— Et maintenant qu'on a plus d'expérience, vous ne pensez pas qu'on pourrait tenter le temple Gwisin ?

Je manquai de m'étouffer avec mon soda et me mis à tousser sous les yeux curieux de mes amis. De mon poing, je me tapai la poitrine en leur faisant signe que ça allait, jusqu'à ce que ma toux ne cesse quelques instants plus tard. Le temple Gwisin ? Etaient-ils sérieux ? Je descendis de mon lit et rejoignis mon bureau où étaient installés Hoseok et Jimin, qui squattaient mon ordinateur sans mon autorisation. Ces deux hurluberlus étaient mes amis d'enfance et nous avions tous les trois développés une passion pour les lieux hantés. Enfin dans mon cas, j'y étais habitué depuis tout petit.

— Tu ne penses pas qu'on devrait attendre un peu ? Proposa Jimin d'une voix faible.

Hoseok leva les yeux au ciel et soupira en descendant la page internet concernant ce lieu situé à une cinquantaine de kilomètres de chez nous.

— Et toi Jungkook, t'en penses quoi ? Me demanda-t-il sans un regard.

Je haussai les épaules.

— On devrait demander l'avis de mes parents avant.

Homme et femme d'affaire le jour, et chasseur de fantôme la nuit, telle était la tradition chez la famille Jeon. Une tradition qui se perpétuait depuis des générations et qui m'avait été transmise dès mon plus jeune âge. Cela faisait près de quinze ans qu'avec mes parents, il nous arrivait de partir sur un coup de tête dans un lieu hanté, et ce, même s'il fallait parcourir le pays pour une seule nuit. Aujourd'hui, mes amis et moi avions vingt-deux ans et depuis bientôt trois ans, nous partions dans des lieux où l'activité paranormale se disait forte. Avant de s'y lancer, on se faisait des soirées de ouija, ou de films d'horreurs sous les conseils de mes parents. En réalité, c'était plus pour les préparer eux, que moi, qui étais un habitué de la chose.

Rare étaient les fois où je réussissais à avoir peur ou une simple frousse en vue de mon habitude. Jimin était plus sensible et était effrayé de la moindre chose, que ce soit d'un simple fauteuil roulant en plein milieu d'un couloir, ou même d'une pièce meublée. Selon lui, une pièce meublée était beaucoup plus effrayante qu'une pièce vide. Malgré cela, il disait être friand des sensations que lui procurait chaque pas dans un lieu regorgé d'histoire plus ou moins extrême. Hoseok, lui, était impulsif jusqu'à la moelle. Il voulait aller partout, même à l'étranger, et surtout aux Etats-Unis. Certaines fois, il lui arrivait de regretter son choix lorsque l'on tombait sur de mauvais esprits, mais une fois sorti, il sautait de joie avec l'intention d'y retourner bientôt.

Seulement, lorsque j'en estimais le besoin, j'allais demander conseil à mes parents qui, on pouvait le dire, pouvaient être nommés comme experts du paranormal. Le temple Gwisin était réputé pour être un lieu où l'activité faisait fuir quiconque. Je n'y suis jamais allé, mes parents me l'interdisaient car selon eux, j'étais encore trop jeune. Ma mère avait réussi à avoir peur dans l'une des chambres du temple, comme un bon nombre de touristes nocturnes.

L'activité était tout autant forte le jour que la nuit bien que cela soit devenu une sorte de musée. Mais la nuit, était le moment où les apparitions se faisaient plus fréquentes. Entre cris, ombres, bruits inexpliqués, et chuchotements, il y avait de quoi attirer les amateurs de sensations. On racontait que ce lieu était l'un des plus hantés de la Corée du Sud après l'hôpital psychiatrique de Gonjiam, que ce soit pour son histoire que pour ses phénomènes paranormaux.

— Tu crois qu'ils vont accepter cette fois ? Demanda Jimin en tournant sur sa chaise.

— Ca ne coûte rien de demander, et maintenant qu'on est en vacances, ils ne pourront pas trouver l'excuse des cours.

Je jetai ma canette de soda à la poubelle et sortis de ma chambre. La nuit était tombée depuis un bon moment, mais étant un vendredi soir, mes parents avaient l'habitude de regarder leurs séries jusqu'à pas d'heure. Ce fut donc en descendant au rez-de-chaussée que je les retrouvais collé l'un à l'autre, devant une nouvelle série qu'ils avaient commencé depuis peu. En m'entendant arriver, ils mirent leur épisode sur pause et je pus passer devant l'écran géant pour leur faire face.

Après négociation durant une bonne dizaine de minutes, j'eus, à ma plus grande surprise, l'approbation de m'y rendre avec Hoseok et Jimin. Comme habituellement, ils me rappelèrent de bien se protéger avant d'y entrer, de contacter les propriétaires des lieux, mais aussi de ne pas jouer avec les esprits qui hantaient ce temple. La plupart étaient très mauvais. Ma mère m'avait ensuite signalée, d'un ton sérieux qui ne lui ressemblait pas, qu'il ne fallait surtout pas provoquer l'esprit du Prince qui séjournait dans sa chambre respective. Selon elle, c'était la pièce qui l'avait le plus marquée et là où elle m'avait raconté avoir eu une peur bleue.

Ses mises en garde m'avaient alors fait sourire tout le long pendant que je rejoignais Hoseok et Jimin à l'étage. Je ne connaissais pas en détails l'histoire des lieux, mais la légende racontait que ce temple était celui où résidait le dernier Roi de la dynastie Joseon, mort en 1919. Il avait deux fils, dont un, le plus jeune, qui était exécrable envers tout ce qui l'entourait. Certains parlaient de maladie mentale, d'autres de paranoïa, ou encore que tout ce qu'il faisait était de sa propre volonté.

La nouvelle annoncée à mes deux meilleurs amis, nous ne perdîmes pas de temps pour chercher le numéro des propriétaires afin de les appeler le lendemain. Comme Hoseok avait une voiture et son permis, ça allait être à lui de nous emmener tandis que Jimin s'occupait de réserver un hôtel non loin des lieux. Faire cent kilomètres en une journée était un peu beaucoup, et surtout après une nuit blanche. Je ne voulais pas rendre l'âme maintenant, des rêves m'attendaient.

Excités d'avoir eu l'autorisation de nous y rendre, nous préparâmes par la suite le matériel que nous prenions à chaque fois ; caméras infrarouges, boitiers EMF qui permettaient de capter des PVE – phénomènes de voix électroniques, détecteurs de mouvements et de rayonnement électromagnétique chaud, ainsi que des PxBoxs, qui permettaient aux esprits de nous parler grâce à leur énergie. Nous embarquâmes aussi un de mes ordinateurs de gamers, qui, grâce à sa puissance, permettait d'avoir une aisance parfaite de l'image et des sons. Jimin, en rentrant chez lui, allait prendre son appareil photo infrarouge qui nous avait permis plusieurs fois de capter plusieurs ombres et silhouettes. Après tout, on s'attaquait à gros en se rendant au temple de Gwisin.

†

Ce fut donc une semaine plus tard que nous nous mîmes en route pour une nouvelle aventure paranormale. Nous avions eu l'accord des propriétaires pour y mener enquête et allions les rejoindre devant ce fameux temple pour qu'ils nous racontent l'histoire de ce lieu. C'était un jour où il était fermé aux touristes, alors nous n'allions pas être déranger pour le visiter déjà de jour afin de repérer quelles pièces pouvaient être intéressantes. Hoseok au volant, moi à ses côtés et Jimin à l'arrière, nous étions tous excités par ce qu'on allait découvrir cette nuit. Nous n'avions pas voulu nous renseigner plus sur les lieux, voulant avoir la surprise par les explications des propriétaires.

— Ma mère était carrément contre le fait qu'on y aille, lâcha Jimin en passant sa tête entre les deux sièges de devant.

— Comment t'as fait pour la convaincre ? Demandai-je en regardant l'indication du GPS.

— Oh ! Il ricana. Elle ne sait pas que je suis parti.

Hoseok et moi fîmes les gros yeux et Jimin ria de plus belle en se remettant correctement sur son siège.

— Mec, tu vas te faire défoncer à notre retour, crâna mon ami conducteur.

— Ca ne va pas être la première fois. Elle se doutera bien d'où je suis, de toute façon. Il s'accrocha à mon siège et s'y avança. Dis Jungkook, tu penses qu'on va pouvoir entrer en contact avec le Roi Kojong ?

Je haussai les épaules et posai le GPS sur mes genoux.

— Je n'en sais strictement rien, avouai-je. Ma mère m'a dit qu'elle avait vu l'un des deux Princes dans sa chambre, et que c'était le lieu le plus hanté du temple.

— Ouuh ! Vite vite, Hoseok, appuie sur le champignon !

Après trois quart d'heure de route, nous arrivâmes enfin à l'hôtel. Il se situait à cinq kilomètres du temple Gwisin. Ses propriétaires et quelques témoins nous avaient donné rendez-vous à quatorze heures devant le portail, ce qui nous permettait de manger tranquillement et de se préparer pour ce soir. Notre chambre rejointe, nous y déposâmes nos affaires et fîmes une nouvelle fois la liste de ce que nous avions pris afin de vérifier si rien n'avait été oublié.

Puis, le ventre plein et les nerfs au bord de l'explosion, nous nous rendîmes en voiture à notre lieu de rendez-vous. C'était la première fois que j'avais aussi hâte de partir en exploration et j'espérais ne pas être déçu. Durant notre court trajet, j'avais informé nos abonnés sur Instagram que nous nous attaquions à très gros. Car oui, nous filmions chacune de nos aventures et ma sœur s'occupait du montage pour y publier sur Youtube. Notre chaine comptait bientôt deux millions d'abonnés et notre plus gros épisode avait atteint trente millions vues. Comme j'étais bilingue coréen-anglais, c'était très facile de faire les sous-titrages afin de toucher plus de personne dans le monde.

Les panneaux affichaient de plus en plus souvent la direction du temple, et, arrivés sur le parking, Hoseok gara sa voiture le plus proche de l'entrée où patientait déjà les propriétaires et deux témoins. Nous leur avions demandé plus tôt s'ils étaient d'accord pour être filmé, ce qui ne posait aucun problème. Alors avant de les rejoindre, Jimin et Hoseok s'équipèrent de leur caméra respective, et, la mallette dans la main, je commençai à introduire le sujet pour notre vidéo. Puis, suivis de mes deux amis et de leurs caméras, je me dirigeai vers les propriétaires et les témoins pour les saluer. Derrière le grand portail rouge, nous pouvions aisément distinguer une partie du toit du temple caché derrière les arbres. Le temps était couvert et l'air lourd.

Les propriétaires étaient un couple d'une soixantaine d'année qui, rien qu'à leurs vêtements, montraient qu'ils appartenaient à la haute société.

— Pouvez-vous nous raconter l'histoire de ce temple ? Proposai-je en déposant la mallette à mes pieds. Il parait qu'il appartenait au Roi Kojong et qu'il s'est passé quelque chose de terrible en son sein.

— Oui c'est exact, acquiesça le vieil homme. A l'époque, ce temple s'étendait sur trente hectares et était la résidence du Roi Kojong, le vingt-sixième roi de la dynastie Joseon et premier empereur de la Corée. Il a régné de 1863 à 1907 et avait deux fils ; Sunjong, l'ainé, et Taehyung, le cadet.

La femme ouvrit le portail et nous invita à pénétrer dans l'enceinte du temple. En chemin, il continua de conter :

— Malheureusement, Taehyung était détesté par les habitants du palais tandis que Sunjong était idolâtré en tant qu'héritier du trône.

Je fus surpris. Un Prince détesté ? Etait-ce lui, dont ma mère m'avait parlé ?

— J'ai lu qu'apparemment, le plus jeune des Princes était atteint d'une maladie mentale, de paranoïa ou, selon d'autres sites, qu'il faisait tout cela par volonté.

L'homme, les mains dans le dos, secoua la tête de droite à gauche. Jimin était parti plus en avant afin de faire des plans de l'immense temple qui se dressait maintenant devant nous. En plus des couleurs magnifiques qui l'ornaient, il était absolument gigantesque et comptait bien six étages. Les témoins, pour l'instant sous silence, nous suivait tranquillement à notre entrée dans le hall de la bâtisse. Tout avait été aménagé pour le transformer en musée, mais à peine avais-je mis un pied à l'intérieur, que des frissons dressaient mes poils de bras.

— Ce ne sont que des mensonges, avoua l'homme d'un soupir. Taehyung manquait cruellement de reconnaissance et cela le poussait à vouloir embêter le monde pour avoir ne serait-ce, qu'un instant d'attention.

— Même ses parents ne le calculaient pas ? Demanda Hoseok, derrière moi avec sa caméra sur l'épaule.

— Beaucoup moins que Sunjong, qui avait toute l'attention qu'il désirait grâce à sa position d'héritier.

Je fronçai les sourcils, sceptique. Une étrange atmosphère traînait déjà autour de nous alors que nous n'étions qu'en début d'après-midi. Les propriétaires nous montrèrent par la suite tout ce qui avait été trouvé et placé en vitrine ; des squelettes, des objets divers, des tableaux et toute sorte d'autres choses. L'homme s'arrêta devant une peinture de famille, qui montrait trois hommes et une femme. Je devinai de suite qu'il s'agissait de la famille royale qui habitait auparavant ce temple, et pour la première fois, voir d'ancien portrait de personne décédées m'apporta une immense tristesse venue de nulle part.

— Cette peinture a été faite trois jours avant l'assassinat de Taehyung.

— Il a été assassiné ? Pourquoi ?

Hoseok s'en approcha, filma la peinture et les visages tandis que Jimin me suivait.

— Les manuscrits de la Reine racontent que c'était à cause de sa personnalité dite « dérangeante pour la prospérité du futur dirigeant ». Taehyung a été assassiné à dix-neuf ans durant son sommeil par les valets du Roi, dans sa chambre.

— Vers quelle heure exactement ?

— Il était environ deux heures du matin.

Un léger sourire aux lèvres, je me tournais vers Jimin et annonçai que cela allait être l'heure où nous allions nous rendre dans la chambre de ce fameux Taehyung afin d'essayer de rentrer en contact avec lui. Les propriétaires nous racontèrent qu'à la suite de la mort du second fils royal, les valets du Roi avaient été condamnés à la pendaison. Mais qu'à peine un mois après sa disparition, la famille Royale et tout leurs subordonnés avaient été obligés de quitter les lieux cause des phénomènes paranormaux qui s'étaient déclencher.

En un mois, près de deux cents personnes avaient été assassinées durant leurs sommeils, et toute de la même manière dont Taehyung avait été lui-même tué, à sang froid. Des bouts de verre venus des vitres brisées se retrouvaient dans leur poitrine, et lorsque le personnel avait commencé à s'enfermer les nuits pour essayer d'échapper à ce mystérieux tueur, rien n'avait changé. Même si l'on barricadait les fenêtres, les vitres étaient toujours explosées comme si la colère des Dieux s'abattait dans la pièce. 

Après enquête, les historiens avaient compris grâce aux écriteaux de la Reine, que chaque personne tuée avait été en contact avec Taehyung de son vivant, et qu'elles avaient été exécrables envers lui. Croyant à une malédiction, la famille Royale s'était donc vue dans l'obligation de quitter les lieux.

Dans les cuisines reconstituées, l'un des deux témoins qui travaillaient ici pris la parole :

— Un jour que je nettoyais les vitres, elle nous désigna l'une des fenêtres, j'ai vu un homme dans le reflet du verre. Lorsque je me suis retournée, il n'y avait personne alors que la silhouette continuait de me fixer avant de disparaître d'elle-même. C'était vraiment bizarre, et après réflexion, j'ai trouvé qu'elle ressemblait au Prince Taehyung.

D'après la dernière « image » du Prince Taehyung, celui-ci avait les cheveux noirs et ondulés jusqu'au niveau des oreilles et un visage parfaitement symétrique. Moi-même qui n'était pas spécialement attiré par les hommes, trouvait que sur une simple peinture, il était doté d'une très grande beauté. Grâce à du ruban adhésif, nous avions fait une croix à l'endroit où nous allions mettre une caméra infrarouge cette nuit. Nous en avions aussi mis une dans un couloir où plusieurs visiteurs avaient dis voir une ombre la traverser, ou rester immobile au fond, ainsi que dans la chambre du cuisinier, qui était le seul ami du Prince.

Pratiquement chaque pièce avait été reconstituée selon les archives, ce qui faisait couiner Jimin lorsque l'on y entrait. Certaines avaient été laissées comme dans le temps lorsque les meubles et la décoration abandonnée n'étaient pas trop abîmés à cause des années passées. Après tout, cela faisait presque cent trente ans que l'endroit était désert. Seulement, alors que nous nous attendions à trouver la chambre du défunt Prince rénovée, comme si quelqu'un y habitait encore, cela n'avait pas été le cas.

Cette pièce, aussi grande soit-elle, était dans un état pitoyable. Il restait les meubles originaux, la décoration et des objets sur le sol. Un sentiment d'oppression me prit soudainement lorsque mes yeux se posèrent sur le grand lit, au fond, qui était fait. Un ours en peluche se tenait en son milieu, et de la mousse ressortait de son ventre. Une atmosphère pesante venait de s'abattre sur nous. A moitié plongée dans le noir, cette pièce donnait l'impression d'être encore habitée, contrairement aux autres. Sans même se concerter, Hoseok fit une croix d'adhésif sur le sol poussiéreux.

La propriétaire s'avança vers le lit par de lent pas.

— Comme vous pouvez le voir, cette pièce n'est pas nettoyée et les objets retrouvés n'ont pas été placés en vitrine.

— Pourquoi ça ? Me permis-je de demander en la suivant.

— Parce que Taehyung ne le veut pas.

Je fronçai les sourcils et échangea un regard avec mes deux amis continuaient de faire des plans de la pièce.

— A chaque fois que l'on veut nettoyer ici, on se fait pousser hors de cette chambre. Si l'on range quelque chose, ça redevient comme avant si on y quitte un seul instant du regard.

— Ca veut dire que l'esprit de Taehyung reste constamment ici ?

— On peut dire ça, même s'il arrive qu'on le rencontre dans d'autres endroits du temple. Certains visiteurs disent avoir entendu des cris, mais il nous est impossible de savoir s'ils proviennent du Prince ou d'un personnel frappé par sa malédiction.

J'eus une mine sceptique. Taehyung tuait-il vraiment toutes les personnes qui osaient l'insulter ? Cela me paraissait un peu gros pour y croire. Et pour en avoir le cœur net, nous allions devoir tenter d'entrer en contact avec lui cette nuit.

— C'est quoi ce nounours ? Demanda Jimin d'une voix peu certaine, la caméra fixée sur la peluche. Pourquoi il a le ventre ouvert ?

Ce fut à l'homme, propriétaire des lieux avec sa femme, de prendre la parole.

— Cet ours appartenait à Taehyung depuis son enfance, expliqua-t-il. C'est l'un des seuls cadeaux que ses parents lui ont fait, et la nuit de son assassinat, il le tenait sur sa poitrine lorsque les valets l'ont poignardé.

D'un coup, Jimin s'écarta du lit en vitesse et nous nous tournâmes vers lui, curieux de sa réaction. Ses yeux semblables à ceux d'un hibou se levèrent vers moi pendant qu'il trafiquait sa caméra. Hoseok le rejoignit.

— Qu'est-ce qu'il y a mec ?

— Les yeux... Il arrêta la vidéo pour la regarder au moment où il filmait la peluche. Ses yeux ont bougé !

Je fronçai les sourcils tandis que les deux témoins et les propriétaires s'échangèrent un regard. J'allai donc vers Jimin en contournant le lit, et passai la tête par-dessus son épaule pour voir la vidéo. Après zoom sur les yeux de la peluche et au signal de mon ami, nous remarquâmes sans grande difficulté qu'en effet, son regard semblait s'être dirigé vers la caméra. Le reflet de l'éclairage dans les perles avaient bougés sans que Jimin ne déplace quoique ce soit, comme si en effet, l'ours ne fixait plus devant lui, mais à côté de lui.

— Cette peluche a un nom ? Interrogeai-je nos quatre accompagnateurs.

— Sooty, répondit la femme.

— Sooty... ?

Je regardai à nouveau l'ours. Voir cette découpe dans son ventre qui ressortait dans son dos me procurait un sentiment vraiment désagréable. J'avais du mal à imaginer que cette blessure avait été la même que Taehyung avait reçue, et que cela faisait plus d'un siècle qu'il était ouvert. Jamais je ne m'étais retrouvé confronté à ce genre d'histoire. Après quelques minutes durant lesquelles on continuait d'inspecter, le second témoin prit à son tour la parole. C'était elle aussi un membre du personnel qui s'occupait du musée.

— La semaine dernière, j'ai fait son lit comme vous le voyez maintenant. Le drap était très lisse et j'avais pris soin de replacer Sooty comme il l'a toujours été. Lorsque je suis revenue dix minutes après, le drap était froissé au milieu comme si quelqu'un était allongé et Sooty était tombé sur le dos. J'ai eu très peur, j'avais l'impression que le Prince Taehyung dormait dans son lit, alors je l'ai laissé tranquille et suis revenue plus tard.

Définitivement, cette nuit s'annonçait des plus palpitantes. 

Le crépuscule arrivait petit à petit et nous finissions d'installer notre matériel ainsi que de faire tous les réglages. Nous allions être enfermé dans ce temple jusqu'à l'aube sans possibilité d'en sortir et j'avais appelé mes parents pour leur montrer toute notre installation. Dans le bureau des secrétaires, j'avais installé mon ordinateur où j'avais connecté les quatre caméras pointées sur différents endroits : la cuisine, la chambre du cuisinier, seul ami du Prince, l'un des couloirs principaux du temple, ainsi que la chambre de Taehyung. Avant de partir, les propriétaires avaient ajouté que durant les dernières enquêtes dans ces lieux, certains avaient eu la chance d'entrer en contact avec le Prince cadet et qu'il s'exprimait en anglais. Cela nous avait assez étonné et comme entre nous trois, j'étais celui qui était le plus à l'aise avec cette langue, j'avais été désigné comme porte parole pour mes deux amis.

A vingt-et-une heures trente, nous fûmes enfermé à clé dans ce lieu réputé pour être l'un des plus hantés du pays. Tous nos appareils avaient été chargés au maximum et chacun de nous avait une PxBox, un détecteur EMF ainsi qu'une caméra chacun. Nous avions aussi placés des détecteurs de mouvements dans le couloir et la chambre du Prince, dans laquelle nous prévoyions de nous rendre à deux heures du matin. Jimin avait son appareil photo sur lui et avait déjà pris quelques photos, notamment du hall ou de quelques couloirs. Toutes les heures, nous devions retourner au secrétariat afin de vérifier si nous avions capté des PME, ou si l'appareil photo infrarouge avait capturé des choses intéressantes.

Mais, avant de commencer, comme à chaque fois avant de partir en aventure, nous nous prîmes les mains et prononçâmes en même temps :

Au Dieu tout puissant,

A tout mes guides,

A tous les guides spirituels, saints, maîtres spirituels,

A tous les Anges et Archanges, en particulier l'Archange Michaël et l'Archange Azraël,

A tous les Anges de la guérison,

Merci pour votre amour divin, merci pour votre protection, pour votre aide et votre guidance.

Cela permettait de protéger notre énergie et notre âme si l'on venait à tomber sur de mauvais esprits. C'était très important de faire un petit rituel de ce genre, et ce, même si l'on n'était pas croyant. Ceci fait, nous passâmes aux choses sérieuses :

— Pour l'instant, nous allons rester tous les trois, fis-je en regardant les quatre écrans de caméra sur mon ordinateur. Ensuite, vers deux heures du matin, nous nous séparerons : Hoseok, tu iras aux cuisines et essaieras d'établir un contact avec l'ami de Taehyung.

— J'en profiterai pour lui préparer un thé tiens.

Jimin ricana à sa remarque et je ne fis que de sourire.

— Jimin, tu te rendras dans le couloir principal pendant que moi, je serai dans la chambre du Prince.

— Ce n'est pas trop risqué le fait que tu t'y rendes seul ?

— Avant de nous séparer, on ira tous ensemble dans ces lieux, ne t'inquiète pas. Allez ! En place.

Les caméras réglées sur le mode infrarouge et le reste de notre matériel dans nos poches, nous sortîmes du secrétariat qui se situait proche de l'entrée, au rez-de-chaussée. Directement, l'ambiance durant la nuit était totalement différente. Seuls les éclairages de nos caméras éclairaient le chemin que nous empruntions et tout paraissait lugubre. Nous commençâmes par nous rendre aux cuisines comme prévu, lorsqu'un grincement provenant de derrière nous glaça sur place. Nous nous retournâmes d'un même mouvement en direction du bruit sans rien voir. Les portes du couloir étaient toutes fermées.

— Vous avez entendu ? Murmura Jimin en nous fixant tout à tour.

Hoseok et moi acquiesçâmes.

— C'était assez proche, fit ce dernier du même ton.

Je sortis de mes poches mon détecteur de rayonnement électromagnétique chaud, l'allumai et le tendis devant moi. Si un esprit était proche, l'aiguille le détecterait et se tournerait en fonction de sa proximité.

— Y-a-t-il quelqu'un ? Demandai-je à voix haute. Nous ne voulons pas vous faire de mal, nous sommes juste là pour vous permettre de raconter votre histoire.

Au même instant, l'aiguille vira au maximum et j'eus subitement froid comme si quelque chose venait de me passer au travers.

— J'ai l'impression d'être observé, jura Jimin en continuant de marcher silencieusement.

— Je crois que ce n'est pas qu'une impression, quelque chose m'a traversé.

Hoseok pointa la caméra sur moi et il eut un moment de silence. Cela faisait à peine dix minutes que nous avions commencé qu'un esprit venait déjà à notre rencontre. Etait-ce celui du Prince, ou d'un membre du personnel ? Cette question me tarauda jusqu'à ce que nous arrivâmes aux cuisines sans plus aucune manifestation de celui qui m'avait passé au travers. Les cuisines étaient là où l'un des témoins avaient vu un homme la fixer à travers les carreaux de la vitre. Selon elle, cela aurait été le Prince qui, apparemment, venait souvent ici pour discuter avec son ami, le cuisinier de la famille Royale. Celui-ci aurait le nom de Seokjin et n'était que de quelques années plus âgées que Taehyung.

Malheureusement, après une trentaine de minutes à tenter d'entrer en contact avec lui ou quelqu'un d'autre, personne ne nous avait donné un quelconque signe de présence. Alors nous nous étions rendu dans la chambre de Seokjin qui était à deux pas des cuisines, lorsqu'on entendit une porte au loin claquer. En vitesse, je sortis ma PxBox et à peine eut-elle été allumée qu'un son en sortit :

« ... Prince... »

Ce n'était pas Taehyung, ce n'était pas de l'anglais.

« ... Je... »

Puis ce fut tout ce que nous arrivâmes à capter. Cet esprit venait de parler du Prince ainé, Sunjong, ou du Prince cadet, Taehyung ? En tout cas, nous ne ressentions plus cette impression d'être observé, ce qui voulait dire que notre suiveur était parti.

Minuit arriva rapidement. Nous avions fait le tour des endroits où étaient disposées des caméras, dont la chambre de Taehyung, mais depuis celle du cuisiner, nous n'avions plus été en contact avec qui que ce soit. A part quelques bruits de pas, grincement inexpliqués ou certaines fois, l'entente de cris effroyables, nous n'avions plus rien capté. Nous étions retournés au secrétariat et avions analysé tout ce que nous avions eus, que ce soit PME, ou les photos infrarouges de Jimin. Par ailleurs, sur l'une d'elles, prise lorsque nous nous rendions aux cuisines et qu'un grincement avait retenti, deux silhouettes pouvaient très facilement se distinguer. L'une semblait timide et se trouvait proche d'une porte close, comme s'il voulait s'effacer, tandis que l'autre, se tenait droit comme un pique et nous fixait. C'était la première fois que nous avions réussi à capturer deux ombres sur une seule et même photo.

Ce trophée nous avait naturellement reboosté à bloc bien que nous n'avions plus rien eu pendant quelque temps. Puis vint le moment de nous séparer ; deux heures du matin arrivait à grand pas et c'était l'occasion de nous rendre chacun dans la pièce que je nous avais attribué. Chacun muni d'un talkie-walkie pour avoir des nouvelles des uns et des autres, nous nous quittâmes à la sortie du secrétariat.

— Faites attention à vous, leur dis-je avec sérieux.

Ils me rendirent la pareille sur un ton enjoué puis, nous partîmes chacun dans une direction opposée. Lorsqu'ils disparurent de mon champ de vision, je me sentis subitement oppressé durant ma marche en direction de la chambre du Prince. Deux heures du matin était bientôt là et j'avais bien l'intention de le forcer à venir vers moi. Quelque chose, au fond de moi, me poussait à vouloir connaître l'histoire qu'il vivait. Peut-être était-ce le fait que nous avions presque le même âge qui me rendait si sensible. Ma caméra dans une main et ma Pxbox dans l'autre, je parcourais les couloirs pour me rendre dans cette fameuse chambre, que l'on disait être la pièce la plus hanté du temple.

Un frisson me parcourut l'échine et sur un coup de nerf, je fis demi-tour sur moi-même. Quelqu'un me suivait. J'en étais certain. Ce sentiment étrange qui entourait mon cœur n'apparaissait que lorsque je me sentais observé.

— Taehyung, est ce que tu es là ? Demandai-je en mettant bien ma PxBox devant moi. Est-ce toi qui me suis ? Tu peux t'exprimer dans cet appareil grâce à ton énergie, je veux que tu me racontes ce qu'il t'est arrivé, rien de plus.

Soudain, ma PxBox se déclencha :

« ...Peace... »

Peace ? C'était de l'anglais, ce qui voulait dire que c'était bel et bien Taehyung qui se tenait quelque part autour de moi.

— Oui, je viens en paix, continuai-je. M'autorises-tu à me rendre dans ta chambre ?

Un long silence suivit ma question. Pourtant, je ressentais toujours sa présence, mais celle-ci semblait s'éloigner à travers le couloir. Finalement, même si je n'avais pas eu de réponse, je décidai de quand même me rendre dans sa chambre. Mais une fois à l'intérieur, je fus glacé de peur lorsque l'éclairage de ma caméra illumina le lit qui se tenait au fond de la pièce. Les draps étaient au sol tandis que Sooty l'ours n'avait aucunement bougé de place, comme s'il avait été replacé par la suite. Ce n'était pas la première fois que je voyais quelque chose bouger après absence, mais cette fois-ci, je ne pouvais pas m'empêcher de trembler. C'était comme si quelqu'un venait de sortir du lit sans prendre la peine de s'occuper des draps qui tomberaient à terre.

Je me tournai alors vers la caméra que nous avions installée, dirigée vers le lit, et fus abasourdi lorsque je la vis éteinte. Elle n'avait plus de batterie, alors que j'étais certain qu'elle était pleine lors de son installation. Taehyung avait-il puisé son énergie afin de se manifester plus longtemps ? Cela était tout à fait possible, mais j'espérais tout de même qu'elle ait réussi à filmer lorsque le lit était devenu si désordonné. Sur le sol, je déposai mon autre caméra et la cadrai sur moi, qui allais me placer au pied du lit en compagnie de ma PxBox. Mon talkie-walkie était attaché à ma ceinture.

— Je m'appelle Jungkook, me présentai-je en me rendant vers le lit. J'ai vingt-deux ans et je suis étudiant en informatique. Qu'est-ce que tu aimais faire, toi, Taehyung ?

Des frottements de pas retentirent devant moi.

« ...Play... »

— Jouer ? Tu aimais jouer ? Avec qui aimais-tu jouer ?

Un grincement retentit derrière moi je me retournais face au lit. J'eus un frisson lorsque mon regard rencontra celui de l'ours, assis devant les coussins. Grâce à l'éclairage de ma caméra, je pus distinguer que sur l'un des oreillers, se trouvait une trace comme si quelqu'un y avait posé sa tête. Et pourtant, à ma première venue avec Hoseok et Jimin, l'entièreté du lit était propre.

— Aimais-tu jouer avec Sooty ?

Je fus soudain pris d'une grande tristesse. Mon cœur se comprimait au fur et  mesure de ses battements, mon crâne me fit mal et mes yeux commencèrent à me piquer, comme si j'allais fondre en larmes d'une seconde à l'autre. Etait-ce Taehyung qui me transmettait ses émotions ? Jamais cela ne m'était arrivé en plus de quinze ans d'enquête. Et pourtant, je n'étais pas sentimental.

« ...Sad... »

L'éclairage de ma caméra se mit à grisailler pendant quelques secondes. Lorsque tout redevint calme et que mon attention se reporta sur le lit, je remarquai que la peluche était tombée sur le dos. Un nouveau frisson me parcourut. Des petites tâches venaient d'apparaître tout autour, comme si quelqu'un pleurait et que ses larmes atterrissaient sur le tissu. Je n'arrivais pas à croire que j'étais en plein échange avec un esprit qui errait en ces lieux depuis plus d'un siècle. Cela me paraissait complètement irréel et le fait qu'il s'exprime en anglais était impressionnant. Est-ce que lui aussi, dans le temps, était bilingue ? Voyageait-il beaucoup ?

« ...Is Sooty... »

Sans même m'en rendre compte, je m'étais avancé vers un côté du lit, là où l'on se plaçait pour s'y allonger. J'avais très froid, mon corps était attaqué par la chaire de poule et il m'était impossible de me réchauffer en me frottant les bras. Venait-il de dire que son ours était triste ? Pourquoi disait-il cela ?

— Est-ce que tu peux me montrer dans quelle position tu étais lorsque tu t'es fait tuer ? Demandai-je d'un ton doux.

Je ne voulais pas le brusquer ni le faire fuir ou bien lui donner envie de m'attaquer. Mais au bout d'une minute de silence, plus rien ne se passait. Mon sentiment de tristesse était toujours bel et bien là et j'avais encore cette impression d'être observé. Taehyung était toujours présent dans cette pièce, même s'il n'avait plus l'air d'être sur le lit.

— Est-ce que c'est toi, qui as par la suite assassiné toutes les personnes qui t'avaient insulté ?

— ... I knew...

J'eus un sursaut brusque. Je venais d'entendre sa voix comme j'entendais celle de Jimin ou de Hoseok juste derrière moi. Sa bouche avait eu l'air d'être très proche de mon oreille lorsque cette voix avait résonné. Il n'avait pas utilisé ma PxBox pour me parler, il s'était directement adressé à moi en temps réel, comme deux humains en pleine conversation. C'était incroyable. Taehyung était incroyable et doté d'une très grande énergie pour arriver à faire ça.

— Tu savais que tu allais te faire assassiner ?

Je ne faisais que d'interpréter ses paroles, mais tout ce qu'il me disait avait un sens. Un sens qui cachait un message. Alors, à la suite de ma dernière question, j'en posai une nouvelle :

— Qu'est-ce que tu désires, Taehyung ?

A la fin de ma phrase, je me figeai brutalement et mon sang ne fit qu'un tour. Il y avait une ombre. Une ombre juste devant l'éclairage de ma caméra. Pourtant, la lumière venait toujours sur moi, comme si elle transperçait cette ombre en la faisant ressortir en même temps. Dire simplement que je n'avais pas peur serait mentir : j'étais carrément anesthésié par l'effroi. J'avais beau papillonner des paupières, elle ne partait pas et restait immobile, a à peine deux mètres de moi. Il n'y avait aucun détail, la silhouette était entièrement noire et, à la façon dont ses mèches rebiquaient, je devinai que c'était le Prince Taehyung qui se tenait devant moi. Ses pieds touchaient le sol, mais son ombre ne se reflétait pas dessus, ce qui me prouvait que cela était bel et bien un spectre.

Je me sentis à nouveau triste, mais cette fois-ci, ce sentiment provenait de mon cœur, et non de celui du Prince. Il m'était impossible de bouger le moindre doigt ou même prononcer un seul mot. Jamais je ne m'étais retrouvé face à un esprit aussi visible, et j'étais à cet instant-là, entièrement tétanisé. Est-ce que ma mère avait vu la même chose pour avoir peur ?

Mais ce ne fut pas tout, un effroyable frisson me parcourut l'entièreté du corps lorsque, sans aucun bruit, l'ombre tendit son bras en direction du lit. Du doigt, elle désigna l'ours, qui s'était, sans que je ne m'en rende compte, remis assis.

— ...Help me... to go...

Je l'entendais à nouveau comme une vraie personne. Puisais-t-il dans la batterie de ma PxBox pour se manifester de façon aussi visible et réelle ? Je n'arrivais pas à détacher mon regard de Taehyung, je ne pouvais donc pas vérifier si ce que j'avançais était vrai. Où voulait-il que je l'aide à aller ? Pourquoi mettait-il autant de temps pour continuer sa phrase ? D'un coup, la lumière de ma caméra se remit à grisailler.

— ...To Heaven...

Puis il disparut. Sa présence, sa tristesse, ses murmures, tout venait de disparaître après qu'il ait dit son dernier mot, sa dernière volonté. Cette chambre devint alors une simple chambre datant de la fin du dix-neuvième siècle, où un simple ours du nom de Sooty régnait sur le lit. Taehyung était parti. Il était parti se reposer en me laissant seul avec ses derniers mots ; ceux me prouvant qu'ici, il se sentait infiniment mal et seul. Je ressentais tout cela au fond de mon cœur.

Taehyung n'a jamais voulu faire de mal à quelqu'un. Tout ce qu'il voulait, c'était qu'on le reconnaisse à sa juste valeur. Tout ce que le Prince cadet désirait, était quelqu'un avec qui il pouvait jouer et passer ses journées. Du haut de ses dix-neuf ans, il n'avait pas eu la chance de goûter aux saveurs de la vie, car tout cela, était donné à son frère ainé. Et maintenant qu'il n'était plus de ce monde, il ne voulait plus que le repos éternel et cesser d'être une âme errante.

Ce fut alors que, sans réelle pensée, je rangeai toutes mes affaires. Ma PxBox avait en effet perdu toute sa batterie lors de l'apparition de l'ombre. Est-ce que ma caméra l'avait filmé ? Logiquement, oui, mais il se pouvait très bien qu'il ait pu entrer dans ma tête pour me permettre de le voir. Ce n'était pas impossible. Pour le moment, je devais rejoindre les autres et voir où ils en étaient. Personnellement, j'avais eu ma dose pour cette pièce et je me demandais si j'avais vraiment l'envie de continuer cette aventure. J'avais appris pas mal de chose et même s'il nous restait encore trois heures dans ces lieux avant que les propriétaires ne viennent nous libérer, je ne savais pas si j'avais encore la force d'attendre. Peut-être que si Jimin et Hoseok ont réussi à avoir des choses intéressantes, cela me redonnerait du poil de la bête.

Je récupérai ensuite la caméra fixe que nous avions posée dans la pièce, puis partis avec tout ce matériel dans les bras. Mais avant de franchir le seuil de la porte, je me retournai et murmurai :

— I promise that I'll help you.

Puis, dans le silence de la nuit, je repartis en direction du secrétariat sans même prendre la peine de chercher à entrer en contact avec une autre personne. Je n'arrivais pas non plus à avoir la force d'expliquer ce que je ressentais en me filmant pour y mettre dans notre prochain épisode. Je pense que j'allais le faire plus tard lorsque je me serai remis de ce qu'il venait de se passer.

De retour à notre lieu de rendez-vous, je soupirai un long coup. J'avais une question à poser aux propriétaires, j'étais à peu près sûr comment faire pour aider Taehyung à accéder au repos éternel, mais il me manquait juste un élément pour compléter le puzzle qu'était actuellement mon esprit. Je me sentais complètement vide, comme un lièvre sans son terrier.

Me laissant tomber sur la chaise de bureau, je jetai un œil à l'écran de mon ordinateur qui affichait les prises des caméras. L'une d'elle, auparavant dans la chambre du Prince, était naturellement hors-service tandis que les trois autres fonctionnaient encore. Je pouvais voir qu'Hoseok était encore dans les cuisines, adossé à un mur et son détecteur EMF tendu devant lui. Ses lèvres bougeaient, signe qu'il était encore en train d'entrer en contact avec un esprit des lieux. Sur celle de la chambre du cuisinier, il n'y avait rien à signaler. Puis, sur la dernière dans le couloir principal du temple, j'apercevais la silhouette de Jimin qui bougeait de temps à autre. L'éclairage de sa caméra l'illuminait, ce qui faisait que je ne pouvais pas le confondre avec autre chose.

En attendant leur retour, je me mis à étudier ce que moi, j'avais réussi à capter tout en surveillant que tout aille bien du côté de mes amis. Malheureusement, je fus légèrement déçu lorsque je vis que Taehyung n'apparaissait pas à l'écran lorsqu'il s'était montré. On me voyait seulement fixé en direction de la caméra, les pieds cloués au sol. Si même l'infrarouge n'avait pas réussi à le capturer, c'était qu'il avait forcément trafiqué quelque chose en moi pour que je sois capable de le voir, comme je l'avais pensé. Mais aussi, il avait puisé le reste de son énergie, ce qui l'avait poussé à se retirer. Etrangement, l'atmosphère était déjà un peu plus calme sans pour autant devenir sereine.

Par ailleurs, en zoomant sur le lit, on arrivait à voir Sooty tomber sur le dos, puis se relever après quelques minutes. Tout cela avait été fait pendant que je regardais ailleurs, comme nous l'avait raconté le second témoin. Puis, réentendre sa voix m'avait fait extrêmement bizarre. Lorsque la PxBox avait cessé de fonctionné, j'avais dû amplifier le son de la vidéo pour tenter d'avoir ne serait-ce, que quelques murmures, que j'avais bien sûr réussi à avoir. Par la suite, je pris un bout de papier qui trainait dans mon sac et y écrivis tout ce que le Prince m'avait dit.

Au bout de cinq minutes de réflexion, j'en conclus que : Taehyung, caché sous l'ombre de son frère ainé, n'avait eu que pour seul ami le cuisinier Seokjin. Mais à cause de son travail, il restait la plupart de ses journées à embêter le personnel pour qu'ils le reconnaissent, ou à jouer avec Sooty, son ours en peluche. Il devait se sentir infiniment seul pour en venir à cela, peut-être même qu'il ne recevait pas d'éducation à cause de la supériorité de son frère. Malgré ça, il était conscient de la haine qu'éprouvait le personnel du temple à son égard. Et d'après ce que j'avais pu comprendre, Taehyung savait qu'un jour, il allait être assassiné.

Ce que je ne comprenais pas tout à fait, était « Sooty is sad », en outre « Sooty est triste ». Pourquoi avait-il dit que sa peluche était triste ? J'avais beau chercher une explication rationnelle, rien ne collait avec la moindre partie de ma conclusion.

Selon moi, la soi-disant « malédiction du Prince » n'était pas totalement fondée sur la volonté de tuer toutes les personnes qui disaient du mal de lui. Certes, il devait y avoir de la vengeance à travers cette volonté, mais dans ce cas-là, pourquoi aurait-il assassiné Seokjin, qui était son seul vrai ami ? Pour moi, il voulait encore trouver quelqu'un avec qui passer le reste de son temps, rien de plus.

Taehyung voulait simplement qu'on le reconnaisse à sa juste valeur.

— Tiens ? Tu es déjà revenu ?

D'un sursaut, je fis volte-face et regardai Hoseok, qui était légèrement étonné de ma présence. Il était vrai que durant nos dernières aventures, j'étais celui qui revenais toujours en dernier lorsqu'on partait tous les trois de notre côté. Lorsque Jimin nous rejoignit  à son tour, je leur fis alors part de ce qu'il s'était passé plus tôt. Je leur montrai aussi tout ce que j'avais réussi à filmer et à capter, et cela les laissa sans voix. Ce que j'aimais entre nous trois, était notre haine envers les mensonges. Aucun de nous ne mentait, que ce soit durant notre vie de tous les jours, que durant nos aventures paranormales. Ce qui fit que, lorsque je leur fis regarder la vidéo où moi, j'avais vu l'ombre de Taehyung, ils me crurent sur parole. Et puis de toute façon, je crois qu'avec l'expression que je tirais à ce moment-là, il était difficile de penser le contraire à moins d'être un très bon acteur.

Ensuite, après leur avoir aussi raconter ce que j'avais compris des messages du Prince, ils me firent part de ce qu'ils avaient vécu durant cette petite demi-heure. Hoseok était rentré en contact avec l'un des cuisiniers de la famille Royale, mais nous n'avions aucun indice qui pouvait nous dire s'il s'agissait de Seokjin ou non. A part quelques mots vagues et l'apparition d'une main sur un mur en face de mon ami, il n'y avait eu rien d'autre. Quant à Jimin, il avait capté des cris provenant du couloir principal et sur l'un des rushs de sa caméra, on apercevait une ombre passer d'une porte à une autre. En étudiant les photos de son appareil infrarouge, une seule parmi tant d'autres laissait apparaître, en haut des escaliers, la silhouette d'un enfant. Puis, juste après avoir pris cette photo, son détecteur EMF avait capté la voix d'un esprit, qui disait chercher son enfant.

Après une bonne pose, nous étions retourné tous les trois à travers le temple pour patienter jusqu'au retour des propriétaires, et surtout de tenter d'avoir de nouvelles preuves que ce lieu était hanté. Nous avions laissé de côté la chambre de Taehyung, et nous étions dirigés vers celles du Roi et de la Reine, située au sixième étage. Même s'il n'y avait aucune chance que leur esprit soit ici après avoir déserté les lieux, ce n'était que de la simple curiosité. A certains moments, nous entendions des bruits de pas, ou quelques chuchotements, mais rien de bien intéressant.

C'était difficile à croire, mais j'avais l'impression que l'activité n'était plus la même qu'avant. L'atmosphère était devenue moins pesante et les esprits se manifestaient de moins en moins. Se basaient-ils sur la présence de Taehyung pour exister ? Après tout, ce n'était pas impossible comme il était responsable de leur mort. Et maintenant que le Prince était parti se reposer, le personnel avait beaucoup moins d'énergie.

Cinq heures du matin fut l'heure où enfin, les propriétaires vinrent nous libérer. Le soleil commençait à se lever par-delà les collines où l'ombre du temple grandissait. Immédiatement, la femme nous demanda comment c'était passer notre aventure, et Jimin lui répondit d'un air enjoué que nous avions pu récolter de nombreuses choses. Ils avaient l'air soulagé que nous n'ayons rien, mais je me sentais toujours aussi étrange, comme si l'histoire de Taehyung s'était gravée à jamais dans mon esprit.

Durant le chemin du retour à travers le parc, je regardais tout autour de moi. Je ne l'avais pas remarqué lors de notre venue, mais plusieurs choses de l'époque étaient restées jusqu'à aujourd'hui ; des bancs de pierre, des vestiges de terrasse. Mon regard se fit attiré principalement vers un arbre, d'où pendait une très vieille balançoire. Elle bougeait légèrement sous la petite brise du matin, et une image de Taehyung, assis sur cette planche de bois, m'apparut soudainement. Je le voyais comme je voyais Jimin ou Hoseok. Il avait l'air réellement vivant.

Ses pieds en arrière et les deux bras passés autour des cordes pour se rejoindre vers son ventre, il me regardait. Son corps était habillé d'un tissu blanc de très haute couture, joint par des boutons noirs, et le bas était une sorte de pantalon marron très ample. Ses cheveux noirs semblable à de l'encre de Chine virevoltaient au gré de la brise, et un immense sourire atypique rempli de belles dents illumina son visage. Une larme s'écoula sur ma joue. Il était doté d'une beauté et d'une gentillesse venue des Dieux.

— Eh ! Jungkook !

Un sursaut secoua mon corps et je me tournai vivement vers le propriétaire de la voix : Hoseok, qui me fixait d'une étrange façon.

— Qu'est-ce que tu fais ? Viens, c'est l'heure de partir !

Mon regard passa par-dessus mon épaule et, à une vingtaine de mètre, se trouvait Jimin et le couple, qui me fixaient eux aussi. Quand m'étais-je arrêté ? Avant de me remettre en marche, je regardai la balançoire, où Taehyung avait disparu. Venais-je de rêver ?

Sortis pour de bon, nous fîmes nos adieux et nos remerciements aux propriétaires des lieux. Jimin alla par la suite ranger la mallette dans le coffre, tandis qu'Hoseok s'installa derrière le volant. Et alors que j'allais les rejoindre, je fis volte-face et retournai vers le couple âgé, qui fut surpris.

— Est-ce que je peux vous poser une dernière question ? Demandai-je poliment.

La femme me fit un grand sourire pour m'inviter à continuer dans ma lancée.

— Est-ce que vous sauriez ce qu'est devenu le corps du Prince ?

Ils furent assez étonnés de ma question, et en voyant leurs visages, je mordis mes lèvres entre elles. Finalement, ce fut l'homme qui me répondit lorsque Hoseok m'appela au loin.

— Il a été brulé le jour suivant.

J'écarquillai les yeux.

— Il a eu des obsèques ? Son corps a été nettoyé avant sa crémation ?

— Je ne crois pas, continua le même d'un ton désolé. Il y a juste eu un rassemblement d'après les écrits de la Reine, mais rien qui ferait penser que Taehyung était tout de même une personne importante.

Soudain, mon cœur se comprima et sembla se détruire en milliers de morceaux incollables. Même à sa mort, il n'a pas été reconnu à sa juste valeur. C'était comme si au fond, son existence n'avait jamais marquée les esprits, que même vivant, c'était déjà un fantôme dont personne ne se préoccupait. Taehyung a été abandonné sans avoir l'opportunité de s'élever et avoir ainsi le repos éternel. Mon hypothèse se confirma alors ; je savais comment aider le Prince pour accéder au Paradis. Avant de rejoindre mes amis, je leur posai une toute dernière question, et un sourire étira mes lèvres lorsque j'eus la réponse que j'espérais.

Durant le trajet, aucun de nous n'avait sorti un son. Ce ne fut qu'à l'hôtel où je pris la parole en premier, et leur expliquais plus en détails mes hypothèses. Sooty l'ours avait reçu exactement la même blessure que Taehyung, qui avait ainsi causé sa perte. Malheureusement, il n'a pas pu avoir des soins pour être dignement enterrer, non, on n'avait fait que de le brûler sans aucune once d'humanité. En y repensant, le Prince devait réellement être vu comme un imposteur pour en arriver à ce stade-là. Mais qu'arriverait-il si l'on guérissait la blessure de Sooty ? Le Prince avait l'air d'y tenir énormément et en additionnant la vidéo qu'avait eue Jimin lorsque les yeux de la peluche ont bougé, je dirais que son esprit y réside depuis tout ce temps. Cet ours était tout ce qui le retenait ici, et Taehyung disait qu'il était triste.

Dans sa simple phrase « Sad is Sooty », parlait-il de lui-même, ou parlait-il de la peluche non guérie ? Etait-il triste parce que son seul ami qui l'accompagnait à chaque instant avait subi le même sort que lui, ou parce qu'à cause de sa blessure, cela le privait de son entrée au Paradis ? J'avais promis de l'aider, et j'avais l'intention de tenir cette promesse. Je ne savais pas par quel moyen, mais je me sentais réellement concerné et touché par cette histoire.

Puis, après une bonne heure de réflexion, je fis un choix ; j'allais retourner au temple, tenter de recontacter Taehyung, et ainsi lui demander la permission si je pouvais guérir Sooty. Selon moi, c'était la seule solution que je voyais pour l'aider à avoir son ticket pour le repos éternel.

Suite à cela, nous fîmes notre nuit jusqu'aux environs de deux heures de l'après-midi. Hoseok étant notre chauffeur, ils devaient donc rester avec moi jusqu'à demain. Heureusement, Jimin avait eu l'intelligence de réserver l'hôtel pour deux nuits, celle que nous avions passé au temple, ainsi que la suivante. Le reste de la journée, nous avions un peu poireauté. A part être allés en ville pour faire quelques magasins afin de passer le temps, nous avions passé la majorité de l'après-midi à discuter dans notre chambre. Enfin, surtout Hoseok et Jimin. Personnellement, j'avais l'esprit ailleurs depuis mon réveil.

Durant notre séance « shopping », je m'étais rendu dans une maison de couture pour acheter du fil brun de première qualité, ainsi qu'une aiguille fine. C'était comme cela que je pensais guérir Sooty ; en recousant sa plaie. Peut-être que Taehyung allait être content que l'on se préoccupe de lui, et surtout envers quelque chose qui lui tenait à cœur.

La nuit suivante, je n'arrivais pas à m'endormir. Jimin se collait à moi dans notre lit et Hoseok, sur un autre lit, ronflait à certains moments. Habituellement cela ne me dérangeait pas, mais cette nuit-là, je n'étais focalisé que dessus et mes pensées se dirigeaient toutes vers un seul et même point : Taehyung. Peut-être que j'avais hâte de le revoir et de l'aider, je ne savais pas trop en réalité. Je pensais simplement à lui, et il m'arrivait de l'imaginer parcourir les couloirs un siècle plus tôt. La scène de la balançoire ne me quittait pas non plus. J'aurais aimé le connaître de son vivant, mais quel point de vue, influencé par l'époque, aurais-je développé ? Aurais-je été du côté du Prince, ou du côté du personnel, à l'insulté et à le prendre pour un moins que rien ?

J'aurais aimé connaître sa vie, vérifié s'il avait le même sourire atypique que celui que j'avais vu sur la balançoire, l'entendre rire ou pleurer, parler de tout et de rien avec lui, et surtout, lui faire comprendre quelle était sa réelle valeur. Oui, j'aurais aimé vivre en ces lieux un siècle auparavant.

Les deux mains jointes à l'arrière de mon crâne, je soupirai longuement. La tête sur mon torse, Jimin piaffa quelques instants avant de se serrer davantage à moi. C'était toujours comme ça avec lui, que ce soit Hoseok ou moi, il nous prenait pour sa peluche durant la nuit. A force de dormir avec lui au fil des années, nous nous y étions habitués et le fait qu'il soit collé à moi comme si nous étions ensemble ne me dérangeait plus. De plus, il nous était arrivé, en pleine soirée avec d'autres amis, de nous embrasser lorsque nous étions remplis comme des cantines. Hoseok aussi était passé à la casserole, et quand le sujet revenait entre nous trois, nous en rions à en perdre haleine. C'était pour cela que je les aimais ; nous n'avions aucune gêne.

Taehyung a-t-il eu ce bonheur de connaître cela avec Seokjin ? Comment était leur relation ? Je poussai un second soupir en fermant les yeux. Je ne pourrais jamais le savoir.

†

Le lendemain matin, alors que je finissais de me sécher les cheveux dans la salle de bain, ma brosse tomba d'elle-même. La mine dubitative, je me baissai alors pour la ramasser, mais à l'instant même où je me regardai à nouveau dans le miroir, mes yeux dérivèrent sur la silhouette placée juste derrière moi. La brosse à la main et le sèche-cheveux encore en marche, je fixais le Prince à travers le miroir. Il faisait la même taille que moi, ses habits étaient les mêmes que sur la balançoire, et sa peau nacrée faisait ressortir ses cheveux d'or noir. Son visage n'affichait aucune réelle expression, mais j'avais l'impression qu'il me fixait lui aussi à travers le reflet du miroir.

En vitesse, je fis volte-face à l'endroit où il se trouvait, mais il n'y avait personne alors qu'il apparaissait toujours dans le miroir. Son air n'avait pas changé, il me fixait toujours de la même manière, et, sans bouger, je me risquai de tendre une main vers lui. Celle-ci lui passa au travers du ventre, mais, sans que je le sente, mes bouts de doigts devinrent glacés. Après l'avoir retirée, j'éteignis mon sèche-cheveux.

— Bonjour Taehyung, comment vas-tu ?

Ses paupières se fermèrent et s'ouvrirent d'une lenteur impériale. Mon cœur battait à la chamade et une affreuse chaleur mêlée au stress monta en moi. Sauf qu'il ne fallait pas que je lui montre que sa soudaine apparition me donnait la frousse, cela pourrait le faire fuir et pire encore, lui donner envie de s'attaquer à moi. Personne ne pouvait savoir ce que pensait un esprit, ni quelles étaient leurs intentions.

— Comme je te l'ai promis, je vais t'aider à aller au Paradis, continuai-je d'un ton doux et calme. Je pense même savoir comment faire.

Une nouvelle fois, il cligna des yeux lentement avant de me faire un son sourire rectangulaire, ses yeux noirs ne formaient plus que des petits croissants et, sous mon nez, il se volatilisa. Je ne me sentais pas observé, ni savais comment interpréter son apparition. Finalement, après avoir attendu quelques instants afin de vérifier s'il était bel et bien parti, je finis par m'habiller. Rien qu'une serviette était enroulée autour de mes hanches, et je n'allais pas me pointer comme cela au temple.

Comme notre seconde venue n'était pas dans le domaine de l'enquête, nous avions dû prendre des tickets d'entrée. Grâce à ma demande envers les propriétaires, l'avant dernier étage – où se trouvait la chambre du Prince, allait être fermé pour aujourd'hui. En chemin, aux côtés de Hoseok, j'eus soudain un doute. Si Taehyung était apparu ce matin dans la salle de bain, n'avait-il pas épuisé son énergie pour sortir du temple ? J'espérais que non. Je voulais vraiment le revoir et lui reparler avant que je ne rentre définitivement chez moi, à plus de cinquante kilomètres d'ici.

Naturellement, je n'allais pas prendre de caméra ni le matériel que nous avions utilisé la nuit dernière. Ma PxBox allait être amplement suffisante, et je n'avais surtout pas oublié mon fil pour recoudre Sooty. Hoseok et Jimin n'allaient pas m'accompagner. A la place, ils allaient visiter le temple en tant que simples touristes et ainsi profiter de l'achat des tickets. Pour une raison que j'ignorais, notre conducteur privé n'avait pas l'air enchanté d'y retourner.

Contrairement au moment où nous y étions allés, le parking était plein à craquer et nous avions mis une dizaine de minutes à trouver une place où se garer. Comme c'était les vacances, ce n'était pas si étonnant qu'il y ait autant de monde, mais je ne pensais pas que ce lieu était aussi connu. Nos tickets scannés, nous passâmes le portail et marchâmes parmi tous les visiteurs en direction de l'entrée du temple. En passant devant l'arbre à la balançoire, une soudaine colère m'envahi lorsque je vis des enfants inconscient l'utiliser. Elle n'était pas à eux. Cette balançoire appartenait à Taehyung.

Malgré cela, je dus me résigner d'éclater en continuant mon chemin auprès de mes deux meilleurs amis. Je sentais le regard de Jimin me piquer la nuque, il devait sûrement sentir que j'étais anxieux. Dans le hall, nous nous séparâmes sans plus d'histoire. Le chemin le plus court pour accéder à la chambre du Prince était de passer par l'escalier droit, tandis qu'Hoseok avait eu envie d'écouter l'histoire que racontaient les guides, placés dans l'aile gauche. Ainsi, je pus me rendre à l'étage ouvert exclusivement à moi. Quelques personnes avaient chuchoté dans mon dos lorsqu'elles m'ont vu passer par-dessus les barrières à ceintures, sauf que je ne m'étais pas retourner une seule fois pour les regarder. J'avais d'autres chats à fouetter que d'écouter des messes basses sur ce que je faisais sans la moindre explication.

Pendant que je me rendais vers la chambre de Taehyung, je sentais que l'atmosphère qui régnait ici n'était plus du tout la même qu'auparavant. Le fait que ce soit la journée ne changeait rien à ce sentiment, car de nuit, cela aurait été pareil. L'ambiance paraissait plus détendue, sereine, et la colère des lieux semblait s'être apaisée. C'était vraiment étrange. Etait-ce parce que Taehyung était content que quelqu'un l'aide à partir d'ici ?

Ce fut avec cette question en tête que j'entrais dans la chambre du Prince. Le lit avait été refait, Sooty occupait toujours la même place, au milieu devant les coussins, et la pièce en elle-même était encore plongée à moitié dans le noir. Seuls quelques faisceaux de lumières traversaient les rideaux, dont un qui illuminait directement l'ours en peluche, comme si quelqu'un s'était arrangé pour que notre œil se fasse attiré immédiatement par lui. Je ne me sentais pas observé, la pièce semblait vide de tout esprit et de colère. Je m'y sentais étrangement bien, sans aucune tension.

Ma PxBox sortie de mon sac à dos et allumée, je pris par la suite la bobine de fil et mon aiguille.

— Taehyung, tu es là ? Demandai-je en m'avançant vers le lit.

Aucune réponse ne me vint, ni aucune autre sensation qui aurait pu m'alerter de sa venue. Avais-je eu raison ? L'apparition de ce matin l'avait-elle épuisé pour qu'il se manifeste cet après-midi ? Ma bobine et mon aiguille dans une main, je décidai de prendre un risque et de m'assoir lentement sur le bord du matelas, qui s'affaissa sous mon poids. Immédiatement, un courant d'air me passa au visage.

« ...Hello... »

J'eus un grand sourire et tournai la tête dans tous les sens pour tenter de le voir.

«  ... On... Left... »

Je regardai à gauche, là où se trouvait le reste du matelas, ainsi que les coussins un peu plus loin. Mes yeux se firent attirés par le drap qui s'était froissé qu'à un seul endroit, comme si quelqu'un s'était assis juste à côté de moi. Je ne perdis pas de temps pour lui montrer ce que j'avais acheté hier en tendant la main là où il se trouvait en ce moment-même.

— C'est du fil de première qualité, lui expliquai-je. J'ai essayé de prendre la même couleur que Sooty pour qu'il soit le plus beau possible.

« ...Happy... »

— Oui, acquiesçai-je. Sooty sera heureux, n'est-ce pas ?

Un rire joyeux résonna soudainement dans la pièce, comme s'il venait de loin en étant si proche. Un frisson avait parcourut mon échine à son entente, je n'arrivais toujours pas à croire que j'entrais en contact avec un esprit errant depuis plus d'un siècle en ces lieux, pour la seconde fois. Ce qui était dommage, était que je ne pouvais pas voir les expressions qu'aurait pu afficher le visage de Taehyung si je l'avais connu plus tôt.

— J'aurais aimé te connaître, avouai-je finalement en regardant là où je m'imaginais ses yeux. Je pense que nous nous serions bien entendu, peut-être jusqu'à devenir de très bons amis. Dis, est-ce que tu m'autorises à prendre Sooty pour que je le guérisse ?

Du coin de l'œil, je vis la peluche tomber en avant et j'eus un léger sursaut malgré moi.

« ...Careful... »

Ceci était sa façon de dire oui. Je le remerciai, pris d'une main attentionnée ce qui allait me servir de patient et le déposai sur mes cuisses. La lumière était assez forte pour que je voie suffisamment là où j'allais piquer. Ce fut à ce moment-là, lorsque j'enfilai mon fil dans le chat de mon aiguille, que je me sentis observé. Un léger courant d'air me chatouillait la joue gauche, comme si le fantôme du Prince me collait presque pour surveiller mes moindres faits et gestes.

Cela me mit une énorme pression, et je tentai de la cacher pour ne pas faire un seul faux pas, et ainsi risquer de le mettre dans la colère du Diable. Avec deux doigts, je fis rentrer la mousse qui débordait et débutai l'opération. A chaque mouvement, à chaque piqure et à chaque nœud, je ressentais la présence de Taehyung se faire de plus en plus forte. C'était limite la sensation que je pouvais avoir lorsque Jimin me collait durant la nuit. Pour le rassurer, j'avais décidé de faire comme les médecins ; je disais à voix haute ce que j'allais faire.

Lorsque le ventre de Sooty fut recousu, je passai au dos, et fis exactement les mêmes mouvements. La différence de couleur entre le fil et le pelage était presque invisible, bien que cela fasse une cicatrice comme sur un vrai patient. Une blessure d'une si grande envergure ne pouvait redevenir comme autrefois, où la peau était lisse et sans égratignure. Les cicatrices racontaient les histoires après les avoir surmontées.

Pendant une dizaine de minutes où je m'appliquais comme je le pouvais, Taehyung n'avait plus sorti un seul mot et se contentait d'observer mes doigts autour de l'aiguille, de quelle façon je tirais sur le fil pour faire un nœud, puis l'endroit où je piquais pour répéter le mouvement. Le dos recousu à son tour, je coupai le fil grâce à mes clés et reposai l'ours à sa place initiale, au milieu des coussins.

— Et voilà Taehyung.

Je me levai du lit et lui fis face, ou tout au moins, je fis face aux draps froissés où son fantôme se trouvait.

— Comme je te l'ai promis, je t'ai aidé et j'ai guéri Sooty de ses blessures. Te sens-tu mieux ?

Depuis que j'avais terminé, l'atmosphère de la pièce se mélangeait entre tristesse et joie, jusqu'à ne devenir plus qu'un éclat de bonheur. Les couleurs ternes de la pièce semblaient avoir plus de vie, et l'horreur qui persistait en ces lieux depuis plus d'un siècle disparaissait progressivement. Des rires de joie résonnaient à nouveau autour de moi, comme si Taehyung sautillait dans tous les sens sous l'ivresse du bonheur.

— Ne penses-tu pas que maintenant, il serait temps pour toi de te reposer dans un monde sans ombre ?

Les rires se stoppèrent, et, sans en savoir la raison, je fis volte-face. Le Prince était là, devant moi, sous la même forme que j'avais vue ce matin et sur la balançoire. Un immense sourire déformait son visage doté de la beauté divine, et le fantôme d'un Sooty guéri se trouvait dans ses bras. Il était là, a à peine un mètre de moi. Je tendis une main sous ses yeux qui devinrent curieux. Son sourire était parti, et il semblait tellement vivant qu'une larme s'écoula sur ma joue. Je voyais ses expressions.

— Prends ma main, mon Prince.

Sooty se fit tenir par un seul bras pendant que l'autre s'élança vers moi sans aucune hésitation. Ses fins et longs doigts se déposèrent sur les miens, et un nouveau frisson me parcourut tout entier. C'était exactement la même sensation que si une personne vivante me prenait la main, alors que ce n'était qu'un esprit décédé depuis plus de cent-vingt ans. Je ne pouvais pas m'empêcher de sourire tandis que lui, attendait curieusement ce que je voulais faire. Je pris alors une inspiration, et murmurai :

— Taehyung, qui ne cherche pas à te voir, ne souffre pas en ton absence. Qui ne souffre pas en ton absence, ne t'aime pas. Le destin choisit qui entre dans ta vie, mais toi seul décide qui y reste. La vérité blesse une seule fois, le mensonge, à chaque fois que tu y penses. Alors, valorise ceux qui te valorisent et ne considèrent pas comme priorités ceux qui te traitent comme une option.

Une larme roula sur sa peau nacrée, et tacha le sol. Des petites étoiles sortirent de son corps qui se mit à s'illuminer comme le plus bel astre à travers l'obscurité de l'univers.

— Je suis content de t'avoir rencontré Taehyung, terminai-je avec un sourire sincère. J'espère qu'un jour, nous pourrons jouer ensemble. Fais un bon voyage.

Son corps se désintégrait lentement sous mes yeux larmoyants, qui s'agrandirent lorsqu'il se colla à moi. Ses deux bras passèrent dans mon dos, et il me serra de toutes ses forces contre lui. Pris de court, je mis quelques petites secondes à me rendre compte de ce qu'il se passait. Son touché semblait si réel que j'en venais à être sidéré. Malgré cela, je fis la même chose que lui, et le serrai à mon tour comme si c'était le dernier câlin de toute ma vie. C'était bête de dire ça, mais en seulement une nuit, j'avais réussi à m'attacher à un esprit.

Puis, la lumière s'évanouit.

L'ange qu'était Taehyung venait de rentrer chez lui.

Suite à cette histoire, les semaines ont passé. Le temple de Gwisin était devenu un lieu de prospérité et avait perdu son titre de lieu hanté grâce à la disparition de Taehyung. Plus aucun phénomène paranormal n'a été reporté depuis, que ce soit envers les touristes que le personnel. La chambre du Prince pouvait être nettoyée normalement, et Sooty avait été placé dans une magnifique vitrine.

Hoseok, Jimin et moi avions repris les cours à la capitale. Bien sûr, nous étions en colocation et depuis le temple Gwisin, nous n'avions plus refait d'aventure. Je crois qu'au fond, cette histoire nous avait un peu calmés, pour ma part en tout cas. Je me sentais étrangement vide depuis que le Prince était monté au Paradis, et mes deux meilleurs amis avaient remarqués que j'étais devenu plus calme qu'autrefois. Cet épisode, posté sur YouTube une semaine après les faits, avait été notre première vidéo à dépasser les cent millions de vues en quelques jours. Cela en était incroyable.

Par ailleurs, pour une raison que j'ignorais, cette histoire m'avait profondément marqué jusqu'à avoir atteinte sur mon comportement. Certaines fois, il m'arrivait d'attendre l'apparition de Taehyung à travers le miroir, et j'avais beau me sécher les cheveux et avoir une serviette autour des hanches comme la première fois, il ne revenait pas. Mes professeurs se demandaient aussi ce qu'il se passait, car je n'étais plus le premier de la classe et mes résultats dégringolaient de plus en plus rapidement. Bien que mes parents m'aient donné des raisons pour continuer d'avoir une excellente année, cela n'avait pas fonctionné longtemps. Hoseok et Jimin ne cessaient de s'inquiéter pour moi, ils parlaient de dépression, mais je n'y pouvais rien. Je n'avais plus la force de faire quoique ce soit. Certains matins, lorsque mon réveil sonnait, je me demandais qu'est-ce qu'il serait arrivé si j'avais été aux côtés du Prince durant son vivant, ou même, s'il se plaisait là où il était depuis ces semaines qui n'avaient plus aucun sens à mes yeux.

— Bonne nuit les gars, lâchai-je en sortant du salon.

— A demain, firent-ils en chœur, scotchés devant notre série préférée.

En trainant des pieds, je rejoignis ma chambre située au fond du couloir principal. J'étais complètement épuisé, et, après m'être changé, je me glissai dans mon lit en soupirant longuement. La même journée se répétait sans cesse, et j'en étais épuisé. J'avais l'impression d'être pris dans une spirale infernale et que je ne m'en sortirais jamais. Après demain, je devais rentrer chez moi à Busan pour les fêtes de fin d'années, sauf que je n'en avais aucune envie. Je ne voulais pas revoir toute ma famille avec qui je n'avais jamais été proche. Seuls mes parents et mes deux meilleurs amis comptaient pour moi. Ce fut donc avec lassitude que je fermai les yeux avec l'attente de vivre la même journée depuis toutes ces semaines passées.

Comme chaque nuit, il faisait entièrement noir autour de moi. Aucun rêve ne venait donner de la couleur à cette obscurité délirante. En fait, je les avais tous perdu, on me les avait tous voler du jour au lendemain sans que je ne m'y sois préparer. Ceci était la raison du pourquoi chaque jour me paraissait morose, parce que je n'avais plus aucun rêve. Lorsque j'essayais de me projeter dans l'Avenir avec un bon travail et une famille, tout s'effritait dans la seconde suivante.

Je ne pouvais plus imaginer le futur.

Soudain, un violent fracas me réveilla en sursaut.

Je voulus allumer en vitesse ma lumière, mais l'électricité semblait de plus fonctionner. Mon réveil affichait deux heures du matin, et nous étions actuellement le trente décembre. Devant moi, devant mon lit, mes volets étaient entièrement ouverts, la lumière de la rue m'éclairait comme une bête à un cirque, une légère brise faisait bouger les rideaux et surtout, ce qui me donna un coup d'adrénaline, fut que ma vitre était complètement brisée en morceau. Des éclats de verres s'étalaient sur ma couverture et je ne pouvais plus bouger, paralysé par la peur.

— Jungkook.

Sidéré, mes yeux se tournèrent sur ma gauche, et toute tension tomba promptement.

La première chose que je vis, fut un ours tenu entre deux bras avant que je ne fasse glisser mon regard vers le haut, jusqu'à rencontrer le sien. Son corps se parait d'une aura de lumière blanche, et, la beauté de cet être fit écouler une larme qui n'alla pas tâcher les draps. Puis, silencieux, cinq doigts longs et fins se tendirent devant moi.

— Prends ma main, mon Ange.

Après tout, ce que voulait Taehyung, était quelqu'un qui le reconnaisse à sa juste valeur.