𝟷𝟼 ¦ 𝙻𝙴𝚂 𝙿𝙴𝚄𝚁𝚂 𝙰𝙼𝙾𝚄𝚁𝙴𝚄𝚂𝙴𝚂¹
𝙲𝙷𝙰𝙿𝙸𝚃𝚁𝙴 𝟷𝟼
ᴘᴀʀᴛɪᴇ ⒈
« Il est grand temps
de rallumer les étoiles. »
— Guillaume Aᴘᴏʟʟɪɴᴀɪʀᴇ
Dᴇ́ʙᴜᴛ Mᴀʀs
Allongé sur son lit, Marco relisait tranquillement un cours de géopolitique tout en caressant distraitement le chaton qui s'était lové contre son flanc. Visiblement mécontent du peu d'attention qu'il lui témoignait, le petit animal étira ses membres et descendit du lit avec une souplesse digne de sa condition féline. L'adolescent le regarda partir avec un petit sourire en coin, sachant pertinemment qu'il n'irait pas bien loin. Un instant plus tard, il l'entendit miauler dans le couloir. Le garçon se leva à son tour pour rejoindre le chaton qui, sans surprise, faisait les cent pas en haut de l'escalier. Marco leva les yeux au ciel lorsqu'il lui adressa un nouveau miaulement impatient.
— Tu es assez grand pour les descendre tout seul, tu sais ?
Après tout, il arrivait parfaitement à sauter de perchoirs bien plus hauts que ces pauvres marches, à commencer par son propre lit dans lequel il lui plaisait d'élire domicile. Pourtant, leur nouvelle boule de poil animée semblait réticente à l'idée de s'élancer dans un chemin aussi sinueux jusqu'au rez-de-chaussée. Faisant preuve de bonne foie, Marco souleva le petit corps dans ses mains et partit le déposer au pied des escaliers. Le chaton s'éloigna aussitôt pour rejoindre Gabriel de ses petites pattes. Une fois arrivé dans la salle à manger, il s'accrocha à la jambe de son humain préféré pour lui signifier sa présence. Le trentenaire le hissa sur ses genoux où il s'amusa à tirer sur un fil de son pantalon.
— Non mais quel ingrat, s'offusqua faussement Marco, traité comme un simple ascenseur.
Le garçon s'approcha, saluant au passage Étienne qui terminait de boire un café.
— Vous lui avez trouvé un nom ? s'enquit-il justement en désignant le félin.
Gabriel l'attrapa entre ses doigts pour l'élever sur la table.
— Dis bonjour à Jupiter, lui présenta-t-il.
L'avocat approcha son bras pour serrer sa petite patte droite entre son pouce et son index dans une poignée de main très sérieuse. Le chaton lui-même en fut si surpris qu'il oublia de griffer cet inconnu qui osait toucher sa personne si impudemment. Étienne était décidément un drôle de personnage : profondément sérieux, il dégageait pourtant une certaine rêverie qu'on pouvait méprendre pour de la lassitude, de l'étourderie ou une simplicité d'esprit. Les Beaumont étaient très différents l'un de l'autre, mais Marco les appréciait beaucoup tous les deux. Il se demandait parfois comment son père les avait rencontré ou pourquoi il ne les avait jamais croisé auparavant, alors même qu'ils semblaient si bien s'entendre.
Les Bodt rencontraient régulièrement du monde, du beau monde, mais Gabriel se contentait toujours de sourires polis, presque forcés, et ne parlait que de choses triviales pour meubler la conversation. Dans ses souvenirs, Amélie ne s'embêtait pas de son mari qu'elle abandonnait volontiers à la première occasion pour quémander l'attention des élites de la société. Les costumes le mettaient peut-être en valeur, mais Gabriel semblait bien plus à l'aise dans son sweat-shirt bleu ciel, des chaussettes roses aux pieds, un chat dans une main et les cheveux décoiffés. Marco avait l'impression de redécouvrir son père, celui qui se cachait derrière le masque, celui qu'Amélie n'avait jamais pu aimer. Le garçon en venait même à s'interroger sur les raisons qui les avaient poussés à rester ensemble si longtemps, étant donné leurs divergences évidentes. Enfin, tout ceci ne serait bientôt plus que de l'histoire ancienne, au plus grand soulagement de chacun.
— Ça avance, votre affaire ? demanda-t-il finalement aux deux hommes.
— Pas trop mal, lui répondit Gabriel. J'ai réussi à convaincre Amélie d'accepter le divorce à l'amiable. C'est d'autant plus pratique qu'on a très peu de choses à partager. Elle peut être butée, mais elle n'est pas sotte. On est encore jeune, on a largement le temps de refaire nos vies plutôt que de s'embêter avec une histoire qui n'aurait jamais pu fonctionner.
Le trentenaire songea aux négociations houleuses qu'il avait menées au téléphone. Faire entendre raison à sa femme fut aussi compliqué qu'il aurait pu l'imaginer, mais il y était malgré tout parvenu. Son dernier argument concerna les parents Chevalier, ces vieux bourgeois qui ne supportaient pas le moindre échec, et certainement pas la rupture d'un mariage qu'ils considéraient sacré selon la tradition chrétienne. Ils ne pouvaient pas permettre une telle disgrâce qui entacherait leur image si durement acquise auprès du monde. Seulement, Gabriel avait bien fait comprendre à Amélie qu'il ne comptait pas baisser les armes si facilement et qu'il userait de toutes les cartes en sa possession si elle venait à lui mettre des bâtons dans les roues, quitte à informer le juge de ses nombreuses infidélités — dont il s'était toujours moqué. Le divorce judiciaire leur promettant une publicité peu glorieuse, s'entendre à l'amiable sur les termes de leur séparation constituait sans conteste leur meilleur option à l'un comme à l'autre.
— D'ailleurs, en parlant du divorce, commença Marco.
Il s'humecta les lèvres, cherchant ses mots.
— Je me demandais si... Enfin, qu'est-ce que ça implique pour moi ?
Bien que Jean l'ait rassuré, il s'inquiétait encore d'une possible garde alternée. Un divorce par consentement mutuel supposait que les époux se mettent d'accord sur les conditions de la rupture de leur contrat de mariage, ce qui touchait également à l'autorité parentale. Et l'adolescent trouvait étonnant le fait qu'on ne lui ait pas encore demandé son avis sur ce sujet qui le concernait directement. Dans un premier temps, Gabriel ne sembla pas comprendre sa question. Il se tourna vers Étienne qui s'arrêta de caresser Jupiter pour lui adresser un regard appuyé et étrangement mystérieux. Marco ne se formalisa pas de leur réaction et préféra déballer sans plus attendre le fond de sa pensée.
— Je- Je veux rester avec toi.
La bouche de son paternel s'ouvrit dans une expression muette alors qu'il venait de réaliser les tourments de son garçon. Il cligna plusieurs fois des yeux, comme s'il n'avait jamais songé à cette problématique, ce que Marco trouva très surprenant. En toute logique, les avocats des époux Bodt avaient nécessairement soulevé ce point lors de l'élaboration de leur convention de divorce. Pourtant, Gabriel paraissait sincèrement pris de cours. Finalement, il se leva en s'éclaircissant la gorge avant de faire un pas vers son fils pour le prendre dans ses bras. S'il en fut légèrement interloqué, ce dernier ne refusa pas pour autant ce contact.
— Bien sûr, l'entendit-il lui répondre avec une certaine émotion dans la voix. C'est promis.
Son père lui frotta gauchement le dos. Lorsqu'il s'écarta de lui, Marco aurait juré que ses yeux brillaient. Derrière eux, Étienne s'était levé, jugeant qu'il ferait mieux de partir s'il ne voulait pas rentrer trop tard chez lui — au grand mécontentement de Jupiter qui aurait aimé se faire câliner plus longtemps. Il remercia Gabriel pour le café et l'hôte insista pour le raccompagner jusqu'à la porte d'entrée.
— Attends-moi là, dit-il à son fils, j'aimerais te montrer quelque chose.
Une fois que leur invité eut pris congé, le trentenaire se rendit à l'étage pour y chercher quelque chose. Marco s'installa sur le canapé pour patienter, tout en se demandant quelle mouche avait soudainement piqué son père. Quand ce dernier redescendit, il tenait contre lui un objet de forme carré plutôt imposant. La nervosité se lisait sur son visage, mais il prit tout de même place à côté de son fils, lequel le regardait avec de grands yeux curieux.
— Je t'ai promis des réponses, et je pense qu'il est grand temps que tu les obtiennes. J'avais entassé ces choses au grenier, il y a des années. Amélie ne supportait pas de les voir. Et parfois, soupira Gabriel, moi non plus. J'ai dû faire pas mal de rangement pour les retrouver. Il y a énormément de ces... souvenirs que tu mérites de voir. Je ne savais pas vraiment où commencer, mais finalement, j'ai choisi celui-ci.
Ses doigts se crispèrent autour du gros livre qu'il serrait. En s'y intéressant de plus près, Marco songea que son épaisseur conséquente lui donnait des airs d'album photo. Son père le déposa finalement sur les genoux du garçon.
— J'aimerais que tu le regardes. Pas forcément maintenant ; tu peux le prendre avec toi et l'ouvrir quand tu voudras. Ensuite, promit-il, je serais là pour répondre à tes questions.
Étienne et l'avocat de sa future ex-femme venaient tout juste de terminer la rédaction de la convention nécessaire à son divorce. Gabriel priait simplement pour qu'Amélie la signe dans deux semaines, sans créer de plus amples problèmes, afin qu'ils puissent la déposer chez le notaire. Après quoi, les époux seraient enfin divorcés et le trentenaire se trouvera en mesure de se concentrer pleinement sur son fils. Il posa sa main sur la joue de ce dernier, caressant de son pouce ses taches de rousseur qui lui rappelait celles d'une autre.
— Je ne sais pas comment tu vas réagir à tout ça et je mentirais en disant que ça ne me terrifie pas, avoua-t-il. Mais quoi qu'il puisse arriver, quoi que tu puisses découvrir, je veux que tu saches que je n'ai jamais cessé de t'aimer.
Ce ne fut que lorsque Gabriel s'éloigna vers son bureau que Marco baissa ses yeux un peu brillants vers l'objet volumineux qu'il lui avait confié avec tant de précaution. Sur la couverture en kraft de l'album, quelqu'un avait inscrit son prénom en lettres noires, puis argentés, pour le faire ressortir. L'espace restant était recouvert d'étoiles en tous genres, de minuscules planètes, de quelques astéroïdes, d'une fusée à la dérive et d'un cosmonaute qui tenait une petite fleur. Les dessins avait été faits à la main, grâce à des feutres fins et pailletés. Les mains tremblantes, Marco glissa ses doigts derrière la couverture colorée qu'il souleva lentement afin de dévoiler la première page du livre. Il eu le temps d'entrevoir le coin d'une photographie avant de s'arrêter net pour refermer vivement l'album. Non, il ne pouvait pas faire ça aujourd'hui, pas encore. Il avait longtemps attendu que son père soulève le voile du secret qui entourait sa famille, mais maintenant qu'il était en mesure de le lever, il se sentait à la fois curieux et anxieux. Marco se redressa et, serrant l'album contre lui, il monta les escaliers pour rejoindre sa chambre. Il se promis de le regarder bientôt, quand il se sentirait un peu plus courageux.
𝟷𝟽𝟶𝟶 ᴍᴏᴛs
ᴀ̀ sᴜɪᴠʀᴇ...
𝘥𝘦𝘴 𝘵𝘩𝘦́𝘰𝘳𝘪𝘦𝘴 ? :)
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