
𝒐2 ❝𝒍𝒆𝒔 𝒚𝒆𝒖𝒙 𝒅'𝒐𝒓❞
Stand up !
Don't let your legend suck
❝❞
À travers les épais rideaux, l'air frais du crépuscule soufflaient un vent mirifique. Niall frissonnait. Il détestait sa chambre, il détestait ce château. Parfois, il se maudissait pour son ambition et son orgueil. Il ne dormait jamais, plus depuis cette fameuse nuit. Les flammes crépitaient encore devant ses yeux, l'odeur du brûlé le hantait. Il revoyait encore la Table Ronde ravagée par le feu, il se souvenait des hurlements lors des traques. Dieu, qu'il désirait s'arracher la mémoire de son corps ! La douleur le démangeait. Jeune, il avait idéalisé le chevalier du Lac, Lancelot le Blanc. Et quand enfin ! Enfin il avait pris la route pour suivre son exemple, les rêves s'étaient éparpillés sur une route sans fin. On l'avait refusé, sous prétexte que le roi était mourant. Après la prise de pouvoir par Lancelot, Niall s'était fait capturé et recruté au service du régent. Aide de camp du régent Lancelot ! Un poste digne des plus grands honneurs ! Cela voulait aussi dire effectuer les bassesses, tuer les condamnés, questionner les prisonniers. Et ces crimes le gardaient réveillé. Non, il ne pouvait dormir. Il ne reconnaissait plus son seigneur. Jadis, l'on contait les aventures du grand et preux Lancelot. Depuis plusieurs semaines, il agissait comme possédé. Les actes cruels se succédaient, sans que personne ne sache expliquer le comportement du régent. Loth d'Orcanie disait que le pouvoir lui était monté au nez. Mais Niall sentait autre chose. Lancelot n'était pas lui-même. Parfois, le jeune homme entendait son seigneur murmurer des paroles inintelligibles, il parlait d'un homme en noir. Mais ce mystérieux personnage était invisible. Niall savait qu'au fond du cœur de Lancelot, il restait une once d'humanité. Quelqu'un l'avait brisé, son âme avait besoin d'aide pour revivre. Mais fallait-il qu'il soit prêt à être guéri. Bien qu'il haïssait les actions qu'il était obligé de faire, le sieur avait foi en son seigneur. Il avait espoir, un jour, Lancelot serait de nouveau un héros.
Un bêlement retentit dans la chambre. Le bouc Ferme-ta-gueule exprimait son agrément aux pensées de Niall, sans doute. L'animal était le seul véritable compagnon de confiance du jeune chevalier. Il se sentait pris au piège dans cette cour. Tout le monde trahissait tout le monde, personne n'avait la moindre once de décence. On lui répétait que sa gentillesse allait le conduire à la mort, mais il valait mieux se faire tuer en défendant ses convictions plutôt que de vivre en lâche. La seule personne avec qui Niall s'entendait presque normalement était Sieur Dagonnet. S'il ne brillait par son intellect, ses remarques éclairaient simplement le cœur bien obscur de ses comparses. Quand il n'effectuait pas les sales besognes de son seigneur, le "chevalier sans sommeil" se perdait dans les nombreux recoins du château. Dans une salle perdue, il avait fait la découverte de deux tabourets identiques qui transportait la personne qui s'asseyait dessus à un autre endroit. La salle des coffres était remplie de richesses sans noms. Toutefois, il avait perdu le goût de ces choses. Lui aussi avait besoin de quelqu'un pour guérir son cœur...
Ferme-ta-gueule vint se coller contre Niall, étendu sur son lit. Le ciel s'éclaircissait, non plus noir mais aux striures d'or et de rouge. Il était temps de réveiller le régent. L'aide de camp s'habilla de l'uniforme réglementaire de la garde, un habit blanc et gris. Il s'assura que son compagnon de chambrée avait bien à manger et ferma sa porte. Il déambula dans les couloirs et arriva enfin devant les appartements de son Seigneur. Il toqua. Pas de réponse. Niall entra quand même. La chambre jadis sombre et sobre était maintenant remplie d'armes ou de livres, éparses sur le sol. Le lit n'avait pas été défait, seulement des feuilles avaient été étalées dessus. Il se fraya un chemin jusqu'à l'autre pièce, un petit bureau tapissé de teintures. Lancelot se tenait debout, appuyé contre une fenêtre. Immobile, il ne faisait que regarder l'horizon en tripotant machinalement une chevalière passée à son pouce.
❝Seigneur, allez-vous bien ? Je peux vous laisser.
— Ah, c'est toi Niall. Reste. De toute manière, je dois bien me préparer. Mes espions vont faire un rapport.
— Vous semblez... ailleurs.
— Je suis sur une piste, j'ai peut-être un moyen de trouver le Graal. Le Graal, Niall ! Il faut que je le trouve, j'aurais réussi là où Arthur a échoué... Et Il pourra partir, me laisser en paix !
— Seigneur Lancelot, expliquez moi, je pourrais vous aider. Je ne peux pas vous laisser ainsi.
— Les yeux d'or. Une légende perdue sur un sortilège perdu qui permet de dévoiler aux yeux mortels toute la magie de notre monde. Je les trouve, je trouve le Graal. Et il me laissera. Niall, je ne peux plus dormir. Il vient me hanter, si je dors. Il vient me hanter constamment. Je pensais être assez fort pour lui résister.
— Qui est-ce, seigneur ? Cette personne que mentionnez sans arrêt.
— Méleagant. L'homme en noir ! Je dois faire oublier le règne d'Arthur. Je dois m'imposer, faire table rase du passé !❞
Lancelot s'effondra au sol, exténué après des nuits sans sommeil. Dans les bras de Niall, il avait l'air frêle et d'une pâleur maladive. Il fallait dire qu'il s'épuisait à la tâche, essayant si fort de parvenir à la fin de ses quêtes. Il paraissait au bout de ses forces. Toutes ces semaines, Méléagant était venu le voir. Chaque fois, il réclamait la mort d'Arthur, la vraie. Il réclamait de Lancelot l'abandon de la magie qu'il pratiquait en secret. Il lui ordonnait d'être un homme, de se rendre à la hauteur de la mission qu'il avait confié au chevalier blanc. Au fond de lui, le Seigneur du Lac savait qu'il voulait tout abandonner, se laisser noyer comme Arthur l'avait fait. Cependant, son ambition était la plus forte. Ce qu'il désirait ardemment, c'était de prouver que les membres du gouvernement précédent avaient été des incapables et que lui, grâce à sa discipline, était largement capable de réussir. Puis grâce à sa récente découverte, le trouver le Graal ne serait qu'un jeu d'enfant. Et puis, ses sentiments envers Genièvre s'éteint mués en quelque chose de tout à fait différent. Il avait ruiné quinze années de sa vie à convoiter cette femme. Certes, elle possédait les qualités idéales d'une dame : gentille, douce, attentionnée, même avec du caractère. Pourtant, il s'était rendu à l'évidence qu'elle n'était pour lui. D'une étrange manière, elle et Arthur étaient parfaits l'un pour l'autre, quoiqu'ils puissent arguer. Mais lui, Lancelot du Lac, avait un cœur qui ne saurait être guéri. Il ne parvenait à se l'avouer mais il perdait pied et se trouvait plongé dans l'obscurité chaque jour qui avançait. Trouver son prédécesseur l'aiderait à assoir son autorité et à prouver sa légitimité.
Quand Lancelot reprit conscience, Niall lui avait apporté de quoi se restaurer. L'intention était louable mais l'appétit manquait. Plus rien ne l'attirait, à par sa mission. Il congédia son aide de camp pour se concentrer sur le rapport de ses espions. Au Nord, un bateau provenant d'îles éloignées avait débarqué trois passagers. Dans le pays, aucune nouvelle ni de Venec ni d'Arthur. Et malgré tous les renseignements qu'il avait essayé de récolter, personne n'avait pu être à même de savoir où l'ancien marchand d'esclaves avait conduit l'ancien roi. Il avait fait mettre tout le royaume de Logres à sac, tentative vaine. Rien ni personne en Gaule, encore moins en Bretagne. Les chefs de clans qui avaient accepté l'autorité de Lancelot n'avaient fait qu'échouer. Frustré et perdu, il envoya valdinguer un livre poussiéreux à l'autre bout de la pièce.
Ce ne fut qu'une heure plus tard que le chevalier s'aperçut du miracle qui venait de se produire. Cet ouvrage en tombant, s'était ouvert comme par magie. Intrigué, Lancelot s'en approcha. Toute la poussière était retombée au sol, formant ainsi une auréole autour de l'objet. Il se baissa, sincèrement curieux. Un instant il oublia tous les malheurs qu'il avait pu causer et tous les malheurs que le monde lui avait offert. L'écriture était soignée, très étroite et cursive. Des tâches d'encre s'étalaient par endroits. Un paragraphe l'attira. Pour cette seule seconde, il n'y avait que ça qui comptait, seul cela importait face au monde.
❝Du règne des Dieux seuls les yeux
d'or de l'unique sang de l'Élu
En son sein guidera la vie éternelle
Gardienne des abeilles et l'Oublié
Feront écho au monde
Enfin le berceau du Soleil retrouvera son courage
Et débutera la guerre
Purifier les fautes enfin.
— Vous en avez mis du temps. Je vous pensais plus intelligent que cela. Encore une preuve que les Dieux vous ont abandonné. Une preuve une fois de plus que vous ne serez jamais l'Élu.
— Taisez vous ! Le nom d'Arthur est maudit dans cet endroit. Je vous signale que je suis peut-être moi aussi l'Élu ! Excalibur est revenue, une fois. Aux pieds d'Arthur et de moi. Je n'ai pas pu la tenir mais si j'avais pu... Je peux encore aller la chercher. Je suis sûr que j'arriverais à la sortir du rocher. À ce moment là, vous aurez sans doute décidé de me laisser en paix !
— Je sens sa marque sur lui. Vous pensez constamment à lui, vous tenez à lui. Pensez-vous que l'on gagne un combat par la miséricorde et la sympathie ?
— Je garde cette chevalière comme gage d'une amitié qui a jadis existé. Je ne vous demande point de juger mes actions. Bien que cela, vous le faites avec délice.
— Mon cher Lancelot, s'exclama-t-il en riant. À votre avis, pourquoi vous ai-je choisi ? Vous le savez pertinemment. Vous seul avez la capacité à conduire une vraie mission, avec un vrai but. Le Graal dans vos mains et vous serez l'homme le plus glorifié du monde connu ! Vous pourrez vous venger de tous les affronts que vos anciens compagnons vous ont fait subir. Quant à cette prophétie... Vous en connaissez le sens. Trouvez Arthur. Trouvez, vous trouverez les yeux d'or puis le Graal. Trouvez les anciens chevaliers. Continuez les traques. Usez la magie. Mais pas cette magie blanche de pacotille, non. Laissez moi vous apprendre les vrais sorts. Vous deviendrez puissant.❞
Une lueur nouvelle jaillit des yeux du seigneur du Lac. Un sentiment qu'il n'avait connu depuis des semaines renaquît en son sein. La peur, le doute et la mélancolie avaient quitté enfin son cœur. Il regarda sa main et cette chevalière, qu'il avait à son pouce. L'heure des jérémiades s'était achevée il y a bien longtemps. Il l'enleva et la jeta au sol. Il leva les yeux en direction des fenêtres. La nuit était là. Il se retourna et regarda Méléagant. Non, non, il n'était pas faible. Il prouverait au monde que lui, Lancelot du Lac, fils unique du roi Ban, était un nouvel Élu. Qui savait, après tout. Excalibur le reconnaîtrait. Il sourit. Faire table rase du passé, cette merveilleuse et doucereuse chanson résonnait comme la plus belle des mélodies. Diable, il était prêt !
***
Le crépuscule avait déroulé sa cape noire depuis plusieurs heures déjà lorsque Niall trouva enfin le sommeil. Ironique lorsque son surnom urgeait le contraire. Il rêva sans doute mais trop occupé à savourer ces instants de repos, il ne se soucia point de songes. Pourtant, son esprit lui insuffla une vision. Il se trouvait face à un femme dont les traits vaporeux se transformaient sans cesse.
❝Ah, c'est pas trop tôt ! Vous en avez mis du temps !
— Quoi ? Où suis-je ? Je suis censé dormir !
— Il va falloir m'écouter, jeune homme ! J'ai pas tout mon temps. Je fais ça avec tout chevalier que je trouve plutôt doué, donc une bonne dizaine quand même. Après, n'allez pas penser que vous allez avoir un destin exceptionnel. Je vous coupe tout de suite, c'est non. Peut-être à l'occasion il y aura un fait d'armes impressionnant mais c'est tout. Par contre ce que je voulais vous dire c'est qu'il va falloir vous mettre en route bientôt. Enfin, attendez que la fille arrive. Bref, je sens que vous allez gonfler en gloire. Je le répète encore : ce n'est pas le but !
Quand vous partirez, prenez un des deux tabourets magiques, ça pourrait vous aider. Et pensez à chercher vers le Sud...
— Je comprends rien !
— La dernière fois qu'une de mes semblables a aidé un gars de chez vous, elle s'est faite bannir ! Donc, bon salut ! Rappelez vous ce que je viens de vous dire.❞
Et juste comme ça, la scène s'acheva. Niall était perdu dans un monde entre le sommeil et la réalité. Il ne savait distinguer l'un de l'autre. Il lui avait semblé entendre le bouc et pourtant il ne se réveilla point. Il crut apercevoir une terre inconnue mais cela se devait d'être un songe ! Il ne sût combien de temps exactement il passa dans cet état intermédiaire. Simplement, il ouvrit les yeux pour découvrir Ferme-ta-gueule sur son torse, la langue grande ouverte et prête à le doter d'une douche. Niall le reposa délicatement sur le sol. Le sommeil l'avait troublé. En temps normal, il ne dormait qu'une paire d'heures par nuit. Quant aux songes, ceux-ci ne venaient le déranger. Surtout pas avec des femmes qui s'adressaient directement à lui !
Il fut interrompu net. La porte de sa chambre s'ouvrit en trombe, effrayant Ferme-ta-gueule. Lancelot entra. Tout de blanc vêtu, le front cerné d'un très fin bandeau aux fils d'or, il ne ressemblait en rien à l'homme de la veille. Ses yeux brillaient d'une lueur féroce, celle de l'ambition. Niall comprit que l'homme en noir était revenu.
❝Mon gentil Niall, je sais que tu rêves d'une légende à ton nom. Eh bien tu l'auras ! Dans une lune, quand les jours seront plus propices, tu partiras. Tu seras connu comme le chevalier qui a retrouvé Arthur Pendragon !❞
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