𝒐6 ❝𝒍𝒆 𝒉𝒆𝒓𝒐𝒔 𝒅𝒆 𝒍'𝒐𝒖𝒃𝒍𝒊❞
Kick into action
And crack that whip
❝❞
Les semaines et les mois s'étaient succédés aussi longtemps et lentement que les grains de sable dans un sablier. Au début, il n'avait fait que dormir. Il dormait sur le même lit qui avait vu des années auparavant sa passion s'ébattre. Tout cela était douloureux. Il se rappelait de tout. Du sourire d'Aconia, de son parfum, du touché de sa peau. Il se rappelait comment ses cheveux descendaient en cascade jusqu'à ses reins. Il se souvenait de sa voix et de son accent prononcé, il se souvenait de son regard désespéré lorsqu'elle était partie pour toujours. Chaque nuit, il dormait avec la seule trace qu'il avait encore d'elle. La robe rouge hantait ses rêves. Chaque nuit, il revoyait Aconia dans sa robe rouge et une petite fille à la main. Il lui criait de revenir, il lui hurlait qu'il était là enfin, qu'ils pouvaient enfin se retrouver. Ses doigts n'étaient que fumée. Aconia ne l'entendait pas. Elle ne le reconnaissait pas. Et pourtant elle se retournait, comme si elle avait entendu un pleur à l'horizon. Elle criait aussi. Arturus, où es-tu ? Il essayait de lui répondre mais il ne pouvait pas. Je sais que tu es là. Voici ta fille. Elle est belle, comme nous. Viens la chercher, viens nous retrouver. Il essayait d'attraper la main de sa petite fille mais elle ne le voyait pas. Elle fixait le vide avec de grands yeux dorés et inquiets. Elle regardait frénétiquement autour d'elle, attendant une réponse à son regard. Chaque nuit le rêve était triste, chaque nuit le rêve se transformait en cauchemar. Tu nous as abandonné. Si tu veux nous revoir, reviens. Abandonne tout comme tu nous as abandonné et reviens. Tu veux rencontrer ta fille ? Alors reviens ! Abandonne tout. Et chaque nuit il se réveillait en pleurant, hagard et perdu. L'air frais de la nuit le ramenait à ses pensées, ce pourquoi il était là. Il avait fui parce que sa vie était menacée. Son ami le plus fidèle était devenu fou. Son ami le plus cher l'avait trahi. Son ami le plus loyal était à sa recherche.
Chaque jour, il essayait de s'entraîner. Il tenait à peine debout mais il essayait de s'entraîner. Il devait revenir, il devait redevenir celui qu'il avait été, un jour. Il survivait en se nourrissant de pelures trouvées çà et là. Survivre était son mot d'ordre. Il voulait partir de cet endroit mais les souvenirs étaient si forts qu'il ne pouvait pas l'abandonner. C'était son seul espoir de se raccrocher à une vie dont il n'avait connu qu'une lueur à des millénaires du bonheur qu'il avait désiré du plus profond de son âme. Mais cette vie magnifiée n'avait jamais été faite pour lui. Il ne l'avait pas méritée. Il n'avait mérité personne. Et chaque jour, un génie malin lui demandait : qui te manques le plus ? Et chaque jour, il répondait : ma femme, ma femme que j'ai à peine connu. Il ne savait pas de laquelle il parlait. La première, réveil des sens et de la passion. Ou la seconde, apprentissage de la patience et de la douceur. Il n'en savait. Il ne savait plus rien. Plus quel jour il était ou pourquoi il avait osé croire en ce qu'il avait tenté de construire. Il aurait du rester un soldat miteux sans grand destin, là il savait qu'il aurait mérité sa place.
Quand il sentait la mélancolie jaillir, il s'imaginait qu'il avait réussi sa mission. Qu'il avait rétabli l'ordre, que tout était comme avant. Qu'il avait retrouvé sa femme et cette fille que lui montraient ses songes. Il désirait ardemment se retirer de toute cette mascarade. S'il revenait un jour, le pays le haïrait pour avoir cédé les pleins pouvoirs à Lancelot. Il pensait souvent à lui, à l'avouer. Ce grand chevalier, ce grand héros. L'ami qu'il avait cru avoir. Il avait eu confiance en cet ami. Il était même venu à le considérer comme un frère, non pas de sang mais de cœur. Il ne prenait aucune décision sans avoir son aval. Il partait presque qu'exclusivement en mission avec lui. L'un et l'autre s'étaient sauvés la vie un nombre incalculable de fois. Peut-être avait-il été naïf d'y croire. Peut-être avait-il eu raison. Ne cesse de te battre, lui murmurait son âme. Tu reprendras ce qui t'appartient de droit. Tu restaureras la balance et la justice. Puis cette âme prenait la voix de cette femme qu'il avait à peine connue et le cauchemar revenait. Considérez moi comme mort, vous l'avez cherché ! Je ne ferai plus rien pour vous ! Et pourtant, il était irrémédiablement attiré vers la quête qu'on lui avait assigné.
Durant toutes ces journées à se rétablir, il avait pensé et réfléchi. Le Graal ne se trouvait peut-être pas dans un château. Et s'il était dans un château gardé par des seigneurs gaulois qui seraient prêts à me lancer une vache à la gueule ? Non, s'en amusait–il. Il s'était promis de ne plus y songer, cela était tout bonnement impossible. Le Graal était couvert d'un sens caché, beaucoup plus mystique ? Et s'il se trouvait non pas dans le monde connu, mais était le monde connu ? Et si... Et si quoi, commençait le génie malin. En seize ans, tu as échoué lamentablement, ce n'est pas aujourd'hui, aussi faible qu'une loque, que tu réussiras. Et alors il répondait. Je suis le roi Arthur. Je suis une légende, un mythe, un exemple. Même les pauvres cons qui m'ont assistés pendant toutes ces années seraient capables de le trouver. Il faut de la détermination. Le Graal n'est pas fait pour être trouvé, il nous trouve nous.
Chaque échec était une leçon qu'il retenait avec soin. Après deux mois passés à dormir, il avait repris l'entraînement. Après quatre mois, il avait entrepris de réaménager la villa et d'en faire un lieu vivable. Il était tombé, il s'était redressé, si ce n'est plus fort mais plus déterminé. Je suis l'humanité, un élu des Dieux. Je les ai peut-être moqués mais je veux me racheter, être une fois pour toute digne de mon pouvoir. Il se battait contre lui-même et c'était dur. Mais il se redressait un peu plus. Il tremblait moins, il gagnait en assurance. Son épée de bois ne tombait plus. Les souvenirs heureux rejaillissaient avec tendresse pour soulager son cœur. Il s'imaginait vivre comblé et passionné, entouré de ceux qu'il aimait, de ceux qui l'avaient toujours accompagné.
***
❝ Tu m'as abandonnée. Si tu étais revenu plus tôt, nous serions réunis. Tous les trois et heureux.
— Tu sais que c'était impossible. Chaque jour je regrette de t'avoir perdue. Chaque jour je regrette de ne pas avoir profité plus tôt de tout ce que nous avions. Mais je suis roi... Je l'étais à l'époque. Je devais servir d'exemple pour mon peuple. Je devais être un modèle.
— Tu l'es toujours. Et tu as changé, tu es plus triste encore.
— C'est parce que tu n'es pas à mes côtés. Reviens, nous serons heureux.
— Je ne peux pas, il n'y a que toi qui peux venir à moi. Est-ce que tu m'aimes toujours ?
— Plus que jamais. Je t'ai toujours aimée.
— Et est-ce que tu m'aimais encore lorsque tu as rompu la promesse que tu m'as faite ?
— Je ne voulais pas. La tentation était trop grande. C'était comme si l'on m'invitait à tromper ce que je m'étais tenu de respecter.
— Et tu l'aimais, elle ?
— Pas vraiment. C'était du désir. Je la désirais, je ne voulais pas l'aimer.
— Et ta femme, tu l'aimes ?
— Je ne sais pas. Je pense, oui. Pas comme je t'aime mais oui.
— Je le sais. Je le sais.
— Alors pourquoi me poses tu cette question ?
— Parce que je voulais vérifier à quel point je te connaissais. Je n'ai jamais cessé de penser à toi, tu sais. Moi non plus, je n'ai plus rien de toi. J'ai notre fille. Elle est belle, comme nous. Elle rit constamment, elle lit et danse. Elle a seize ans. Elle te ressemble, avec une tristesse qu'elle ne connaît pas encore, dans son regard. Elle sait que mon mari n'est pas son père. Mais elle ne sait pas qui tu es. Elle est rousse et ses yeux sont dorés. Elle est spéciale, un cadeau des Dieux.
— Les Dieux, les Dieux... ils m'ont posés assez d'emmerdes comme ça. Je n'en peux plus, ma douce. Je n'en peux plus. Aide moi à surmonter toute cette épreuve infinie.
— Ce n'est pas à moi, Arthurus. Tu le sais. Je ne suis qu'une distraction.
— Pourquoi tu m'appelles comme ça ? C'est Arthur, mon vrai prénom.
— Parce que pour moi, tu resteras ce jeune romain hagard et timide qui n'osait pas me couper la parole ou me regarder trop longtemps. Parce que je veux me rattacher à un souvenir réel de toi. Pas une illusion de mon esprit.
— Tu es une illusion de mon esprit.
— Peut-être, mais au fond de toi, tu sais que je suis là, avec toi. Dans ton cœur.
— Et la petite, tu l'as appelée comment ?
— Elyios Dunaíd.
— Celui qui aime... Une référence à un passif amoureux, je présume ?
— Une époque bénie.
— Pourquoi ne m'as-tu pas dit qu'il était ton mari ?
— Parce que je ne voulais pas te perdre si rapidement. Parce que c'était la première fois depuis des années que je me sentais vivante et belle. Parce qu'au final, tout commençait et s'achevait avec toi.
— Je suis désolé... D'avoir rompu ma promesse.
— Ne le sois pas. Je sais que tu essayais de retrouver un minuscule fragment de notre amour.
— Le retrouverais-je ?
— Non. Je ne suis qu'un fantôme du passé. Tu dois te concentrer vers la vision du futur. Nous nous reverrons. Toi, tu dois vivre. Moi je dois mourir en paix.
— Pourquoi voudrais-tu mourir alors que je pourrais t'offrir la vie éternelle ?
— Parce que tu ne la veux pas pour toi. Parce que tu sais que ce n'est pas ce que tu as désiré. À ton avis, pourquoi est-ce que la quête du Graal est si longue ?
— Parce que si je le trouve, je n'aurais plus de but. Parce que je me retrouverais seul et mon temps sur terre sera venu.
— Quand tu as essayé de prendre ta propre vie, Lancelot t'as sauvé. Tu penses qu'il t'as trahi. Crois moi, il pense toujours à toi.
— Aux moyens de me tuer oui.
— Non. Il est déchiré. Il regrette mais il est enflammé par l'ambition. L'Homme en Noir corrompt son esprit.
— Je ne peux pas te croire.
— Je suis ton âme, ton amour. Tu connais la vérité.
— Je suis faible, encore. Il me faut du temps. Je ne sais même pas si je vivrais.
— Tu vivras tant que ton cœur aura ce désir. La vie est un don. C'est pour cela que tu as voulu rechercher ta descendance. Tu as pensé à toutes sauf moi.
— Je voulais te rejoindre. Je ne pouvais te rejoindre.
— Tu me reverra bientôt. Tu verras notre fille et à quel point elle est belle. Lorsque tu partiras, emmène la. Elle a grandit en pensant que quelqu'un l'attendait. Son unique souhait est de te connaître. Elle espère que te connaître va mettre fin à son tourment. Toi seul peut la guider.
— On m'avait dit la même chose à propos de la Bretagne. Au final, je l'ai laissée tomber. Chaque habitants était un enfant que je devais chérir et j'ai abandonné chacun d'entre eux.
— Tu sais que c'est faux. Tu reviendras.
— L'épée... Je ne l'ai pas. Si ça se trouve, je ne pourrai plus la retirer. Je ne suis plus l'Élu.
— Tu as raison, sans doute. Rends-toi digne de la porter et elle sera de nouveau à toi.
— Tu es toujours en Macédoine ?
— Oui, toujours en Macédoine.
— C'est bizarre. Alexandre le Grand venait de cette mais tout le monde semble l'avoir oublié. Je voulais être comme lui, enfant.
— Je sais. Maintenant dors.
— Reste... quelques instants.
— Je ne t'ai jamais quitté. Je suis dans âme.❞
***
Il faisait jour quand il se réveilla. Un rayon du soleil réchauffait son visage, comme une caresse. Tout autour de lui aspirait à la tendresse. Tout aspirait au courage. Il se leva, cette fois sans tituber. Je suis l'humanité, pensa-t-il si fort qu'il sentait le monde exploser autour de lui. Pour la première fois depuis des jours, il se baigna dans le bassin rempli d'eau de pluie. Il resta dedans plusieurs heures à méditer. Il était l'espoir, l'humanité. Et quand bien même la tristesse faisait partie de son cœur, il était tenu au devoir de la chasser. S'il ne pouvait être heureux, alors il essaierait de trouver une joie simple dans les petites choses de la vie. Une plante qui poussait, un oiseau qui chantait. Le soleil qui s'étirait paresseusement sur son corps, les étoiles qui lui rendait son affection. Il ne pouvait pas chasser la mélancolie mais il pouvait apprendre à la connaître et à l'accepter. Il se devait de le faire. Pour la première fois depuis des mois, il tailla sa barbe et ses cheveux. Il changea de tunique. Il était un héros connu de tous, il devait faire honneur à cette légende qui serait sienne. Il ne tremblait plus. Son cœur avait comme gagné une nouvelle force, une qu'il n'avait pas trouvée depuis des années. Il voulait revoir cette femme qu'il avait à peine connue. Mais laquelle ? Toutes, lui répondit son esprit. Bons Dieux, je suis le Roi Arthur. Je ne cède pas. Quand Arès avait été enfermé par les Aloades, il n'avait pas cédé. Quand Orphée avait perdu Eurydice, il n'avait pas cédé. Alors lui non plus ne faiblirait plus.
Je suis un héros oublié. Quant à toi, ma fille, je te retrouverai. Même si je dois mourir pour te voir, je te retrouverai.
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