12 ❝𝒍'𝒂𝒓𝒄𝒉𝒆 𝒅𝒆 𝒍'𝒂𝒍𝒍𝒊𝒂𝒏𝒄𝒆❞
Time is of the essence
So I need your acquiescence
❝❞
La chaleur se faisait de plus en plus écrasante au fil du périple. Malgré l'économie, les réserves d'eau et de nourriture s'amenuisaient de jour en jour. Un miracle se présentait en la vision d'un arbre au détour d'un mirage. Gauvain soupira. Ses compagnons de route avaient perdu leur verve au moment où ils avaient posé les pieds dans le désert. La mission avait débuté plusieurs semaines auparavant, lorsqu'ils avaient reçu une missive de Venec. Depuis qu'il avait secouru Arthur, l'ancien marchand d'esclaves se terrait dans une cale de bateau. La Résistance s'était organisée alors, Venec à sa charge. En Carmélide, Léodagan réunissait les armées et les divers lieutenants s'étaient dispersés dans le royaume, à la recherche d'Arthur ou de moyens de nuisances envers le pouvoir en place. Les Semi-Croustillants s'étaient établis non loin du château, opérant différents attentats plus élaborés les uns que les autres qui enrageaient Lancelot et le moral de ses troupes. Quant au fils du traître qu'était le roi Loth, il avait été dépêché avec Yvain, le seigneur Bohort et le maître d'armes de Kaamelott dans un désert chaud et immense. On leur avait dit de se mettre en quête d'un objet presque aussi puissant que le Graal ! Or d'aucune âme n'avait trouvé le Graal en ces temps de misère. Le jeune chevalier Orcanien n'avait jamais réellement su d'où cette information était sortie, à vrai dire. Cela lui avait paru très intriguant : trouver un artefact permettant de défaire la moindre armée. Les guides et autres receleurs de légendes s'étaient accordés à dire que la relique était cachée quelque part en Judée, cent lieues au sud de la ville sainte. Ils avaient été dans l'obligation de se séparer de leurs montures, étant trop difficile de les nourrir. Depuis quelques jours ils erraient et quelque chose de singulier s'était insufflé dans l'âme de la petite troupe. Un soutien infaillible, comme s'il partageaient chaque angoisse, chaque souffrance et chaque doute. Gauvain s'était rapproché au plus près du cœur de son compagnon de toujours et une sorte de nouvelle flamme s'était muée en brasier dans son esprit tremblant. Porter un regard sur Yvain lui donnait l'impression de se voir transpercé par des poignards invisibles. Quelque mot réduisait ses sens à un état proche du néant. Or cela il ne pouvait se l'avouer, il ne pouvait se le formuler pis encore, ne pouvait concevoir le brasier qui s'était emparé de son corps. Parfois, il osait jeter un coup d'œil en direction de son compagnon et il rougissait immédiatement, remerciant les Dieux de l'avoir affublé d'un voile pour protéger son visage du soleil.
Les quatre comparses avaient établi un campement pour la nuit dans le creux d'une dune. Les indications semblaient à présent claires : ils atteindraient leur but d'ici un couple de jours. Bohort venait d'allumer un feu, seule source de chaleur dans les frissonnements du crépuscule. Les flammèches dansaient sur les visages des hommes, dans une valse incessante et presque terrifiante. Les maigres dattes qui constituaient le repas n'étaient que frugales et la moindre goutte d'eau une explosion de délices. Le jeune Orcanien n'écoutait que d'une oreille distraite les fables illuminées de ses amis, pourtant si distrayantes.
❝ Et puis c'est comme ça que j'ai aidé à tuer le dragon à deux têtes à Craig Phadrig. Je me souviens encore de mon père, je devais alors avoir treize ou quatorze. Il avait posé sa main sur mon épaule et m'avait dit en me regardant dans les yeux : Michel, tu feras un très bon épéiste !
Le maître d'armes esquissa un petit sourire à ce souvenir chaleureux.
— Vous vous appelez Michel ? C'est trop classe ! s'exclama Yvain, fortement impressionné.
— Oui, compléta Bohort. Notre vaillant maître d'armes se nomme ainsi. Il a d'ailleurs connu mon père, Bohort l'ancien et la cour du roi Ban !
— Il fut un temps où tous se précipitaient dans les fastueux banquets du roi et de sa femme. Je peux encore vous raconter à quel point Elaine resplendissait lors du banquet organisé pour la naissance de...
Son visage se rembrunit aussitôt, une ombre avait plané sur ses yeux.
» La naissance de Lancelot. Avant de devenir le fou qu'il est, il avait été un petit garçon charmant quoique colérique et parfois capricieux. Cette époque est révolue, il faut l'avouer. Peu de temps après la mort de Ban, je suis allé me mettre au service de Pendragon.
— C'était pas un gros taré lui ? s'enquit le chevalier au Lion.
— Il avait son caractère et cela lui seyait à merveille. Lui aussi était capable de crises démentes, tuant tout sur son passage. Quand il n'a pas réussi à sortir Excalibur, je ne vous laisse qu'imaginer le carnage. Ce ne sont que des moindres méfaits, de cruelles légendes circulaient dans les couloirs sombres des châteaux. Les mauvaises langues murmuraient qu'il avait abusé d'une jeune fille, descendance même de son amante d'une nuit, Ygerne – et de ce fait mère d'Arthur – . Ces mêmes comploteurs avaient empoisonné l'esprit de la jeune enfant, l'incitant à maudire Pendragon et sa lignée. Je ne saurais vous dire si cela est vrai.
— C'est vrai.
Toutes les têtes se tournèrent en direction de Gauvain, assis dans un coin, masque par la pénombre. Son visage était gravé par une douleur étrange. On aurait dit qu'il avait absorbé toutes les tortures de l'humanité en un simple regard et que ce feu qui dansait devant ses yeux n'était qu'un remède parmi d'autres.
— Que voulez-vous dire par là, seigneur Gauvain ? questionna Bohort, d'une voix faible.
— Pendragon, il a violé ma mère, lorsqu'elle avait quatorze ans. Je ne suis qu'un enfant non désiré, or il fallait assurer la descendance pour régner un jour sur le royaume d'Orcanie. Ma mère a autorisé mon père dans son lit une seule fois, la nuit où je fus conçu. Une fois, je l'ai surprise à pleurer de démence, j'avais une dizaine d'années. Elle semblait maudire mon oncle – son frère – pour un crime qu'il n'avait jamais commis. Elle s'est plongée dans l'étude des sorts noirs, de la magie et y a initié mon père. Et elle a maudit Arthur sans même l'avoir connu. Vous ne savez ce que c'est que de porter la honte de cet héritage affreux. J'ai dû choisir entre mon père et mon oncle, quelque chose d'impossible. Ils ne m'ont pas élevé ; le seigneur Galessin s'est occupé de parfaire mon éducation. Il m'a appris l'histoire, l'astronomie et le combat. Mais vivre à vos côtés, à Kaamelott, il m'a semblé sentir mon cœur battre si fort, je me suis senti vivant pour la première fois. Trouver mon oncle, combattre pour rétablir la justice, me battre pour une cause noble, cela m'est si beau dans mon âme.
— Je suis trop désolé, Gauvain. On pouvait pas savoir, souffla le chevalier de Carmélide.❞
Quelque chose dans leurs regards alluma un brasier de terreur. Bohort sentit les mots rentrer dans sa chair comme un poignard. Le dégoût vint après. Un homme qui abuse d'une jeune fille ne méritait la vie et parfois l'on oubliait que ces atrocités étaient bien réelles. Il eu envie de venir parler au jeune homme mais cela ne feraient qu'attiser le chagrin. Michel, lui, eu l'impression que ses entrailles fondaient. Après avoir servi quelques années à la cour du roi Loth, il avait su éviter les crises de colère d'Anna. Mais quelque chose en elle, de froid et tranchant, avait toujours demeuré. À présent il savait et un semblant de compassion s'était installé. Un semblant de compassion.
L'Orcanien jeta un regard empli de compassion à son ami de toujours. Le reste de la soirée s'acheva dans la générosité et l'espérance. Seuls les bruits de la nuit venaient interrompre les battements de leurs cœurs. Allongé sur le sable, Gauvain contemplait les étoiles qui s'agitaient comme des étincelles virevoltantes. Il tendit la main en suivant les différentes constellations qui s'ouvraient au dessus de son visage. Les meilleurs souvenirs de ses séances d'astronomie lui réchauffaient la douceur de son âme éparse.
❝ Psss seigneur Gauvain ? Vous dormez ? Parce que moi j'y arrive pas, j'ai peur qu'une guêpe arrive et vienne me piquer dans mon sommeil. Ou alors j'ai peur de dormir et de rêver de guêpes qui viendront me piquer dans mon sommeil. Vous faites quoi ?
— Venez, rapprochez vous de moi. J'observe les astres.
Yvain rampa doucement vers son compagnon. Ils se retrouvèrent si proches que Gauvain sentait le souffle de son ami dans le creux de son cou.
» Regardez, là haut. Juste au dessus de moi. Il y a l'épée de l'été.
— Je vois pas. Y a trop d'étoiles.
L'Orcanien saisit délicatement la main de son ami et l'accompagna en direction du ciel. Il rougit sans prétention, alors que le sang battait à ses tempes.
— Là, il y a l'épée de l'été. Vous voyez les étoiles, elles sont alignées en triangle. Plus à l'est, il y a le centaure et le Lion... Comme vous.
— Oh c'est vrai, comme moi. Vous avez déjà regardé le ciel et pensé à moi ?
— Des milliers de fois. Des milliers de fois, j'ai osé penser à vous et à toutes nos aventures.
— Moi aussi, j'ai pensé à toutes nos aventures épiques. Deux ans sans vous voir et parler, c'était trop long.
— Yvain, reposez vous. Demain nous attend un long périple.❞
Le chevalier au Lion dodelina et s'étendit au sol. Il posa sa tête contre celle de son comparse, de son ami, de son futur. Gauvain se sentit presque transporté le temps d'une nuit. Ils restèrent ainsi, côte à côte et leurs mains liées de la manière la plus chaste. Les étoiles souriaient ainsi, étreignant les rêves les doux dans leurs bras laiteux. Au loin, une pluie d'or vint les bénir avec une tendresse idéaliste. Si le chagrin devait les atteindre, un si magnifique spectacle, un voile d'astres occultait les malheurs du monde.
***
Ils furent réveillés par l'aube aux doigts de roses. Le maître d'armes les mit en route et le chemin s'étalait devant eux. Encore des dunes désolées à perte de vue. La chaleur revint, encore plus brutale et terrifiante que la veille. Chaque rayon était un coup de poignard de plus en plus douloureux et chaque pas une épreuve qui les rapprochait d'une victoire potentielle contre un ennemi invisible. Une quête qui signifierait une victoire, un espoir et la sauvegarde du monde. Une relique perdue depuis des siècles et permettait l'invincibilité d'une armée. Une culpabilité s'était emparée à la gorge de Gauvain, un secret gardé depuis un couple d'années. Il avait trahi son oncle, son modèle et figure de père dans une monde sanglant. Lorsqu'il avait proposé d'espionner au compte de Kaamelott son traître de père, il avait fourni des informations des plus importantes à l'intelligence Orcanienne sans l'en avoir voulu. Son ami et précepteur Galessin l'avait manipulé pour obtenir les renseignements nécessaires pour attaquer Arthur. Être déchiré entre deux camps avait accablé son esprit, si jeune et précipité si rapidement dans une fosse remplie de serpents. Chaque nouvelle personne était un potentiel ennemi, quelqu'un prêt à vous enfoncer un poignard dans le dos. S'il y avait la moindre chance que tout revienne en ordre le plus rapidement possible, son cœur en serait ravi.
Un cri de ravissement l'interrompit dans son dialogue intérieur. Il leva les yeux du sol et devant lui un spectacle incroyable s'étala à ses pieds. Une ville en ruines, couvertes de peintures effacées se dressait en contrebas. Une rivière paressait dans des méandres hasardeux, couverts d'herbes et où des oiseaux se prélassaient dans un chatoyant rayon de soleil. Une explosion des sens se logea dans leurs âmes. Un espoir, peut-être que la fin de leur périple s'achevait ici. Du limon rouge tentait le sol et quelques animaux d'un genre nouveau s'affairaient sur les berges de la rivière. Une ruine les attirait, comme s'ils devaient y entrer.
❝ Un miracle, s'écria Bohort en tombant à genoux. Un espoir, une chance. Un miracle.
— Nous savons comment combattre Lancelot, à présent trouvons le maudit artefact. ❞
Je retrouverais le chemin de nos cœurs, je retrouverais le chemin de nos sourires. Nous serons réunis enfin, nous vivrons enfin. Et si le désir m'échappe, que les étoiles me foudroient. Nous ne nous séparerons jamais, mon ami. Je suis là.
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