It's time to give in
And go and so, goodbye
❝❞
Messire Calogrenant, me voilà à vous informer d'une bien étrange nouvelle. Je pars. Je pars à la recherche d'Arthur, sommée ainsi par Lancelot. J'ai à mémoire que vous désiriez m'en apprendre davantage sur l'endroit où il pourrait être ; je m'empresse de vous soulager de ce fardeau : je sais où il se trouve. Je n'y suis pour grand chose – c'est Mevanwi de Vannes (par ailleurs enchanteresse ?) qui a divulgué l'information. Sans comprendre l'entièreté des détails, j'ai eu vent de quelques bribes de conversations où elle mentionnait l'enfance d'Arthur en camp militaire romain. Voilà qui est dit : il semble – ou du moins tout laisse à penser – que l'Élu des Dieux se trouve à Rome. Peut-être est-ce là un amusement de la part de Lancelot mais il m'a choisie et son aide de camp, un certain Niall, pour effectuer cette mission périlleuse. Je crois savoir pourquoi : étant censée être à présent à son service et lui fournir une armée d'une centaine d'hommes, inconnue de la plupart des seigneurs de ce monde, il veut s'assurer de ma part une certaine loyauté. Je sais où gît la mienne, si je peux rassurer votre cœur. J'ai eu le temps de réfléchir proprement, de méditer sur vos précieux conseils. Il est vrai : je refuse de mener mes hommes au massacre, de les priver de leurs familles et de prendre des vies innocentes. Je refuse d'être une meurtrière. Mon père a passé un serment, il est temps pour moi de le renouveler. Voilà si peu de jours que je suis en Bretagne et tout me précipite sous les essieux de cette machine infernale. Avec un peu de bon sens peut-être, je la briserai. Je dois aller chercher Arthur, mais je vous l'amènerai. Je trouverai bien quelque mensonge pour Lancelot. Il me tuera sans doute, je suis jeune pour affronter la mort mais je préfère périr en me battant pour la liberté, pour les miens plutôt que de mener une vie oisive de traître. Tel semble mon rôle dans ce monde brutal. Mon voyage terrestre paraît s'accompagner d'un voyage de l'esprit et chaque étage s'enlace d'une nouvelle leçon apprise sur le nuancier des sentiments. En arrivant et en vous rencontrant, j'ai appris l'amour pour un homme et ses idéaux, j'ai appris l'humanité et la fidélité à une quête. Chez Lancelot, là même où je me trouve, j'ai appris l'ambition, les remords. Ce jeune chevalier, Niall, qui m'accompagnera... Il est humain. Il a ses failles, ses qualités et sait les reconnaître. Il est persuadé de pouvoir sauver Lancelot. Selon lui, il est réellement sous une emprise maléfique. J'ai peine à le croire, je dois vous l'avouer. (Mes monologues ne vous encombrent l'esprit, je l'espère. Sinon pardonnez moi, j'aurais honte à vous importuner !)
Un homme qui commet tant d'exactions ne peut qu'être au bout de son humanité et dénué de bon sens. Mais je n'ai pu m'empêcher de remarquer une indicible crainte dans ses yeux les rares fois où j'ai été en sa présence. Il avait l'air terrifié, pourtant si majestueux, un enfant essayant de se comporter comme un roi. Éternelle sauveuse des âmes, je ne peux m'arrêter de penser : et si Niall disait vrai ? Et si, dans une mesure indiscernable, Lancelot n'était pas complètement coupable des crimes qu'il officie ? Je divague, excusez-moi. J'ai cette tendance innée à vouloir croire que chacun peut se sauver des horreurs commises. Cela prend des siècles sans doute. Mais il y a du bon en chacun de nous, il sommeille dans la plupart des cas. Cela je suis en train de l'apprendre.
Pour en revenir au but initial de cette lettre, prévenez Leodagan que je pars en quête d'Arthur et qu'il était à Rome. Personne n'y avait pensé car peu savaient de son enfance là-bas. J'essaierai de vous le ramener vivant, j'en fais le serment ici. La Bretagne a besoin d'un roi, le véritable roi, désigné par les Dieux. Je ne suis habile aux armes, mais les herbes n'ont aucun secret pour moi, ainsi que la stratégie martiale. Vos hommes auront sans doute atteint mon île, maintenant et les embarqueront pour la Carmélide. Envoyez des émissaires en Irlande, chez le roi Ketchatar, chez Hoël ou Emilian d'Aquitaine. Dépêchez des ambassadeurs aussi loin que vous le pouvez. Gagner le support de rois et de princes nous aidera à renverser le pouvoir établi. Il nous le faut avant qu'ils prêtent allégeance au gouvernement de Lancelot. J'ai ouïe dire que certains s'y refusaient, contestant sa légitimité.
Je désire seulement faire mon possible, être à la hauteur du devoir qui m'est destiné.
Portez-vous bien, Sieur Calogrenant. Je crains ne pas entendre de vos nouvelles avant longtemps.
Ralia S.
***
Ralia soupira au vent qui venait ballotter ses cheveux. Il ne servait à rien de décrire toutes les sensations qui lui prenaient à la gorge, pourtant elle ne pouvait s'empêcher de vouloir discerner ce petit pincement du côté du cœur. L'idée de mourir lui avait été étrangère jusque peu. Elle avait été invincible, immortelle et son père s'était éteint devant ses yeux. La perte de sa mère l'avait confrontée une première fois au désespoir que tout être rencontrait. Pis encore, on l'avait interdite de voir son cadavre avant les funérailles. Mais le trépas de son père, mort presque de chagrin avait achevé de détruire l'armure qu'elle s'était construite. Mourir et la gloire éternelle dans une légende qui survivrait des siècles paraissait alléchant. Elle s'était habituée au fait, se murmurant chaque nuit que l'au-delà ne serait qu'une étape de plus dans son voyage dans le monde furieux.
Il y avait tant de belles choses qui s'étendaient devant elle, tant de beautés à découvrir. Et cela la réjouissait. Depuis sa discussion avec Niall et sa prévenance quant au sort de Lancelot, elle s'était interrogée. Où se trouvait donc l'étincelle de bonté qui gisait dans le cœur de cet homme ? De tout ce qu'elle avait vu, il n'était que rongé par l'affliction et l'orgueil. Sa connaissance des langues étrangères n'était immense, mais du peu de grec qu'elle avait appris avec des marins, un mot lui revint à l'esprit. L'hubris, orgueil démesuré qui conduisait les plus grands hommes vers la folie. Voilà le mal qui frappait sans doute le grand chevalier blanc. À se prendre pour le plus grand sauveur de l'humanité, il s'en était pris à défier les Dieux. Elle secoua la tête. De toute manière, en partant à l'autre bout du monde, elle ne le verrait plus avant des semaines. Le régent n'était que le cadet de ses soucis et Ralia devait se concentrer sur l'immense périple qui allait s'effectuer. Ses maigres bagages étaient empaquetés et entassés les uns sur les autres. Mevanwi lui avait cédé avec une bonté teintée de furie quelques robes et ses tuniques avaient toutes été nettoyées. Ils me traitent comme une princesse du sang. M'amadouer, pour que je reste dans leurs griffes. Ils ne se battent pas pour la liberté, moi si. Voici la différence fondamentale entre eux et moi. Elle avait par ailleurs libéré ses oiseaux, ne gardant que MacDuff avec elle dans l'urgence où elle devrait prévenir la Carmélide. Je joue un jeu dangereux, mortel même. Sylís le voyait ainsi : les Dieux la mettaient à l'épreuve, si elle ressortait vivante de cette inévitable guerre alors elle serait digne de porter les armes de son peuple.
À l'extérieur, la nuit sommeillait encore. La brise du crépuscule faisait s'agiter les branches des arbres alentours, qui tremblaient au son d'une musique connue seulement des immortels. En contemplant la lune qui scintillait, il lui sembla défiler des heures entières. Les pendules du monde n'étaient que plus qu'intrigantes pour les simples mortels dénués de toute sapience universelle. Rien que l'astre qui hypnotisait son être entier. Sur les îles, les fêtes en l'honneur de Arianrhod la déesse argentée étaient sans doute celles que Ralia chérissait le plus. Les prêtresses tenaient cérémonies à la nuit tombée, où chacun dansait et chantait dans une ineffable amitié. Lorsque l'on semblait trop épuisé pour continuer, les âmes s'allongeait au sol, au plus proche de la terre chaude et humide en contemplant avec magnificence la voûte céleste. Si cela lui manquait, peut-être mais plus encore : elle désirait mériter son retour. Mériter le droit de régner. L'aventure excitait son cœur de jeune fille : elle désirait se transformer en femme à présent. Peut-être était-ce un simple travers de l'esprit mais elle qui n'avait jamais envié la découverte, elle ne faisait qu'attendre son périple avec impatience. L'on disait qu'effleurer le danger donnait des ailes, c'était la vérité. Elle ne s'était sentie vivante que depuis ces dernières semaines. Son père lui avait jadis conté les batailles qu'il avait menées aux côtés d'Uther puis d'Arthur. Un homme se sent toujours invincible lorsqu'il sait qu'il est aimé. Je dois mes victoires aux beaux yeux de ta mère. Je les dois au confort que m'apporte ma famille. Un homme qui n'est pas aimé ne sera que vulnérable devant une épée. Que serait le monde sans amour ? Laisse moi te dire un secret, ma douce. Les Dieux nous envient. Ils nous envient car nous sommes mortels, nous connaissons le trépas et le repos. Ils nous envient car n'importe quel moment que nous vivons pourrait être notre dernier. Retiens cela, ma belle. Nous ne sommes qu'humains et les dieux nous ont façonné pour aimer, telle est notre plus grande gloire et notre plus grande tragédie. Ralia souriait bêtement en repensant aux doux moments de son enfance. Telle était sa force ; elle savait que dans ce monde, elle était aimée pour ce qu'elle était et non ce qu'elle devait paraître. Elle ne pouvait atteindre le bonheur mais s'en approcher et toucher aux sphères éthérées de l'espérance. Elle leva la tête, haute et digne. Son devoir, redonner espoir à la population. Les aider.
Sylís s'extirpa de ses fourrures discrètement. Elle frissonna avec ardeur, caressant ses bras blancs pour faire disparaître la chair de poule. Elle passa une robe noire et entreprit de se nettoyer avec la petite bassine qu'on lui avait accommodée. L'eau était glaciale et d'aucun secours pour chasser le froid intérieur qui régnait dans son cœur. Si les premiers signes de l'Aube apparaissaient, l'obscurité était encore trop bien installée. Il lui restait qu'un couple d'heures avant que le château n'émerge du sommeil. L'envie soudaine de visiter les couloirs déserts venait de lui prendre à la gorge. Une dernière fois avant le grand départ, un adieu à jamais définitif. Ses pieds nus coururent sur la pierre grise et le bois abîmé. Elle dévala les escaliers de sa tour dans un rire enfantin. Une euphorie nouvelle se dispersait dans ses yeux. Ralia se sentait maîtresse d'un lieu inconnu, quelle joie de découvrir les recoins mystérieux d'une pièce oubliée. Sa robe s'étendait en une traîne obscure derrière chacun de ses pas si bien qu'on eût l'impression qu'elle flottait comme une Willis au clair de lune. Son souffle s'amenuisait mais quelle joie de découvrir l'interdit. Un instant elle s'imagina rencontrer cet étrange homme en noir dont avait fait mention Niall. Ralia se vida l'esprit complètement. Seule dans les couloirs pourtant grouillant de servants, il lui avait l'air d'être la seule personne restante au monde. Une ultime fois elle serait une enfant, naïve et innocente. Une ultime fois elle serait ignare de la misère du futur. Dans son élan, elle ne vit pas la silhouette encapuchonnée qui observait avec un petit sourire ses danses idiotes.
Elle s'assit un temps le longs des murs mornes et solitaires pour reprendre son souffle quand elle entraperçut une vague lueur à l'opposé du couloir. Une petite flamme vacillante dansait au gré du vent, fragile et prête à se briser. Intriguée, elle s'y dirigea. Ralia se cogna deux ou trois fois contre quelque meuble posé là et pesta intérieurement. Ivre des étoiles qui explosaient dans ses yeux, elle n'arriva à la chambre qu'après avoir repris ses esprits une bonne dizaine de minutes. Devant le seuil de la porte, une émotion intense s'inscrivit dans son corps. De l'appréhension, devina–t–elle justement. Son cœur lui intimait de passer le pas de la porte mais le bon sens lui confiait qu'elle n'avait aucun droit. Sylís savait ce qui l'attendait derrière. Il était de l'autre côté et il fallait qu'elle le voit avant de partir. La féroïenne effleura le bois et le battant s'ouvrit dans un petit grincement. Elle allait rentrer lorsqu'elle se rendit compte de son erreur. Non, ses pas et sa curiosité l'avaient portée dans la chambre du régent. Elle n'aurait pas dû venir. Intimidée, elle recula, le visage éclairé par les flammèches des bougies dont les couleurs mordorées se reflétaient dans ses yeux de miel presque liquide. C'est là qu'elle le vit, étendu sur son lit, le regard perdu et vitreux. Un sanglot le secoua. Ralia savait qu'elle risquait beaucoup. Mais cette vision l'avait comme hypnotisée. Son corps hurlait de partir pourtant elle ne faisait qu'avancer vers Lancelot.
❝ Seigneur ? Allez-vous bien ?
— Qui est-ce ? questionna–t–il d'une voix lointaine.
— Ralia, la prisonnière qui doit aller en mission suicide. Vous savez ?
— Ralia ? Je ne connais personne de ce nom. ❞
Avec des gestes retenus, elle se rapprocha du chevalier. Elle buta contre des livres et se rattrapa avant de s'étaler comme une idiote sur le sol. Elle s'assit sur un bout du lit, saisit par la peur. Une chose de travers suffirait à l'envoyer à la potence. Délicatement, elle tenta de le redresser contre des coussins. Il ne broncha, se laissant faire. Ralia effleura sa main. Une fraction de seconde se déroula mais il lui sembla un siècle. Le contact dura trop longtemps. Les doigts de Lancelot se refermèrent sur ceux de la féroïenne le temps d'un souffle. Un seul souffle. Elle retira aussitôt sa main, honteuse. Tout le monde allait croire qu'elle s'était introduite dans les appartements du régent pour quelque faveur obscure. Rien de tout cela, à vrai dire.
❝ Seigneur, je suis venue vous adresser mes adieux avant mon départ. Je ne sais si je reviendrais vivante. Tâchez de vous rappeler de cet instant lorsque vous aurez conduit mes hommes à la mort.
— Personne n'est jamais venu me dire adieu. Ils partaient tous, sans me dire adieu.
— Je ne comprends pas, signifia la jeune femme. Je dois y aller, je pars dans une heure.
Elle se sentait plus que mal à l'aise, confuse par les paroles du chevalier du Lac.
— Restez, supplia–t–il. Il va revenir.❞
Et Ralia se leva, le cœur serré par ce qu'elle venait d'assister. Je viens vous dire adieu avant de ne plus jamais vous revoir, avait–elle osé penser. Avant de servir une vraie cause, celle des Dieux. Celle de la justice et de la raison. Était-ce cet homme que Niall portait tant en affection ? Un chef de guerre brisé, un roi de pacotille plutôt. On lui avait conté tant et plus sur la mélancolie de Lancelot. Quelques heures plus tard encore, elle croyait à une innocence. Mais la vue de ce spectacle n'avait fait qu'accroître une rancoeur qui ne lui était pas familière d'ordinaire. Un homme qui massacrait des villages entiers et pillait des villes sans scrupules ne pouvait passer pour aussi torturé aux yeux des spectres de la nuit. Il se jouait du monde, voilà tout. Ce soudain revirement d'opinion ne l'affectait ; au contraire il amplifiait son désir de liberté. D'aucun trouble des passions mortelles n'avait su guérir le cœur de Lancelot et décidément elle ne pourrait le faire. Elle ne le détestait point ou le haïssait ; elle avait pris en haine ses idéaux et son orgueil, son hubris. La piété de Sylís n'était immense mais elle savait qu'un homme qui se mettait en travers du chemin des Dieux récoltait misère et colère. Mais le doute avait semé des graines qui germeraient avec moquerie. Un sentiment bien étrange à la colère qui l'enveloppait naissait pour grandir. Lancelot semblait pris, hypnotisé par une puissance supérieure. Ralia ne voulait que se convaincre de sa culpabilité mais les germinations brûlantes enserraient son coeur. Le doute et encore le doute. Elle retourna alors chercher ses sacs dans sa tour, la mine basse et l'œil hagard. Elle n'entendit pas le rire de la silhouette encapuchonnée pas plus qu'elle ne le vit s'engouffrer dans la chambre du régent. Lorsqu'il se réveilla de ses songes troublés, il ne se rappela plus de rien. Méléagant était tout ce qu'il avait connu.
***
Ralia se retourna une dernière fois pour regarder le château. La forteresse de Kaamelott semblait lugubre au point du jour sans personne pour la rendre vivante. On lui avait autorisé à monter Scàthach, une bonne nouvelle pour conforter le trouble dans lequel elle était plongée. De ne pas avoir dormi de la nuit, la fatigue la prit. Elle tenta beaucoup pour ne pas s'affaler sur sa jument, au bon plaisir de Niall. Sa compagnie, nota Sylís, serait de bonne augure. Trouverait–elle un ami en sa personne, elle ne pouvait le dire. Sa loyauté envers Lancelot était déstabilisante. Autrement, il avait l'air d'un bon gars.
❝ Quand vous aurez fini de vous retourner, on pourra peut-être partir, qu'est-ce que vous en dîtes ?
— Je suis plus que prête, lança–t–elle dans un bâillement. Mais pourquoi vous avez un tabouret coincé sur le dos ?
— C'est un siège de transport, ça nous sera utile. Maintenant, en route !❞
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