60:00:00
Sérieusement ?
La classe était bruyante.
Pourquoi ?
Moi qui voulais oublier définitivement.
Je vis Jimin qui semblait me chercher du regard, un large sourire aux lèvres.
Ce voyage devait le ravir.
Ses yeux passèrent sur moi.
Mais il ne me vit pas.
Et son sourire disparu.
☯︎
Onze heures cinquante-cinq.
Je sortis tranquillement de la salle, mon sac sur une épaule comme à son habitude et attendis que Jimin sorte en m'adossant au mur.
Mes paupières se fermèrent, j'avais froid.
Le projet émit par l'établissement me revint à l'esprit.
Je me sentis soudainement oppressé, comme si mon démon venait d'aspirer tout l'oxygène de mon corps et de l'espace afin de m'étouffer. Ma respiration se bloquait comme si du sable chaud remplissait mes poumons, ma vue s'embrumait, je n'arrivais plus à penser et ma tête bourdonnait.
— Tu as vu ?
Cette voix, cette voix infernale qui me rappelait sans arrêt qui j'étais.
Il avait fallu la présence d'un mot pour qu'il se remette à m'abattre.
Parmi les élèves de ma classe qui me passait devant, aucun n'avait l'air de me voir. Ils se transformaient progressivement en faisceaux de lumières de multiples couleurs, rouge, noir, jaune, blanc, j'avais l'impression d'avoir pris une drogue après un manque énorme. Mais Dieu savait comme je n'avais jamais touché à ces choses là, même avoir touché le fond, avoir été plongé dans un néant où seul mes cris muets retentissaient.
À travers les faisceaux lumineux, il y avait une ombre. Une ombre qui me souriait malicieusement, tu vois ? C'est comme ça que la nature se venge.
J'avais beau cligner des yeux, les fermer, les ouvrir, me les frotter de mes mains tremblantes, tout restait tel que je le voyais. J'eus l'envie de hurler, qu'on m'aide à sortir d'ici alors que je pensais m'en être débarrassé depuis quelques mois, crier si fort pour qu'on m'entende. Même s'il fallait que mes cordes vocales se brisent à me priver de voix pour le restant de mes jours, je voulais qu'on me sorte d'ici. De toute façon, le silence n'était-il pas la meilleure des solutions dans une vie où les tournants se comptaient sur les pattes d'un mille-pattes ?
Un son, et une lumière rosée s'arrêta. L'ombre s'évanouit.
Cette lumière se rapprochait de plus en plus, jusqu'à ce que je sente mes bras se faire fortement empoignés par deux mains.
Et, comme une bombe s'écrasant sur le sol, tout redevînt claire.
Je vis des cheveux d'or, un t-shirt rose sous une doudoune blanche, et un visage inquiet.
Je basculai maladroitement sur lui, qui me soutenu à temps grâce à ses mains déjà fixées à mes bras. Ma respiration sifflait, ma vue restait instable, mes jambes dansaient tellement fort sous mon buste que je crus m'effondre contre le sol.
Mais c'était seulement Jimin qui m'aidait à m'asseoir.
Mes sensations étaient décuplées qu'un seul contact m'électrocutait complètement. Mais je n'avais pas le temps de penser à ça, le mot responsable de tout mon malheur se cognait à l'intérieur de mon crâne.
Tokyo, Tokyo, Tokyo, Tokyo...
Je voyais les lèvres de Jimin bouger, ses yeux refléter l'inquiétude, sauf que je n'entendais rien si ce n'était qu'un bourdonnement insupportable qui me coupait de la raison.
Flou, divaguant, épuisé, je plongeai une nouvelle fois.
Une décharge électrique me frappa la joue, m'obligeant instinctivement à retrouver partiellement mon chemin boueux, rocheux et abimé.
Difficilement, papillonnant des paupières un bon nombre de fois, ma vue commençait à redevenir net, et je vis Jimin tendant un papier devant mes yeux où des lettres étaient inscrites.
U; R; L.
Pourquoi s'amusaient-ils à faire un rébus alors que j'étais en pleine demande d'aide ?
Ses lèvres donnèrent la solution du problème.
Et je ne contrôlai plus rien.
Mon estomac se retourna, mon cœur et mes poumons prirent une grande inspiration, et j'hurlai aussi fort que je le pus à travers le couloir désert.
☯︎
— Merci...
Jimin leva les yeux de son plat pour les planter dans les miens, qui eux, se concentraient à loucher sur mon verre d'eau vide. La vague était passée.
— Tu as retrouvé ta langue ?
Je lâchai un rire, j'avais mal à la gorge.
Il ne me posait pas de question depuis que j'avais repris mes esprits, et je l'en remerciais. Les personnes que j'avais auparavant connues m'auraient épuisé avec ça. Car tout ce qui les intéressait, n'était que mon malheur. Je posai ma fourchette, je n'avais pas faim.
— Ah non ! Par contre tu manges ! S'écria-t-il.
Je secouai la tête.
— Je sens que je vais vomir si je mange quelque chose en plus. Il me sonda quelques instants.
— Alors bois un peu. Faire une crise de je-ne-sais-pas-quoi consomme énormément d'énergie.
Il me servit de l'eau dans mon verre vide et sec, légèrement frustré de mon non accord pour me nourrir. Je n'avais pas du tout l'habitude que quelqu'un prenne soin de moi. Lorsqu'il me le tendit afin de me forcer à le prendre, je fis attention à ce que nos doigts ne se touchent pas. Car je ne voulais pas salir des mains aussi pures. L'eau me transperçait de toute part, dégoulinait dans mon œsophage et partait détendre mes organes tétanisés. Cela faisait un bien considérable.
Mon verre reposé, je le regardai dans les yeux. Ils reflétaient un juste milieu, une sérénité.
Quelle chance.
— À propos de ça, fis-je d'une voix calme, pourquoi avoir fait un rébus ? Tu cherchais à t'amuser ? Il sourit malignement.
— J'étais sûr que tu allais me poser cette question, il posa ses couverts.
— Je ne comprends pas.
Douze heures quarante.
Le restaurant universitaire se vidait peu à peu.
— Jungkook... Son dos rencontra le dossier du siège. Tu es quelqu'un qui observe énormément. Tu confrontes toujours tes yeux à quelque chose, ce qui fait de toi un être très intelligent et qui sait placer un mot sur ce qu'il voit. C'est pour ça que faire le rébus du mot hurle allait te sortir de la bulle qui s'était créée autour de toi tout à l'heure. Parce que ce qui a construit le Jungkook que tu es aujourd'hui ne se base que sur de l'observation, sur une photographie mémorielle où le résultat est un mot.
— Un mot ? Répétai-je sans vraiment comprendre.
— Un mot. Et plus tu observes, plus les mots s'accouplent et forme une histoire. Il se pencha au dessus de son plateau. Regarde autour de toi Jungkook. Qu'est-ce que tu vois ?
Comme une machine à laquelle on programme un ordre, je tournai la tête en direction des tables voisines, et de l'immense baie vitrée donnant vue sur le parc de l'université.
— Je vois des étudiants.
— Que font ces étudiants ?
— Certains mangent leurs brocolis, d'autres leur île flottante, rigolent, parlent tranquillement, échangent des avis contradictoires, ou même sont sur le point de pleurer de joie ou de tristesse. Dehors, il fait froid et les plantes demandent à être au chaud.
— Qu'est-ce que tu ferais avec ces informations ?
— J'écrirai une histoire.
— Qui serait le personnage principal ?
— Moi.
— Et le second ?
— Un démon.
— Ce serait donc une histoire fantastique ? Je le regardai.
— Non, ce serait autobiographique.
Jimin me sourit, comme convaincu de mes propos avant de replonger dans le fond de sa chaise. Ses bras se croisèrent sur son torse, tendis que je frottai les miens dû à la fraîcheur de la pièce. Pourtant, les fours de la cuisine tournaient, les corps chahutaient, créant une chaleur qui n'arrivaient tout de même pas à réchauffer mon âme. C'était comme une chaleur artificielle, une chaleur qui ne s'emboîtait pas avec celle que je dégageais.
— J'ai hâte de voir ce que cela donnera.
— Pardon ?
— Je t'en dirai plus quand tu seras prêt.
— Je ne comprends rien à ce que tu dis... Baragouinai-je.
— Prêt à apprendre à guérir.
☯︎
Dix-sept heures dix-sept.
Coincé dans mes pensées aussi emmêlées les unes aux autres, je fus surpris par la sonnerie de mon téléphone. Le nombre de fois où il sonnait se comptait sur les doigts d'une main, cela était presque étrange que quelqu'un m'appelle. Alors je me levai de ma chaise de bureau en abandonnant mes devoirs et allai voir qui voulait me contacter, mon portable étant branché sur mon lit. Un sourire illumina mon visage, et je décrochai rapidement.
— Oui ?
— Jeon Jungkook ?
— C'est moi-même.
— C'est Kim Seokjin de Coquelicot ! Je vous appelle comme prévu à propos de l'entretien que nous avons passé samedi dernier.
— Qui y'a-t-il ?
— Ah là là là... j'ai le regret de vous informer que vous êtes embauché chez nous.
— Vraiment ?!
— J'aurais seulement envoyé un message si cela n'avait pas été le cas. Bref, êtes-vous disponible ce soir pour venir chercher votre emploi du temps ? À moi que vous voulez l'avoir par mail.
— Non c'est bon ! J'arrive le chercher, je préfère l'avoir sur papier. Quand est-ce que je commence ?
— Quand vous vous sentez d'attaque. Ça peut être ce soir comme à partir de la semaine prochaine.
— Est-ce que je peux finir mon travail avant de venir ?
— Bien sûr ! Venez quand vous voulez on est ouvert jusqu'à minuit.
— Merci, j'arrive vers dix-neuf heures dans ce cas.
— À tout à l'heure alors.
Je raccrochai, un peu remué. J'étais bien conscient de ne pas le connaître et de l'avoir vu seulement deux fois mais, il y avait eu quelque chose dans sa voix qui n'était pas normal. Il paraissait fatigué et n'avait pas fait de blague ou quoi. Il n'y avait pas eu la même ambiance que les autres fois.
Regardant mon écran quelques instants, je finis par sourire de fierté. J'étais engagé !
☯︎
Dix-neuf heures six.
La chaleur du café agressa mon visage froid qui venait d'être confronté à une température inférieure durant une centaine de mètres. Mes mains se frottèrent entre elles pendant que j'analysai l'ambiance de ce qui était plus à présent un restaurant. Des familles, des couples, des groupes de personnes âgées, dînaient sous une musique posée, qui ne dérangeait en rien une discussion. C'était encore celle du piano, où je n'avais toujours pas rencontré son propriétaire. Peut-être que comme maintenant j'étais engagé, cela allait ce faire.
Je pénétrai plus loin dans la pièce, me rendant au bar habituel. Là, je vis, de dos en train de préparer un vin chaud autour de néons rouges qui se reflétaient dans les verres et les bouteilles, ce qui avait l'air d'être Seokjin. Ses cheveux bruns tombaient dans sa nuque, lui donnant un charme qui pouvait faire tomber n'importe quelle fille.
Il se retourna, et j'haussai les sourcils.
C'était bien Seokjin, mais comme je l'avais entendu dans sa voix, il paraissait très fatigué. Des cernes soulignaient ses yeux rieurs qui ne riaient plus, et son teint était pâle comme celui d'un cadavre. Mais ce qui me surpris le plus, c'était ce bleu assez imposant qui marquait sa joue gauche. Un bleu presque violet.
Il me sourit.
— Très ponctuel !
— Si on peut le dire. Tout en me parlant, il continua à préparer ses boissons.
— Vous vous rappelez la salle où on a passé l'entretien ? J'acquiesçai. Retrouvez-moi là-bas, je vous rejoins dès que j'ai servi ceci.
J'haussai la tête une nouvelle fois afin de lui faire comprendre que le message était passé, et, comme prévu, je me rendis à la porte du fond avant de me figer à l'entente d'une voix derrière moi.
— Cette porte est interdite à la clientèle, si tu cherches les toilettes c'est la porte à gauche de l'entrée.
Je me retournai. Un jeune homme un peu plus âgé que moi me faisait face, une dizaine de centimètre en moins et surtout, avec les cheveux argentés. Mes yeux dévièrent sur le piano, un peu plus loin, qui ne chantait plus, son joueur ayant disparu. Joueur qui devait se tenir devant moi à l'instant présent. Je ne pus retenir un sourire gêné. Ses notes avaient été simplement remplacées par une musique douce aux enceintes.
Coincé dans mon simple pantalon et pull noir, je me sentais minable à côté de lui. Sa chemine rose pâle s'alliait parfaitement avec son teint de porcelaine ainsi que son bas sombre et ses chaussures de cuire. Mais son air semblait dur et froid. Enfin, cela devait être normal comme il me prenait actuellement comme un simple client.
— Je viens d'être engagé comme serveur, l'informai-je calmement. Kim Seokjin m'a dit que je devais me rendre dans le bureau où j'ai passé l'entretien afin de tout finaliser. Son air s'adoucit légèrement.
— Tu es Jeon Jungkook dans ce cas là.
— Comment le savez-vous ?
— Jin ne fait que d'en parler, il avait hâte que tu commences à travailler. Il est sûr que tu aideras beaucoup.
— Ah... S'il le dit, je lâchai un rire nerveux.
— Je m'appelle Min Yoongi, il me tendit sa main, je suis le pianiste de ce café.
— Je... Mes orbes venaient d'être scotchés à sa fine main, là, juste devant moi. Je finis par me courber respectueusement. Ravi de faire votre connaissance, vous avez un don incroyable dans le domaine du piano.
Je vis ses doigts disparaître de mon champ de vision, me soulageant.
— Yoongi ! S'écria une voix que je connaissais bien. Je me redressai, Seokjin venait d'arriver en se séchant les mains dans une serviette. Voyons ! Ne traumatise pas notre jeune recrue ! Il lui fit des mouvements de balayette avec son torchon. Zou ! Profite de ta pause pour aller te faire fumer par une clope !
— Je ne suis pas sûr que ce soit moi qui lui fasse le plus peur, renchérît-il avec un brin d'amusement.
Les regarder se chamailler me faisait sourire. Ce n'était que la troisième fois que je mettais les pieds ici, et à chaque fois, j'avais l'impression d'exister et n'était pas considéré comme un simple serveur débutant. Et cela faisait plaisir.
Mais malgré ça, mes yeux n'arrivaient pas à se détacher du bleu qui ornait le visage de Seokjin.
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