476 | LOKI
- Elle a tant grandi, ma fille est devenue une splendide jeune femme, dit ta mère avec une émotion très maternelle. Naturellement, elle est la plus belle de toutes mes fleurs ! Laisse-moi de la présenter ...
- Et c'est maintenant que je disparais, murmures-tu
Cachée derrière une large colonne, tu entends la voix de ta mère appeler ton prénom à quelques mètres de ta cachette. Sans te retourner, tu te faufiles discrètement hors de la pièce à demi-ouverte sur un couloir extérieur bordé d'arcades dorées. Tu franchis ces hautes arches et débouches dans un patio, si vaste qu'il ressemble plutôt à un fragment de jardin royal.
Tes pas foulent l'herbe, le jupon de ta robe longue traîne sur les brins verdoyants. Seules les lumières de la salle de bal que tu viens de quitter éclairent le jardin, ce qui l'enveloppe dans un cocon mystérieux et paisible. Tu déambules entre les massifs fleuris et les arbustes taillés avec soin en emplissant tes narines de senteurs bucoliques. L'air de la nuit est doux, les bruits de la fête te parviennent encore mais de manière étouffée. Un sentiment d'apaisement relâche tes muscles tendus et ici au milieu de la verdure, tu te sens enfin à ta place.
Pas étonnant, vu ton passé et tes gênes.
En continuant ta balade nocturne motivée par ta fugue, tu te retrouves près d'un parterre de narcisses, tes fleurs préférées. À cette période de l'année, ils ont déjà fleuri et ont fané depuis bien longtemps mais tu reconnaîtrais ces feuilles entre mille. Poussée par l'envie, tu t'agenouilles en redressant les pans de ta robe et poses tes mains sur la terre, aux pieds des feuilles. En quelques secondes, de nouvelles fleurs de narcisses poussent et éclosent, plus belles que jamais. Fière de ton petit tour, tu t'autorises un sourire en coin satisfait en te relevant.
- Tu ne devrais pas être ici
À l'entente de cette voix inconnue et sortie de nulle part, tu sursautes et scrutes aussitôt tout autour de toi.
- En fait, je suis presque certain que tu devrais te trouver au banquet, avec le reste des invités
L'obscurité vacille, la silhouette d'un homme fend le fond sombre que la nuit projette sur le jardin. Tu dois plisser les yeux pour distinguer la personne qui te parle, car ses cheveux et sa tenue sont encore plus noires que la nuit elle-même. Il s'avance vers toi, l'ombre d'un rictus narquois sur les lèvres.
Il ne manque pas d'air celui-là, te dis-tu.
- Et toi, alors ? Que fais-tu là ? Toi non plus, tu ne te trouves pas au banquet. Tu n'es pas le mieux placé pour me faire cette remarque, répliques-tu
Si cet inconnu croit t'impressionner, il se berce d'illusions. Ce n'est pas dans ta nature d'avoir froid aux yeux et de courber l'échine, ce qui t'a attiré des ennuis un bon nombre de fois. Ton tempérament rebelle n'en est pas à son coup d'essais, au grand damne de ta mère.
À l'évidence, il ne s'attendait pas à rencontrer une telle force de caractère ni à être pris à parti. Visiblement peu habitué à ce que quelqu'un lui tienne tête, il s'en trouve bouche bée. Son étonnement se lit sur son visage fin l'espace de quelques secondes, avant qu'il ne fasse place à un amusement intrigué.
- Très juste, je vois que tu es perspicace, petite sorcière, te dit-il sur un ton lancinant
- Je ne suis pas une sorcière, réponds-tu simplement
Les belles prunelles de cet homme te transpercent avec intensité, cherchant à déchiffrer ta personne. Tu soutiens son regard, autant parce que tu n'es pas intimidée par cet inconnu que pour le détailler minutieusement. Avec honnêteté, tu admets qu'il est d'une grande beauté, son charisme est sans limite tandis que son air mystérieux, sombre et subtilement torturé ajoute à son charme.
- Alors qui es-tu ? te demande-t-il en penchant la tête sur le côté
Un petit rire chargé d'ironie franchit tes lèvres, tu le jauges du regard en croisant les bras.
- Ne compte pas sur moi pour révéler mon nom à un inconnu qui apparaît subitement dans le recoin d'un jardin, au beau milieu d'une nuit noire, en arrivant avec plusieurs heures de retard à un bal
- Je ne quitte pas souvent mes enfers pour regagner le monde vivant mais lorsque je le fais, j'aime soigner mes entrées, dit-il en faisant un geste désinvolte de la main
Tu n'as aucune idée de ce que signifie cette phrase, et une part de toi aimerait le découvrir. Une aura de puissance émane de cet homme qui, pourtant, sait comment contenir ce torrent de force. Autant de maîtrise ne te laisse aucun doute, quelque chose de plus profond se cache au-dessous.
- Si tu aimes à ce point te faire remarquer de tous, peut-être que le temps est venu pour toi de te joindre à la fête, lui suggères-tu
Tu commences à te retourner afin de regagner la salle de bal, mais la main de l'homme retient ton bras, interrompant tes mouvements.
- J'ai vu ce que tu as fait avec ces fleurs, te confesse-t-il en désignant le parterre à côté de vous. Des narcisses ... choix intéressant. Tu viens d'accomplir l'extraordinaire : tu as recrée la vie. Crois-moi, c'est un don précieux
Entendre ces mots sortir de la bouche d'un inconnu dont tu ignores tout mais qui semble en connaître énormément sur la vie te fait ressentir une bouffée de joie. Tu t'autorises à sourire, véritablement contente.
- Merci, je n'ai pas l'habitude qu'on remarque ce dont je suis capable. Tous les regards sont toujours braqués sur ma mère, ils ne voient qu'elle et ne s'intéressent pas à davantage
- Ta mère ? s'intéresse l'homme aux cheveux noirs
- Démeter, réponds-tu
Ses yeux s'agrandissent et étrangement ses pupilles s'affinent, malgré l'obscurité. Il vient de comprendre qui tu es, grâce à cette information.
- Voilà qui explique pourquoi la nature se plie à ta volonté. Tu es-
- Y/N, ne m'appelle pas par le nom ridicule que m'a donné ma mère, le coupes-tu
Il baisse légèrement la tête pour dissimuler partiellement le sourire empli de malice qui soulève ses traits semblant être dessiné par les plus grands maîtres de l'art. Il finit par redresser le regard, l'air taquin.
- Perséphone ? Dommage, j'aime beaucoup ce nom, commente-t-il en haussant un sourcil joueur
- Alors tu as aussi mauvais goût que ma mère, rétorques-tu
Ton répondant semble beaucoup le divertir, l'homme s'autorise plusieurs rires mélodieux. Puisque tu ignores à qui tu as à faire, tu n'as pas l'intention de mettre au placard ta personnalité mordante. Non pas que tu le fasses vraiment, de toute manière.
- Je sens comme une tension autour du sujet de ta génitrice, je me trompe ? s'amuse-t-il
- Ce n'est pas tout à fait vrai. Je n'ai rien contre ma mère, je lui suis reconnaissante pour beaucoup de choses. Mais parfois, j'aimerais qu'elle me voit telle que je suis vraiment et qu'elle l'accepte, sans essayer de me remodeler à son image. Je sais que je ne suis pas celle qu'elle espérait que je sois, pas exactement du moins ...
- Alors nous partageons un point commun toi et moi, affirme-t-il en faisant un pas vers toi
Malgré la sérieux de ces paroles, il ne perd rien de sa malice.
- Mon père est loin d'être le dieu le plus juste. Durant toute mon existence, il n'a jamais hésité à me rappeler mon statut de fils illégitime. Un jour, le grand Odin tout puissant s'est senti lassé d'être le maître de l'univers. Il a voulu trouver un successeur et a choisi de passer à l'épreuve ses deux fils : Thor et moi
À ces mots, tu mets enfin un nom sur le visage ayant surgi de l'obscurité. Et tout te paraît tellement évident à présent.
- Mais bien entendu, Odin n'a pu traiter ses fils avec égalité. Comment en aurait-il été autrement ? Il a tout donné à mon frère, le dieu dont l'égo est si disproportionné qu'il se pense encore plus important et fort que le père des dieux lui-même. Thor a tout gagné : les terres, le ciel, les océans. Et moi, j'ai dû me satisfaire de la partie peu reluisante dont il ne souhaitait pas s'embarrasser ... le monde d'en-bas et d'après
La réalisation te gagne avec plus d'évidence, ta surprise n'a d'égal que ton attrait.
- Tu es Loki, dieu de la malice et maître des Enfers, dis-tu et le formuler à voix haute rend la chose plus concrète
- En chair et en os, confirme Loki en te faisant une révérence. Tu vois, moi non plus je ne suis pas celui que mon père espérait que je sois
Les similarités de vos histoires personnelles établissent une première connexion entre vos deux personnes. Aussi surprenant que ça puisse paraître, tu as la sensation que vous vous comprenez, mieux qu'on pourrait le soupçonner.
Le dieu de la malice déambule entre les massifs fleuris, en effectuant un arc de cercle autour de toi.
- Mon père peut organiser autant de banquets qu'il le souhaite, je ne ferai jamais partie de ceux qui le congratulent pour le simple fait de savoir respirer, balance-t-il dans un rire plein de dédain
- Dans ce cas, pourquoi es-tu venu ? lui demandes-tu, cherchant vraiment à connaître la réponse à cette question
Le dieu esquisse quelques pas de côté et balaye le jardin d'un court regard, avant de hausser nonchalamment les épaules. Ses yeux perçants, semblant sonder le fond de ton âme, se plante à nouveau sur toi.
- Une intuition, te répond-il en faisant revenir son sourire en coin. Et toi, jeune déesse, que fais-tu ici ?
- Ma mère aime me faire parader au milieu des plus puissants de notre monde, en croisant les doigts pour que je tombe malencontreusement sur mon futur époux, lui expliques-tu avec une pointe à peine dissimulée d'amertume. Elle ne croit sûrement pas que-
- Non non, ce n'est pas la question que j'ai posé, te coupe-t-il en secouant la main. Ça, c'est ce que vient faire Démeter à ce banquet. Ce que je te demande, c'est que fais-tu ici, dans notre vaste monde ? Pour quelle raison te lèves-tu le matin ? Quelles sont les choses qui ont grâce à tes yeux et qui te font envie ?
Sa question a de quoi te surprendre, tu ne sais d'ailleurs pas quelle réponse lui donner. Rien ne te vient, rien d'avouable en tout cas ...
Une fois encore, le maître des Enfers semble avoir tout deviné de tes pensées. Il se rapproche de toi en reprenant la parole :
- Tu cherches l'aventure. Tu souhaites te défaire du carcan imposé par ta mère, et enfin libérée celle que tu es au fond de ton âme. Tu veux de la passion. Tu meurs d'envie de goûter au danger. Tu espères te perdre dans le feu pour mieux te trouver. Tu as envie de vibrer, de te jeter dans l'inconnu et peut-être même dans la noirceur
Tes lèvres s'entrouvrent, ton souffle se coupe un instant. Loki est parvenu en quelques minutes à déceler tes secrets les plus inavoués ainsi que tes désirs les plus sombres, quand toi-même tu te voiles la face à ce propos.
Le dieu est à présent tout proche, légèrement penché au-dessus de toi, ses yeux te sondant avec intensité. Une sorte de bulle se forme autour de vous, opaque au reste du palais ainsi qu'aux bruits du banquet.
- Et tu as compris tout ça, seulement en me voyant faire pousser des narcisses avec ma magie ? lui dis-tu en arquant un sourcil
- Je vois la flamme qui brûle en toi, te confesse-t-il d'une voix basse délicieusement grave. Et je sais comment la nourrir, la faire grandir jusqu'à devenir le plus beau et le plus incandescent des incendies
Cette proposition t'appelle, le dieu des Enfers et tout ce qu'il représente t'apparait comme un tentation difficile à ignorer.
- Que dirais-tu de disparaître avec moi, au cœur de l'obscurité ? Là où tu n'aurais plus peur d'être toi, entière
- Tu sais comment faire des propositions alléchantes, admets-tu
Un sourire fend son visage, à la fois ravi et taquin.
- Pas sûr que Démeter approuverait ce qu'il se passe en ce moment, rit-il
- Non, c'est certain qu'elle n'apprécierait pas, acquiesces-tu, un rictus au coin des lèvres
- Alors ? Qu'en penses-tu ?
Au lieu de répondre, tes lèvres se réhaussent d'un sourire progressif, un brin malicieux.
Passer un marcher avec le maître des Enfers ? Ce n'est pas tout à fait conclure un accord avec le diable mais ...
Tout ça t'importe peu, tu as déjà décidé d'accepter et de te jeter corps et âme dans cette aventure. Sans regarder en arrière, sans hésiter. Et en suivant ce dieu séduisant de noirceur.
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Désolée de ne pas avoir posté la semaine dernière ! J'étais tellement prise dans l'écriture des derniers chapitres de mon roman « Lunaire » que je me suis laissée aller 🤭
Pour ceux qui le lisent, je le dis ici : ça y est, je suis venue à bout du premier tome et j'en suis plutôt contente 😁
J'espère que ça vous plaira aussi 😉
Pour revenir à cette partie sur Loki, je me suis ouvertement inspirée du mythe de Hadès et Perséphone, en partie parce que j'ai adoré lire les trois premiers tomes de la réinterprétation de ce mythe faite par Scarlett St Clair. J'avoue, ça m'a bien inspiré 🤩
J'hésite d'ailleurs à faire une suite à cette partie ... ça vous plairait ?
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