𝐗𝐗 | 𝐖𝐡𝐞𝐧 𝐝𝐞𝐚𝐭𝐡 𝐥𝐮𝐫𝐤𝐬* (𝐈)
*quand la mort rôde.
Chapitre coupé en deux parties, la suite est publiée juste après !
Accroche-toi, bisous bisous ~ 😚
☾
À présent réveillé et remis de ses émotions, le garçon s'avérait bien plus coriace qu'il ne l'avait imaginé.
D'une poigne implacable, il tenait son poignet, l'entraînant derrière lui sans la moindre hésitation, l'obligeant à calquer son pas sur ses grandes enjambées. La cape noire qu'il portait avec le capuchon tiré bas sur son front dissimulait ses traits aux regards des passants.
Mais nul ne semblait prêter attention à cet homme mystérieux et à la jeune femme récalcitrante qui semblait le suivre. Sans doute la foule indifférente voyait-elle en elle l'une de ces filles de joie, rétive pour l'instant, mais que quelques pièces d'or suffiraient bientôt à faire plier.
Il s'engouffra dans les ruelles sombres des bas quartiers, guidé par l'appel lointain du fleuve Han. Chan le suivait de près comme une ombre fidèle, tout en protestant et en essayant de libérer son bras.
« Lâchez-moi ! Lâchez-moi ! Bon sang, qui êtes-vous ?!
— Tais-toi donc ! »
Il ralentit, pivota brusquement et, d'un geste vif, lui asséna une gifle. Le coup laissa Chan hébété et enfin silencieux, que les dieux furent remerciés dans leur clémence. L'homme esquissa un rictus mauvais.
Le duo poursuivit son chemin, laissant derrière lui les dernières façades illuminées de la ville en fête. Bientôt, ils atteignirent le grand pont qui surplombait le fleuve, désert sous la nuit étoilée. Le brouhaha lointain de la foule insouciante leur parvenait à peine, un écho de rires et de fête.
Devant eux, le courant de l'eau s'écoulait paisiblement, entonnant un chant cristallin, apaisant et mystérieux.
Il jeta un coup d'œil furtif vers le jeune homme travesti, dont la respiration haletante trahissait l'épuisement.
Son maître, bien conscient de l'existence de cette progéniture encombrante, lui avait longtemps donné l'ordre de la retrouver, précisant qu'il déciderait plus tard du sort qui lui serait réservé. Alors, il avait fini par la repérer après toutes ces années de traque.
Puis, il avait jugé imprudent de laisser en vie un témoin susceptible de menacer si gravement l'autorité de son maître. Il avait osé formuler cette pensée, avant de saisir que ce dernier désirait voir de ses propres yeux le fils légitime de Kwon Dongmin, l'ancien yangban.
Ils poursuivirent le chemin, lui, tractant Chan qui recommençait à protester. Il savait que cacher l'héritier dans ses quartiers à l'école, ne serait-ce que pour quelques jours, était un risque bien trop grand à prendre. Le campus grouillait d'enseignants, d'élèves et de domestiques, tous en mouvement incessant, sans oublier la présence du général Kim et des émissaires de la cour.
Trouver un refuge sûr au milieu de cette effervescence relevait de l'impossible.
La seule solution fut de quitter la ville pour la campagne environnante, là où vivait un vieux couple de fermiers à qui il avait autrefois rendu service. Ces derniers, toujours redevables en tant que débiteurs, accepteraient sans doute de veiller sur l'héritier en échange d'une réduction substantielle de leur dette.
Chan se débattait encore, désespéré de se libérer. Il le secoua brusquement, espérant imposer le calme, mais cela ne fit qu'attiser l'angoisse du jeune homme qui se remit à hurler, menaçant d'alerter le peu de passants. Un cri étouffé lui échappa lorsque les dents de Chan se plantèrent sauvagement dans son avant-bras.
« Insolent ! », s'exclama-t-il tout en le repoussant fermement.
Chan fut violemment projeté contre un mur, son corps heurtant la pierre froide avant de s'effondrer au sol dans un gémissement étouffé. L'homme s'avança vers lui avec une lenteur calculée, le regard dépourvu de la moindre émotion. Peut-être, au fond, ressentait-il une légère irritation, celle d'un plan qui traînait en longueur, mais rien de plus.
Il serait si simple, si sensé de se débarrasser de l'héritier, là, maintenant. La fascination de son maître pour ce garçon l'exaspérait. Quelle inutile perte de temps et d'énergie !
Il s'approcha de Chan, toujours étendu à demi sur le sol, et s'accroupit. Chan ne réagit pas, trop étourdi pour saisir que son agresseur se tenait si près.
Ses doigts agrippèrent les mèches brunes tombant devant son front, cachant son visage, les écartant sans douceur. Ressemblait-il vraiment à Kwon Dongmin ? Était-il une véritable menace pour eux ? Après tout, les femmes n'avaient jamais eu la prétention de revendiquer la place de yangban.
Tout au plus, le garçon travesti semait une immense ombre de doute sur la légitimité d'Insoo. Pourtant, quatorze ans plus tôt, les temps avaient été si chaotiques... Et tant que Chan vivra, la possibilité qu'une lutte de pouvoir voit le jour n'était pas nulle.
Si seulement le fils du fouineur qu'il avait noyé avait su rester tranquille, comme il lui avait conseillé !
Il réalisa qu'il avait raté son moment. Il aurait dû se débarrasser de lui dès l'instant où il avait découvert le lien entre l'héritier et l'infâme Jeon Dongwon. Il aurait même pu en profiter pour éliminer Kim Seungmin, épargnant ainsi bien des tourments que cette absurde vendetta personnelle risquait de provoquer.
Mais à présent, il ne pouvait plus se permettre d'éveiller le moindre soupçon. Il avait tant œuvré, année après année, à chercher l'héritier pour le présenter à son maître. Maintenant, il devait effacer les traces du potentiel fauteur de troubles.
Ce n'était certainement plus le moment de commettre l'irréparable !
Il baissa les yeux vers Chan, dont les paupières frémissaient, émergeant doucement de sa torpeur. Soudain, une voix vicieuse hantait son esprit, répétant inlassablement deux mots décisifs. Tue-le. Tue-le. Tue-le. Et, sans prévenir, sa main se resserra autour de la gorge frêle du jeune homme.
Paniqué, Chan agrippa vivement son avant-bras, tentant de s'en libérer.
« Non, arrêtez ! haleta-t-il, le souffle court.
— Oh, que non. Tu m'as causé bien trop de fil à retordre, bien de tourments. Tu étais si bien caché... Maudit Dongwon ! », siffla-t-il en resserrant sa poigne.
Il l'immobilisa au sol, malgré la terreur qui saisissait Chan, l'incitant à se débattre avec une frénésie désespérée. Le regard égaré et dilaté, Chan fixait cet homme dont le visage impassible et presque cruel se dissimulait dans l'ombre d'une capuche.
L'homme le sentit vaciller, prêt à céder sous sa poigne de fer.
Encore un peu...
Soudain, un choc violent contre sa tempe le propulsa au sol.
Surpris, il grogna de douleur tout en relâchant instinctivement sa prise sur Chan, et roula sur le côté afin de s'éloigner de son assaillant. Mais dans sa précipitation, il n'eut pas le temps de replacer le capuchon qui glissa de ses épaules, révélant son visage au monde.
« Vous ?! »
Jungkook avait atteint les berges du Han, ralentissant instinctivement pour savourer la danse des vagues argentées sous la caresse de la lune.
Il ne s'était pas inquiété de l'absence de Namjoon ; il le retrouvera.
Mais alors qu'il se délectait du murmure paisible du fleuve, un mouvement furtif avait attiré son attention près de la rive, sous le pont. Sans un bruit, il s'était enfoncé dans les ténèbres, se fondant parmi l'opacité des bâtiments et les débris épars, devenu lui-même une silhouette insaisissable dans la nuit.
Il s'était glissé dans l'ombre, avançant à pas feutrés pour ne pas trahir sa présence. Lorsqu'il avait perçu Chan en danger, une vague d'adrénaline l'avait submergé. Sans une seconde d'hésitation, il s'était jeté en avant, bondissant vers son ami en péril, que l'étreinte mortelle de son agresseur menaçait de détruire.
Il lui avait asséné un coup de pied si brutal à la tempe que la capuche avait glissé, dévoilant un visage auquel il ne s'y attendait guère.
Jungkook s'était figé, le souffle coupé.
« Vous ?! », s'exclama-t-il en se redressant, stupéfait.
Son professeur de sciences, Shin Taekyun.
Passé la surprise, Jungkook se précipita vers Chan et s'accroupit face à lui. Il l'examina avec une attention fébrile, jetant des coups d'œil alertes en direction de Shin, le surveillant.
Puis, prenant le visage de Chan entre ses mains, il observa son souffle saccadé, ses yeux écarquillés. Il y lisait un soulagement mêlé d'incompréhension et de terreur.
« Chan, le temps nous manque, il faut qu'on agisse vite. Tu peux te lever ? »
Dès l'instant où Chan hocha la tête avec hésitation, Jungkook glissa un bras sous le sien, l'aidant à se relever. À voix basse, il murmura quelques mots à son oreille, tandis que ses yeux acérés scrutaient la silhouette de Shin se rapprochait.
« Quoi ?! s'étrangla Chan, sidéré. Non, Kook, fuyons, vite !
— Impossible, il faut le stopper. Son visage est découvert, alors c'est lui ou moi, dit Jungkook, résolu. Il ne nous épargnera pas tous les deux si on ne l'arrête pas ici. Pars, Chan, ne traîne pas.
— Mais tu es seul ! s'insurgea-t-il, la voix tremblante.
— Ne perds pas de temps !
— Jungkook, non, c'est du suicide ! protesta-t-il, affolé.
— Pars maintenant ! », ordonna Jungkook, le ton péremptoire, un éclair de peur traversant pourtant son regard.
Jungkook détourna les yeux, fusillant Shin du regard, qui les fixait avec amusement, les bras croisés, les prenant de haut.
« Mais... balbutia Chan, en agrippant son bras, le tirant doucement. Viens, ne fais pas de choses inconsidérées, je t'en supplie.
— Ma décision est prise. Fais de ton mieux. Je compte sur toi. »
Détournant un instant les yeux du danger que représentait Shin, il offrit à Chan un regard encourageant, avant de le pousser.
Chan vacilla, ses pas incertains marquant les premiers mètres de sa fuite.
Le visage de Shin se durcit, comprenant que Chan s'échappait. Jurant, il avança d'un pas vers l'héritier, avant qu'un coup de pied violent ne le frappe au ventre, le projetant en arrière. Il se rattrapa de justesse de sa chute, accroupi, une main crispée sur son abdomen.
« Cours ! », s'écria Jungkook, alarmé.
Affolé, Chan gravit la berge en hâte avant de s'élancer vers les rues illuminées.
« Tiens bon, Kook ! Je fais au plus vite ! », s'écria Chan, alors qu'il courait, paniqué, bouleversé, terrorisé pour son ami.
Jungkook, concentré sur les pas s'éloignant de Chan, se positionna avec détermination devant Shin, qui se relevait lentement, une lueur menaçante au fond des yeux.
« Quels que soient les motifs qui vous ont incité à vous en prendre à Chan, ça s'arrête ici, cracha Jungkook. Vous ne lui ferez plus aucun mal.
— Et c'est toi qui comptes m'en empêcher ? »
Jungkook grinça des dents face à son ton froid et moqueur.
« Exactement. »
Shin s'approcha en lâchant un rire mauvais, si mauvais que Jungkook en frémit.
Jungkook encaissa la première attaque avec bravoure, vacillant à peine sous l'impact. Après quelques pas cédés à son adversaire, il regagna aussitôt du terrain en frappant d'un geste précis sur le flanc de Shin. Ses pieds glissèrent sur la terre meuble près du fleuve, chaque mouvement calculé pour éviter de sombrer dans le courant susceptible de les emporter s'ils faiblissaient.
Un poing s'abattit sur sa mâchoire, le forçant à poser un genou au sol. Il secoua la tête, chassant l'étourdissement, puis leva les yeux vers l'homme qui le dominait, prêt à affronter ce regard impitoyable.
« Je vous savais étrange. Vous détonniez avec l'ensemble des professeurs. Qui êtes-vous vraiment, Shin ? Pour qui travaillez-vous ? siffla-t-il, furieux.
— Ne pose pas de questions, Jeon. Il aurait été sage de suivre mes conseils et de rester en dehors de cette affaire. »
D'une poigne ferme, il saisit Jungkook par les épaules et, d'un geste abrupt, le précipita dans les eaux sombres du fleuve.
Jungkook haleta de surprise, l'onde glaciale l'enveloppant aussitôt, l'étreignant comme un linceul, l'eau lui arrivant jusqu'aux clavicules. Ses chaussures glissèrent sur les galets vaseux tapissant le fond du Han. Il s'effondra dans l'eau, perdant l'équilibre sous le cours incessant du fleuve. D'un coup de talon, il se propulsa vers la surface, émergeant en suffoquant. L'eau froide dégoulinant de son visage, il secoua vivement la tête et entrouvrit les yeux.
Son sang se figea en une fraction de seconde.
De l'autre côté, Shin marchait à sa suite, fendait les flots, se dirigeant droit sur lui, l'eau montant jusqu'à ses clavicules.
« J'aurais dû te prendre en main bien plus tôt, murmura Shin en s'approchant implacablement. Peu importe, ta route s'achève ici.
— Ne soyez pas si pressé de conclure. »
Malgré le froid mordant qui l'engourdissait et l'angoisse qui martelait son cœur, Jungkook lui offrit un regard dédaigneux.
L'homme agrippa ses longs cheveux avec une fermeté brutale, tirant son visage décharné tout près du sien. Ses lèvres se tordirent en un rictus mauvais.
« Quelle ironie, murmura-t-il, venimeux. Tu périras de la même façon et pour les mêmes raisons que ton père. »
Les yeux de Jungkook s'écarquillèrent, sa gorge se nouant sous le choc.
« Je l'ai suivi en toute discrétion depuis Séoul. Un voyage interminable jusqu'à Daesan-eup. Je n'ai jamais compris ce qui l'avait mené dans ce village isolé, il y a quatorze ans. Le lieu était si peu habité. Mais l'occasion s'est présentée. »
Ton malveillant.
« Je l'ai saisie. »
Sourire sadique.
« Nous nous sommes longuement battus et, finalement... »
Lueur meurtrière.
« C'est moi qui l'ai noyé dans les eaux de la mer de Daesan, là où il repose depuis quatorze ans. »
Aveu cruel.
Jungkook comprit.
Son monde s'effondra.
« Quoi... ?
— Est venu ton tour. À moins que ton secret avec Kim ne te conduise à la potence. Vous êtes abjects, des aberrations de la nature. Deuxième ironie du sort : Kim, comme son père, pourrait bien finir sur la place publique... »
Le mépris suintait de chaque mot.
Mais Jungkook ne l'écoutait plus. Ses membres s'étaient figés, son souffle s'était éteint pour reprendre de plus belle, frénétique.
Il répétait mentalement, hébété, les mots du meurtrier de son père.
Noyé... à la mer... si proche de moi...
Son esprit lui représenta cruellement la vision de sa pensée : son père tué par son professeur. Noyé. Gisant dans cette mer qu'il contemplait chaque matin, dans son village. Il avait longuement admiré cette étendue d'eau paisible, se gorgeant d'air iodé, s'abandonnant à ses songes. Il s'était inventé des instants heureux avec ce père absent, dont le manque l'avait brisé jusqu'aux larmes, déchirant son cœur et meurtrissant son âme d'enfant.
Un père qu'il avait fini par mépriser au fil des ans, ignorant qu'il reposait là.
Si proche.
Et pourtant, à jamais hors de portée.
Si près de nous retrouver... Mais on lui en a cruellement refusé la chance.
Une fatalité dont il avait déjà conscience le heurta pourtant avec une violence inouïe.
Je ne le reverrai plus jamais.
Une détresse abominable secoua son corps.
Angoisse. Désillusion. Dégoût.
Rage.
Une flamme dévorante embrasa son cœur. Son corps frémit de fureur. Il avait mal. La tempête en lui le dévastait, elle-même prête à tout ravager sur son passage.
Il brûlait d'effacer ce sourire malveillant. De réduire cet homme à néant. De venger l'injustice et la douleur qui le consumait.
L'idée de voir s'éteindre ce regard méprisant, d'anéantir chaque parcelle d'arrogance dans les yeux de celui qui lui avait volé son père enflammait ses pensées.
Il imaginait ses poings, violents, précis, implacables, ensanglantés, frappant cet homme dont le rire cruel empoisonnait encore son esprit.
Ses poings se serrèrent, ses muscles tendus comme les cordes d'un arc sur le point de rompre.
Son cœur, lourd, furieux, battait avec une intensité sauvage, menaçant de le faire chavirer.
Il avait si mal.
Il voulait que sa propre violence lui restitue ce qui lui avait été arraché.
Il s'imaginait inspirer à Shin terreur et souffrance, un écho de la douleur qu'il avait infligée à son père.
Défigurer ce visage odieux.
Crever ces yeux abominables.
Effacer à jamais ce sourire infâ...
« Veux-tu entendre ses derniers mots ? », murmura Shin, un sourire malfaisant aux lèvres.
Jungkook frémit, arraché à ses pensées vengeresses et macabres. Il resta silencieux, mais ses yeux criaient leur soif de vérité. Shin éclata de rire, ce rire amer et arrogant qui exsudait le mépris.
Porté par une force nourrie de sa colère, Jungkook le saisit brutalement par le col et rapprocha son visage du sien, leurs regards enchaînés l'un à l'autre, oubliant la morsure de l'eau froide contre leur peau.
« Dites-le ! »
Il avait hurlé d'une voix déchirante, ses doigts tremblant d'une rage noire en le secouant, le visage froissé par la fureur.
Shin le dévisagea avec dédain, un sourire narquois étirant ses lèvres.
« Ses derniers mots étaient touchants... »
Jungkook grinça des dents, affermissant sa prise en voyant l'autre le narguer, se délectant de sa détresse.
« Si je n'avais pas nourri une telle rancœur envers lui, j'aurais peut-être été ému... Mais ce père que tu chérissais tant n'était plus qu'une ombre de lui-même, affaibli par la perte de son ami et écrasé par le poids de ses propres décisions. Dans d'autres circonstances, je n'aurais eu aucune chance face à lui, il est vrai.
— Vous... vous n'aviez pas à le tuer ! s'écria-t-il, les yeux brillants de rage et de douleur. Il était revenu pour nous ! J'allais enfin le revoir, découvrir qui il était vraiment, mais vous m'avez condamné à grandir avec des doutes et des blessures jamais refermées ! Vous m'avez volé ce père que j'ai passé toute ma vie à espérer revoir ! Mais j'ai fini par le haïr !
— Ça ne me concerne pas, Jeon. Il aurait dû se tenir à l'écart de nos affaires. J'ai simplement fait ce qui devait être fait en l'éliminant. »
Les mots crachés comme du poison fouettèrent Jungkook. Il était trop accablé pour penser à réinterroger Shin sur l'instigateur de ces manigances. Dans un hurlement étouffé derrière ses dents serrées, il secoua Shin plus violemment encore, la rage déformant ses traits, jusqu'à ce que l'eau elle-même semble en trembler.
« Dites-moi ses derniers mots ! »
Sa voix était brisée par l'animosité, le désespoir, la détresse. Il se sentait impuissant.
Shin émit un ricanement cruel, laissant ses mots flotter dans l'air.
« Je ne m'en souviens plus très bien... Quatorze ans, c'est bien loin, fiston. »
Son sourire provocateur attisa la fureur de Jungkook.
La rage éclata dans son poing. Il frappa violemment la mâchoire de Shin. Le coup fendit la joue de ce dernier, qui cracha du sang dans l'eau, se gaussant malgré la douleur.
« Toi, au moins, tu es plus vaillant que lui », persifla-t-il.
La fureur ne cessait de monter en vagues irrésistibles en Jungkook, noyant toute pensée. La vérité sur la mort de son père l'écrasait comme un raz-de-marée. Il se perdit dans l'ombre de cette douleur. Il se laissa happer par l'envie destructrice de détruire à son tour cet homme.
Shin agrippa ses poignets au vol, et approcha de nouveau leurs visages.
« Permets-moi d'exprimer ma gratitude, à toi et à tes amis si turbulents. Grâce à vous, j'ai enfin pu trouver l'héritier, celui dont le destin n'est rien d'autre que la mort.
— Comment vous l'avez su ? cracha-t-il, en se débattant.
— C'est fort simple. Je suis un professionnel, vous non. Je sais me faire discret, ce qui, manifestement, n'est pas votre cas. »
Jungkook serra les dents, se maudissant intérieurement d'avoir exposé Chan au danger. Ils auraient dû être bien plus prudents, bien plus méfiants envers Shin.
« Oui, ricana Jungkook. C'est sans doute pour ça que vous aviez mis des années à le trouver ; sans nous, jamais vous ne l'auriez déniché. »
Le visage de Shin s'assombrit. D'une poigne inflexible, il saisit brusquement la mâchoire de Jungkook.
« Le ton que tu prends me déplaît fortement, Jeon. »
Malgré la fermeté écrasant sa mâchoire, Jungkook esquissa un sourire en coin, les yeux mi-clos, inclinant légèrement la tête pour le toiser avec une arrogance méprisante.
« Ai-je l'air d'en avoir quelque chose à faire... Seonsaeng ? », persifla-t-il, sarcastique.
Dédaigneux, Shin resserra plus fermement sa poigne autour de la mâchoire de Jungkook qui siffla de douleur.
« Finissons-en, misérable sodomite. Ton espèce est une abomination qui n'a pas sa place parmi nous. »
Le visage de Jungkook se décomposa. Il se pétrifia. Il ne sut ce qui l'offensa le plus ; l'insulte ou l'écœurement profond qui déformait le visage de Shin.
Il n'eut pas même le temps de s'indigner, de rétorquer, encore moins de méditer sur ces mots insultants et humiliants qui bourdonnaient encore à ses oreilles.
En une fraction de seconde, il se sentit plonger dans l'eau, fermement tenu par une poigne implacable. L'eau froide mordit sa peau. Une terreur instinctive s'empara de lui. Fermes et impitoyables, les mains de Shin demeuraient enroulées autour de sa tête, l'immobilisant sous la surface glacée, le temps que l'eau accomplisse son œuvre fatale.
Une panique sourde, animale, le submergea alors qu'il se débattait avec une violence catastrophée.
Ses poumons brûlaient d'un besoin cruel d'air, assoiffés.
Son souffle retenu dans un effort titanesque se faisait plus douloureux à chaque seconde.
Son esprit s'acharnait à repousser l'horreur imminente de la mort.
Mais, telles des serres de fer, les mains de Shin restaient implacables, fermement dévouées à leur sinistre mission.
L'air lui manqua. Sa vision se troubla. Les contours du monde se fondaient dans un flou cauchemardesque. Ses gestes, d'abord vifs et acharnés, devinrent chaotiques, désespérés. L'étreinte glaciale de la mort l'enserrait comme une ombre inéluctable.
La terreur pétrifia son cœur.
Il va me tuer... !
Dans un ultime sursaut, il agrippa les bras de son bourreau, les doigts crispés dans une supplication muette.
Il criait de toutes ses forces, silencieusement, luttant contre l'inévitable.
Je ne peux pas mourir !
Il pensa aux êtres chers à son cœur, à la terreur de les quitter. Chaque visage se matérialisa derrière ses paupières fermement closes.
Mais les ténèbres étaient déjà là.
Ils s'insinuèrent dans ses pensées, étouffant toute lumière, ne laissant qu'un fil de vie.
Un dernier murmure, un dernier nom qui flottait à la lisière de sa conscience, un ultime regret.
Namjoon...
Puis plus rien.
Le néant l'engloutit, dérobant ses dernières pensées à la lumière, les entraînant dans une obscurité...
...éternelle ?
☾
Lorsque Chan s'effondra dans ses bras, haletant, la poitrine secouée de sanglots qu'il peinait à contenir, un pincement douloureux serra le cœur de Namjoon, sans qu'il en comprenne la raison.
Comme un mauvais présage.
Pendant un bref instant, il crut à un miracle, à une chance inespérée que le destin venait de lui accorder de pouvoir contempler Chan face à lui, sain et sauf.
Mais ce répit fut de courte durée.
Le soulagement qui l'avait envahi comme une marée chaude se dissipa aussitôt, emporté par le flot des paroles saccadées de Chan. Ce dernier balbutiait des mots hachés entrecoupés par son souffle court, tremblant.
Malgré la confusion, une chose perça clairement dans ce chaos de larmes et de peur.
L'urgence.
« Chan, doucement, je ne comprends pas. Respire et recommence », ordonna-t-il en posant ses mains sur ses épaules, alerte.
Chan prit une profonde inspiration, puis réexpliqua. Namjoon écoutait, tendu comme un arc, l'âme vibrante d'inquiétude. Chan n'avait pas besoin d'en dire davantage. L'essentiel se lisait dans ses yeux, se devinait dans sa voix brisée. Jungkook était resté en arrière. Pour le protéger. Pour lui donner une chance de s'échapper.
Les pensées de Namjoon s'entrechoquaient dans un tumulte assourdissant.
Shin, fleuve, Jungkook, seuls, combat.
Mais une seule s'imposa à lui, lui déchirant le cœur.
Jungkook est en danger.
L'angoisse sourde comme une ombre au coin de sa conscience, se mua rapidement en terreur. La peur pour l'ami, l'amant, celui qui l'arrachait lentement et progressivement de ses propres ténèbres se fit lancinante. Elle brûlait ses entrailles.
Namjoon sentit une douleur vive qui le fit vaciller. Mais il n'avait pas le luxe de l'abattement. Il devait agir.
Maintenant.
Mais un sursaut de conscience l'immobilisa net. D'un geste empressé, il glissa sa main dans l'ouverture de son hanbok, en sortit le présent de Jungkook, le serra un instant contre son cœur, puis le tendit à Chan qui le fixait d'un regard perdu et larmoyant.
« Prends-en soin jusqu'à ce que tu me le rendes. C'est très précieux pour moi », dit-il avec célérité, l'urgence vibrant dans sa voix.
Puis, sans perdre un instant, poussé par une force désespérée, il s'élança, courant de toutes ses forces. Ses bottes frappaient le pavé avec une intensité frénétique. À chaque foulée, il pensait une prière silencieuse.
Les rues défilant autour de lui comme un décor indistinct n'étaient plus que des obstacles à sa course effrénée. Le vent fouettait son visage, s'engouffrait dans ses vêtements, mais il ne ralentissait pas. Il ne le pouvait pas.
Le fleuve. Il devait atteindre le fleuve.
Sa respiration s'accordait à celle du vent, son souffle court se mêlant aux murmures des arbres qui semblaient se pencher pour lui chuchoter l'inéluctable vérité qu'il refusait d'entendre.
Jungkook. Danger. Mort.
Non !
Il secoua vivement la tête.
À chaque enjambée, le nom de Jungkook résonnait dans son esprit, tel un battement de tambour.
Rien d'autre n'importait.
Chaque fibre de son être, chaque pensée, chaque souffle, tout convergea vers un seul but, une seule prière.
Que Jungkook soit encore en vie.
Il redoubla d'efforts, sa course se fit plus vive encore. Les muscles de ses jambes brûlaient sous l'effort intense, mais il ne ralentit pas. Il ne pouvait se permettre de flancher. Pas maintenant.
Pas quand l'ombre de la mort rôdait probablement autour de l'amour de sa vie.
Le fleuve se rapprochait, son murmure croissait, mais avec lui, l'écho sourd de la peur. Et au-delà du souffle court, de la fatigue et du désespoir, une seule certitude habitait son esprit.
Il retrouvera son âme sœur. Coûte que coûte.
La première vision qui le saisit fut celle terrifiante du hanbok noir de Jungkook, flottant mollement à la surface du fleuve. Il faillit ne pas le remarquer sur l'onde sombre.
Ce vêtement, habituellement si plein de vie, lui parut désormais qu'un spectre, une ombre de ce qu'avait été son amant.
Son cœur sembla manquer un battement. Une vague glaciale d'effroi déferla sur lui, le paralysant sur place. Le pire des scénarios se dessina dans son esprit, déferlant comme un éclair dans la nuit noire de ses pensées. Ses mains commencèrent à trembler malgré lui, secouées par une émotion incontrôlable. Une douleur aiguë lui déchirait la poitrine, si vive et si dévastatrice qu'elle lui retourna l'estomac.
Une terreur insondable mêlée à l'angoisse le saisit à la gorge, la serrant comme un étau.
Jungkook.
Son nom n'avait de cesse de résonner dans sa tête comme un battement sourd. Une litanie angoissante qu'il ne pouvait réprimer.
Il refusait de croire que Jungkook, son Jungkook, ait pu disparaître ainsi, happé par l'obscurité des flots. Une partie de lui s'accrochait désespérément à l'idée qu'il ne pouvait pas être parti, qu'il ne pouvait pas l'avoir abandonné dans cet enfer.
Qu'il ne l'aurait jamais laissé à nouveau livré à lui-même.
Seul.
Encore.
Je le savais. Tous ceux que j'aime finissent toujours par m'abandonner.
Ses démons intérieurs.
Implacables.
Porteurs d'une cruelle vérité.
Sa propre vérité.
« Jungkook ! »
Avec un hurlement venu du fond de son âme, il l'appela, chaque syllabe habitée par le désespoir, par la douleur brute et déchirante.
« Réponds-moi ! Où tu es ?! »
Sa voix se brisait sur les eaux. Il ne cessait de crier, comme si son appel pouvait le ramener.
Et c'est alors qu'il le vit, l'effroi faisant frémir son corps.
Shin.
Il titubait sur la rive, le visage strié d'eau et de sang, un rictus étrange déformant ses traits autrefois respectables. Ce même Shin qu'il avait toujours considéré comme l'un des piliers de sagesse et de discipline à Sungkyunkwan, malgré sa détestable nature et la méfiance qu'il avait commencé à nourrir à son égard, depuis son altercation silencieuse avec Jungkook, en pleine leçon.
Mais à cet instant, tout respect se dissipa, balayé par une colère brûlante qui jaillit de chaque fibre de son corps tendu à l'extrême.
« Shin ! »
Ce dernier se tourna vers lui, un éclat de peur dans le regard, mais Namjoon n'y vit qu'un aveu de culpabilité.
« Qu'est-ce que vous faites là ? Où est Jungkook ? »
Un ricanement froid lui répondit.
« Là où est sa place. Pourquoi ? Tu veux le rejoindre ? », le nargua-t-il.
Namjoon jurerait que son cœur s'était arrêté de battre le temps d'un instant.
Qu'est-ce que ça signifie ?!
La terreur le fit légèrement haleter. Mais, plus que tout, une rage inextinguible, pure et féroce, déferla en lui comme une marée noire.
Sans réfléchir, sans même prendre le temps de mesurer ses actions, Namjoon attrapa le couteau dissimulé dans sa manche, son esprit entièrement submergé par une seule pensée.
Vengeance.
Le souffle court, ses muscles bandés comme ceux d'un prédateur prêt à bondir, il se précipita vers Shin, la lame scintillant dangereusement sous la lumière pâle de la lune gibbeuse. Chaque pas qu'il faisait l'amenait plus près de cet homme qui avait osé toucher à ce qui lui était le plus précieux. Son cœur battait à tout rompre, un tambour de guerre dans sa poitrine, et ses yeux ne voyaient plus que la silhouette chancelante de Shin, devenu désormais l'incarnation de tout son chagrin et de toute sa colère.
« Répondez-moi ! », rugit-il, sa voix grondant de fureur.
Sans la moindre hésitation, il s'élança plus vivement, ses mouvements fluides et déterminés. Il n'y avait plus de place pour le doute, pour l'hésitation ou la pitié.
Il brandit sa lame, les yeux fous et injectés de sang.
« Qu'avez-vous fait ? Où est-il ? Où est Jungkook ?! », répéta-t-il.
Dans un geste instinctif, les mains de Shin se refermèrent sur les poignets de Namjoon. Mais le sol trempé et glissant leur joua un mauvais tour. La terre meuble les entraîna tous deux, les faisant glisser sur la pente raide de la berge. Ils s'effondrèrent ensemble, s'emmêlant dans leur chute, pour finir les jambes dans l'eau glacée du fleuve. Namjoon sentit le froid pénétrer ses bottes, mordant sa peau, mais il ne s'en souciait guère.
Toute son attention était fixée sur cet homme qui représentait maintenant tout ce qui lui était haïssable, tout ce qui lui avait arraché Jungkook.
L'homme se redressa péniblement, une lueur de triomphe mesquine dans les yeux.
« Pauvre fou. Si tu t'imagines qu'il s'en sortira... Son sort sera bientôt le tien », cracha-t-il d'un ton acide, méprisant.
Ses paroles tranchantes s'enfoncèrent dans le cœur de Namjoon. Loin de l'abattre, elles alimentèrent la flamme de sa colère. Une clameur jaillit de sa gorge, un cri de rage viscéral, primal, qui résonna contre les flancs des montagnes environnantes comme une agonie déchirante et destructrice.
Son corps alimenté par la haine et le désespoir, Namjoon se jeta de nouveau sur le professeur avec une vigueur renouvelée, les entraînant tous deux plus profondément dans les eaux sombres. Le froid piquait férocement sa peau, mais il ne sentait rien d'autre que la fureur et la détermination qui l'habitaient.
Tandis qu'ils se débattaient dans l'eau glacée, Shin perdit rapidement du terrain, épuisé par sa précédente lutte avec Jungkook. Sa respiration était saccadée, ses mouvements manquaient de la force et de la précision qui avaient eu raison de Jungkook.
Namjoon le poussa violemment, puis ne s'intéressa plus à lui.
Son esprit ne pensait qu'à une seule chose.
Atteindre Jungkook.
Le chercher.
Le trouver.
Le sauver.
Le protéger.
Il savait qu'il n'avait que quelques secondes, quelques précieuses secondes avant que l'ombre de la mort ne s'empare définitivement de celui qu'il aimait.
Si ce n'était pas déjà trop tard.
Il se détourna de Shin qui continuait de se débattre dans un effort vain pour rester à flot. L'obscurité environnante ainsi que les profondeurs du fleuve l'avantageaient. Il pouvait échapper momentanément à Shin.
Ignorant les cris, Namjoon plongea dans l'eau, ses bras battant frénétiquement la surface. Il ne prit guère la peine d'inspirer avant de plonger, uniquement guidé par le besoin vital de retrouver Jungkook.
Son cœur tambourinait en un battement sourd et acharné qui accompagnait chaque coup de bras et jambes, alors qu'il s'enfonçait dans les profondeurs, où le fond vaseux s'effaçait peu à peu et les galets blancs disparaissaient. Devant lui, les abysses s'étendaient, insondables. Namjoon scrutait sous l'eau sombre, ses yeux cherchant désespérément une silhouette, un signe de vie.
L'eau glacée le dévorait jusqu'à l'os, mais sa volonté était plus forte que la douleur.
Ses poumons assoiffés d'air le brûlèrent. Il maudit son impuissance à respirer sous l'eau. Frustré, il remonta à la surface, inspirant profondément, le cœur affolé.
« Jungkook ! »
Il cria de toutes ses forces, le souffle haché. Sa voix se perdit dans le vacarme des flots.
Pourtant, il ne s'arrêta pas. Chaque muscle de son corps hurlait de fatigue, mais son esprit était fixe, inébranlable. Il devait le retrouver. Il ne pouvait pas abandonner maintenant. Pas après tout ce qu'ils avaient traversé ensemble. Pas après avoir trouvé un semblant d'équilibre dans sa vie.
Il inspira profondément, plongea à nouveau, et se perdit dans l'onde. Il nagea. Longtemps. Émergea. Replongea. Encore et encore. Il désespérait. Le froid et la terreur secouaient ses membres d'un frisson incessant.
Pour la énième fois, il replongea, poussant son corps épuisé et tremblant au-delà de ses limites.
Là. Une ombre mouvante. Un mouvement flottant.
Son cœur bondit. Un sanglot manqua de franchir ses lèvres. La surprise faillit lui faire avaler l'eau.
Espoir. Terreur.
Il nagea plus profondément dans les ténèbres à peine éclairés par les rais lunaires. Il sentit alors quelque chose frôler ses doigts. Un tissu. Peut-être un bras. Son cœur était sur le point de rompre, ses poumons sur le point de le lâcher.
Un espoir fou et insensé l'entraîna plus loin.
Il atteignit le fond du fleuve.
Il perdit de vue cette ombre mouvante.
Il paniqua.
Non... Non, par pitié.
Ses mains cherchaient, tâtonnaient dans l'urgence. Ses poumons le brûlaient. Son cœur battait si férocement qu'il était sur le point d'imploser. Une myriade d'étoiles embrasaient sa vision, annonciatrice de son évanouissement imminent s'il ne s'accordait pas un peu d'air.
Mais il refusa de remonter.
Là. Il le sentit à nouveau L'espoir le foudroya. Il saisit fermement ce qui pouvait être la dernière chance de sauver Jungkook. Il tira de toutes ses forces, remontant autant qu'il le put à la surface. C'était lourd. Il en déduit que c'était un corps.
Son corps ?
Froid. Il était froid.
L'air lui manquait, sa vision se brouillait de plus en plus, la panique le forçait à nager de manière frénétique. Son bras libre et ses jambes fendaient l'eau avec une force désespérée, chaque mouvement alourdi par l'épuisement et la brûlure de l'oxygène manquant.
Sa poitrine en feu le tiraillait. L'idée de survie d'abandonner s'insinua en lui, insidieuse, mais il s'obstina à ne pas fléchir.
Il se força à ne pas lâcher prise.
Il nagea plus vite, désespérément. Ses forces se déchaînèrent, redoublèrent d'intensité. Pourtant, la panique grondait, oppressante, dévorante. Il avait peur. Il sentait son cerveau manquer d'oxygène, il avait l'impression qu'il gonflait, que ses veines allaient imploser. Il avait besoin d'air, un besoin vital, brutal, obsédant. Mais son souffle était piégé, chaque seconde se dilatait en un étau insupportable.
L'eau l'enserrait, étouffante.
Il se voyait mourir.
De l'air...
Ses yeux étaient écarquillés à l'extrême, fixant la lumière là-haut. Elle lui apparaissait si lointaine.
La peur se glissa plus profondément, un murmure sinistre qui lui martelait l'inévitable.
Je vais mourir...
Et puis, d'un coup, la surface éclata autour de lui.
Il jaillit de l'eau, aspirant l'air avec avidité. C'était douloureux. Son souffle s'arrachait en hoquets frénétiques, brûlant sa gorge et ses poumons comme s'ils renaissaient après un interminable étouffement.
Son corps tout entier tremblait, secoué par l'adrénaline.
Il eut une brusque envie de pleurer. Il s'était réellement vu mourir.
Chaque inspiration était précipitée, sauvage, comme s'il craignait que l'air lui soit à nouveau refusé. Ses yeux écarquillés, encore hantés par l'ombre des profondeurs, fixaient l'étendue, luisants de terreur et de soulagement mêlés.
Il nagea vite jusqu'à avoir pied. Il prit appui sur les galets au fond du Han. Puis, il tira la tête inerte hors de l'eau.
Il releva délicatement le menton d'une main tremblante par l'épuisement et ses émotions intenses.
Son souffle se coupa.
Son cœur se compressa sous l'angoisse.
« Oh, mon... J... Jungkook... ? Jungkook ! »
Sa voix n'était qu'un souffle, un balbutiement tremblant.
Il tapota doucement sa joue, ses yeux fixaient désespérément son visage humide et livide, ses lèvres bleues, à la recherche d'un signe, d'un souffle, de cette étincelle de vie qu'il refusait de croire éteinte.
Ses doigts tremblants écartèrent les mèches sombres qui voilaient ce visage devenu trop pâle. Froid. Une terreur sourde lui enserra la gorge, tandis que ses lèvres tremblaient et que son souffle se coupait chaque fois qu'il pensait au pire.
« Jungkook, ouvre les yeux, je t'en supplie... »
Je t'en supplie...
Un sursaut de conscience fulgurant le secoua. Il devait sortir Jungkook de l'eau en rejoignant la rive. Puis espérer, prier pour qu'il respire encore. Il devait l'arracher à la mort.
Mais avant qu'il ne puisse faire quoi que ce soit, quelque chose surgit de l'eau. Namjoon se paralysa en entendant quelqu'un inspirer profondément, avant de tousser. Puis une poigne violente se referma sur lui par-derrière, l'arrachant brutalement à son fragile espoir.
Shin.
« Enfin je te trouve. »
Il revenait à la charge avec une force décuplée par la rage.
Il les entraîna tous les trois sous la surface. L'eau glacée envahit les poumons de Namjoon, la panique monta en lui comme une vague déferlante, mais il refusait de lâcher Jungkook inconscient dans ses bras.
Son esprit n'était qu'une seule injonction.
Le ramener à la surface. À tout prix.
L'emmener loin d'ici. À tout prix.
Dans un élan de survie, Namjoon se débattit férocement, utilisant le peu de force qui lui restait pour se libérer de l'étreinte mortelle de Shin. Dans un mouvement désespéré, il abandonna son propre hanbok, laissant le vêtement entre les mains avides de son bourreau, comme une offrande à la folie.
Ses bras désormais libres s'enroulèrent plus fermement autour du corps de Jungkook. Il donna un coup de pied puissant dans le fond vaseux du fleuve, ignorant l'horrible crampe à son mollet suite à l'élan brusque, propulsant désespérément leurs corps vers la surface.
Il inspira, toussa, des larmes de douleur se mêlant à l'eau ruisselant sur son visage.
Il eut un sursaut de conscience. Il se sentait étrangement vulnérable.
Mon couteau ! Où est mon couteau ?
Dans la confusion de la lutte, il l'avait laissé échapper quelque part, perdu dans les profondeurs sombres et traîtresses. La peur se resserra autour de lui comme une corde invisible, alors qu'il nageait vers le bord, cherchant le répit.
Le poids de Jungkook et leurs vêtements trempés étaient éprouvants pour son corps poussé au-delà de ses limites. Le courant alors paisible lui paraissait impétueux, prêt à les emporter. Namjoon sentait ses forces l'abandonner, une à une. Marcher sur les galets était une épreuve presque insurmontable. Même si l'eau lui arrivait aux clavicules, elle enserrait sa poitrine.
Il se dépêcha autant qu'il le pouvait de regagner la terre ferme, désireux de briser l'étau de l'eau pour avoir enfin l'impression de respirer.
Un bruit l'alerta. Il s'arrêta, l'eau lui arrivant désormais au niveau du ventre. Il se retourna juste à temps pour voir Shin s'avancer de nouveau vers eux, son visage marqué par la colère, déformé par la haine. Là, son propre couteau scintillait dans la main de Shin, menaçant.
Effarée par l'horreur qui lui faisait face, son âme se souleva comme si elle se trouvait arrachée pour s'élancer vers les cieux.
Namjoon était paralysé.
Trop épuisé.
Il avait trop lutté.
Submergé par un stress extrême, son cerveau bloqua son processus psychique, réponse instinctive de survie. Ses émotions étaient bien là, vives, mais son esprit ne répondait plus.
Il percevait ce qui se passait sans vraiment en prendre conscience.
Il était complètement anesthésié.
Il ne pouvait plus réagir.
La seule chose qu'il parvint à faire fut de serrer Jungkook contre lui, dans un dernier espoir inconscient de le protéger.
Et une pensée unique s'imposa à lui, assourdissante, inéluctable.
Mort.
C'est fini.
À suivre...
Coucouuuuuu ^^
Ton ressenti à chaud, now, insulte-moi si tu veux XD
Je poste tout de suite la partie II !
Juste 2, 3 mots !
Dans ce chapitre, il y a deux trucs importants que j'ai voulu faire passer, et j'espère les avoir clairement narrés.
Premièrement, Namjoon traverse un épisode de déréalisation à cause de ses traumas.
La déréalisation, c'est un mécanisme de défense psychologique.
En gros, quand un souvenir traumatique est réveillé, la personne peut se sentir comme si le monde autour d'elle était irréel, comme flou ou distant. C'est une manière pour le cerveau de se protéger de l'intensité émotionnelle en créant cette impression de détachement. Ça arrive souvent quand quelque chose dans le présent fait écho à un vieux traumatisme, et la personne se sent alors comme spectatrice de son environnement.
Deuxièmement, à la fin, quand Shin est sur le point de porter le coup fatal, Namjoon est tellement saturé de stress extrême que son cerveau bloque complètement, et il se retrouve paralysé. C'est ce qu'on appelle la sidération psychique.
C'est une réaction face à un choc insurmontable où le cerveau se met en mode « pause » pour se protéger, ce qui provoque une sorte de paralysie mentale ou physique.
En gros, même si on pourrait réagir physiquement, on en est incapable parce que l'esprit est comme figé par le stress.
Voilà ! À tout de suite pour la partie II ! ♡
𝑾𝒊𝒕𝒉 𝑳𝒐𝒗𝒆, 𝑫𝒂𝒓𝒌 𝑬𝒚𝒆𝒍𝒆𝒕 🖤
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