baissa les yeux, marmonnant un flot de paroles indistinctes entre ses dents serrées.
Jungkook pouffa.
« C'était perdu d'avance », railla-t-il, mi-moqueur, mi-affectueux.
Namjoon sourit. Une chaleur étrange s'épanouissait dans sa poitrine, douce et insoupçonnée. Il ne comprenait pas d'où lui venait cette émotion, mais il prit soudain conscience qu'un poids auquel il s'était habitué s'était dissipé.
Un fardeau qu'il ne savait plus porter.
La solitude. Sa fidèle compagne... disparue.
Pourquoi cela le frappait-il encore, surtout maintenant ? Il l'ignorait. Mais il se réjouissait qu'elle ait laissé en lui un vide. Un vide qu'il comblait peu à peu de l'amour qu'on lui offrait.
Ses yeux se posèrent amoureusement sur Jungkook dont l'amusement éclairait le visage, occupé à taquiner un Taehyung hérissé, sous les ricanements moqueurs de Seungmin.
Je te le dois, mon tendre amour. Il a fallu que tu sois celui qui m'arrache à elle. Il a fallu que tu sois le soleil qui perce mes ténèbres, la lumière qui souffle sur mes cendres jusqu'à rallumer la flamme. Et pourtant, toi aussi tu abrites des ombres. Comme si, malgré la nuit dans ton cœur, tu as choisi d'être mon aube. Est-ce là, la preuve de ton amour ? Te consumer pour me raviver ? Ressens-tu en ton cœur le même incendie que moi ?
Un frisson le parcourut. Ses paupières battirent, chassant la brume dans ses yeux. Ses poings se crispèrent. Sa gorge se serra, étranglée par par cette douleur douce et déchirante à la fois. Il avait mal, terriblement mal. Non d'un chagrin, mais d'un amour si immense qu'il semblait vouloir s'extraire de sa peau, vibrer, s'épanouir dans les battements de son cœur affolé.
Il ferma les yeux, laissa l'air emplir ses poumons, puis l'expulsa dans un soupir tremblant. Encore. Et encore. Jusqu'à ce que l'ardeur en lui se calme, jusqu'à ce que son âme, trop emballée d'émotions, s'allège enfin.
Une main chaude se posa sur son épaule. Namjoon leva les yeux et croisa le regard inquiet de Seungmin. Il n'y eut ni mots ni questions. Seulement ce sourire entier, rassurant, qui l'arracha au tourbillon qui l'avait enserré.
Doucement, il fut ramené à la surface, là où l'air était à nouveau respirable.
« Viens, mon grand. »
Au loin, résonnaient les grognements bougons de Taehyung et les piques taquines et espiègles de Jungkook. Ils les rejoignirent, et se frayèrent enfin un chemin à travers l'agitation de la ville.
La clameur des marchands se fondait aux éclats de voix, d'appels et de négociations, aux rires des passants. L'air embaumait d'effluves alléchants, saturé d'épices, de douceurs sucrées, de bouillons parfumés, de poissons séchés et de viandes grillées.
Leurs estomacs ne tardèrent pas à manifester leur appétit en une crispation impatiente.
L'esprit ailleurs, Jungkook repensait aux mots de Taehyung, soufflés plus tôt.
Papa essaie de te parler, de créer un lien avec toi, mais il n'y parvient pas. Tu le repousses.Tu peux y remédier ?
Son regard glissa en biais vers Seungmin. Ce dernier avançait avec une aisance tranquille, le port altier, un léger sourire flottant sur ses lèvres alors qu'il observait l'effervescence de la ville, ou sur les passants qui, médusés par sa présence, s'inclinaient respectueusement. Il leur répondait d'un simple mouvement de tête, posé, presque solennel.
Cette vision l'encouragea. Il sentit un poids se délier dans sa poitrine.
Il grignota sa lèvre, hésita encore un moment. Puis, il inspira profondément, et s'éclaircit la voix.
« Votre sabre... vous ne le portez pas sans votre armure ? »
Une question anodine, timide. Seungmin marqua un temps, surpris, avant qu'une joie ne traverse son regard, ravi que Jungkook ait pris l'initiative de s'adresser à lui et s'y intéresser. Puis, une étincelle d'amusement dans le regard, il répondit sans se faire prier.
« Il est en lieu sûr, confié à mes hommes. Je ne le porte que rarement lorsque je suis en famille. »
Jungkook resta interdit. Puis, il sentit une chaleur inexplicable l'envahir.
« Ce n'est pas dangereux, pour vous, d'être désarmé ? »
Un rictus malicieux naquit sur les lèvres du général.
« Penses-tu vraiment que je ne le suis pas ? »
Jungkook battit des paupières, ne sachant que répondre. Puis, un éclair de compréhension passa dans son regard.
« Oh... Vous devez en avoir quelques-unes... »
Il baissa les yeux, fronça les sourcils, et observa avec intensité son armure comme s'il pouvait voir à travers le cuir et le tissu, les armes dissimulées. Amusé, Seungmin le laissa faire, un sourire en coin.
« N'est-ce pas ? », demanda Jungkook en relevant des yeux curieux.
Seungmin s'accrocha à ses perles noires scintillants, s'en délectant avant d'offrir sa réponse d'une voix tranquille.
« Oui. J'ai bel et bien des armes cachées sous mon armure. Ce serait imprudent, autrement.
— Combien ? »
En retrait, Namjoon et Taehyung échangèrent un regard surpris, puis amusé. Jungkook était absorbé, et posait des questions avec une ferveur qui tranchait avec l'indifférence légendaire de Taehyung pour l'art militaire.
« Exactement douze. Dissimulées dans des endroits stratégiques. »
Jungkook s'étrangla et lui demanda leur cachette. Seungmin rit doucement et lui répondit. Jungkook s'émerveillait. Seungmin n'avait pas souvenir d'avoir eu une conversation aussi plaisante depuis longtemps sur son métier. Son intérêt le ravissait.
« Mais cette ville est paisible, il n'y a pas de trouble, ceux qui y vivent sont tous aisés, donc il n'y a pas de criminalité, voire très peu, et... »
Le doux rire de Seungmin le coupa.
« Je sais, mais peu importe : je dois toujours être prêt. Mes ennemis sont partout. »
Jungkook ouvrit la bouche, la referma. Une ombre passa dans son regard.
« Et en cas d'urgence ? Vous êtes seul, donc vulnérable, non ?
— Bien vu. Mais je ne le suis jamais tout à fait. »
Jungkook fronça les sourcils, intrigué.
« Vous avez des hommes avec vous ?
— Toujours. L'un d'eux porte mon épée.
— Où ? »
Il regarda autour de lui, scrutant la foule, les toits, les ruelles sombres avec une ferveur qui les amusa tous. Le sourire aux lèvres, Seungmin lui indiqua discrètement où poser les yeux. Deux silhouettes perchées sur les toits. Quatre autres mêlées aux passants.
« C'est du génie ! souffla Jungkook, les yeux brillants.
— N'est-ce pas ? », rit-il, attendri.
Juste derrière eux, Namjoon pouffa, amusé. Taehyung observait son père avec affection. Ce contraste l'émouvait. Il lui semblait irréel que, quelques heures plus tôt, cet homme-là ait été si impuissant dans la chambre de Jungkook.
« Ils ne sont pas nombreux... Et s'il y avait une bataille ? Comment rameuter le reste de votre armée ?
— L'un d'eux enverrait un signal. Une lueur rouge s'élèverait dans le ciel, un appel urgent qui signifie : Péril imminent, renforts requis. Et, sous la direction de ma commandante, les troupes se hâteraient de me rejoindre. »
À cette évocation, le sourire de Namjoon s'effaça. Son regard se durcit. Taehyung le vit, et son cœur se serra. Sans un mot, il glissa timidement un bras autour du sien. Il attendit, retint son souffle, s'attendant à ce rejet, à ce recul instinctif et habituel qui subissait depuis des années.
Rien.
Namjoon ne se crispa pas, et ne le repoussa pas. Contre toute attente, il resserra doucement leur étreinte. Son geste était lourd de sens.
Un frisson d'espoir traversa Taehyung. Ravi, il resserra à son tour leur lien, et fut heureux de lui soutirer un fin sourire.
« C'est intéressant..., souffla Jungkook pour lui-même, l'expression songeuse.
— Tu t'intéresses à l'armée ? »
Un silence.
« Je ne sais pas, Janggun-nim. Je ne sais pas encore ce que je veux faire. »
Seungmin le scruta, pensif.
« Tu n'envisages pas de reprendre le flambeau de ton père, au Ministère ? »
Jungkook hésita.
« J'y ai pensé. »
Jungkook laissa ses yeux errer sur la ville illuminée, sur les lanternes colorées, sur les silhouettes mouvantes des badauds.
Il changea de main sur le bâton, refusant de prêter attention aux tremblements légers qui agitaient imperceptiblement ses doigts et ses jambes. Il forçait sur ses pas, ses muscles se tendaient, raidis par l'effort et, par moments, une décharge fulgurante parcourait ses nerfs, lui arrachant une brève crispation. Pourtant, il ne fléchit pas. Son corps protestait, mais il savait qu'il pouvait encore faire quelques mètres sans s'écrouler.
Il écoutait son corps, mais il connaissait ses capacités réelles.
« Mais, croyez-le ou non, mais je n'ai ni la patience ni l'âme d'un homme de bureau courbé sur des dossiers administratifs. Ce n'est pas moi. Je deviendrais fou. C'est pour ça que je suis indécis », ricana-t-il.
Seungmin éclata d'un rire franc.
« Ton père ne se contentait pas que de ça, il veillait à l'application des lois, instruisait les procès, portait conseil au roi dans les affaires judiciaires. Sa charge était immense.
— C'est encore pire... ! », croassa-t-il, accablé.
Seungmin pouffa, Taehyung et Namjoon échangèrent un regard amusé.
« Je comprends. Si cela ne t'attire pas, ne t'y contrains pas. Tu as le temps de découvrir ta voie, et il n'est rien de plus précieux qu'une vie où chaque jour est différent, et où tu t'épanouis.
— Exactement ! »
Leurs éclats de rire s'égrenèrent dans l'air.
« D'ailleurs, qu'est-ce qui vous a poussé à devenir à la fois général et ministre ? »
Seungmin ne put réprimer son sourire. Un frisson d'exaltation lui parcourut l'échine. Il flottait, ivre d'un bonheur insoupçonné. C'était inattendu. Inespéré. Il était là, à converser avec ce garçon dont il avait tant rêvé de rencontrer. Il n'était plus comme une ombre tapie dans le silence à veiller sur lui, mais un homme qui lui parlait, qui existait à ses yeux, enfin.
Son vœu prenait corps.
Et pourtant, il eut un pincement au cœur.
Yeseo n'était pas là pour voir cet exploit. Il aurait tant voulu qu'elle le contemple, qu'elle partage sa victoire. Mais c'était elle qui lui avait donné la force d'y parvenir. Son souffle, son élan, son amour.
Il avait hâte de la retrouver, de se lover dans ses bras frêles mais enveloppants, et de tout lui raconter.
« Je te raconterai cela plus en détail après, en mangeant. Mais en somme, après mon diplôme à Sungkyunkwan, je me suis retrouvé face au vide. J'en avais les capacités, mais rien ne m'appelait vraiment. Puis un événement a bouleversé ma vie et a tracé ma voie. Ç'avait été comme une révélation divine. »
Étrangement, Jungkook se sentit interpellé par ces mots. Il s'y reconnaissait, un peu.
« J'ai hâte d'entendre votre histoire », sourit-il, sincère.
En Seungmin, explosion de carillons. Et son élan fut spontané.
Sans réfléchir, il posa une main affectueuse sur sa chevelure dans un petit rire, profondément ravi, attendri, presque sur le point de céder à sa sensibilité qui le poussait à fondre en larmes avec une facilité déconcertante.
Mais dès l'instant où Jungkook se figea net, les yeux ronds, il retira sa main comme s'il venait de commettre une faute impardonnable.
« Pardon, je n'ai pas réfléchi..., souffla-t-il, s'en voulant aussitôt.
— Non, non... ! Ce n'est pas... C'est... Ça m'a juste surpris », balbutia-t-il en touchant ses cheveux, troublé, les yeux fixant le sol.
Seungmin détourna légèrement le regard, contrarié par son propre geste. Il était sûr d'avoir gâché leur moment, ce moment qu'il avait tant espéré.
« Je ne le referai plus », murmura Seungmin, contrit.
Jungkook fronça les sourcils, relevant la tête, confus. Puis il baissa à nouveau le regard, ses joues rosissant.
« ...Ce n'est pas non plus ce que je vous demande », souffla-t-il, timidement.
Un silence s'installa. Lentement, il risqua un coup d'œil vers Seungmin qui le fixait, un éclat radieux dans le regard. Jungkook sentit son cœur bondir. Ce guerrier, ce ministre respecté, lui apparaissait soudain d'une candeur troublante et attendrissante.
Derrière eux, Namjoon et Taehyung n'avaient pas manqué une miette de l'échange.
« Viens, rejoignons-les, souffla Taehyung, amusé. Ou Jungkook va finir par tomber amoureux. »
Namjoon se tendit, plissa les yeux, reporta son attention sur un Jungkook complètement absorbé par Seungmin, et grogna dans un soupir mi-agacé, mi-amusé.
Alors que Taehyung enroulait un bras autour de celui de son père, Namjoon saisit discrètement l'auriculaire de Jungkook du sien, leurs mains dissimulées sous leurs manches amples.
Jungkook sursauta légèrement, puis leva les yeux vers lui, surpris et ravi. Les coins de ses yeux se plissèrent, accompagnant son sourire doux et lumineux. Il y avait dans cette expression une candeur, une chaleur si pure que le cœur de Namjoon en bascula. Il dut se faire violence pour ne pas l'attirer contre lui et le serrer jusqu'à l'étourdir de son étreinte.
Ses yeux s'attardèrent sur ce visage radieux, ces joues légèrement empourprées. Il l'avait rarement vu aussi heureux, aussi éclatant.
Et cette fois, ce fut son âme qui s'éleva aux cieux, allègre, portée par cette vision enchanteresse.
Le voir ainsi le comblait.
Troublé, Jungkook détourna le regard, cramoisi. Il tomba sur Taehyung qui, amusé, lui adressa un clin d'œil complice.
Jungkook lui rendit son sourire, devinant sans peine le message de son aîné. Une fierté. Une gratitude. Taehyung ne disait rien, mais Jungkook comprit : il le remerciait. Et quelque part, il le félicitait aussi d'avoir dépassé ses appréhensions envers son père.
Puis, la voix indécise et rauque de Namjoon s'éleva, brisant leur échange.
« Seungmin-ssi. »
L'atmosphère changea. Jungkook et Taehyung le regardèrent, attentifs, soucieux face à son expression légèrement sombre.
Sous l'œil interrogateur de Seungmin, Namjoon prit une profonde inspiration, légèrement hésitant.
« M'a-t-elle secouru de son propre chef ? »
À suivre...
La suite tout de suite !
(N'oublie pas de me faire un petit retour, quand même 🥺) Alors ? 🤭
DÉFINITIONS :
*Grand Code de l'État :
Gyeongguk Daejeon : « recueil de lois établi sous la dynastie Joseon pour organiser le gouvernement et la société. Il définit les règles sur l'administration, la justice, la hiérarchie sociale et l'héritage selon les principes confucéens. En matière d'héritage, il impose que les biens soient transmis aux fils (partage équitable entre eux), tandis que les filles reçoivent une dot limitée. Il vise à préserver les lignées familiales et le patrimoine. » (merci Google)
*Mens sana in corpore sano :
du latin « un esprit sain dans un corps sain » du poète romain Juvénal. Ça vient de sa Dixième Satire (« Satira X » — début du IIe siècle après J.-C.).
C'est totalement anachronique, cette discussion s'écarte du réalisme historique ! Il est très très peu probable que le latin, Juvénal, et les philosophes occidentaux ne soient pas étrangers aux connaissances des érudits coréens à l'époque ! Mais j'ai voulu apporter une touche de modernité, de décalage avec un peu d'humour. J'ai essayé de rendre le truc + plausible avec le marché noir mdrrrrr (j'adore prendre des libertés cheloues XD)
*Érasme de Rotterdam (1466 – 1536) :
penseur humaniste européen, célèbre pour ses idées sur la liberté de pensée, la critique des institutions religieuses rigides, et l'importance de l'éducation et de l'éthique. Il a plaidé pour une réforme intellectuelle et spirituelle sans rompre avec l'Église, privilégiant la raison et le dialogue.
Je l'ai choisi pour Yeseo parce qu'il prône les valeurs d'ouverture d'esprit qui séduiraient une femme éclairée et en quête de liberté à l'époque Joseon, surtout si elle a pour époux un homme à l'esprit ouvert ! (Maybe elle aussi acceptera l'homosexualité de TH ? + de NJ ? eeeeet + de JK ? Non elle ne le sait pas !)
*Hanja :
les érudits lisaient principalement en hanja (caractères chinois classiques), langue écrite savante pour les textes officiels, les enseignements et la litté.
*Ahjussi :
utilisé pour s'adresser à un homme d'âge mûr, généralement d'une quarantaine ou cinquantaine d'années. Il peut signifier monsieur ou tonton, selon la relation
*Ministre des Rites :
ce gars supervise les cérémonies, les protocoles, les relations diplomatiques et l'éducation (il est donc logique qu'il soit invité à l'anniversaire de l'école, pas comme un ministre de la Guerre qui n'y a rien à faire mdrrrr)
𝑾𝒊𝒕𝒉 𝑳𝒐𝒗𝒆, 𝑫𝒂𝒓𝒌 𝑬𝒚𝒆𝒍𝒆𝒕 🖤
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