𝒐1 ❝𝒍𝒆𝒔 𝒓𝒊𝒗𝒆𝒔 𝒇𝒂𝒕𝒂𝒍𝒆𝒔❞
With no king upon the throne,
We've all been left alone
To build a new tomorrow here today
❝❞
Nesta n'avait pas même treize ans lorsque mourut sa mère, Ceana O'Beirnei. Elle avait été belle en son temps, la femme chérie du roi Ketchatar d'Irlande. La jeune fille se souvenait de son sourire radieux et de ses boucles rousses. Parfois, au soir, elle racontait à ses enfants quelques légendes des plaines irlandaises dont elle seule connaissait le secret. Pure et douce, voilà comment ses parents l'avaient nommée. Nesta Sabia Duffs était leur fierté, la quintessence de leur mariage après la naissance de l'héritier. Si Mór Lachaidh avait été conçu par devoir, sa sœur par amour. Pourtant, elle avait tenu responsables ses parents pour son sexe. Sabia avait été élevée dans le devoir d'une épouse, sans que l'on autorise à prendre part aux enseignements dispensés aux garçons. Elle rêvait de comprendre la politique, de gouverner à la place de son frère. Or, depuis sa tendre enfance, elle se devait d'apprendre la couture, la gestion d'une maison et la piété. Une colère avait commencé à grandir dans son cœur, attisée dans les flammes d'une rébellion à l'encontre de ce qu'elle détestait. Parfois, lorsqu'on la laissait seule pour dormir, l'enfant se glissait hors de son lit pour écouter les leçons du précepteur de son frère. Elle rêvait en secret de construire une grande nation, digne des plus belles légendes. Son père siégeait auprès du roy Arthur ; elle rêvait de prendre sa succession. Et plus les années s'effilaient, plus Nesta sentait jaillir ce courroux incontrôlable.
Le plus dur pour avait été la disparition de sa mère car elle perdait en elle un soutien précieux. Ceana avait paru aider sa fille. En vérité et malgré l'immense affection qu'elle lui portait, la reine souhaitait pour son enfant qu'elle trouve une voie plus sage. Était-ce par discipline ou par amour, mais Sabia s'était pliée aux exigences royales. La jeune fille avait accepté les leçons de broderies et l'apprentissage de la danse. Puis la mort survint et la colère se raviva. Les hommes avaient attendus d'elle la lamentation et une affectation féminine que l'on préconisait à son rang. Rien de tel avait touché son cœur, elle fut telle une statue. Ni lorsqu'on lava le corps ni lorsque le bûcher funéraire s'embrasa, ni lorsqu'elle se rendit compte pour la première fois du vide dans son cœur ni lorsqu'elle vit son frère et son père emparés d'une certaine mélancolie. Elle s'était promise de ne plus jamais laisser aux spectateurs de quoi se repaitre. Elle était une jeune fille qui avait grandi trop vite et dont on ne souciait plus. Mór était devenu le centre des cœurs et des attentions. À dix et sept ans, on le maria avec une jeune femme de la noblesse irlandaise. Ianessa Orlaith Douglass était de deux ans son aînée, et si l'union était arrangée, elle devint bien vite synonyme d'amour. Il ne passait pas une journée sans que l'on vît le jeune marié sans sa tendre femme. Il lui déclamait des poèmes et lui offrait les plus beaux brocarts, il la comblait de baisers et la faisait rire à toute heure. Et Nesta en fut jalouse, peut-être malgré elle. Elle avait si longtemps désiré une pareille douceur que l'amertume la prenait lorsqu'elle croisait son frère et son épousée. Pourtant, Ianessa appréciait cette adolescente rebelle et colérique. Elle voyait en Sabia la jeune femme qu'elle ne fut jamais.
Bientôt vint le jour où Ianessa se trouva enceinte. La colère de Nesta redoubla. Plus les jours passaient, plus elle se retrouvait écartée du trône. Et parfois, lorsque noire était la nuit et haute la lune, elle s'était mise à préférer d'innommables prières. Peut-être, demandait–elle, que l'enfant ne survivrait pas, ou que sa belle sœur se trouverait trop faible pour devenir prégnante à nouveau. Cette rage devint symbole de sa beauté, l'on murmurait. Une femme au visage de marbre et au cœur flamboyant. Or quand Orlaith donna naissance à une petite fille que l'on nomma Dulcinea, un soulagement avait pris le cœur de Nesta : sa nièce ne pourrait hériter du trône qu'après avoir atteint sa majorité. Mais les malheurs n'épargnaient jamais personne, pas même les familles de sang royal. Le nouveau-né mourut quelques mois avant son premier anniversaire, d'une mauvaise toux. Elle se sentit coupable, dans un sens. Comme si un génie malin l'avait poussée à ressentir quelque haine à l'encontre de cette enfant qui prenait de fait tout ce que l'irlandaise espérait. Pourtant, rien ne pouvait empêcher son âme d'être attisée par la colère. Chaque jour, elle assistait au spectacle désastreux que donnait son père. Peut-être était-ce cela, son malheur. Observer la bêtise sans pouvoir la prévenir.
Nesta sortit de ses pensées noires pour se regarder une nouvelle fois dans son miroir de bronze poli. Elle semblait belle, ainsi. Sa belle chevelure dorée tombait en lourdes boucles sur sa poitrine. Un cerceau d'argent ciselé ceignait son front, tandis qu'un saphir ornait son cou. Elle ajusta les plis de sa robe, une tunique de laine et de lin d'azur, aux fils d'or entremêlés d'argent. Je suis une reine sans couronne, et quand la lune me reconnaîtra, le monde pâlira à ma vue. Il était si simple pour elle de comprendre les affaires du royaume. Combien de fois avait-elle aidé son père ! Or cela faisait plus d'un an que Ketchatar ne paraissait décider d'agir contre Lancelot. Nesta avait élaboré quelque plan dans son esprit : il était infâme, avait trahi des codes d'honneur plus anciens que l'histoire elle-même. Elle avait été en faveur d'une tentative d'alliance avec les autres membres de la fédération. Son père, le roi, ne voulût rien entendre. Elle arpenta sa chambre de long en large. Après plusieurs minutes à fulminer, elle s'assit et s'empara d'une plume et d'un parchemin. Elle savait bien que c'était de la haute trahison, mais peu importait. Le sort de son royaume était en jeu. Elle inspira doucement puis commença à écrire. Les mots lui venaient tous seuls et elle ne sentait ni remord ni colère. Le bien du royaume. C'est pour cela que je le fais. Le bien du royaume. Il y avait deux lettres qui s'étalaient devant ses yeux brillants. Son pari était risqué, périlleux même mais elle avait la confiance des Dieux. Le bien du Royaume. La première lettre allait en ces termes, adressée au régent Lancelot :
Au très exalté régent du royaume de Kaamelott, Lancelot du lac. Je vous écrit du royaume d'Irlande, en secret. Vous me connaissez sans doute. Je suis Nesta Sabia Duffs, fille du Roy Ketchatar d'Irlande. Comme vous le savez, depuis plus d'un an, mon père n'a pas daigné prendre position dans la question de l'ancien roi Arthur et de votre souveraineté. Je vous invite donc à venir en notre château de Baile Átha Cliath afin de régler ce problème au plus vite. Je vous offrirai alors mon soutien si vous acceptez de me couronner Reine régnante d'Irlande à la mort de mon père. Avec tous mes respects, Nesta Sabia Duffs, princesse d'Irlande.
La seconde était, elle, adressée au roi Léodagan de Carmélide et expliquait ceci :
Mon très cher roi de Carmélide, je vous écrit car le royaume d'Irlande fait face à son heure la plus désespérée. Vous connaissez mon père depuis des années et l'avez toujours aidé. J'ai envoyé une lettre au soit disant régent Lancelot, l'invitant à venir à Baile Átha Cliath. Dépêchez un envoyé avant qu'il n'arrive. Vous aurez là une chance de vous débarrasser de lui. Je vous supplie de nous aider à vaincre cet ennemi commun. Je vous promets alors de vous envoyer notre armée afin de vous permettre de reconquérir le royaume. Que les Dieux vous aident. Nesta Sabia Duffs, princesse d'Irlande.
Un sourire s'esquissa sur les lèvres de l'Irlandaise. Sabia avait besoin d'un miracle et un miracle elle obtiendrait. Elle scella les parchemins et s'en alla vers le pigeonnier. Les murs du château étaient froids et mornes, tristes et silencieux. Le vent venait envelopper Nesta en hurlant au travers des fenêtres. Les couloirs étaient déserts, ne vivant plus qu'au rythme des chagrins. Elle se revoyait enfant, courant et riant. Une fois, elle avait poussé son frère des escaliers lors d'une colère idiote. Et je serais prête à le refaire, ajouta–t–elle mentalement, réprimant un fou rire. Toute la vie s'en était allée de la forteresse et toute la joie qui avait animé les salles s'était éteinte à la mort de Ceana. La princesse avait appris plusieurs choses en grandissant et parmi cela, la plus importante. Elle était un être de pouvoir et se voyait prête à tout pour obtenir ce qui lui revenait de droit. Il y avait en son cœur une part de ténèbres qui ne cessait de s'agiter. Et depuis plus d'un an, cette noirceur progressait. Elle désirait et désirait, encore et encore. Pourtant, son cœur aimait ou, plus, essayait d'aimer. Nesta était un nid de contradictions, oscillant entre la colère et l'hésitation. Elle devait se l'avouer mais Lancelot l'intriguait. Sabia mourait de savoir comment quelqu'un de si héroïque, brave et courageux s'était laissé tenté. Elle même voulait le pouvoir mais elle savait qu'elle serait différente. Je ne vais pas me laisser corrompre, moi. Je ne suis pas en quête de gloire. Je veux juste ce qui me revient de droit. Les rumeurs les plus folles colportaient que le chevalier s'était vu visité par un homme en noir, un voyageur des limbes. C'est insensé, il s'est laissé emporter par sa propre ambition. Mais au fond de son âme, elle sentait une étrangeté. Ses rêves étaient visités par une réponse. Elle secoua la tête, interrompue par son frère.
❝ Nesta ? Que fais-tu ici ?
— Pourquoi, tu désires documenter mes faits et gestes ?
— Non, je suis curieux, c'est tout. Ianessa ne te vois même plus.
— Peut-être mais je suis la seule à penser à notre survie. Notre père ne fait plus rien, tu ne l'aides même pas. Que va-t-il se passer quand Lancelot se pointera aux portes de notre ville avec une armée ?
— Nesta, je t'en supplie : ne te mêles pas de ça. Tu risquerais de faire plus de dommages que de bien. Je sais ce que tu désires et je promets de te donner des responsabilités quand le pouvoir m'échoueras mais ne te dresses pas contre père. Je t'en supplie ma sœur.
— Oui, oui. Maintenant laisse moi passer.
— Nesta... ❞
Mais les mots de Mór moururent sur ses lèvres alors qu'il voyait sa sœur disparaître dans les couloirs. La voir comme ça le rendait triste. Elle était de son sang et l'aimait mais elle semblait rejeter ce lien. Elle était aveuglée par une colère créée par des années d'isolement et d'illusions. Lui aussi désirait du fond de son cœur trouver un équilibre à ces sentiments vacillants. Il avait trouvé avec Ianessa un confort mais les temps durs les avaient éprouvés. Parfois, il aurait voulu abandonner cette charge qui pesait sur ses épaules. Non pas qu'il ne désirait pas recevoir cette charge qui lui incombait, de devenir roi. Mais il se sentait presque de trop. Il osait rêver de jours avec sa douce aimée, en paix et entourés d'une famille. Mais il n'osait seulement. Sans jamais confier ses craintes, Mór redoutait l'affrontement avec Lancelot. Son père attendait et attendait encore, refusant de prendre parti, clamant qu'Arthur, le véritable roi de Bretagne, reviendrait. Or le prince d'Irlande perdait espoir alors que les jours se succédaient. Un an et demi qu'ils vivaient dans la terreur de mourir, un an et demi qu'ils vivaient dans la peur de la destruction. Le régent patientait fermement, cherchant désespérément une alliance. Frapper le pays aurait un effet désastreux mais il se tenait prêt. Et cela effrayait Mór. Un instant, une pensée traversa son esprit, rien qu'un instant. Et si Nesta... Et si Nesta s'engageait auprès de lui ? Et si dans son aveuglement, elle tenterait de former une alliance ? Et si Nesta nous conduirait à notre perte ? Il secoua sa tête, cette pensée était insensée. Il connaissait sa sœur comme son propre cœur, jamais il serait possible de trouver quelqu'un d'aussi loyal et doux de cœur. Elle cachait son affection sous une colère sombre mais en son âme, elle aimait sa famille. Elle avait pris sur elle la mort de sa mère et l'injustice qu'elle subissait depuis sa tendre enfance. Il soupira doucement alors que le doux sourire de Ianessa vint envahir son cœur.
Elle venait de paraître devant lui, radieuse et magnifiée. Ses cheveux blonds comme le miel illuminaient les murs austères du château, ses yeux bleus étaient une mer vaste dans laquelle Mór aimait à se noyer. Ils avaient été chanceux, deux enfants à leur mariage. Chaque jour, le prince se rappelait du bonheur qui était entré dans sa vie. Il lui avait écrit des poèmes, des myriades de lettres et avait transformé cette union en amour véritable.
❝ Tu as l'air pensif Mór, que se passe-t-il ?
— Nesta... Murmura l'intéressé en joignant ses mains à celles de sa femme.
Je suis inquiet pour elle. Elle est silencieuse et j'ai peur qu'elle ne décide d'agir sur un coup de tête.
— Laisse la, mon doux. Elle est encore jeune et pense bien agir. Ce n'est pas de ta faute, comprends le. Elle t'aime, au fond.
— Je sais tout cela mais elle semble distante. Depuis plusieurs semaines, je la trouve changée. Elle est plus sombre, plus murée dans ses pensées.
— À ta place, je ne m'en inquièterais pas. Nesta est une femme intelligente et sensible.
— J'imagine... ❞
Mór serra la main de sa femme et son âme vagabonda. Là, à l'autre bout du château, Nesta s'agitait. Elle s'était endormie et son sommeil était boulversé par des rêves étranges. Un homme en noir, celui qui l'avait visitée des nuits auparavant, luttait contre une femme illuminée. Elle portait une épée vivante, toute parée de blanc et de vert. Et tous deux luttaient en une danse incessante et macabre. Elle souriait et lui riait, comme un démon sorti des ténèbres. Puis une autre surgissait, l'amour dans ses yeux, des fleurs dans ses cheveux. Le soleil l'enlaçait en la protégeant. D'autres arrivaient alors, un fils dissimulé, une fille haïe, des amants maudits et une prêtresse aveuglée. Il y avait une exploratrice inconnue et une princesse abandonnée. Nesta les voyait défiler alors que son songe s'accélérait. Les rires résonnaient alors qu'elle cherchait à fuir. Elle avait besoin d'un miracle et un miracle elle obtiendrait. Puis l'obscurité l'envahit et elle se réveilla en sueurs. Portant une main tremblante à sa poitrine, elle constata qu'elle était encore en vie. Ce n'était qu'une illusion. Une illusion. Des personnages inventés par mon esprit troublé. Mais la voix de la réponse résonnait encore. Elle l'ignorait mais elle résonnait comme un tambour de guerre. Or par la fenêtre, une douce brise vint l'enlacer. La princesse Irlandaise se pencha vers l'extérieur, un sourire merveilleux sur les lèvres. Il neigeait.
Il neige en été, le voilà mon miracle.
Les Dieux m'ont entendue, ils viendront
protéger mon pays et mon
trône. Il neige en été, voilà mon miracle.
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