
𝒐9 ❝𝒍𝒆 𝒅𝒆𝒔𝒆𝒔𝒑𝒐𝒊𝒓 𝒅𝒖 𝒄𝒉𝒆𝒗𝒂𝒍𝒊𝒆𝒓❞
This won't surprise you
But I despise you
You want to see, step to me, 'cause it's on
❝❞
Elle n'était personne. Elle n'avait jamais eu d'identité. Même son nom, Ascilia, ne voulait dire grand chose. Porteuse de torches, sans doute. Provenant de Germanie, c'était tout. Sa mère l'avait bien prévenue, il fallait dire. Elle ne serait jamais quelqu'un mais un spectre condamné à l'oubli éternel. Et c'était vrai. Elle n'était personne. Ni la fille ni la sœur de quelqu'un. Elle s'appelait Ascilia, juste Ascilia et jamais sa présence n'avait été remarquée. Quand les chevaliers avaient pris son village, eux-mêmes n'avaient pas remarqué la jeune femme qu'elle était. De toute manière, elle avait déjà été prisonnière. À vrai dire, au village, c'était une esclave, un butin marquant la victoire d'une tribue sur l'autre. Elle avait même songé à couper son opulente chevelure blonde pour se défigurer. Elle ne l'avait pas fait. Mais la Germaine avait réussi à échapper aux abus que l'on retrouvait si souvent dans les campements les plus sauvage. Elle avait. Le chevalier l'avait pris sous son aile. Une autre femme, aussi. Et puis il y en avait une autre. Un peu tous comme des gardiens qui l'observaient du haut des cieux. Elle avait toujours pris soin de bien honorer les dieux. C'était sans doute l'une des choses qu'elle avait retenue de sa mère. Sa patronne était Volla, déesse jouvencelle aux cheveux blonds cerclés d'or et servante de Frija. C'était ce rôle qui lui était échoué. Quand elle fut amenée dans le camp, comme le vulgaire object de désir auquel elle était réduite, elle avait prié Volla de lui accorder sa protection. Un temps, elle avait pensé que la bénédiction de la déesse l'embrasserait assez pour survivre. Comme elle s'était trompée ! Naïve Ascilia. Peut-être, au début, lorsqu'elle avait fait connaissance de la romaine, alors la divinité avait veillé sur elle. La latine l'avait soignée et puis la germaine avait pris soin des enfants de sa compagne. Elle ne comprenait pas le latin. Ni même aucune autre langue d'ailleurs. Mais la gentillesse et la bienveillance surpassaient tous les mots de tous les langages. Elles apportaient un sentiment de réconfort et de chaleur dans son cœur meurtri. Dans le froid des régions gauloises, dans la pluie et dans la boue, tous avaient un besoin de ressentir l'amour et la paix. Certes, les soldats n'étaient pas enclins à la tolérance, loin de là. Mais il y avait comme une sorte d'accord muet entre les esclaves, les prisonniers. Car muette était ce qu'elle était devenue. Dans son ancienne vie, dans les souvenirs lointains du passé, il ne lui avait pas semblé être aussi bavarde. Elle avait peur de parler et d'affronter une mauvaise sanction. De voir défiler devant elle les châtiments que l'on allouait aux insolents. Se taire était toujours la meilleure solution. Mais le chevalier lui avait donné l'envie de parler. De comprendre le monde et surtout, de le comprendre, lui. Il avait été le seul homme à la considérer comme elle était ainsi faite : une femme et non un désir secret.
Elle avait su en le regardant pour la première qu'il ne lui ferait aucun mal ; qu'en fait, il était son épée lige, son protecteur. Ascilia avait su que Volla l'avait envoyé. Deviné, plutôt. Car il portait dans son regard la tristesse des gens maudits. Il semblait avoir connu des siècles de misère en l'existence d'une malheureuse vie. Une étincelle avait rejailli de ses yeux hantés. Et elle avait cru à l'espoir. Elle avait voulu croire. La vie l'avait trompée. Ballottée au gré des coups et des désespoirs. La germaine avait affronté son sort avec dignité ; que pouvait elle y faire, de toute manière ? Lorsque le roi l'avait mise dans son lit, qu'aurait–elle pu faire ? Le menacer d'un poignard et le frapper, c'était signer son arrêt de mort. Quoi que, nota la jeune femme, elle était déjà morte depuis longtemps. Celle qui vivait en elle avait été forgée par les atrocités et les injures. Elle avait réussi à forger un masque impassible derrière la sensibilité tragique qui la caractérisait. Tout dans le monde était une affaire de survie. Et elle l'avait compris, du moins tenté. Ascilia était trop douce pour tuer, encore plus gentille pour manipuler. Mais dans l'idée de revoir un jour plus beau encore, elle avait adopté des comportements si chers aux guerriers. Sa peau s'était endurcie. De la porcelaine à l'ivoire, de l'ivoire à l'acier. Elle n'était pas sans nom. Elle était Ascilia et elle deviendrait quelqu'un. A l'extérieur de la tempête allouée aux esclaves, l'on entendait toutes sortes de bruits plus étranges les uns que les autres. Elle passa la tempête par le lourd rideau de tissu et vit deux jeunes gens avec ce qu'elle cru deviner être des instruments de musique. Elle avait déjà vu l'homme, il passait du temps en compagnie du chevalier. Galessin, se répéta la germaine comme une sorte de prière. L'autre était une jeune fille aux cheveux sombres et aux yeux rieurs, un foulard passé sur la tête, un vêtement et des bottes de cuir marrons sur le corps. Ils semblaient s'invectiver et même si elle ne les comprenait que très peu, Ascilia eu envie de rire.
❝ Je te le répète Sorcha mais tu le fais mal. Tu ne souffles pas assez longtemps et après, tu perds la note.
— Parce que tu t'y prends comme un dieu, c'est ça ? Excuse moi Ô Grand Ferghus. Je ne savais pas que je n'étais pas à votre taille.
— Arrête de râler ! Je fais ça depuis plus de temps que toi !
— Oui, ça fait plus de temps que tu es devenu sourd.
— Eh oh, on parle pas à son grand frère comme ça !
— Mon grand frère je l'emm-
Un cri se fit entendre de l'une des tentes et Ascilia sursauta. Le roi venait de sortir, une fourrure de fouine entourait son col et il avait l'air en colère.
— Je ne veux pas m'énerver et vous gueuler dessus parce que ça va la foutre mal auprès de mes hommes. Mais vous êtes réellement obligés de faire vos tututs devant ma tente, dans mon camp, à dix heures du matin ?
— Majesté, on ne voulait pas vous offenser mais si vous voulez vraiment qu'on compose un hymne Orcanien digne de ce nom, va falloir nous laisser jouer.
— Mais j'en ai marre de l'hymne Orcanien, j'en ai marre de votre incompétence inhérente à chacune de vos générations. Alors oui, j'en ai marre d'entendre vos tututs tous les matins.
— On va essayer.
— Oh et puis tant que vous y êtes, allez chercher le Seigneur Galessin, ça fait longtemps que je ne l'ai pas vu.
— À propos de ça, je crois qu'il boude.
— Qu'il quoi ?
— Bah qu'il boude ! gesticula Ferghus. Il est pas content quoi. Je crois qu'il a des... revendications.
— Des revendications ? Sur quoi ?
— Ah bah là tout de suite, je sais pas hein ! Il veut juste pas sortir de sa tente. Il a dit que vous étiez injuste avec lui.
— Plus exactement que vous étiez un gros connard et qu'il méritait de se barrer et rentrer chez lui, renchérit Sorcha. Mais après, c'est vrai qu'on avait eu quelques verres avant ça.
— Vous êtes en train de vous railler de moi c'est ça ?
— Non, non c'est vrai ça par contre, affirma Ferghus.
Le roi leva les yeux aux ciel et soupira d'un air excédé avant de s'en aller, la tête de fouine de son col se balançant au gré de sa marche. La jeune fille haussa des épaules en regardant son frère et reprit son cor. En réajustant son foulard, elle remarqua les yeux perçants d'Ascilia dans la tente. Celle-ci disparut immédiatement. Sorcha avait presque pitié d'elle, pour tout dire. Quelle vie terrible que de vivre sous l'emprise d'hommes, qui ne voyaient qu'en son corps que les désirs futiles et monstrueux que l'on devait à leur cruauté. Plusieurs fois, elle s'était glissée à l'insu des gardes pour lui glisser un semblant de nourriture ou quelques fourrures pour la réchauffer. C'était une femme étrange, la souffleuse avait remarqué. Toujours dissimulée et surtout, muette. Elle l'avait entendue balbutier quelques mots à l'occasion mais jamais rien de plus. Ce qui avait le plus ressemblé à une phrase avaient été deux mots. Tes lèvres. Et dans son esprit romanesque, Sorcha avait imaginé toute sorte de magnifique épopée d'amour et de larmes, car en quelque sorte c'était ce qu'ils vivaient. Elle avait aussi attentivement observé le seigneur Galessin. À vrai dire, c'était son seul passe temps avec celui de sa musique et celui de rendre fou son roi. Il le mérite bien. C'est vrai que c'est un gros connard. Le duc était fatigué, il fallait être aveugle pour ne pas le remarquer. Et puis le temps n'arrangeait pas les choses. La pluie n'avait pas cessé depuis des mois. Ce n'était plus de la boue mais presque le lit d'un fleuve qui serpentait entre les tentes de commandement. C'est beaucoup trop déprimant, je comprends que tout le monde boude. Elle haussa doucement les épaules et soudainement, son esprit se reporta vers la tente d'où venait l'esclave. Elle bruissait au bruit du vent, comme si quelque force désirait l'attirer à l'intérieur. Elle pesa trois secondes durant les conséquences et décida qu'il valait mieux qu'elle s'y aventure parce que de toute manière, elle s'ennuyait. Elle ne s'y jamais été attardée longtemps, même quand elle était allée visiter Ascilia. Voir ces pauvres gens seuls abandonnés, maltraités et humiliés lui rappelait qu'elle était dans le mauvais camp. Mais cette fois, tout semblait différent. Quand elle poussa le lourd rideau et qu'elle entra, trempée jusqu'aux os, elle ne vit personne. Pas même les enfants de l'esclave latine que le duc d'Orcanie avait pris sous son aile. Non, la tente était vide. Pis encore, il n'y avait plus rien. Plus aucune affaire. Déconcertée, Sorcha regarda autour d'elle, insatisfaite de rester sans réponse.
— Psssst, retourne toi !
— Ferghus ? Qu'est-ce que tu fous ?
— Viens, le seigneur Galessin veut nous voir. Je crois qu'il prépare un truc et j'ai vraiment peur du résultat.
— Pourquoi, il va faire une connerie ?
— Je crois.
— Comment ça ?
— Il m'a dit qu'il voulait aller parler au roi.
— Ah, effectivement, ça sent mauvais. Sinon, t'aurais pas vu l'esclave Germaine ou la Latine ? Je crois qu'elles étaient là il y a cinq minutes mais elles ont disparu, c'est bizarre.
— On réglera ça plus tard, viens !
— Bon, d'accord... ❞
Sorcha regarda une dernière fois la tente d'un œil inquiet et suivit son frère. Elle avait passé son cor en bandoulière autour de sa poitrine et peina presque à le suivre. En plus d'enjamber à grands pas les flaques de boues, elle sentait la tension régner autour du camp. Les soldats se divisaient en groupes et depuis la tente de commandement, la voix montait. Tous s'étaient rassemblés autour dans l'espoir de comprendre ce qu'il se passait, de voir ce général qui avait renoncé au combat. Ce général dont on disait qu'il allait déserter. Avant d'entrer, elle vit un éclair blond et devina où la Germaine avait fui. Elle aussi avait compris, car c'était d'elle dont on allait parler.
Ascilia savait que la jeune fille l'avait repérée. Mais au final, cela n'importait peu car au soir, elle ne serait plus là. Si elle ne réussirait pas à fuir, elle partirait d'un autre moyen. Tout ce qu'elle voulait, c'était de ne pas ressentir la douleur. Elle la craignait, à vrai dire. Elle pensait à la mort, c'était vrai aussi. Dans un sens, elle lui apportait du réconfort, une assurance que si cette vie était trop dure, celle d'après serait plus juste. Volla la guidait mais Volla n'était qu'une pensée, qu'un souffle sur des puissances qui n'existaient réellement. Elle s'en irait de là, vivante ou morte. Peut-être que cela laisserait un choc pour ceux qui l'avaient aidée, mais qui la regretterait, au final ? Le général ? La latine ? Elle n'était pas Ascilia, elle n'était que personne. Son esprit était pris entre ces contradictions enfantines et le malheur de sa condition la rendait aveugle aux liens que les gens avaient tissés avec elle. Pauvre Ascilia, douce Ascilia. Elle tourna la tête. Les cris s'étaient amplifiés.
❝ Seigneur Galessin, je vois que vous avez décidé de sortir de vos gamineries idiotes. Vous êtes enfin revenu à la raison.
— Je suis ici pour vous annoncer que je rentre en Orcanie.
— Vous rentrez ? Mais quelle grande nouvelle. Mon duc, bras droit de l'un des royaumes les plus peuplés de Logres se barre parce qu'il boude à cause d'une histoire d'honneur. Elle est belle, la légende ! J'imagine bien le cureton de Lancelot raconter ça aux générations futures : la désertion du duc d'Orcanie. Vous devenez un bel exemple, j'admire cela. Remarquez, j'ai toujours plus ou moins su que vous étiez un gros lâche. Il a juste fallu que je le découvre au moment opportun.
— Vous voulez savoir pourquoi je pars ? fit Galessin, les dents serrées. Je pars parce que même en temps que roi, vous n'avez pas plus de respect pour moi qu'un chien avec un cadavre. Parce que je ne supporte plus vos manières et votre fourberie. Je vous suis depuis que je suis gamin. J'ai toujours été à vos côtés. Mais je ne peux pas prendre un affront de plus. Parce qu'à chaque fois que vous en avez l'occasion, vous m'insultez. Je peux prendre sur moi et ne dire rien jusqu'à un certain moment. Oui, je pars, et songez à cela : il arrivera un moment où vos hommes partiront aussi, un à un. Un moment où votre fils partira. Vous vous retrouverez seul, trahi et abandonné. Alors adieu.
— Quamquam tecum obeam lubens. Nous ne sommes trahis que par les plus obéissants. Si vous reposez un pied en Orcanie, duc, vous serez tué. Et votre corps sera exposé aux corbeaux le long des côtes. Partez, seigneur Galessin. Et ne vous avisez pas de revenir.
— Continuez à brûler des châteaux. Les Dieux seuls savent combien vous appréciez cela.
Le silence tomba. Le général jeta ses armes aux pieds de son roi, déchira lentement les armoiries brodées sur ses habits. On lisait dans ses yeux le désespoir d'un chevalier. Oui, combien cela était dur pour lui de prononcer, de penser même ces paroles. Car au fond, Galessin souffrait de cela. Il avait passé la majorité de sa vie à la cour du roi Loth, il n'avait connu que lui. Mais lui prendre son prix, lui prendre cette femme qui lui avait rendu un semblant d'âme dans son corps vide avait été l'insulte de trop. Il avait eu l'habitude des moqueries, au fond ce n'était pas de la méchanceté pure. Non, le chagrin l'avait trop accablé. Il irait finir ses jours dans quelque misérable île, loin du monde. Ses rêves lui avaient parlé d'une cage, il la fuyait. Il ne serait jamais plus le jouet de la fantaisie de traîtres et de tyrans. Dans sa tente, il prépara à la hâte quelques sacs. Il partirait à la nuit tombée.
— Seigneur Galessin ! Qu'est-ce que vous avez foutu ? Vous êtes fous ?
— Si l'on peut dire. Que voulez-vous Ferghus ? Vous ne voyez pas que je suis au milieu d'arrangements ?
— Si mais justement... Avec Sorcha on s'est dit que, bah, on pourrait vous aider à partir. Et puis on l'a retrouvée, vous savez, la Germaine.
— Ascilia ? son cœur battit un peu plus vite.
— Oui, elle, la latine et ses gosses. Je crois qu'ils veulent partir avec vous. Enfin si ça ne vous dérange pas. Y a même quelques gars qui vont vous rejoindre. Je crois que votre discours les a inspirés.
— À la nuit tombée. ❞
***
La nuit était là. Enfin. Ils n'étaient qu'une quinzaine mais voir certains de ses hommes les plus fidèles le rejoindre l'avait presque fait sourire. Il n'était pas seul. Ferghus et Sorcha les avaient aidés, comme promis. Ils resteraient au camp, eux-mêmes n'ayant pas de raison de quitter le roi. Les adieux avaient été brefs. Pas de larmes, pas d'accolades. Juste la chance des Dieux. Flavia Livia avait failli se jeter dans ses bras pour le remercier. Avoir ses enfants ne feraient que les ralentir mais il s'était engagé à les protéger et à présent, il tenait ses promesses. Quant à Ascilia, ses cheveux brillaient sous la lune. Elle ressemblait à l'une de ces héroïnes maudites que les tragédies rendaient si romantiques. La nuit était là. Enfin. Et sur cette petite troupe, un souffle de liberté. Il ne se souciait pas de Lancelot ou de la Résistance, il savourait simplement la liberté.
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