
17 ❝𝒍'𝒆𝒔𝒄𝒍𝒂𝒗𝒆 𝒎𝒖𝒆𝒕𝒕𝒆❞
Why did all of these
feelings have to start?
Tearing at my armor-plated heart
❝❞
Galessin avait détesté l'endroit dès qu'il y avait mis les pieds. À vrai dire, il avait détesté partir de chez lui et s'engager sur des sentiers battus parce que son suzerain s'était pris l'envie de terroriser tout un territoire récalcitrant. Bàgh na h-Eaglaise lui manquait affreusement et sa vie en Orcanie semblait être un mirage maintenant trop lointain. Il avait détesté voyager en cariole, chose qu'il avait pris en horreur depuis la mort de sa deuxième épouse à la suite d'un accident où il avait lui-même failli perdre la vie. Il avait détesté la boue, la pluie, le sang et l'odeur de chair brûlée. Il avait détesté le voyage qui ressemblait plus à un supplice qu'à une mission de la plus haute importance. Il avait détesté les multiples tentatives d'assassinat perpétrées par sa reine et il avait détesté les simagrées des soldats. Il avait détesté l'absence de Gauvain. Il avait détesté ce vide dans son cœur, celui de son protégé, de son élève, de son ami. Il l'avait élevé et on le lui avait repris. À présent, il patientait, il fulminait dans une tente ballottée par les vents. Il attendait simplement sa récompense, la part du butin de guerre qui lui reviendrait de droit. Et quand bien même il formulait avec ardeur le souhait de rentrer dans son duché, il était premier lieutenant du régent, une fonction si solennelle et importante ! La pluie l'avait trempé jusqu'aux os et le campement s'enfonçait dans la boue, si bien qu'il avait fallu abattre des arbres pour ne pas se faire engloutir.
Le duc d'Orcanie maudit avec délectation le concentré de folie qui régnait dans l'esprit de Loth avant de s'enfoncer dans un amas de fourrures. D'après les calendriers, ils vivaient dans un été bien avancé mais rien n'y aurait indiqué cela. Il pleuvait de plus en plus fort chaque jour et ce n'était pas dans un campent fortifié dans le nord de la Gaule qu'ils trouveraient un éclat du soleil. La veille, ils avaient combattu une incursion des germains et plusieurs prisonniers avaient été fait ; c'était au chevalier orcanien qu'incombait la tâche de repartir les esclaves à différents postes. Peut-être, avait–il songé, que je me trouverais un semblant de compagnie. Peut-être qu'ils seront moins idiots que les soldats qui m'entourent nuit et jour. C'était là une solitude effroyable qui s'était logée dans son cœur. Trois fois veuf, par trois fois un vide qui ne pouvait se combler. D'un amour de jeunesse, il y avait eu Yseult. Une jeune femme de la noblesse de Bàgh na h-Eaglaise qu'il avait connu depuis sa tendre enfance et aussi rieuse que les blés. Or, sa constitution fragile l'empêchait de voyager et elle se trouva fauchée par une épidémie de choléra alors qu'il était en campagne militaire à l'autre bout du pays. Hira avait été la sœur d'un chef de clan de Houton, tendre et érudite. Et c'était dans un fameux accident de cariole où elle avait perdu la vie, la nuque brisée par les roues qui s'étaient renversées sur elle. Galessin s'en était échappé avec une jambe cassée mais il pleura longuement sa douce femme. Julyan avait été la fille d'un propriétaire terrien et était devenue son épousée sur ordre du roi Loth qui se désespérait de voir le duc seul et sans personne pour assurer sa descendance. Descendance qu'elle assura au prix de sa vie et celle de leur fils mort-né, Danel.
Au fil des années, il avait laissé le chagrin s'en allé. Les mauvaises langues avaient chuchoté qu'il s'était marié par intérêt mais tout cela était faux, il les avait aimé de son cœur. Mais il fallait s'y avouer, plus on avançait dans l'âge et plus on vivait en compagnie des morts. Combien de fois lui avait-on reproché le suicide de sa mère ? Combien de fois lui avait-on reproché l'état de dame Miranda, surnommée la Folle et qui s'était pris la vie alors qu'il n'était qu'un jeune garçon ? Une chose était sûre et certaine : jamais plus Galessin ne porterait un deuil. Il avait assez pleuré les disparus et la Vie l'accueillait à bras ouverts. Le duc d'Orcanie se redressa dans son siège de cuir. Voilà des minutes entières qu'il perdait à sombrer dans ses pensées en fixant le misérable papier qu'il tenait du bout des doigts. Son cher et bon roi reviendrait de son expédition en Berry d'ici quelques jours avec apparemment une immense satisfaction. Et en attendant, il était toujours en charge d'une bande d'incapables notoires. Il en venait presque à regretter son temps aux côtés de Lancelot, car si l'orcanien le méprisait, le régent restait une personne sensée et compétente. Il chassa d'un geste de la main une mouche trop curieuse venue se poser devant lui et contempla une dernière fois les flammes oscillantes des bougies.
Galessin arpenta sa tente de long en large, tâchant de trouver quelque chose pour occuper son esprit. Après avoir rangé deux fois ses parchemins, dépoussiéré les tapis et déplacé son bureau, il faisait face à la seule certitude du jour : décider du sort des prisonniers. Avec un ennui profond, il traversa le camp débordé par l'efficience du génie militaire. Le ciel était d'une couleur semblable aux pierres grises qui constituaient les murs de son domaine familial et l'atmosphère presque électrique qui en résultait annonçait un orage imminent. Ce fut en avançant vers la tente de commandement qu'il les vit. Ils étaient une dizaine, enchaînés et entassés les uns sur les autres, le regard vague et l'âme triste. Il y avait un vieillard qui croulait sous le poids des ans, affublé d'une canne et il y avait une enfant d'à peine une douzaine d'années, tendre et innocente. Une jeune femme s'assurait de la réconforter, son cœur semblait si humain à la lueur de l'horreur du monde. Elle était belle, cette jeune femme. Entourée de six enfants, le plus âgé d'une vingtaine d'années, le plus jeune à peine né. Elle avait le teint d'une latine et sur son visage se lisaient les traits d'une patricienne. La guerre n'épargnait personne, surtout pas les femmes. Celle là, on avait su son nom. Flavia Livia. Elle avait été offerte à l'un des généraux puis Loth l'avait réclamée pour son lit. Lorsqu'il s'en était lassée, il l'avait livrée à ses soldats pour l'amusement. Et pourtant elle se tenait là, auprès de ce vieil homme. Droite, fière. Dure. Les prisonniers, donc. Plutôt des esclaves, oui. Faut-il encore sanctifier cela ? Ils sont fait de chair et de sang. Le vieillard ancra ses yeux dans ceux de l'orcanien.
❝ Je suis un homme. Un homme n'a–t–il pas des yeux ? Un homme n'a–t–il pas des mains, des organes, des sens ? Des affections, des passions et des dimensions ? Nous nous nourrissons de la même nourriture, nous sommes blessés par les même armes, sujets aux mêmes maladies et guéris par les mêmes remèdes, revigorés et gelés par les mêmes étés et hivers. Si vous nous piquez, ne saignons nous pas ? Si vous nous empoisonnez, ne mourrons nous pas ? Si vous nous causez du tort, ne nous vengeons pas ? ❞
Et dans toute la beauté que lui avait conféré la Nature, il pleura de ses yeux purs de toute défiance. Il avait raison et cela Galessin ne le savait que trop bien. Or avant même qu'il ne puisse intervenir, deux gardes vinrent s'emparer de ce vieil homme que rien n'avait encore destiné au trépas si ce n'était son goût pour la Liberté jadis connue. On n'entendit qu'un cri. Il transperça l'âme du duc comme la plus profonde des dagues et le baiser glacé de la Mort vint saillir ses lèvres. Un instant il ne sût où il était et les odeurs, les sons, les bruits, les sensations et les couleurs se confondaient dans un tourbillon infernal. Un instant il crût être revenu sous les essieux de la cariole, tentant de se dégager pour sauver Hira, un instant il crût revoir Julyan et Danel sans vie, un instant il crût enterrer de nouveau Yseult, morte sans l'avoir attendu. On se précipita vers lui, on lui demanda si tout allait bien et il les congédia d'un revers de la main. Aux soldats, il s'adressa avec véhémence.
❝ Pourquoi avez-vous fait cela ? Cet homme n'a fait de mal à personne ni attenté à la vie d'un de nous.
— Ce sont les ordres, monseigneur.
— Je ne vous l'ai pas ordonné, pourtant.
— Ils ne viennent pas de vous, monseigneur mais du roi. Il nous a édicté cette loi de régler son compte à chaque prisonnier rebelle.
— Et vous n'avez pas pensé bon de m'en informer ?
— Parce que la missive ne s'adressait pas à vous, monseigneur. Vous n'êtes pas responsables de nous. ❞
C'en fut trop pour Galessin. Le geste parti spontanément, sans avoir même consulté son propre esprit. Il gifla le soldat sans en avoir conscience. D'une certaine manière, le duc portait le poids du monde sur ses épaules et cela avait été de trop. Il avait détesté l'endroit et Kirkwall lui manquait. Son foyer et un feu dans l'âtre, à contempler la danse incessante des flammes qui léchaient le bois dans un ballet hypnotique, voilà ce qu'il demandait aux Dieux. Or si cette prière n'était pas entendue, les autres ne le seraient jamais. L'attribution des prisonniers se déroula sans encombres. La plupart furent dirigés vers les cantines ou armureries, d'autres chargées en lavandières. Et ses yeux croisèrent ceux de la jeune femme au cœur si pur qu'il avait entr'aperçu quelques instants – ou étaient-ce des heures ? – auparavant. Ce n'était pas de l'amour ou du désir mais une sincère envie de vivre. Et ses lèvres voulurent murmurer les émotions enfouies et enfuies depuis des années mais il se trouva muet. Elle se tenait devant lui, ses iris d'azur plantées dans son regard et les lèvres tremblantes. Sa chevelure opulente blonde volait au gré du vent, presque trop humide par la pluie. Un parfum de terre se dégageait de ses robes brunes ; comme ce petrichor si familier et rassurant. Tout en elle semblait crier à la liberté et tout en elle semblait crier à la pureté de l'âme. Il ne sut combien de temps il était resté planté là, à l'observer. Elle avait ravivé en Galessin toutes les plaies qu'il avait essayé d'enfouir, toutes ses émotions qu'il avait réprimées au profit du devoir et de la loyauté. Non pas qu'il vit en elle une amante pour combler la solitude du camp mais un fragment de son âme qui lui avait été arraché il y a bien des années et qu'on lui offrait à présent. Non pas qu'elle était belle mais fascinante, intrigante et douce. Elle respirait la bonté et l'obligeance chuchotait qu'elle aussi avait été témoin des malheurs du monde. Elle frissonna et l'orcanien la vêtit de ses propres fourrures. La jeune femme leva la tête et leurs mains s'effleurèrent, dans une illumination incroyable. Ce fut alors qu'elle sursauta et se replia sur elle-même, dans un accès de peur incontrôlée.
❝ Comment vous nommez vous ? Je ne veux que votre bien, vous savez.
Elle ne répondit pas, les yeux hagards et perdus ; si différents du regard qu'elle avait arboré voilà quelques minutes. Le duc réitéra sa question, sans grand succès. Il s'avança avec prudence mais elle se dégagea une nouvelle fois.
» Vous ne parlez pas la langue ?
Puis il se maudit intérieurement car si elle ne comprenait la langue, elle ne risquait de lui répondre.
» Je ne vous veut aucun mal. ❞
Armé de prudence et de douceur, Galessin désigna à la jeune femme un endroit où elle put s'étendre. Il s'enquit de la nourrir car à la voir, la peau sur les os, elle méritait d'avoir le ventre plein. Il lui donna un bol de bouillon qu'elle avala en silence. Assis du coin de sa tente, il l'observait avec bienveillance. Jamais à vrai dire, il n'avait senti autant de compassion et d'espoir en une cause qu'il croyait perdue. Cette jeune femme était si humaine, si vivante et cependant avait les traits délicats d'une statue hellénistique. Sous la poussière, sa peau resplendissait et sous cette peur, se trouvait un soleil radieux. Mais cette peur indéfectible qui la terrassait n'en était que plus déroutante. Il n'osa imaginer ce que les soldats lui avaient fait subir en la capturant. L'orcanien ferma un instant les yeux pour réfréner la colère qui l'empourprait subitement. Quand il les rouvrit, la jeune prisonnière était endormie sous les fourrures. Plus étrange encore, un seul rayon de soleil vint l'embrasser et ont eu dit une martyre chrétienne qui gisait sur son dernier lit. Avouer qu'il passa des heures à la regarder assoupie fut difficile. Mais toute l'innocence que son aura créait ne faisait que lui redonner espoir. Sa vaine cause avait peut-être du bon. Peut-être se battait il pour quelque chose qui valait son sacrifice. Peut-être enfin, se reverrait-il aux côtés de celles qu'il avait tant aimé un jour.
***
❝ Je suis Galessin, tenta-t-il de faire comprendre à son interlocutrice.
Depuis quelques jours qu'elle partageait sa tente et elle acceptait la compagnie du duc. Elle ne tressaillissait plus quand il essayait de s'approcher. Mais la communication restait encore compliquée. Il s'avéra qu'elle parlait une forme de dialecte germain inconnu des hommes du camp.
— Gal... ssine.
— Oui, c'est presque ça, sourit-il. Et toi ?
Elle porta ses doigts vers ceux du duc, dans un élan vers la connaissance.
» C'est une main, et ça ce sont des doigts.
Sa main remonta vers le visage du chevalier qu'elle effleurait avec délicatesse et retenue.
» Ça, ce sont mes yeux, fit-il en accompagnant le poignet de la jeune femme. Il descendit lentement, trop lentement.
Et ça, ce sont mes lèvres.
— Lévres ?
— Oui, presque.❞
Avec elle, il souriait. Il en venait presque à oublier l'ennui mortel du quotidien et l'agacement constant que lui procuraient les membres du camp. Avec elle, son cœur se sentait dans un foyer, protégé et chéri sans aucune violence ni dégoût. La nuit, lorsqu'elle dormait, il s'était pris à deviner son nom. S'appelait-elle Leda, Ametia ou ou Dione ? L'infini de lettres pouvait composer son nom, une multitude de propositions dans l'univers bien trop énorme pour laisser place au hasard. Il délectait les syllabes, les laissaient s'évaporer jusqu'au dernier instant. Les mots n'avaient jamais paru aussi beaux que lorsqu'il les reprenait. En enseignant à cette belle prisonnière l'ordre de l'univers, il s'était pris de passion pour les petites choses de la vie et les tourments du côté du cœur. Jamais les objets banals du quotidien n'avaient semblé aussi passionnants.
Ce fut le lendemain même qu'on le réveilla de force, sans lui expliquer la raison. Deux soldats avaient pénétré dans sa tente et s'étaient emparés de la jeune femme. Galessin avait eu beau hurler, les menacer, leur expliquer qu'elle faisait partie de sa part du butin, rien n'y avait fait. On la lui avait prise. Elle qui avait été en l'espace d'un fragment dans le temps une joie et une espérance. Non pas qu'il aimait. Mais il avait cru en la vie. Cru au bonheur et cru pouvoir de nouveau atteindre les cieux des bienheureux. Il ne les avait jamais touché ; il était tombé, trop proche du soleil. Mettre à sac sa tente n'avait rien changé, pas plus que d'insulter chaque personne qu'il croisait. Les étoiles l'avaient regardé avec peine et chagrin. Il leur rappelait un guerrier d'un autre temps à qui on lui avait enlevé sa promise. Briséis et Achille.
❝ Seigneur Galessin, vous êtes mandé.
— Je ne veux pas venir.
— Vous n'avez guère le choix, à vrai dire. C'est un ordre.
— Ah ? Et de qui ?
— Votre roi, s'exclama une voix plus que familière.
— Vous êtes rentré ? Pourquoi ne m'a-t-on prévenu ? s'enquit le duc à son seigneur et maître, le cher roi Loth.
— Je voulais vous faire la surprise. Vous savez, cet effet dramatique que vous ne maîtrisez absolument pas. Voyez-vous mon cher Galessin, durant mon petit périple, j'ai incendié des châteaux et j'ai pu débarrasser le monde d'affreux personnages. Par exemple, de l'homme qui avait jadis volé ma fiancée. Et puis en rentrant, j'ai appris que vous vous étiez entiché d'une esclave sans penser qu'elle aurait pu être à mon service et m'intéresser. Alors j'ai pris la liberté de me l'approprier.
— Elle est aussi humaine que vous et moi, vous savez. Ce n'est pas la peine de la traiter de chose.
— C'est ce que l'on va voir. Gardes ! Apportez la !
Elle entra, des chaînes entravant son corps. Des zébrures marquaient sa chair d'ordinaire si pâle et douce. Ses yeux étaient bouffis à la lumière des lampes et rouges d'avoir pleuré. Mais ses iris d'azur étaient aussi belles qu'avant. Et elle les planta dans ceux de Galessin.
— Ascilia. ❞
Ascilia. Tu te nommes Ascilia. Je m'en rappellerai, ma douce. Ascilia, cela sonne si bien à mon oreille. Ascilia. On dirait un envol de colombes. Ascilia, la statue de marbre vivante. Ascilia, l'esclave muette. C'est toi qui as su déchirer cette armure autour de mon cœur. Ascilia. Grâce à toi, je ressens. Ascilia. Je viendrais te delivrer, ma douce. Ascilia.
***
hello yallz je change le jour de postage uwu
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro