𝟷𝟸 ¦ 𝙵𝙰𝙲𝙴 𝙰̀ 𝙻𝙰 𝙵𝙾𝚄𝙳𝚁𝙴³
𝙲𝙷𝙰𝙿𝙸𝚃𝚁𝙴 𝟷𝟸
ᴘᴀʀᴛɪᴇ ⒊
Assis sur une chaise plutôt confortable, Jean ne prêtait pas grande attention au bureau dans lequel il se trouvait convoqué avec Arashi. La tête légèrement inclinée, il préférait de loin regarder la fenêtre au fond de la pièce qui lui donnait une belle vue sur l'immense châtaignier qui poussait devant la façade de l'établissement. Il n'y avait pas à dire, cette vision lui était plus agréable que la sale tête du garçon qu'il avait d'ailleurs amoché un peu plus tôt. Jean se fit la réflexion que ce n'était pas très malin de les réunir dans la même pièce au vu des récents évènements, mais l'éducation nationale n'était pas réputée pour sa logique transcendantale. Dans leur dos, la présence silencieuse du surveillant de service leur rappelait néanmoins qu'ils ne devaient pas se jeter l'un sur l'autre. Les deux garçons l'avaient vaguement jaugé du regard au passage pour en conclure que ce n'était certainement pas cet hurluberlu trop fainéant qui réussirait à les séparer s'ils décidaient effectivement de reprendre leur combat de coqs. Ils patientèrent encore pendant de longues minutes avant que leur CPE ne les rejoigne, un air profondément irrité sur le visage. C'était une femme dans la quarantaine que Jean avait eu l'occasion d'apercevoir à plusieurs reprises, sans lui avoir déjà adressé la parole. Fidèle à son rôle, elle s'habillait toujours d'un long manteau brun assorti de chaussures à talons qui faisaient résonner chacun de ses pas lorsqu'elle arpentait les couloirs de long en large. Madame Bernhard referma la porte et vint s'asseoir derrière son bureau, croisant les bras en signe évident de mécontentement.
— Bon, j'ai entendu dire que vous vous étiez battu dans les couloirs. C'est drôle, ironisa-t-elle, j'ai l'impression de superviser des collégiens. Mais qu'est-ce qui vous a pris ?
— C'est très simple, avança Arashi, je n'ai rien fait.
— C'était une question purement rhétorique, jeune homme, rétorqua la CPE. Je me fiche de savoir qui a donné la première gifle. Sachez que j'ai lu votre dossier sur le chemin, Monsieur Burasuto, une bien longue lecture si vous voulez mon avis. On dirait que vous avez quelques problèmes avec vos professeurs, vos camarades et plus simplement la majeure partie de ce bâtiment. Vous n'êtes parmi nous que depuis quelques mois, mais on peut dire que vous avez fait une entrée fracassante.
Le japonais se renfrogna et s'enfonça un peu plus dans son siège, contrarié qu'on lui ferme ainsi son clapet. De son côté, Jean observait en silence deux petits oiseaux qui s'étaient posés sur une branche de l'arbre. Madame Bernhard débuta alors un long monologue sur l'usage de la violence, prohibée par le règlement intérieur au sein de l'enceinte scolaire, leur rappelant que leur comportement était puérile et irréfléchi. Cette leçon de morale, aucun des deux garçons ne sembla vraiment l'écouter sérieusement. Devant leur air buté, elle finit par pousser un profond soupir.
— Ce que vous avez fait est très grave, affirma-t-elle, cela ne restera pas sans conséquences. Je vais réfléchir à la question, mais gardez à l'esprit que vous risquez une exclusion temporaire des locaux. Vos parents seront naturellement prévenus de la situation.
Jean pâlit un peu à cette idée. La CPE chargea ensuite le surveillant présent de raccompagner Arashi jusqu'à sa classe, ce qu'il fit avec un air vraiment ennuyé. Le châtain se retrouva ainsi seul avec la propriétaire du bureau qui l'intimidait un peu en le scrutant de la sorte.
— J'ai également lu votre dossier, Monsieur Kirschtein, lui dit-elle enfin. Ce fut rapide. Vous ne semblez pas être du genre à créer des problèmes, alors j'aimerais bien comprendre ce qu'il s'est passé aujourd'hui.
Le garçon baissa les yeux, gêné par l'intensité de son regard. Il n'avait aucune intention de lui expliquer en détails les raisons qui l'avaient poussé à agir imprudemment, alors il demeura muet. Probablement déçue, Madame Bernhard se détourna de lui au moment où l'on frappa à sa porte. Elle invita le nouveau venu à entrer et la tête de Monsieur Shadis apparue dans l'entrebâillement.
— Désolé de vous déranger. Puis-je parler à Jean un instant ? requit-il.
— Je vous en prie. De toute manière, je dois aller prévenir le proviseur de cette histoire, souffla la CPE.
Elle rassembla rapidement quelques dossiers qu'elle prit sous son bras et s'éclipsa. Le professeur referma la porte derrière elle, puis il se saisit de la chaise précédemment occupée par Arashi qu'il avança un peu avant de s'y asseoir.
— Sans vouloir me vanter, je pense bien vous connaître, Jean. Certains collègues vous trouvent un poil insolent, mais je sais que vous faites partie de ceux qui sont profondément bons. C'est pour cela qu'à mon avis, vous n'auriez pas fait ce que vous avez fait sans une bonne raison.
Le châtain fut touché de voir que son enseignant avait une telle estime de lui, au point qu'il en vienne à prendre sa défense alors qu'il avait fait quelque chose de vraiment répréhensible. Il imaginait aisément que d'autres ne devaient pas se gêner pour parler dans son dos en salle des professeurs, là où sa réputation laissait à désirer. Il aurait sincèrement aimé pouvoir se confier à Monsieur Shadis, mais ses lèvres étaient scellées.
— Je suis vraiment désolé, répondit-il en toute honnêteté, mais ce n'est pas à moi de vous le dire.
— D'accord, je comprend. Si jamais vous décidez d'en parler à quelqu'un, je suis là.
Monsieur Shadis avait l'habitude de vouvoyer ses élèves, mais la manière dont il insista sur le pronom au pluriel interpella Jean qui se demandait si son professeur se doutait de quelque chose. Finalement, on l'invita lui aussi à retourner en cours, ce qu'il fit avec une certaine appréhension. Lorsqu'il était parti faire sa fête à Arashi, il ne pensait pas que les choses iraient aussi loin. Bien sûr, il voulait lui asséner deux ou trois droites pour lui faire ravaler son sourire, croyant bêtement qu'il s'en irait rejoindre Marco le plus rapidement possible. Si les remontrances des pions ou de la CPE ne lui avaient fait ni chaud, ni froid, cette simple pensée lui fit réaliser qu'il avait vraiment fait n'importe quoi. Il était très inquiet pour son ami qu'il avait abandonné au pire moment possible, sans un mot à son égard, et craignait que les choses se soient mal passées en son absence.
Jean rejoignit sa classe la boule au ventre, se forçant à reprendre contenance avant d'ouvrir la porte. Il avait préalablement toqué, mais leur professeur de philosophie était si sénile qu'il ne se rendit absolument pas compte de sa présence. En revanche, les élèves présents se tournèrent tous vers lui et commencèrent à chuchoter entre eux. Le châtain comprit aux coups d'œil frénétiques qu'il recevait que la nouvelle n'avait pas tardé à faire le tour du lycée. Il s'imaginait déjà les rumeurs complètement déformées qui circulaient à son sujet et auxquelles il ne portait que peu d'intérêt. En le voyant dans l'encadrement, Bertholdt se leva discrètement pour le rejoindre et l'attirer dans le couloir. Encore une fois, leur vieux professeur se sourcilla pas, déclamant d'une voix chevrotante les plus belles répliques de Socrate qu'il gardait précieusement dans sa mémoire, étonnamment préservée par son grand âge.
— J'aurais bien voulu rester tout à l'heure, mais on m'a gentiment fait comprendre de retourner en cours. Désolé pour l'accueil un peu glacial, soupira le brun. Tu te doutes qu'on a essayé de calmer le jeu avec Gaitō, mais ce n'était pas évident.
— Ce n'est pas le plus important, lui assura Jean. Où est Marco ?
En parcourant des yeux la classe, il n'avait pas repéré son ami parmi les élèves assis. Bertholdt eut une grimace, ce qui ne le rassura pas du tout.
— Mikasa l'a emmené à l'infirmerie, lui apprit-il. Il a vomi.
Le visage du châtain blanchit sur-le-champ. Bertholdt n'eut pas besoin de lui conseiller d'aller le retrouver qu'il était déjà parti au pas de course, dévalant les marches des escaliers quatre à quatre. Dehors, le froid de janvier lui picota la peau tandis qu'il traversait la cour pour aller s'engouffrer dans le bâtiment d'en face. Il prit le premier couloir sur sa gauche et se hâta jusqu'à l'infirmerie dont il ouvrit vivement la porte menant à sa salle d'attente. Depuis le banc où il était assis, Marco leva aussitôt vers lui des yeux rouges et gonflés, mais brillants d'espoir. À ses côtés, Mikasa poussa un soupir rassuré. Comme trop souvent, l'infirmière était aux abonnés absents. Elle se redressa en silence, puis, jugeant qu'il valait mieux les laisser seuls, elle passa derrière Jean pour s'éclipser. Avant qu'elle ne sorte, celui-ci la remercia dans un murmure pour tout ce qu'elle avait fait aujourd'hui. Ensuite, il s'approcha rapidement de Marco et s'agenouilla face à lui, observant avec inquiétude les traits tirés de son visage.
— Eh, je suis là.
— Où tu étais passé ? lui répondit le brun d'une voix brisée.
Le cœur de Jean se serra alors qu'il vit ses beaux yeux se remplir de larmes. Il posa ses mains sur ses joues tachetés, terrifié à l'idée d'y voir se former des sillons d'eau salée.
— Pardon. Pardon, répéta-t-il à la manière d'un mantra. Ne pleure pas.
Les lèvres encore tremblantes, Marco entoura de ses bras le cou de son ami pour venir se blottir contre lui. La vérité frappa de nouveau Jean : il avait merdé en beauté. Peu importait Arashi, peu importait sa colère, il aurait dû faire passer Marco en premier comme il l'avait toujours fait jusqu'à présent. Si Mikasa et son remarquable sang-froid n'étaient pas intervenus, la situation aurait très vite pu déraper, pour l'un comme l'autre des garçons. À cette idée, le châtain serra un peu trop fort le corps qui battait contre le sien, mais son propriétaire ne s'en plaignit guère. Maintenant qu'il se trouvait en sécurité dans ses bras, quelques larmes de soulagement furent étouffées au creux de son épaule. Sans se défaire de cette étreinte dont ils avaient tous deux grandement besoin, Jean releva la tête afin de chatouiller la tempe de Marco de son nez.
— Tu vas bien ? murmura-t-il.
— Mieux, affirma le brun. Il a essayé de... Bref. Vous avez fait du bruit en arrivant, alors il est parti. Sinon...
Le garçon laissa sa phrase en suspens, trop dégoûté pour exprimer de vive voix ce qui aurait pu arriver dans ces toilettes. Le châtain le sentit frissonner et, à son tour, les choses qu'il imagina sans le vouloir lui donnèrent envie de vomir. Il ferma vivement les yeux, tachant de se rappeler qu'ils venaient probablement d'éviter le pire. Mais pour combien de temps encore ? Ses poings se serrèrent à l'idée que des tels évènements puissent se reproduire à l'avenir. Se souvenant qu'il ferait mieux de se soucier de ce qui ne tarderait pas à lui tomber dessus, il sortit son téléphone et se résolu à envoyer un rapide message à sa mère. Il préférait lui apprendre de lui-même le beau pétrin dans lequel il s'était fourré. Marco se mordit la lèvre en songeant à la déception qu'aurait Marie en découvrant toute cette histoire.
— Tu n'aurais pas dû faire ça, lui fit-il remarquer. Je comprends pourquoi tu l'as fait, mais c'est vraiment moche.
— Je sais. C'était bête.
Le brun hésita avant de déposer un baiser furtif sur ses cheveux clairs.
— Merci quand même, lui souffla-t-il à l'oreille. J'espère que tu lui as foutu les pétoches. Rien qu'un peu.
Jean laissa échapper un petit rire, assez convaincu qu'Arashi se souviendrait longtemps de cette seconde déculottée. Passé ce court instant de légèreté, Marco soupira d'un air las.
— Et maintenant ?
Au même moment, le châtain vit l'écran de son téléphone s'illuminer, le prévenant qu'il avait reçu un nouveau message. Bertholdt l'informait que leurs affaires se trouvaient au fond de la salle, à côté de la porte qu'il avait déverrouillée pour leur permettre de s'éclipser discrètement. Décidément, leur ami excellait dans l'art de leur montrer le chemin à suivre. Jean se releva, puis il tendit sa paume ouverte au garçon qui le regardait en souriant.
— Viens, on rentre.
Marco attrapa sa main sans attendre et le suivit hors de l'infirmerie. Ils firent un détour pour récupérer leurs sacs et manteaux avant de patienter quelques minutes de plus dans la cour, le temps qu'une nouvelle heure se soit écoulée et que le portail leur permettant de sortir ne s'ouvre. Ils venaient de passer l'une des pires journées de leur vie et le froid leur gelait le bout du nez, mais leurs mains emmêlées leur rappelèrent à l'un comme à l'autre qu'ils n'étaient plus seuls.
𝟸𝟶𝟽𝟺 ᴍᴏᴛs
ᴀ̀ sᴜɪᴠʀᴇ...
𝘭𝘢 𝘧𝘪𝘯 𝘥𝘦 𝘭'𝘰𝘳𝘢𝘨𝘦... 𝘰𝘶 𝘭𝘦 𝘥𝘦́𝘣𝘶𝘵 𝘥𝘦 𝘭𝘢 𝘵𝘦𝘮𝘱𝘦̂𝘵𝘦 ?
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