𝒐4 ❝𝒍𝒆 𝒄𝒊𝒕𝒓𝒐𝒏𝒏𝒊𝒆𝒓 𝒅𝒆𝒔 𝒓𝒆𝒈𝒓𝒆𝒕𝒔❞
If I were a friendly farmer
Wouldn't that be oh so sweet?
❝❞
Ce qui frappa Elyios en premier, ce fut l'odeur des citrons. Il y en avait tellement, de toute sorte et de toutes les couleurs. La ville regorgeait de mystères et chaque recoin était encore plus animé que le précédent. Le soleil, son père, jouait sans cesse à se cacher entre les ruelles. Tout était animé, tout était empli de vie. Et elle avait du mal à se dire que des milliers de lieux au loin, approchait une tempête. Elle avait été visitée par d'étranges rêves, semblables aux mots qu'avait proféré l'oracle. Car ces dernières semaines, l'été touchait à sa fin, ainsi que la propre innocence de la jeune fille. Elle comprenait, à présent. Son nom, même. Elyios, la fille du soleil, celui qui aima. Et Dunaíd. Cacher, retirer, fermer. Celui qui aima et qui fut retiré, voilà qui elle était. Il lui avait alors semblé grandir. Elle n'était plus réellement la jeune enfant qui souriait dans les prés. Elle commençait à se questionner et voir se dessiner devant elle sa destinée, son rôle. Et pourtant, elle n'osait pas en parler à sa mère car elle redoutait plus que tout de l'inquiéter. Comment lui dire que sa fille vivait des songes emplis de créatures mythiques, d'épées légendaires et d'objets fabuleux ? Comment lui dire que le monde qu'elle voyait au travers de ses yeux paraissait de plus en plus différent ? Mais elle restait Elyios, la douce et souriante Elyios. Elle restait la jeune fille qui courait parmi les blés et dansait à la nuit tombée. Elle restait la jeune fille qui aimait les Dieux, qui priait Hébé et Corè Persephone. Depuis le départ des deux hommes, sa mère demeurait troublée. C'était comme si une joie indescriptible s'était emparée de sa mélancolie. Et Dunaíd la voyait sourire, rêver et rire. Elle n'osait toujours pas la questionner car au fond de son cœur, la rousse savait que toutes deux redoutaient ce moment. Elles avaient peur. Mais cela les rendait plus fortes. Plus proches, presque.
Oui, Elyios rêvait et elle voyait des visages qui, dans l'immensité du monde, semblaient familiers. Ou plutôt, elle savait qu'elle les connaîtrait un jour. Elle ne savait pas vraiment à qui appartenait cette voix qui venait la visiter mais elle lui montrait des nouveaux visages et le destin des hommes. Elle sentait son âme dans son cœur ; comme si ses yeux d'or lui permettaient de distinguer les esprits des gens. Les jours, les semaines avaient passées et son don se perfectionnait. Pourtant, ce n'étaient pas les âmes qu'elle voyait réellement mais une vérité pure. Elle voyait des pans du futur comme dans un songe. Là, elle voyait un homme aimer, au visage doux et empli de souffrance. La neige tombait ; il avait froid. Et pourtant, son sourire était content car il avait été aimé. Elle savait qu'elle le rencontrerait. Elle avait aussi entrevu une jeune femme, un peu plus âgée qu'elle et belle. De ses mains jaillissaient des flammes noires qui léchaient ses bras avec envie, avec délice. Elle était pure, elle était chaste, lumineuse. Ses longues boucles noires opulentes se balançaient sur son corps, créant comme une mer de ténèbres sur sa robe rouge de sang. Et elle souriait, avec une illumination dans le regard. On eut dit qu'elle était animée d'une folie destructrice. Qu'elle trouvait le confort dans sa magie. Et puis Elyios se réveillait. Car elle ne supportait plus ces rêves. Car elle voulait vivre. Alors sa mère l'avait emmenée à la ville, profiter du soleil er des nouvelles récoltes. Dunaíd avait même revu certaines de ses anciennes amies, des jeunes filles de son âge et aussi naïves. Elles avaient parlé des dernières nouvelles de cet empire en décadence dont elles s'imaginaient encore la survie. À Byzance, chuchotait–on, la plus jeune princesse s'était enfuie en compagnie d'un général et d'une pirate orientale, laissant derrière elle la dispute sanglante de ses frères pour le trône. C'était Ariadne, nommée comme l'héroïne Crétoise. Comme elle doit être malheureuse si elle est obligée de fuir sa famille. Mais ces cancans ne l'intéressaient plus, plus maintenant. Les revoir avait creusé un trou dans sa poitrine. Car même entourée de la plus immense foule, elle se sentait étrangement seule. Elle ne le dénonçait pas : la solitude l'aimait. Mais c'était ce poids pesant qu'elle désirait combler. Plus elle avançait, plus elle voyageait seule. Elle portait sur ses épaules les noms d'anciennes légendes que l'on oubliait. Plus elle avançait, plus elle voyageait parmi les morts. Un pas devant l'autre, dans l'obscurité de sa connaissance, elle devait cheminer vers la lumière. Elle n'était plus réellement Elyios. Elyios, la fille du soleil, Elyios la bâtarde sans père, Elyios l'abandonnée. Elyios la solitaire. Dans ses yeux vivaient des flammes de naïveté, l'envie de vivre des jours meilleurs. Dans son sourire se nichait la vie et la mort de milliers d'étoiles. Elle respirait des rêves et elle marchait sur le sentier des astres. Mais elle restait Elyios la sans nom. Elyios la rêveuse. Certaines paroles lui venaient à l'esprit car elle savait qu'elle les murmuraient. Un jour, il vous le dira. Un jour, vous agirez. Un jour, vous pourrez sourire sans craindre la douleur du lendemain. Un jour, il vous pardonnera. Un jour, vous serez aimé. Un jour, vous réussirez. Et tout cela la faisait se sentir spéciale. Or elle n'était qu'Elyios. Elyios l'adolescente de bientôt dix et sept ans. Juste Elyios.
Elle s'engouffra dans une ruelle où la chaleur se faisait moins ressentir. L'odeur du miel vint envahir ses poumons, se mêlant aux effluves de citrons et de lavande. Ses cheveux roux se reflétaient sur les murs ocres, sa robe pâle chatoyant sous le vent. Et puis les larmes commencèrent à couler. Elle ne les retint pas. Elle pleura pour tous les chagrins qui étaient venus, toutes les jalousies idiotes d'amitié, toutes les disputes. Elle pleura pour tous les chagrins à venir, toutes les morts dans son cœur et tous les deuils. Elle pleura pour toutes les joies, tous les sourires et toutes les magnificences. Elle pleura pour les martyrs et les héros. Elle pleura doucement alors que les rayons du soleil tombaient sur elle comme une abondante pluie. Elle sentit le poids de son regard. Elyios la malheureuse, Elyios l'aveuglée. Elle continua son chemin, essuyant gentiment ses larmes. Une voix l'interpella. Elle bégaya.
❝ Gente demoiselle, pourquoi pleurez vous ? Le monde ne mérite pas vos larmes !
Elle leva la tête, un maigre sourire sur ses lèvres roses.
— Oh, ce n'est rien. Ne vous inquiétez pas. Je m'en allais de toute manière. Je dois rejoindre ma mère.
— Je peux vous accompagner, si vous le voulez. Je préfère rester avec vous plutôt que de vous savoir seule. Je ne veux pas qu'il vous arrive malheur.
Et il ajouta d'une voix si basse qu'elle ne put l'entendre, Car moi-même j'ai subi tant de malheurs.
La jeune femme le regarda de ses grands yeux dorés. Sur son visage buriné par le soleil se lisait des regrets inimaginables. Il semblait porter une malédiction ; celle des chagrins. Sa peau était comme un parchemin passé par trop de mains. Ses cheveux qui avaient paru jadis noirs étaient striés de blanc, enfouis sous un petit chapeau. Elle remarqua aussi que sa tunique sentait le citron ; il devait être un vendeur, lui aussi.
» Je ne veux pas paraître indiscret, loin de moi de paraître pour quelqu'un de plus énervant mais pourquoi êtes-vous triste ?
— Vraiment, ce n'est rien, vous savez. Quand on a bientôt dix-sept ans, tout semble triste. Surtout quand on ne connaît pas son...
Elle s'interrompit, consciente de trop parler.
Je m'excuse, je dois sans doute vous ennuyer à vous raconter ma vie.
— Non, non, la rassura–t–il. Quand on est comme moi, rien qu'un vieux marchand de citrons parmi tant d'autres, je peux vous assurer qu'un peu de compagnie fait du bien. Ça fait bien trop longtemps que je n'ai pas vu quelqu'un d'aussi idéaliste que vous. Plusieurs années, à vrai dire.
— Ah bon ? Comment ça ?
Le sourire lui revenait, ses yeux s'illuminaient peu à peu.
— Vous savez, il y a plus de quinze ans, j'étais quelqu'un de connu et célébré dans tout Rome. Tout le monde me connaissait. J'avais des amis partout, même dans l'armée ! Mes meilleurs amis faisaient partie des généraux les plus puissants de l'armée romaine. C'était le bon temps ! On était invités dans les plus belles fêtes de l'aristocratie. Même qu'une fois, j'ai aidé à tuer un roi barbare, c'était quelque chose ça ! Et puis je vendais les meilleurs citrons de la ville jusqu'à ce qu'un petit con me vole mon stand et mes contacts. Celui-là si jamais je le retrouve, je lui fais sa peau.
— Oh... j'espère que vous le retrouvez. Et vos amis alors, que sont-ils devenus ?
Une ombre passa sur le regard de son interlocuteur. À mesure qu'ils avançaient, il devenait de plus en plus triste, chargé des pires souvenirs. Il marchait le long d'une culpabilité qui l'avait hanté depuis dix-sept longues années. Presque autant que l'existence de la jeune fille qui suivait ses pas. Chaque jour, il avait essayé de se repentir de ses douleurs. Chaque jour, il avait visité les tombes de ses amis. De ceux qu'il avait aidé à tuer. Il s'était réfugié dans un autre rêve ; une autre vie où jamais ils n'étaient morts ; où jamais il n'avait fui. Où il n'avait été lâche. Où il n'avait été un traître. Il s'était réfugié dans un autre rêve ; une autre vie où il avait été un héros. Où il n'avait pas reculé. Où il n'avait pas cédé. Et dans cette illusion, il avait été heureux. Il avait fui la culpabilité que lui offrait Rome. Il ne supportait plus de voir chaque jour les souvenirs des jours anciens qui avaient jadis été beaux. Il ne supportait plus de voir les traces de sa couardise, les fantômes de ses erreurs. Il était parti pour ne plus revenir, pensant laisser tous les spectres du passé derrière lui. Mais il avait rencontré des visions du futur, des cauchemars qui le hantaient toujours. Il n'avait jamais trouvé de lumière, juste les ténèbres qui l'attendaient patiemment. Il se tourna vers elle, remarquant le soleil qui l'enlaçait avec douceur. Ses yeux étranges rayonnaient. Il inspira dans un soupir. La vérité était trop dure à formuler.
— Ils sont partis vers leur gloire. Y en a un qu'est devenu chef de la Bretagne et l'autre, bien... Il a fait sa vie avec sa femme. Ils sont partis loin, vers la Sicile. Ils vivent heureux, maintenant. Et celui qu'est devenu chef de la Bretagne, il s'est marié avec quelqu'un. Une femme Romaine, très belle, avec de longs cheveux noirs et des yeux un peu mélancoliques. Ils sont heureux. Ils sont tous heureux.
Plus que je ne l'ai jamais été, pensa–t–il.
Ils étaient arrivés sur la grande place et le bruit la frappa de nouveau. À quel point il avait été silencieux et à quel point elle avait écouté. Personne ne l'avait écouté ainsi depuis des années, des siècles presque. Peut-être qu'après tout, elle lui avait fait oublier ses souffrances quelques minutes durant. Peut-être qu'après tout, il pouvait un jour espérer racheter ses fautes. Peut-être qu'un jour, il se réveillerait et ne penserait plus au sang qui couvrait ses mains. Il regarda la jeune femme et ses cheveux dorés.
— Elyios ? Te voilà ? Je te cherchais ! Nous allons rentrer. ❞
Il se retourna et se trouva devant une femme, belle et grandes, aux grands yeux tristes et mélancoliques. Il les regarda s'éloigner lorsqu'il se rendit compte que la belle étincelle qui jaillissait dans le regard d'Elyios était la même que celle d'un jeune soldat qu'il avait connu à Rome, bien des années auparavant. Il se rendit compte que l'idéalisme du sourire d'Elyios était le même que celui d'un jeune soldat qu'il avait connu à Rome, bien des années auparavant. Il se rendit compte que son sourire était le même. Et il pensa soudain :
peut-être qu'il y a un espoir. Peut-être qu'il y a un espoir dans ce monde. Peut-être qu'on me pardonnera mes erreurs.
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