𝟶 ¦ 𝙻𝙴 𝙹𝙾𝚄𝚁 𝙳𝚄 𝙷𝙴́𝚁𝙾𝚂³
𝙲𝙷𝙰𝙿𝙸𝚃𝚁𝙴 𝟶
ᴘᴀʀᴛɪᴇ ⒊
Sitôt qu'elle lui avait parlé, Marco s'était douté que Madame Kirschtein ne connaissait pas la vérité concernant l'incident qui l'avait mené chez elle. Si elle avait eu connaissance du harcèlement, elle aurait certainement insisté sur la gravité de la situation auprès de ses géniteurs et exigé que ceux-ci rentrent au plus vite dans le but de porter plainte. Peut-être même l'aurait-elle emmené directement au commissariat sans attendre leur retour, qui n'aurait pu se faire dans la minute. Il n'avait rien contre l'attitude protectrice de cette mère, néanmoins c'était quelque chose qui lui était totalement étranger, et il ne se serait pas du tout senti à l'aise si un tel discours lui avait était tenu. Il remercia donc Jean, d'avoir caché une partie la vérité sans qu'il n'ait eu besoin de lui dire.
— Depuis combien de temps ça dure ? demanda justement le garçon. Tu sais, ce n'est pas la première fois que je les vois s'agiter autour de toi. Dans la cour ou dans les couloirs. Mais j'étais loin de me douter que c'était... aussi grave.
Marco balaya ses regrets d'un geste de la main. Comment pouvait-il blamer un enfant de n'avoir rien vu, alors que des adultes compétents n'avaient même pas été capables de voir ce qui se déroulait une fois qu'ils tournaient le dos ? Son ami n'avait rien à se reprocher, et il tenait à ce qu'il sache qu'il ne le portait pas le moins du monde pour responsable indirect.
— Je ne saurais pas vraiment te dire quand ces choses ont commencées, soupira-t-il. Tout est arrivé progressivement. Ça n'a pas toujours été aussi violent. Pas au départ.
— Tu le situes quand, ce départ ?
— À mon entrée en primaire. Je pense que quelque part, ils avaient déjà commencés à cette époque-là.
Son regard glissa vers la fenêtre, d'où on apercevait le jardin en contrebas. En levant les yeux, il remarqua que le ciel était parsemé de nuages gris et noir. Il allait pleuvoir cette nuit.
— Et tes parents ?
— Ils n'ont jamais rien su.
— Parce qu'ils n'ont jamais cherché à savoir ou parce que tu n'as jamais voulu leur dire ?
— Un peu des deux, avoua Marco. J'ai bien essayé quelques sous-entendus, au départ. J'étais petit, ils ont probablement pensé que je m'adaptais difficilement au système scolaire, qu'il me fallait juste un peu de temps. Je n'en ai plus jamais reparlé. De toute façon, ils sont bien trop absents pour remarquer quoique ce soit.
Même lorsqu'ils étaient à la maison, c'était comme s'ils étaient constamment dans un univers opposé au sien. Les discussions étaient limitées, jamais froides mais juste désintéressées. Ses parents ne cherchaient pas à discuter avec lui, leur propre fils ne les intéressait pas. Ils lui préféraient de loin leurs voyages, comme le prouvaient leurs incessantes discussions sur tel ou tel pays et sa politique, son économie ou sa culture. Marco ne faisait malheureusement pas partie de tous ces paysages.
— Ils te laissent vraiment tout seul ? reprit son ami, coupant le fil de ses pensées.
— Au départ, un cousin de mon père venait me garder. Il venait juste la nuit, il travaillait en journée. Mais il a déménagé l'année dernière. À partir de là, mes parents ont jugé que j'étais assez grand pour rester seul lorsqu'ils partaient en voyage.
— Ils n'ont pas peur ?
— Jamais.
— Et toi, t'as pas peur ?
Il fut surpris par cette remarque. On ne lui avait jamais posé cette question. Même ses géniteurs ne lui avaient pas demandé son avis lorsqu'il avait été décidé qu'il passerait des journées entières seul chez lui. Alors lui demander s'il aurait peur, n'en parlons pas. Il se remémora les nuits d'orages, où il se cachait sous la couette, sursautant à chaque coup de tonnerre. Il ne parvenait jamais à dormir, se contentant de serrer les dents à chaque éclair. Il avait également fait quelques malaises, dont un qu'il ne pourrait jamais oublier. C'était en pleine nuit qu'une douleur à l'estomac l'avait réveillé, il avait tellement mal qu'il en avait pleuré. Tremblant, il avait voulu rejoindre la chambre de ses parents avant de s'effondrer au pied du lit, vide. Il était resté dans les vapes à peine quelques secondes, mais la peur qu'il avait ressenti à la vue des draps parfaitement pliés restera à jamais dans sa mémoire.
Sans s'en rendre compte, Marco avait ramené ses genoux vers lui et les entoura de ses bras. Les souvenirs qu'il revivait n'étaient pas les plus joyeux.
— Si, murmura-t-il. Tout le temps.
Jean eut la présence d'esprit de ne pas faire de réflexion, et lui sourit doucement. Il se laissa ensuite tomber sur le ventre à ses côtés et regarda avec une grande curiosité le bras de son ami. Marco frissonna lorsqu'il sentit un doigt tracer des liaisons entre ses taches de rousseurs.
— C'est dingue, tous ces points. Tu sais, Monsieur Kruger m'a dit que nous étions les descendants des singes. Mais je crois qu'il perd un peu la boule, il est vieux le pauvre, enchaîna Jean d'un air compatissant en parlant de son maître d'école. Toi, je suis sûr que tu descends du léopard avec toutes tes taches !
— Et toi alors, de quoi tu descendrais ? demanda le prétendu descendant des léopards en riant.
— D'un ours ! Parce que j'adore manger et dormir, se justifia-t-il.
Son ami éclata de rire. Il n'osa pas lui dire que ce Monsieur Kruger avait effectivement raison, et qu'ils ne risquaient pas de descendre du léopard ou de l'ours. La naïveté de Jean lui plaisait, une naïveté d'enfant qu'il n'avait pas la chance d'avoir. Ce fut ce moment que choisit sa mère pour entrer dans la chambre après avoir toqué. Elle tenait dans sa main son téléphone, donc elle couvrait le micro.
— Marco ? Ton papa aimerait te parler pour s'assurer que tout va bien.
Elle lui tendit le portable et il la remercia d'un sourire. Puis elle retourna à l'étage inférieur, les laissant seuls. Le petit brun rapprocha son oreille de l'appareil, d'où émanait la voix grave de son père.
— Marco ?
— Oui.
— Que s'est-il passé mon grand ?
— Je suis tombé. Rien de grave, mentit-il avec naturel.
— Bien. Tant mieux. Le reportage sur lequel nous travaillons a prit un peu de retard, il aurait été compliqué d'annuler pour rentrer.
Le garçon se mordit l'intérieur de la joue. Tout était toujours trop compliqué pour eux dès que cela le concernait.
— J'ai parlé avec la maman de ton ami, continua son père. Elle m'a dit que tu allais rester avec eux jusqu'à notre retour. Appelle-moi si tu as un problème. Nous serons de retour dans quelques jours tout au plus.
— D'accord.
— Je dois te laisser. À très vite.
— Oui.
Et il raccrocha. Marco resta songeur quelques instants, comme après chacune de ses maigres discussions avec l'un de ses parents. Il était descendu afin de rendre le téléphone à sa propriétaire, et elle en profita pour lui demander si cela le gênait de dormir dans le même lit que celui de son fils. La maison ne comptait en effet que deux chambres, et le lit étant double, il y avait largement la place pour deux enfants. Il lui affirma donc que cela ne le dérangeait pas du tout.
Elle monta dans leur chambre aux alentours de vingt-deux heures pour leur dire de se coucher. Malgré les protestations de son garçon, elle ne céda pas. Le lendemain était un samedi, et ils n'avaient pas d'école, mais elle jugeait qu'ils avaient eu une grosse journée et qu'il était temps de se reposer.
— Marco, je dois te prévenir, Jean est une vraie pipelette. Tu as le droit de lui mettre du ruban adhésif sur la bouche si l'envie t'en prend.
— Maman ! s'indigna faussement son fils.
— Bonne nuit les enfants !
Sur ce, elle referma la porte. Marco n'avait que son sac de cours avec lui, alors Jean lui prêta un tshirt un peu grand. Il avait prévu de passer prendre des affaires chez lui le lendemain afin de récupérer ce dont il pourrait avoir besoin. Il enleva son propre tshirt et sentit un regard posé sur lui.
— Je crois que tu deviens bleu, nota son ami.
— Où ça ?
— Partout ? se risqua-t-il à répondre.
L'intéressé baissa le regard afin d'inspecter son corps et remarqua qu'il avait effectivement quelques bleus parsemés ici et là. Marco appuya tout doucement sur l'un d'eux, laissant apparaître une grimace de douleur.
— J'ai ce qu'il faut pour ça chez moi, je m'en occuperais demain.
Il termina d'enfiler son haut, et Jean sauta sur le lit. Il prit l'oreiller à sa droite et le lança sur Marco, en pleine tête. Il grogna pour la forme avant de se laisser tomber sur le lit. Les deux garçons s'allongèrent sous la couette, bien au chaud. Au bout de quelques minutes, Marco ne put s'empêcher de demander une chose à son nouvel ami.
— Pourquoi m'as-tu aidé ?
— Pourquoi ne l'aurais-je pas fait ? répondit Jean avec un grand sérieux.
Tous deux se regardèrent dans le blanc des yeux pendant quelques secondes, avant que le brun ne soit touché par sa spontanéité. Jean n'avait probablement pas réfléchi au moment d'entrer dans cette ruelle. Il l'avait fait par instinct. Il l'avait aidé car c'était normal à ses yeux. Et Marco était réellement émerveillé par ce garçon impulsif, mais juste.
Suite à cela, aucun ne parla pendant de longues minutes. Et au bout d'une demi-heure, la pluie se fit entendre, battant les volets. Ce que le garçon redoutait arriva : un coup de tonnerre retentit, lui arrachant un tremblement. Il serra les dents, attendant que le suivant arrive. Mais au lieu de ça, il sentit quelqu'un prendre sa main et la serrer très fort. Il fixa son regard dans les yeux couleurs ambres qui ne le lâchaient pas, et ne sursauta même pas quand vint le bruit sourd. Ce fut ainsi pour tous les autres, et il entendit Jean murmurer dans le noir.
— Et maintenant, tu as peur ?
Il n'y eut aucune hésitation dans sa voix lorsqu'il lui répondit au moment même où un éclair illumina leurs deux visages d'enfants.
— Non.
Depuis, ils avaient toujours tout fait ensemble. Marco avait eu la surprise d'être transféré dans la classe de Jean, sa mère ayant apparemment demandé à ce qu'ils aient les mêmes horaires par soucis de facilité. En les reconnaissant dans les couloirs, Jean avait lancé un regard des plus mauvais aux gamins qu'il avait reconnu, et ces derniers étaient restés le plus loin possible de lui.
Pour finir, ses parents étaient rentrés quatre jours plus tard. Ils n'avaient fait aucune remarque spécifique sur lui, ne parlant comme à l'habitude que de leur nouveau reportage. Chaque fois que ces derniers partaient plus d'une journée entière, Marco allait chez Jean. La mère de celui-ci avait insisté sur le fait qu'elle n'aimait pas le savoir seul, livré à lui-même. Elle faisait tout pour devenir un pilier important de la vie de ce garçon, afin de lui garantir un équilibre permanent.
En à peine quelques mois, les deux enfants étaient devenus les meilleurs amis du monde. Ils s'étaient bien évidement fait d'autres amis, les années passant, et constituaient tous ensemble une joyeuse bande qui ne s'était pas quittée. Cinq ans plus tard, voilà où ils en étaient. Le temps avait passé, et ils avaient tous les deux grandis tant physiquement que mentalement. Mais une chose n'avait pas changé, c'était ce lien qui les reliait.
Et ce lien, Marco ne l'aurait changé pour rien au monde.
𝟷𝟿𝟷𝟽 ᴍᴏᴛs
ᴀ̀ sᴜɪᴠʀᴇ...
𝘷𝘰𝘪𝘭𝘢̀ 𝘲𝘶𝘪 𝘤𝘰𝘯𝘤𝘭𝘶 𝘭𝘦 𝘱𝘳𝘰𝘭𝘰𝘨𝘶𝘦 ! 𝘷𝘰𝘶𝘴 𝘭'𝘢𝘷𝘦𝘻 𝘴𝘶̂𝘳𝘦𝘮𝘦𝘯𝘵 𝘤𝘰𝘮𝘱𝘳𝘪𝘴, 𝘤𝘦𝘵𝘵𝘦 𝘩𝘪𝘴𝘵𝘰𝘪𝘳𝘦 𝘯𝘦 𝘴𝘦𝘳𝘢 𝘱𝘢𝘴 𝘵𝘰𝘶𝘵𝘦 𝘳𝘰𝘴𝘦...
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