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Avant mes dix ans, je n'avais fait qu'une seule crise. Une crise très violente dont je ne souhaitais pas me souvenir.
C'était Jihyung, mon second grand frère qui y succombait le plus souvent à cause de son cœur fragile. Il était âgé d'une seule année en plus par rapport à moi, ce qui faisait que nous étions très proche l'un de l'autre. Ma relation seul à seul avec Jihyuk n'a jamais été rose, c'était la présence de celui-ci qui adoucissait nos tensions. C'était comme ça depuis toujours, lorsque nous étions tous les trois, je m'entendais bien avec lui.
Nous habitions dans une grande maison non loin de Busan, dont mon père avait hérité de son oncle après son décès. Il y avait un grand jardin où couraient non stop nos trois chiens, et à une centaine de mètres, un grand lac qui s'étendait entre les collines. C'était un ancien cratère de volcan. Et quelques fois, avec Jihyung en rentrant de l'école du village, nous jouions aux jeux que nous avions inventés dans ces zones là. Personne ne savait à propos de nos petites escapades derrière le dos de nos parents. Au lieu de passer par la ferme sur notre chemin, nous passions par les bois afin de rejoindre le lac.
Je me souviens qu'il y avait une ancienne gare à côté de ce lac, une gare abandonnée où les rails n'étaient utilisés que très rarement. C'était là où nous continuions de jouer. On avait trois jeux, le Jambes à planche qui consistait à sauter sur les rails le plus de traverses possibles avec plus ou moins d'élan, le Rapide mortel où nous devions toucher en premier l'eau du lac après avoir couru à travers la forêt, et le Jeu de la survie. Celui-ci était notre préféré. Papa nous avait acheté des pistolets à billes la veille, je nous revoyais en salle de classe en train de trembler de hâte d'être le soir afin de les tester.
Mais je me souviens aussi que ce fut la première fois que ce jeu pouvait être risqué. Rare était les fois où l'un de nous gagnait, les matchs finissaient toujours égalité. Les règles étaient simples, sur une distance et un nombre de balle discutés, nous devions toucher l'autre le plus possible en courant et en se cachant si le territoire nous donnait cette opportunité. Ce jour-là, alors qu'on jouait à ce jeu avec nos nouveaux fusils à billes, Jihyung m'avait devancé. Il avait déjà franchi les rails alors que moi, je venais à peine de commencer à descendre la pente.
Au loin, un des rares trains qui passaient sur cette ligne arrivait. Sauf qu'il était hors de question que je m'arrête et que je doive faire les devoirs de mon frère. Alors en arrivant près des rails, je les avais enjambées, et le train n'était plus très loin. Ce que je n'avais pas prévu, c'était que mon pistolet me glisse des mains et tombe sur les traverses. Alors je m'étais arrêté et j'avais regardé la locomotive arriver de plus en plus près.
— Jungkook !
Je n'avais pas entendu l'appel de Jihyung, je ne voulais pas perdre le cadeau que m'avait fait Papa.
— Jungkook !
Je m'étais élancé pour le récupérer.
Le soir, plongé dans les ténèbres de ma chambre, je ne trouvais pas le sommeil. A chaque fois que je fermais les yeux, je revoyais le train me passer sous le nez à quelques centimètres, et le vent me frapper le visage. J'avais l'impression que des fourmis rongeaient encore ma peau à cause de sa brutalité.
Quand j'allais mal, j'avais pour habitude de rejoindre Jihyung dans son lit pendant qu'il dormait. Je ne voulais pas parler de ce qu'il s'était passé à mes parents, je voulais garder notre liberté de rentrer tout seul les soirs. Cette nuit-là, ne trouvant pas le sommeil, je m'étais donc levé et avais ouvert ma porte de chambre. Je fus surpris de voir que celle de mon frère, face à la mienne, était entrouverte et allumée. J'entendais de mauvaises respirations.
Je ne savais pas pourquoi ce souvenir m'était revenu quand j'avais vu Seokjin assit contre le mur, soufflant dans un sac plastique. Peut-être parce que les situations se ressemblaient. Reprenant mes esprits, je poussai d'une main à l'épaule le serveur à ses côtés, prenant ainsi sa place. Je n'avais pas fait attention au contact physique.
— Qu'est-ce qu'il s'est passé ? Demandai-je en gardant mon calme au membre de la cuisine.
— Il allait prendre les plats pour Lee Minho et sa femme, et s'est écroulé soudainement. Ca fait déjà quelques minutes que ca dure, ses respirations s'empirent depuis.
— C'est parce qu'il se fout une putain de pression à tout vouloir faire seul, cogna Taehyung en s'arrêtant devant Seokjin. C'est tout le temps comme ça !
— Ah ouais ? Répliquai-je en le regardant sans ciller. Vous n'avez qu'à vous occuper à y arranger si vous êtes habitué à être confronté à ce genre de chose !
Mon patron fut d'abord surpris de mes propos, puis fronça les sourcils. J'ignorai, ce n'était pas en voulant éteindre les flammes par les flammes que Seokjin allait se calmer, au contraire.
— Est-ce que les plats sont prêts ? Je m'adressai de nouveau au membre de la cuisine.
— Oui, ce sont ceux sous les cloches.
Je le remerciai, puis partis les chercher sur bar à réception. Je savais que Seokjin ne voulait pas qu'on empiète sur son travail, mais dans la situation où il se trouvait, il valait mieux que quelqu'un prenne les choses en main avant que la patience du couple n'atteigne sa limite. Je savais aussi que je n'étais pas forcément la personne qui pouvait précéder le sous-chef mais si personne ne faisait quelque chose, le côté dont parlait Seokjin à la réunion serait celui de la chute du commerce. Adieu l'étoile, et face à mes actes, peut-être adieu mon job dans les deux cas.
Je sortis de la cuisine avec un regard lourd de la part de mon patron. Il me tapait sérieusement sur le système ce soir. Puis comme si rien ne s'était passé, j'allai servir nos clients en faisant attention de ne pas me tromper sur leur commande. Je n'avais bien sûr pas oublié de regarder ce que Lee Minho avait demandé, j'allais avoir l'air bête s'il se retrouvait avec la commande de sa femme. A leur regard, ils se demandaient pourquoi le serveur avait changé, mais je ne leur dit rien à part bon appétit en reprenant les cloches. Un dernier œil en arrière avant de retourner en cuisine, un sourire ornait leurs visages, et j'allai retrouver Seokjin. Rien n'avait changé sauf quelques serveurs qui s'étaient arrêté dans leur travail pour se regrouper autour de la vedette. Taehyung s'était un peu éloigné de la scène, bras croisés sur son torse et épaule appuyée contre l'encadrement de l'entrée principale de la cuisine.
De mes mains, je balayai les personnes en trop en leur demandant de bien vouloir le laisser respirer et de retourner travailler. Ce qui ce fit plus ou moins rapidement. L'Homme était bien trop curieux lorsqu'une personne était en danger, tout le monde veut voir, veut savoir le pourquoi du comment, et c'était souvent ça qui mettait encore plus en danger la victime.
Je me retrouvai seul dans le petit couloir avec Seokjin et Taehyung, toujours à l'écart. Dix secondes après, on m'apporta un gant et de l'eau, et je commençai à éponger son front trempé de sueur.
Dix-neuf heures trente-et-un.
Ses yeux étaient vides, son torse ne cessait de se lever furieusement comme si un monstre était coincé à l'intérieur, et ses jambes et ses mains donnaient l'impression de convulser. Je croyais voir mon grand-frère, douze ans plus tôt, assit dans son lit, et moi, calme, me préparant à le soigner d'une crise d'angoisse. Comme cette fois là, je me mis devant lui, et passai mes deux jambes de chaque coté. Je faisais attention qu'il n'y ait aucun contact direct. Mes pieds touchaient le mur, et mes genoux étaient obligés d'être fléchi contrairement à quand j'avais neuf ans. En tapotant doucement son front, je m'étais mis à lui chuchoter : c'est ce qu'il s'est passé tout à l'heure qui te fait ça ?
— Lee Minho te met une telle pression ?
Je sentais le regard de mon patron me piquer la nuque.
Pourquoi tu réagis comme ça ? Il ne s'est rien passé de grave.
— Tout se passe bien, ne force pas sur ton cœur à vouloir la perfection.
Je suis toujours en vie, regarde, c'est moi qui prend soin de toi là, pas un ange.
— A chaque fois que je les regardai, un sourire déformait leur visage. Il y avait aussi des rires.
Enfin, les pupilles tremblantes de Seokjin rencontrèrent les miennes.
Quand on y retournera, on ne jouera plus au Jeu de la survie sur les rails.
— J'ai apporté leur plat, ils n'ont rien demandé au fait que le serveur ait changé.
Du coin de l'œil, je vis Taehyung bouger après que quelqu'un l'ai appelé du bar. Il disparut derrière la porte.
Peu à peu, ses respirations sifflaient de moins en moins, le sac plastique ne se gonflait plus comme avant, et ses paupières semblaient lourdes. Je renouvelai l'eau de mon gant et continuai de lui rafraichir le visage. Il baissa ses mains de sa bouche, laissant le sac tomber sur la moquette noire du couloir. Je lui souris. Voilà, c'est bien, t'es sur la bonne voie.
Mon patron revint d'un soupire las, il tenait entre ses doigts quelque chose de brillant. Je me levai, et allai à sa rencontre. C'était une bague sertie de diamants qu'il regardait d'un œil curieux. Je lui pris des mains.
— A qui avez-vous volé ça ? M'écriai-je.
— Quel vol ?! Répliqua-t-il presque furieux. Lee Minho me l'a donné !
— Ah oui j'avais oublié qu'il était homosexuel !
— Pas du tout ! Il me la donné discrètement parce qu'il veut qu'on la cache dans le dessert de sa femme ! Je fis un grand sourire.
— Une demande en mariage ?
— C'est maintenant que tu percutes ?
Je me précipitai vers Seokjin, qui me suivait du regard depuis que je l'avais quitté. Devant son nez, je lui tendis la bague.
— Voilà la preuve ! Il veut faire sa demande ici et ce soir ! Il prit le bijou entre ses doigts et l'observa. Le travail que tu as fait paye, ça veut dire que Lee Minho se sent assez bien pour se lancer dans une nouvelle aventure avec, on l'espère, sa future femme !
— Je croyais que c'était déjà sa femme, baragouina-t-il enfin.
— Il faut croire que non.
On se tourna d'un même geste vers Taehyung, auteur de cette nomination à la réunion. Celui-ci fuyait nos regards, avant de finalement laisser glisser le siens tour à tour sur nous deux.
— Quoi ? Grinça-t-il. Ça ne vous arrive jamais de vous tromper ?
Quelle mauvaise humeur celui-là. Est-ce qu'il était vraiment comme ça depuis tout petit ?
Je soupirai, et me reconcentrai sur Seokjin avec un sourire. J'avais réussi à calmer sa crise, tout allait pouvoir repartir sur de bonnes bases pour la fin de cette soirée aux mille émotions. Et moi, j'allais pouvoir aussi continuer de servir mes clients.
Je me redressai sur ma hauteur, et lui tendis ma main en le fixant.
Tu viens ? On y retourne.
☯︎
Vingt heures vingt-neuf.
Lee Minho et sa fiancée avaient quitté le restaurant pendant ma pause. Par chance, j'ai pu voir sa demande en mariage, et la réponse qui lui a été attribuée. La bague avait été cachée sous un petit gâteau qui accompagnait son thé, et tous les clients s'étaient tournés vers eux au cri de surprise de sa future femme.
J'avais eu le temps de dessiner cette scène dans un petit carnet que je gardais toujours dans ma poche. De la où j'étais, dans ma zone de service, j'avais eu un superbe plan. Les lumières rouges et blanches allaient super bien, et le décor donnait un effet encore plus dingue, plus sensuel. Mais ce qui accompagnait le tout, était le piano en arrière plan. Mon esprit avait aussi pris une photo de cet instant, afin de peut-être le ressortir un jour pendant un tournage ou à l'écriture d'une histoire. Après la réponse positive de la part de la nouvelle fiancée, Seokjin était allé prendre sa pause plus tôt que prévu.
Je l'avais obligé à boire, et à aller se reposer maintenant que tout était terminé. Le sourire aux lèvres, je sortis de Heaven en m'étirant. Ma pause était finie, le travail reprenait pour une heure et demie avant d'aller pouvoir me fondre dans les bras de Morphée.
Je baillai un coup, et des bruits de pas me firent tourner la tête en direction de l'escalier en colimaçon, au fond du couloir.
Taehyung en descendait, vêtu d'une doudoune noire. Il ne m'adressa aucun regard, et parti mollement tout droit, disparaissant ainsi dans la suite du couloir. La porte arrière s'ouvrît, puis claqua quelques secondes après. Encore une fois, il venait de quitter le restaurant pour faire je ne savais quoi.
Ce n'était pas la première fois que je le voyais faire ça. Depuis mon deuxième jour ici, à chaque fois que je terminai ma pause, à vingt heures trente pile, mon patron descendait de l'étage interdit pour partir.
Au début, je pensais simplement qu'il rentrait chez lui comme une personne normale, mais à vingt-et-une heures, il réapparaissait comme par magie. Je le savais car je le voyais passer devant le restaurant et ensuite, il lui arrivait de venir voir comment se déroulait la suite de la soirée après son escapade nocturne.
De plus, je n'en savais pas plus à propos de cet étage, personne n'en parlait, je ne voyais non plus personne y monter, seulement mon patron en descendre à cette heure précise.
De nature, je n'étais pas tellement curieux, mais dans ce restaurant, dans ce triangle humain entre lui, Seokjin et Yoongi, il y avait une ambiance dont je n'arrivais pas comprendre le sens.
Et je n'aimais pas ne pas comprendre quelque chose.
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