15:00:00
Quinze heures cinquante.
— Jungkook.
Je grognai à l'intérieur de mes bras, ma nuque et mon dos se brisant en deux depuis une vingtaine de minutes. Laissez-moi rêver.
— Eh, Jungkook. Reveille-toi.
Je sentis alors une main me tapoter une omoplate, et un cri féminin hurla subitement à l'intérieur de mon crâne, me réveillant en sursaut. D'un coup de bras violent, je rompis le contact entre Yoongi et moi, et le regardai apeuré, le souffle court. Le cri strident rebondissait à l'intérieur de mon corps, et j'avais l'impression qu'un nid de fourmis me dévorait l'endroit où il m'avait tapoté. La Reine. C'était la Reine. Je me retenais insupportablement de ne pas me gratter afin de faire disparaître ce sentiment, ne voulant pas éveiller quelconques soupçons.
— Eh calme-toi, fit Yoongi en fixant tour à tour mes iris tremblants et ma main levée vers lui. Je voulais juste te dire que des clients sont arrivés dans ta zone. Luca est en pause.
Je mis mes deux coudes sur le bar, prenant par la même occasion ma tête entre mes doigts. Cette voix ne cessait pas, mon corps semblait tanguer comme un bateau naviguant dans une tempête, tant que je dû clore mes paupières quelques instants. Mon estomac se mit à pendre au bord de mes lèvres; une fichue nausée prenait le dessus.
— T'aurais pas pu me gueuler dans les oreilles au lieu de faire ça ? Tonnai-je entre mes dents serrées.
— Jungkook.
Je relevai le visage et rencontrai le regard fermé de Seokjin, derrière le bar, à même pas un mètre de moi, en train de sécher un verre d'un chiffon. Il le déposa parmi ses congénères et en prit un nouveau, sans me quitter des yeux, comme s'il avait été programmé pour accomplir cette tâche sans avoir à réfléchir aux mouvements.
— Si tu ne te sens pas bien, tu vas te reposer.
J'avais compris mon erreur, élever la voix ou oublier les règles de politesse était très inapproprié ici. Un soupir sortit d'entre mes lèvres tremblantes et je me redressai lentement sur ma chaise de bar.
— Excuse-moi, chuchotai-je, les yeux vides, je ne sais pas ce qu'il m'a pris. Je vais prendre commande...
Je descendis de mon tabouret, le regard au sol, et trainai des pieds jusqu'à ma zone de service. Ma nuque me piquait, Seokjin devait m'avoir à l'œil. J'entendais rire, mais j'étais tellement dans mes pensées que je ne reconnus pas à qui ce son appartenait. Ce ne fût que quand je m'adressai à mes clients, que la surprise sur mon visage pouvait se lire à travers un mur.
— Salut Jungkook ! S'écria la voix enjouée de Lisa.
Elle, Hoseok, Jimin et Haneul me faisaient face, tous assis autour d'une table rectangulaire. Les deux jeunes femmes me regardaient en souriant, Lisa se faisant ramener à l'ordre par le regard noir de son petit-ami. Jimin me fixait sans réelle expression, si ce n'était que de la curiosité mélangée à une certaine inquiétude.
— Tu travailles ici ? Reprit la même, ignorant les avertissements muets d'Hoseok.
— Oui, répondis-je simplement en écrivant le numéro de la table sur mon carnet.
— T'es gaucher ?!
— Lisa ça suffit, s'agaça son conjoint.
Elle croisa les bras à sa poitrine, gonflant les joues alors que son copain leva les yeux au ciel. Haneul lui fit part de quelque chose par ses signes de main et Lisa secoua légèrement la tête de droite à gauche.
— Ambidextre, rectifiai-je sans un regard. Vous avez choisi ?
Ils me donnèrent leur commande que je notai rapidement dans mon carnet et partis rejoindre le bar, sous les regards appuyés de Jimin sur ma personne. Le connaissant, il avait dû se douter que quelque chose n'allait pas, putain.
Je demandai à Seokjin s'il pouvait préparer leurs demandes pendant que j'allais me rafraîchir le visage. Ce qui était évidemment faux, mais même si je n'aimais pas mentir, je ne voulais pas qu'on ait de la pitié pour quelqu'un comme moi. Il ne me répondit que d'un murmure en me faisant une œillade inquiète, sûrement dû à mon teint aussi blanc que la Lune. Mon ventre bouillait, j'avais l'impression qu'il allait exploser à tout moment si je ne faisais rien.
Avant de passer la porte noire du fond sous les regards interrogateurs de Yoongi qui s'installait au piano, je vérifiai l'heure à la grande horloge illuminée au mur.
Quinze heures cinquante-huit.
Merde.
Un haut-le-cœur me prit soudainement, et je me précipitai à travers le couloir en laissant la porte claquer après mon passage. Le cri résonnait encore à l'intérieur de mon crâne, s'intensifiant comme s'il voulait briser sa boîte d'os et sortir pour venir hurler mon erreur aux oreilles.
— Jung-Jungkook, qu'est-ce que t-t'es devenu ? Demanda-t-elle dans la pénombre entre deux sanglots.
— Tais-toi !! Ordonnai-je en regardant le plafond, comme si je m'adressai aux cieux. Laisse-moi tranquille !!
Un liquide acide me chatouilla le fond de la gorge, et je dû mettre ma main devant ma bouche pour éviter de déposer une galette au milieu du couloir. Avant de franchir les toilettes communs au personnel, Ashes, je vis mon patron, vers l'escalier en colimaçon me regarder avec un léger étonnement. Une veste élégante d'un vert irlandais habillait son tronc où on pouvait apercevoir un sous-pull noir. Il s'était changé, il était en sweater ce matin en allant chercher sa fille.
Sa fille.
Que les dieux soient irréels pour un croyant.
Un second haut-le-cœur et je poussai sans réelle force la porte des toilettes, manquant de perdre l'équilibre en me dirigeant vers une cabine ouverte. Mon corps se pencha en avant, mes genoux heurtèrent le sol carrelé, et mon souffle se coupa net lorsque le même acide gratta ma langue pour venir tomber nonchalamment dans la cuve.
Deux bras encerclèrent d'un coup mon torse alors qu'une seconde vague immonde venait rejoindre la première. Ce contact déchargea un courant électrique qui me paralysa tous les membres, circulant dans toutes mes veines, tous mes nerfs, et gela mes yeux écarquillés.
Je ne sentais plus mon corps trembler, ni mes poumons se rétrécir dans leur prison d'os, ni ce qu'il se passait autour de moi jusqu'à ce que, avec une force venue de je ne savais où, je frappe d'un coup de coude celui où celle qui me tenait le torse.
Je tombai sur les fesses, l'arrière de mon crâne frappant la cloison.
La sensation n'avait pas disparu.
Mais... Il n'y avait personne ?
Je commençai à me gratter les côtes par dessus ma chemise blanche, mon corps me démangeait comme après être tombé nu dans un champ d'ortie. Des orties empoisonnées qui diluaient leur venin à travers mon entrée, me faisant devenir fou. Qui me tenait par derrière ? Je crus entendre un rire, un rire que je connaissais, c'était celui de Mina.
Les rires se baladaient partout autour de moi, comme la Terre et le Soleil, et mes pupilles en l'air tentaient de voir ne serait-ce qu'un bout de corne noire, ou de jambe ténébreuse. Mais il n'y avait rien, et plus je cherchais, plus ils devenaient fort jusqu'à me faire froncer le visage de douleur.
Je n'arrivais plus à respirer, du sable comprimait mes poumons et la seule odeur qui me vînt fût une odeur alcoolisée.
— Jungkook !
Lâchez-moi. J'ouvris les yeux pour voir si mon patron était présent, mais la lumière artificielle me brûla soudainement les yeux, et je me mis à crier de douleur.
Je sentis qu'on me secouait, deux poings tirant ma chemise, et assommant ma voix. Je ne savais pas combien de temps était passé.
— Jungkook !
Ce n'était pas la voix de mon patron, pourtant, j'étais sûr qu'il était présent.
Une seconde fois, je levai mes paupières très légèrement, et un fin sourire se dessina sur le visage inquiet de Jimin.
...Jimin ?
Qu'est-ce qu'il faisait là ?
— Jungkook regarde-moi ! Ordonna-t-il aux abois.
Je ne sentais plus rien, que faisaient mes mains ? Que faisaient mes jambes ? Je crois que qu'elles glissaient contre le sol, tentant se repousser une présence invisible. Je devais trembler si violemment qu'une personne extérieure aurait cru à des convulsions.
— Jungkook ! Hurla-t-il pour de bon.
Je me figeai, les yeux collés aux siens, à présent colériques.
— Qu'est-ce qu'il y a ?
— M... Mes ca-cachets... Bégayai-je tant bien que mal en tentant de contrôler ma respiration.
— Tes quoi ?!
— Mes cachets ! M'écrirai-je, le faisant sursauter.
Il tâta mes poches de pantalon, s'excusant à chaque contact qui me frigorifiait. Je me sentais pitoyable. Cela faisait tellement longtemps que je n'avais pas eu de crise violente. Peut-être douze ans depuis la plus grosse de ma vie.
— Ils sont où ?!
— Dans... Tentai-je d'articuler pour ne pas avoir à répéter. Dans ma l-loge...
Je ne savais plus ce qu'il s'était passé par la suite. Des voix plus ou moins angoissées me tournaient encore autour, Jimin était devenu qu'une image floue, vibrante, je croyais m'être évanoui pendant quelques secondes avant de sentir du mouvement. Mais on ne me déplaçait pas, mes sens gonflaient comme si j'avais pris une affreuse drogue, et une nouvelle nausée préparait son voyage pour l'extérieur.
Je ne savais pas encore combien de temps étaient passés jusqu'à ce qu'on me fasse avaler mon médicament avec de l'eau. Tout dégoulina dans mon œsophage brûlant, et ce merveilleux don de la nature qu'était l'eau calma doucement mon corps. Un soupir passa la barrière de mes lèvres et mes paupières se fermèrent.
Il n'y eu plus d'odeur d'alcool, et je ne pouvais pas voir combien de personnes étaient présentes dans la pièce.
J'avais l'impression que depuis mon arrivée, moi qui voulait une nouvelle vie, tout s'empirait encore plus qu'avant. Et les sentiments prenaient de plus en plus le dessus, comme là, où je sentis des larmes rouler sur mes joues, jusqu'à ce que j'y apporte mes doigts pour tester la réalité. C'était mouillé.
Jimin était toujours devant moi, assit contre l'autre cloison, un peu reculé, et m'observait, l'air pensif, reprendre un souffle normal.
Sa frange blonde se divisait en deux parties, allant sur les côtes de son front qui tiquait à la moindre pensée. Son pouce caressait le coin de ses lèvres, le coude appuyé sur un genou. Il me fixait mais, comme si j'étais un objet invisible, inexistant. Son esprit était ailleurs que dans son corps, en train de réfléchir à je ne savais quoi.
Ses yeux me regardaient sans me voir.
Après tout, c'était ce que je vivais depuis la mort de mon frère à l'égard d'autrui.
Les minutes passèrent dans un silence horriblement bruyant. Les pensées de Jimin semblaient sortir de son crâne et venaient faire écho dans la pièce, où il n'y avait que nous deux.
— Je suis désolé... Murmurai-je, tête baissée.
Je sentis son regard, même s'il n'avait pas bougé. Il était seulement revenu sur terre à mes paroles.
— Désolé pour quoi ?
Ma main vint me frotter le visage, exténué. Je me massai les yeux, la lumière était toujours trop forte mais me brûlait moins les rétines. L'eau était une pommade.
La voix de Jimin était calme, mais quémandante de réponse. Il se retenait de poser des questions, je le sentais, mais ce n'était pas le moment, et il semblait très bien l'avoir compris. Sa perspicacité allait finir par me faire peur, un jour.
— Pour ce que tu viens de voir...
— Est-ce que tu te sens mieux ?
Je relevai le visage vers lui, un peu étonné. Son regard m'incitait à répondre à cette simple question.
— Je crois...
— Tant mieux, ça fait effet vite tes trucs, fit-il avec un léger sourire pour détendre l'atmosphère en regardant la petite boîte dans sa main libre.
— Jimin... Repris-je, baissant à nouveau le visage sur ma ceinture de pantalon. Je ne veux pas de questions... s'il te plaît...
— Regarde-moi Jungkook.
Comme un enfant prit en faute, j'exécutai son ordre non sans une légère appréhension. Son visage était la parfaite définition du sérieux, tellement que quelques années en arrière après avoir touché le fond, je me serais oublié.
Un regard lourd, des sourcils légèrement froncés, et une mâchoire crispée.
— Est-ce que je peux au moins te poser une question ? Demanda-il sur un ton neutre.
J'hésitai. Je lui faisais assez confiance mais les murs avaient des oreilles, quoi qu'on dise. Un soupir.
— Quoi comme question...?
Je n'arrivai pas à tenir mon regard dans le sien, alors je le baissai un peu pour venir fixer son sweater rouge, devenant très intéressant.
Les tic-tacs de ma montre résonnaient dans mon crâne, comme s'il ne restait plus longtemps avant la fin, que tout allait finir par basculer, et qu'à peine après m'être un peu entouré, tous allaient m'abandonner comme un déchet sur une autoroute. Une autoroute conduisant à l'autre monde, celui où tout est blanc et tellement silencieux qu'on entendait le sang circuler dans nos veines.
Ça devait être bien, un repos éternel.
— Est-ce que tu as traversé la frontière interdite ?
Je compris directement le sens de sa phrase, tellement que mon cœur manqua un battement, et une décharge électrique me paralysa sur place. Mes mains devinrent moites, ce que je voulais en dernier se passait à ce moment-là. Cette tournure qui cachait énormément de sens contradictoire, où une seule réponse maladroite ou avouée à la mauvaise personne pouvait faire basculer une vie devenue tranquille, à une vie se résumant au riz et à l'isolement.
Un souffle tremblant sortit seul, et à peine eus-je bougé les lèvres qu'il me coupa en me montrant la paume de sa main qui était à son visage :
— Ne crois pas que je veuille savoir pour ensuite te laisser pourrir avec tes démons, Jungkook. Fit-il calmement. Je ne poserai pas plus de questions, tu en as ma promesse, j'attendrai le jour où tu te sentiras d'attaque pour m'en faire part. Car je veux t'aider, j'ai déjà sauvé Haneul, je peux le faire pour toi. Même si je sais que je ne suis pas un super héros.
Sauver Haneul ?
Je tentai de chercher un brin de moquerie, de pitié dans ses paroles ou dans ses pupilles, mais je ne voyais qu'un océan calme de sincérité. Un océan à perte de vue où aucune île mensongère ne gâchait le tableau.
— Je sais que vous êtes complètement différent, mais je ne peux pas dire que tu es pire qu'elle en termes de mal-être, car la douleur est relative. Je ne peux juste pas rester indifférent face à une personne qui supplie de l'aide, surtout pas à une personne aussi brillante que toi, Jungkook.
Voyais-tu vraiment quelque chose briller au fond de moi Jimin ? Je ne voyais plus d'espoir depuis longtemps; tout était noir quand je fermais les yeux outre le regard rouge de Mina. J'avais honte de ce que j'étais, de comment j'étais envers les autres. Je voulais me terrer six pieds sous terre sans jamais prévenir la moindre personne. Car de toute façon, ma disparition passerait inaperçue à l'égard des autres. J'avais honte de mes pensées, de mes gestes, de moi, tout simplement.
Un jour, je voudrais tellement voir un ange passé et qu'il me dise tout bas, je suis là pour toi.
— Mais je veux juste savoir... Reprit-il doucement. Juste savoir à quel degré sont tes démons... Ne me donne pas d'explications, j'attendrai, répond moi simplement par oui, ou par non. Je sais que tu ne crois plus en ces mots Jungkook, mais je veux vraiment t'aider à aller mieux, et que plus tard, tu deviennes une personne aveuglant les autres à ton passage, car tu seras guéri.
Je sentais la boule d'angoisse dans le bas de mon ventre grossir, je ne savais pas si je devais lui répondre ou pas. Dire que ses mots ne m'avaient pas touchés serait un euphémisme, car ils retentissaient encore dans mon crâne, écrasant sans pitié les rires de Mina qui persistaient. Je reniflai.
Aucun de nous ne parlait, Jimin attendait patiemment, et moi, j'hésitai. Mon cœur battait à tout rompre, pourtant, je savais que je pouvais croire en ses mots, mais je n'y arrivais pas. Je ne pouvais plus le faire.
Je levai un œil vers lui, qui avait croisé ses jambes en tailleur, et ses mains pianotèrent quelques secondes son téléphone avant de le remettre sans sa poche, et de me regarder à son tour. Un léger sourire que j'ignorai à moitié tira ses lèvres, me disant aie confiance.
Je savais qu'il n'y avait personne d'autre dans la petite pièce, mais au cas où, je tournai la tête vers les lavabos. La porte était fermée, et aucun corps ne fissurait le cadre. Jamais je ne m'étais ouvert à quelqu'un, sauf à ma mère quatre ans auparavant, mais pas à mon père ni à mes frères. De toute façon, mon père et Jihyung étaient morts depuis bientôt onze ans, et je n'avais plus vu Jihyuk depuis cinq ans. Nous ne nous étions pas recontacté après notre appel, et c'était très bien comme ça.
Tremblant, incertain, je pris une grande inspiration, attirant les orbes sérieux de Jimin sur moi. Je sentais les larmes me piquer les yeux, et son visage de flouait, ne devenant qu'une image où des tonnes de filtres se superposaient.
Et honteusement, après quelques minutes à peser le pour ou le contre, j'articulai tout bas :
— Oui... Je l'ai franchie...
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