𝟸𝟶 ¦ 𝙿𝙾𝙸𝙽𝚃𝚂 𝙳𝙴 𝚂𝚄𝚃𝚄𝚁𝙴¹
𝙲𝙷𝙰𝙿𝙸𝚃𝚁𝙴 𝟸𝟶
ᴘᴀʀᴛɪᴇ ⒈
« Le bonheur, c'est de continuer
à désirer ce qu'on possède. »
— Saint Aᴜɢᴜsᴛɪɴ
Fɪɴ Oᴄᴛᴏʙʀᴇ
Les paysages défilaient derrière les vitres de la voiture qui sillonnait les routes fatiguées des campagnes françaises. Les champs et les villages se succédaient tour à tour depuis qu'ils avaient quitté l'autoroute. La moisson achevée, il ne restait plus que des ballots de paille abandonnés pour agrémenter ces décors bucoliques. L'automne s'était installé, marquant la fin des congés d'été, et Marco avait déjà fait sa rentrée en terminale, près de deux mois plus tôt. Le temps passait si vite que les premières vacances scolaires pointaient déjà le bout de leur nez. La plupart des gens se réjouissaient de pouvoir prendre du repos, de s'envoler vers un coin plus tranquille ou de retrouver de la famille. Et, pour une fois, Marco ne faisait pas exception à la règle. Il ne partait pas bien loin — simplement quelques centaines de kilomètres en direction du sud-ouest, mais il partait pour y retrouver deux personnes importantes qui avaient certainement manqué à sa vie. Marco souhaitait vraiment les rencontrer ; c'était pour cette raison que Gabriel s'était débrouillé pour reprendre contact avec eux, ce qu'il avait finalement réussi après quelques mois de recherches.
Bien qu'impatient, Marco n'en demeurait pas moins nerveux. Afin de se concentrer davantage, son père avait baissé le volume de la musique qui l'aidait jusqu'alors à rester calme. Gabriel traversa un énième village et suivit les indications du GPS qui le guida sur une petite départementale étroite, puis sur un autre chemin où les mauvaises herbes perçaient déjà à travers le goudron. Au bout de celui-ci se tenait une petite maison dont les pierres grises constituant la façade étaient partiellement recouvertes par d'imposantes tiges de lierre. Le portail de la propriété se trouvant ouvert, la voiture s'engagea doucement dans la cour avant de s'y arrêter. Marco scruta longuement la bâtisse, songeant à ce qui l'attendait derrière ses murs, et il sentit son anxiété redoubler. Il glissa un regard à sa gauche, où se tenait son père, et comprit immédiatement que celui-ci ne se trouvait pas dans un meilleur état que lui. La vision qu'ils devaient offrir, tous deux silencieusement immobiles sur leur siège, le fit pouffer.
— Ne rigole pas, répliqua Gabriel en souriant. Je suis sans doute le plus anxieux de nous deux.
Il connaissait bien sûr les parents adoptifs d'Alix, mais leur dernière rencontre en date remontait à sa sortie de l'université. Le vieux couple avait beau s'être montré charmant au téléphone, Gabriel savait qu'il aurait certainement des comptes à rendre sur ces douze dernières années de silence. Mais puisqu'il méritait amplement les reproches qu'il recevrait, le trentenaire prit une grande inspiration avant de sortir en premier du véhicule. Marco suivit son père qui, résigné, s'avança sur le perron pour presser la sonnette. La porte s'ouvrit quelques instants plus tard sur la silhouette d'une femme âgée dont la voix s'éleva pour les saluer.
— Vous allez bien ? lui demanda Gabriel.
— Plutôt bien, ma foi. Ce n'est pas tout les jours qu'on reçoit une telle visite !
Marco vit son père se pencher pour brièvement prendre dans ses bras la petite dame, ainsi que le vieil homme qui se tenait à ses côtés. L'adolescent resta en arrière, intimidé par le couple de septuagénaires qui le dévisageait, même s'il était parfaitement conscient qu'il les détaillait en retour. Gabriel, qui pouvait imaginer sa gêne, posa une main rassurante sur son épaule.
— Marco, je te présente Louise et Amaury.
— Bonjour, les salua-t-il timidement.
Le garçon fit un pas hésitant vers eux. Il rencontrait enfin le couple qui avait élevé sa mère et qu'il pouvait sans doute considérer comme ses grands-parents. Seulement, ils étaient encore des inconnus à ses yeux et Marco ne savait pas trop comment il devait agir avec eux. Son hésitation ne passa pas inaperçue. Louise écarta ses bras dans une invitation silencieuse qu'il aurait pu décliner s'il ne se sentait pas encore à l'aise avec un tel contact physique, mais qu'il accepta finalement. Comme son père avant lui, il dû se pencher légèrement car la vielle femme était plus petite que lui. Elle le relâcha très vite, et Marco lui fut reconnaissant de la retenue dont elle fit preuve car il lui sembla qu'elle aurait aimé le garder contre elle un peu plus longtemps. Amaury l'imita en lui tapotant gentiment l'épaule. Il était beaucoup plus grand que sa femme, et même encore plus grand que Marco dont le visage se retrouva contre son torse.
— Entrez, entrez, les invita Louise. Ne restons pas sur le seuil.
Les Bodt entrèrent dans le couloir et suivirent la maîtresse de maison qui les fit traverser le selon, puis la cuisine avant de ressortir par une porte arrière qui menait au jardin. Il y avait là une petite terrasse en bois qui accueillait une table d'extérieur autour de laquelle Marco et Gabriel furent invité à s'asseoir. Amaury farfouilla dans le buffet à la recherche de petites assiettes, de cuillères et de verres tandis que Louise leur apportait les gâteaux qu'elle avait préparé le matin même.
— Je ne savais pas trop ce que vous aimiez, alors j'ai fait un peu de tout ! Prend donc ce que tu préfères, mon chéri.
— Il ne fallait pas vo- te donner autant de mal, se reprit Marco.
— Ça me fait plaisir, lui assura-t-elle. C'est un peu le pêcher mignon des grands-parents de gâter leurs petits-enfants.
L'adolescent lui adressa un sourire gauche. Il n'avait jamais eu de grands-parents jusqu'à présent, alors comment aurait-il pu le savoir ? Louise se rendit probablement compte de sa maladresse, car elle eut un regard désolé à l'intention de Gabriel.
— Tu sais, Marco, commença Amaury, tu n'étais qu'un bébé quand on t'a vu pour la dernière fois. Alors aujourd'hui, on peut dire que tu es aussi un inconnu pour nous, admit-t-il. On ne demande qu'à te connaître un peu, si tu es d'accord. Pour commencer... Quel gâteau tu préfères ?
Il y avait là un moelleux au chocolat, des muffins aux pommes et un cake à la carotte. Marco pointa finalement ce dernier et Louise, tout sourire, s'empressa de lui en couper une part généreuse. Le couple posa d'autres questions à Marco qui s'appliqua à y répondre, d'abord timidement, puis de manière plus spontanée lorsqu'il commença à se détendre. À partir de là, il chercha lui aussi à en apprendre davantage sur ses grands-parents dont il ignorait tout.
— L'idée d'être enceinte me terrifiait, lui confia Louise au fil de leur conversation. J'en avais entendu assez sur la douleur de l'accouchement pour savoir que, non, ce n'était définitivement pas pour moi ! Pourtant, je voulais des enfants. Je ne voulais simplement pas les concevoir moi-même. On s'est donc assez naturellement tourné vers l'adoption.
Amaury s'éclipsa quelques secondes, le temps pour lui d'aller chercher deux gros albums photos dans la commode du salon.
— Nous avons pu adopter notre premier enfant, Noah, l'année de mes trente ans.
Louise ouvrit l'un des albums et désigna la photo d'un nourrisson au visage rond qui devait approcher les six mois. En tournant les pages, Marco vit ses grands-parents, plus jeunes et tout sourire, qui posaient avec ce même bébé sur d'autres clichés.
— Noah est né sous X, expliqua Louise. Nous l'avons adopté alors qu'il était pupille de l'État, quand il avait tout juste quelques mois. Tout s'est très bien passé et, six ans plus tard, nous avons eu envie d'un deuxième enfant. Il a fallut reprendre à zéro toute la procédure, refaire un dossier... Il est plus difficile d'adopter un enfant quand on en a déjà un, car certains organismes préfèrent se tourner vers des personnes qui n'en ont pas encore. Nous avons du nous montrer beaucoup plus patient avant de pouvoir adopter Alix, qui avait une situation très différente de celle de Noah.
Marco reconnu sa mère grâce aux tâches de rousseurs qui ornait son visage enfantin. Contrairement à son frère adoptif, les premiers clichés la montrait alors qu'elle avait déjà cinq ou six ans.
— Alix n'a jamais été reconnue par son père qui est partit peu après sa naissance, poursuivit sa grand-mère. C'est sa mère qui l'a élevée pendant les premières années de sa vie. Seulement, c'était une femme qui traversait une grosse dépression et qui avait déjà beaucoup de mal à s'occuper d'elle, alors s'occuper d'une enfant... Elle a essayé d'être une bonne mère pendant cinq ans avant de décider que, dans l'intérêt d'Alix, elle ferait mieux de renoncer à son autorité parentale sur elle. C'est un peu triste, mais les couples qui souhaitent adopter se tournent plutôt vers des enfants qui sont plus jeunes. Cela ne nous gênait pas, alors quand on nous a parlé de son dossier, on a tout de suite décider de l'adopter.
Louise laissait à Marco le soin de tourner les pages, lui permettant de s'attarder autant qu'il le souhaitait sur les photos de sa mère. Gabriel lui avait évidement montré celles qu'il gardait d'elle, mais c'était la première fois qu'il voyait à quoi elle ressemblait lorsqu'elle était plus jeune. En revanche, il y eut bien une chose qui le déstabilisa ; Alix souriait très peu sur les clichés et regardait rarement l'objectif.
— J'imagine que ton père t'a déjà un peu parlé d'elle. Cela va peut-être te surprendre, lui dit Amaury, mais Alix n'était pas vraiment rayonnante quand elle est était petite. Elle était bien sûr très gentille, mais aussi très discrète. Elle parlait peu, alors on avait parfois du mal à savoir ce qu'elle pensait. En revanche, on a très vite remarqué qu'elle aimait beaucoup créer des choses de ses mains. Il lui arrivait de nous dessiner, de nous donner des formes en origami... C'était sa manière de communiquer, conclu-t-il.
— Je crois qu'elle nous aimait bien, mais qu'elle avait du mal à se sentir vraiment intégrée dans notre famille. Noah n'avait que deux ans de plus qu'elle, mais ils ne partageaient pas du tout les mêmes centres d'intérêts. Alix se sentait aussi oppressée par sa maladie, soupira tristement Louise. Les médecins avaient beau lui répéter que l'épilepsie n'était pas si grave, qu'elle devait juste faire attention aux crises, elle ne l'entendait pas de cette oreille. Et Dieu sait qu'elle était têtue ! Quand elle avait une idée en tête, impossible de la faire changer d'avis.
La jeunesse d'Alix défila sous les yeux de Marco qui s'attaqua au second album. Arrivé à la fin de son adolescence, il eut l'impression qu'elle était moins présente sur les photos, mais qu'elle souriait davantage.
— On dirait qu'elle est plus heureuse ici, commenta-t-il.
— C'est vrai, confirma Amaury. À quinze ans, elle a demandé à partir en internat dans un lycée qui se spécialisait dans les matières artistiques. On a tout de suite vu le changement ! Elle s'est mise à sourire, à rire ; elle est devenue plus enjouée, même plus taquine. C'était un plaisir d'enfin la voir aussi épanouie.
— Ceci dit, ajouta Louise en souriant, elle n'a jamais été aussi heureuse que lorsqu'elle était avec vous deux.
Le garçon constata que l'album contenait également quelques photos de son père, puis de sa mère lorsqu'elle était enceinte de lui. Il s'attarda sur un cliché en particulier qui lui plu beaucoup ; allongée sur le dos, Alix le maintenait contre sa poitrine tandis que ses minuscules doigts de nourrisson caressaient le pelage blond de Théia. Sa mère les regardait tous les deux avec une tendresse dont il aurait aimé pouvoir se souvenir... Quand à la chatte, Gabriel lui avait dit qu'elle était malheureusement morte peu après sa propriétaire ; de chagrin, sans doute.
— On a recueilli un chat, en début d'année, dit-il alors.
— Vraiment ? Comment s'appelle-t-il ?
— Jupiter, répondit Marco qui lui montra une photo de leur boule de poil sur son téléphone. On vous le présentera, la prochaine fois.
— Il n'aime pas trop la voiture, expliqua Gabriel. Je l'ai laissé à Étienne pour le week-end.
— Étienne Beaumont ? Comment vont-ils, lui et sa sœur ? s'enquit Louise.
— Bien, je crois. On se voit régulièrement.
Les Bodt restèrent pour le week-end. Louise et Amaury leur proposèrent bien de prolonger leur séjour, mais ils avaient un engagement à tenir en début de semaine, une dernière chose à faire avant de pouvoir laisser cette histoire derrière eux. Alors même si cette tâche n'était pas des plus réjouissantes, ils étaient plutôt pressés de s'en acquitter au plus vite. Marco affirma en revanche qu'il serait heureux de revenir d'ici la fin des vacances, soit une petite semaine plus tard, pour passer à nouveau quelques jours ensemble. Ses grands-parents en furent ravis.
— Oh, Gabriel ? l'interpella Louise tandis qu'ils se disaient au revoir. Amène donc les Beaumont avec toi, quand ils seront disponibles. Ça nous ferait plaisir de les revoir.
Gabriel promit de leur partager l'invitation à la première occasion. Lorsque Louise prit Marco dans ses bras, il en profita pour lui souffler quelques mots à l'oreille.
— Il y a aussi deux personnes que j'aimerais bien vous présenter, si vous êtes d'accord.
— Mais bien sûr, mon chéri ! J'ai hâte de les rencontrer, affirma-t-elle aussitôt.
Cette fois-ci, ses grands-parents le gardèrent un plus plus longtemps contre leur cœur avant de le laisser s'en aller.
𝟸𝟷𝟽𝟷 ᴍᴏᴛs
ᴀ̀ sᴜɪᴠʀᴇ...
𝘢𝘭𝘭𝘦𝘻 𝘴𝘢𝘷𝘰𝘪𝘳 𝘴𝘪 𝘤'𝘦𝘴𝘵 𝘷𝘳𝘢𝘪𝘮𝘦𝘯𝘵 𝘮𝘢𝘭𝘪𝘯 𝘥'𝘪𝘯𝘵𝘳𝘰𝘥𝘶𝘪𝘳𝘦 𝘥𝘦𝘴 𝘱𝘦𝘳𝘴𝘰𝘯𝘯𝘢𝘨𝘦𝘴 𝘢̀ 𝘭𝘢 𝘧𝘪𝘯 𝘥'𝘶𝘯𝘦 𝘩𝘪𝘴𝘵𝘰𝘪𝘳𝘦 𝘣𝘶𝘵 𝘢𝘯𝘺𝘸𝘢𝘺 𝘫𝘦 𝘷𝘰𝘶𝘭𝘢𝘪𝘴 𝘳𝘦𝘯𝘥𝘳𝘦 𝘢̀ 𝘮𝘢𝘳𝘤𝘰 𝘴𝘢 𝘧𝘢𝘮𝘪𝘭𝘭𝘦 <3
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