𝐕𝐈𝐈 | 𝐖𝐞𝐚𝐩𝐨𝐧𝐬 (𝟐)
(J'ai mis en media "Russian Roulette" de Rihanna, je trouve que ça colle trop bien à ce chap, mais uniquement à partir d'une certaine scène. Tu sauras 🤭)
Pour ceux qui lisent avec les commentaires affichés :
dès que tu verras une * après un mot, tu dois cliquer sur le commentaire à droite pour avoir la définition, juste ici ------->
Sinon RDV en fin de chapitre, si tu préfères ne pas activer les réactions interlignes 😌
Ensuite, j'ai un doute de la manière dont tu imagines les casques qu'ils portent (parce que cette folle de Ostaraa_ a imaginé des CASQUES DE MOTO- ??????)
Ils portent ça, un casque antibruit pour le tir (en + sophistiqué avec technologie avancée) :
Bonne lecture ♡
☾
« Bien, l'heure est venue. Place-toi à mes côtés. »
Taehyung le scruta de ses grands yeux indécis.
« Je ne te toucherai pas », le rassura-t-il en plantant ses yeux sincères dans les siens.
Même si Taehyung était prisonnier d'une angoisse, une émotion électrisante se frayait un chemin en lui, un souffle d'adrénaline naissant doucement. Il s'avança de deux pas timides. Une profonde inspiration remplit ses poumons comme un soupir de l'âme, prélude à l'inconnu qui l'attendait.
Jungkook prit le fusil entre ses mains et fit une courte pause, jetant un regard discrètement soucieux vers Taehyung.
« Mets tes lunettes, je vais te faire une démonstration. Prêt ?
— Non, absolument pas. Je me chie dessus, là », rétorqua-t-il aussitôt, tendu.
Jungkook s'esclaffa brièvement d'une voix délicieusement grave.
« Non, mais rigolez pas ! s'insurgea-t-il, les yeux écarquillés. J'ai les genoux qui font des claquettes, et vous trouvez ça drôle ? »
« Dis-lui "chill" et admire la tempête. »
« Chill, jeune homme, répéta-t-il, joueur.
— Chill ? répéta-t-il, scandalisé. Vous me dites chill alors que... s'interrompit-il, à court de mots. Non, mais vous croyez que je suis un yogi zen sous tranquillisant ou quoi ? »
Jungkook se pinça les lèvres, réfrénant un rire, très contaminé par celui tonitruant dans son esprit.
« Tu traverses une petite crise existentielle pour une démonstration ? Respire profondément, ça ne te fera aucun mal... du moins, je l'espère. »
Taehyung lui lança un regard noir, ce qui fit hausser un sourcil narquois au plus âgé.
« C'est rassurant de savoir que ma survie est une simple hypothèse pour vous. Vous avez prévu une épitaphe, aussi ?
— Pas encore, mais si tu continues comme ça, je pourrai peut-être commencer à y songer. Tu préfères quelque chose de dramatique ou d'ironique ? »
Bouche bée, Taehyung n'arrivait pas à croire ce qu'il venait d'entendre. Ses yeux se plissèrent légèrement, un mélange d'indignation et de malice dans son regard, avant qu'il ne lâche un soupir exagérément dramatique.
« Ironique, bien sûr. Autant que ma mort serve au moins à faire rire quelqu'un », répondit-il avec un ton faussement sérieux.
Malgré lui, Taehyung laissa échapper un petit souffle rieur en secouant la tête, un brin irrité, tandis que Jungkook le fixait de son regard scintillant.
« Concentre-toi, maintenant, dit Jungkook. Avec ce que je t'ai appris, guide-moi. Indique-moi ce que je devrais faire. Mets-toi en situation. »
Taehyung sentit son cœur battre un peu plus fort alors qu'il déglutissait avec appréhension. Il savait qu'il n'avait pas le choix. Il devait s'exécuter.
Putain de bordel de merde.
Ses yeux s'emplirent lentement de détermination, balayant rapidement l'arme mortelle qui étincelait entre les mains de Jungkook.
« Alors. »
Il s'humidifia les lèvres, puis inspira profondément.
« Vous avez pas de l'eau, d'abord ? demanda-t-il. J'ai transpiré d'angoisse, j'ai besoin de refaire mon stock d'eau, là. »
Il se passa quelques secondes sans que Jungkook réagisse.
« Derrière toi », soupira-t-il, l'expression mi-rieuse, mi-exaspérée.
En se retournant, Taehyung aperçut soudain un petit frigidaire gris, dissimulé entre l'armoire et la table, qu'il n'avait jusque-là guère remarqué. Son regard se posa de nouveau sur le blond, et d'un geste discret, il désigna l'appareil, cherchant l'approbation. Un léger hochement de tête lui suffit. Il s'avança, ouvrit le frigidaire, et saisit une petite bouteille d'eau qu'il vida presque entièrement. Puis, avec une certaine nonchalance, il rejoignit Jungkook, dont le regard railleur ne l'avait pas quitté.
« Donc, je disais », reprit Taehyung en revenant à sa place initiale.
Il déposa la bouteille sur le pupitre, sa mine trahissant sa réflexion.
« Vous devez vérifier qu'il n'y a pas de cartouches dans... je sais pas comment on appelle le truc, là. L'étui ? La boîte ? Ah, non vous avez dit quoi, tout à l'heure ? Une pièce ? Non, un magasin ? »
Face à ce flot de paroles, une fossette apparut sur la joue de Jungkook.
« La chambre.
— Ah, voilà. Donc c'est ça, une chambre.
— Oui. Le fusil est déjà ouvert, on voit qu'il est vide, dit Jungkook en joignant le geste à la parole. Ensuite ?
— Vous le refermez ?
— Exact. »
Il reproduisit à deux reprises l'ouverture et la fermeture avec une précision et une fluidité exceptionnelles.
« Tu pivotes l'arme d'un côté pour faciliter le verrouillage. »
Il la rouvrit sous les yeux fascinés de Taehyung.
« Jusque-là, tu suis ?
— Hm hm, souffla-t-il, plus intéressé qu'angoissé.
— Ensuite ?
— Vous chargez les chambres, déclara-t-il avec assurance.
— Fais-le. »
Il tendit l'arme à Taehyung pour lui permettre d'y introduire les cartouches.
« Hein ? croassa-t-il en dardant sur lui des yeux ronds, paniqué.
— Dire que tu avais supplié pour un fusil d'assaut, railla Jungkook.
— Je veux pas de commentaires, grommela-t-il, irrité.
— Ce n'est rien de bien impressionnant, le rassura-t-il. Il te suffit de prélever deux cartouches de la boîte et de les insérer. »
Taehyung demeura silencieux et immobile. Ses yeux écarquillés fixaient l'arme.
« Allez, l'encouragea-t-il. Ce ne sont pas des munitions létales tant que tu te concentres uniquement sur la cible devant toi.
— Comme si c'était un jeu d'enfant ! Je suis pas un soldat, Jeon. OK, je suis fort au tir à l'arc, mais là, je vais sûrement me tirer une balle dans le pied ! »
Jungkook resta interdit un court instant.
« Il fallait me le dire plus tôt, Kim, lâcha Jungkook, le ton légèrement surpris.
— De quoi ?
— Que tu es archer. »
Taehyung battit des paupières, confus.
« Ah. »
Jungkook inspira et s'humecta les lèvres.
« Tu possèdes une longueur d'avance sur un novice, en fin de compte. Tu sais coordonner tes mouvements, te concentrer sur une cible et maîtriser ta respiration pour rester stable ? », demanda-t-il d'un ton évident.
Pendu à ses lèvres, Taehyung hocha la tête, attentif et surpris.
« Alors il est certain que tu maîtrises les concepts de trajectoires et que tu as pratiqué régulièrement. Malgré quelques ajustements requis pour gérer le recul et intégrer les règles de sécurité des armes à feu, tu disposes d'une avance notable. »
Taehyung but chacun de ses mots et, peu à peu, son appréhension s'effaçait, emportée par une infime brise de confiance.
« ... Je savais pas que ça pouvait se corréler. Mais vous êtes sûr ? Parce que ça doit faire deux ans que je pratique plus.
— Bien sûr. Le corps a une mémoire. Maintenant, Kim, ne panique pas outre mesure. Concentre-toi et suis mes directives. Tout se déroulera parfaitement. Je suis convaincu que tu atteindras la cible en quelques tentatives seulement.
— Ah, génial, c'est exactement ce que je voulais entendre avant de jouer à "Fais pas ça Kim". Suis les directives, touche la cible, ne panique pas... je suis sûr qu'on en rigolera en salle d'urgence », marmonna-t-il d'une voix légèrement vacillante, tandis qu'il fixait la cible au bout de sa rangée.
Néanmoins, il se sentait légèrement rassuré sur ses capacités.
Jungkook se contenta de le scruter, un sourire flottant sur ses lèvres.
« Et le corps a une mémoire, vous dites ? Par contre, le mien doit avoir fait un reset complet, j'ai oublié comment bouger, tout à coup. D'ailleurs, j'espère juste que la cible est pas en mouvement, parce que là c'est direct le bingo du chaos. Et si je manque la cible, promettez-moi juste de pas appeler les pompiers, OK ? Je déteste les hôpitaux, je fais pas confiance aux médecins, parce qu'i...
— Incroyable, l'interrompit-il avec un fin rictus. Il y a une fin à ce monologue ou je dois prévoir une pause-café ?
— Mais laissez-moi paniquer en paix, merde », grogna-t-il.
Jungkook lâcha un soupir ténu, mêlant amusement et dépit.
« Tu es conscient que tu seras le suivant à tirer, après moi ? », ironisa-t-il en arquant un sourcil.
Il savait parfaitement qu'il ne l'aidait pas.
« Super, Jeon, merci du fond du cœur. Creusez ma tombe, tant que vous y êtes, marmonna-t-il entre ses dents. Bon ! s'exclama-t-il, faisant légèrement sursauter son aîné. Si je commence pas maintenant... »
Il inspira aussitôt tout en piochant une cartouche, la main tremblante.
Les pommettes légèrement relevées, Jungkook observait attentivement ses gestes.
Quel phénomène. Une tornade.
« J'ai les oreilles qui bourdonnent. »
Sans pouvoir se retenir, un rire discret échappa à Jungkook, résonnant aussitôt dans le casque de Taehyung. Ce dernier releva vivement la tête, surpris par l'écho de cet éclat inattendu.
Taehyung suspendit ses gestes.
« Quoi ? Pourquoi vous rigolez, encore ? râla-t-il. J'ai fait quoi ? »
Jungkook reprit son sérieux, bien qu'intérieurement amusé.
« Rien qui te concerne, le rassura-t-il. Je t'en prie, poursuis. »
Il laissa s'écouler le temps tout en patience, pendant que Taehyung, après avoir marmonné des mots inintelligibles, s'appliquait à insérer les deux munitions.
« Tu vois ? Ce n'était pas la mer à boire, dit-il pour l'apaiser.
— Ah ouais ? Vous avez déjà bu la mer, vous ? Ça expliquerait beaucoup de choses, tiens, grommela Taehyung.
— Tes propos n'ont aucun sens.
— M'en fous. »
Jungkook se prit l'arête du nez entre les doigts, mi-amusé, mi-exaspéré.
Comment peut-il être encore plus infernal ?
« Tu souris davantage ces derniers jours.
Un vrai plaisir. »
À l'écho de cette pensée au timbre plus doux et bienveillant, Jungkook se figea, surpris. Puis, comme une marée apaisante, son corps se relâcha, comprenant qu'en vérité, ce Kim, avec sa personnalité tempétueuse et unique, le faisait traverser un véritable kaléidoscope d'émotions.
Puis, une anxiété soudaine emporta toute sérénité en un souffle fugace.
Je ne veux rien savoir.
Son cœur est troublé.
« Maintenant, recule d'un pas et concentre-toi sur mes mouvements », exprima Jungkook avec patience.
À sa droite, Taehyung obéit aussitôt.
« Observe mes pieds, dit-il en les positionnant à la largeur de ses épaules. Le fusil risque de compromettre mon équilibre si je ne prends pas une assise solide avec une base suffisamment étendue. Tu saisis ? »
Taehyung croisa aussitôt les bras lorsqu'il plongea dans les prunelles scrutatrices du blond et hocha la tête, attentif, stimulé, mais toujours aussi appréhensif.
« Je veux une réponse claire.
— Oui, maître », répondit-il avec une ironie subtile.
Il masquait mal ses véritables émotions derrière un sourire moqueur.
Jungkook soupira, las, ignorant les bribes d'esclaffements dans son esprit.
Silence, merde.
« Oui, maître ~ »
Les rires, chacun porteur d'un timbre unique, éclatèrent à nouveau avec une intensité accrue, résonnant comme un tumulte joyeux qui, dans son esprit, fit presque naître une céphalée insidieuse.
Les lèvres pincées, Jungkook lâcha un soupir sec s'échappant de ses narines dilatées par l'agacement.
Intrigué, Taehyung arqua un sourcil, fixant l'anneau nasal de Jungkook tout en cherchant à comprendre l'origine de cette irritation.
« Observe attentivement, je m'apprête à le refermer pour la troisième fois », déclara-t-il en concordant son action avec ses paroles.
Il fit pivoter l'arme avant de la verrouiller et de diriger le canon vers le plafond.
« Comme tu es gaucher, ne le tiens pas de la même manière que moi, tu feras le contraire. Tu prendras la poignée avec ta main dominante, l'autre servira de soutien sur ce qu'on appelle le "fût". Veille à toujours maintenir ton index à distance de la gâchette, tout en élevant le canon en direction du plafond », expliqua-t-il en faisant la démonstration.
Il abaissa ensuite lentement le canon en direction de la cible.
Dans une fraction de temps, Jungkook fit pivoter sa tête vers sa droite. Il fut captivé par deux sphères étincelantes de concentration et de curiosité. Cependant, il décela une tension palpable dans le corps de Taehyung, une inquiétude muette qui se trahissait dans ses gestes.
Le temps, l'espace, tout semblait s'arrêter, jusqu'à ce que le blond brise ce lien visuel.
« Observe comment je positionne mon coude contre ma poitrine pour me soutenir dans la direction visée, ce qui favorise une précision accrue, mais engendre une fatigue notable, expliqua-t-il. Tu suis ?
— Toujours, lâcha-t-il, complètement absorbé.
— Pour contrôler le recul du fusil, je maintiens la crosse entre l'épaule et l'aisselle, en évitant un contact direct avec l'épaule elle-même, mais en le plaçant contre le muscle. Compris ? réitéra-t-il, lançant un regard en direction de Taehyung.
— Oui, répondit-il d'une petite voix.
— Bien. »
Satisfait, il réajusta sa posture.
« Ma joue est contre la crosse pour regarder dans le cran de mire à l'extrémité du canon. C'est l'œilleton. Ne ferme pas l'œil, c'est inutile. Je vise donc en me concentrant cet œilleton, non sur la cible. »
Il se tut pendant quelques infimes secondes, maintenant sa position, figé dans un tableau de sérénité intemporelle.
« Je suis prêt à tirer. »
Le cœur de Taehyung battit frénétiquement à mesure qu'il comprit que le moment du tir était imminent. L'excitation et l'appréhension se mélangèrent en lui, ses jambes presque vacillantes ne demandant qu'à être libérées de cette tension.
« V... vous allez vraiment tirer, là ? interrogea-t-il d'une voix incertaine.
— Oui, à moins que tu préfères tout arrêter », proposa-t-il, figé dans l'instant.
Taehyung déglutit.
« Non, c'est bon.
— Tu dois garder la même respiration calme. Je ne force pas mon souffle, poursuivit-il en étant toujours paré. Maintenant, j'approche de la gâchette. »
Taehyung déglutit péniblement, faisant plisser les coins des yeux de son aîné qui, amusé, perçut la déglutition à travers le micro du casque.
« Kim, je vais déclencher le tir dans la seconde où j'expire. Tiens-toi prêt. »
— Et c'est là que commence le compte à rebours de la mort... chantonna-t-il d'une voix éraillée par l'appréhension. Mais merci pour l'info, c'est pas comme si j'avais le slip trempé de sueur, hein. »
Surpris, un léger souffle rieur fendit les lèvres de Jungkook.
« Ne me fais pas rire », ordonna-t-il d'une voix légèrement péremptoire.
Néanmoins, Jungkook contrôlait sa respiration en une brise paisible, seulement brisé par les commentaires et pronostics incessants – désobéissants – qui s'élevèrent dans son esprit. Malgré cela, ses sens demeuraient aiguisés, sa concentration maintenue...
Jusqu'à ce qu'un éclat de voix provoque le frémissement de sa paupière, signe de son exaspération.
Qu'on m'explique la raison de cette soudaine agitation pile au moment où j'ai besoin de silence.
Des voix se chevauchèrent dans un brouhaha incompréhensible. Jungkook soupira, ses membres s'engourdissaient peu à peu sous l'immobilité prolongée qu'il maintenait pourtant avec une précision inébranlable, sans le moindre tremblement.
« Ça commence à bien faire. Je peux avoir un peu de silence et me concentrer, ou je dois envisager des mesures extrêmes pour ne plus vous entendre ? trancha-t-il à voix basse et grondante, les dents serrées.
— Hein... ? réagit aussitôt Taehyung, ahuri. Mais j'ai rien dit ? »
Jungkook clôt brièvement les paupières, se blâmant en silence pour avoir laissé échapper ses pensées à voix haute, victime de son agacement grandissant.
« Rien, j'ai pensé tout haut.
— ... Je connais un bon psy, si vous voulez », pouffa-t-il, bien qu'intérieurement perplexe.
Le blond pensa un « je vous remercie » à l'attention des voix insaisissables avec une pointe d'ironie, savourant le retour du calme tout en brûlant d'irritation à l'idée de passer pour un fou aux yeux de son cadet.
Il ne fallut qu'un battement d'ailes du temps pour qu'il se ressaisisse en inspirant profondément, l'air caressant ses poumons, avant d'expirer lentement, libérant toute tension.
Il fixa le front du mannequin à travers l'œillet.
Puis, d'un geste précis, presque méticuleux, il tira.
La balle s'envola, transperça l'air, et transperça la cible avec une précision presque mystique, le cœur retentissant au diapason de son art.
Le seizième étage insonorisé vibra sous le fracas de la déflagration, son écho résonnant de manière étouffée dans les entrailles du bâtiment.
Taehyung bondit, emporté par la surprise. Son petit cri se glissa dans le casque de Jungkook qui esquissa un fin rictus moqueur. Puis, le silence régna en souverain, les enveloppant comme un linceul de mystère, tandis que l'odeur âcre de la poudre à canon chatouillait leur odorat.
D'un geste assuré, Jungkook redressa l'arme en la pointant vers le ciel, son canon encore fumant. Taehyung le fixait de ses yeux écarquillés. Son aîné lui apparaissait comme un chevalier du vingt et unième siècle prêt à défier les étoiles.
« Tu es avec moi ? », railla Jungkook.
La raison de son amusement ? Taehyung était livide, les yeux ronds braqués sur le mannequin ballottant, les mains contre ses oreilles protégées.
« Mais c'est génial... », souffla-t-il.
Il avisa le trou parfaitement visible au centre du front de la cible en forme humaine.
« Et en plein dans le mille », ajouta-t-il en abaissant ses mains tout en regardant Jungkook.
Ce dernier darda sur lui un regard entendu, tandis qu'il ôtait ses lunettes pour les coincer dans son col.
« Approche », dit-il en détournant le regard.
Il ouvrit le fusil et le déchargea, autant pour la sécurité de son cadet que pour lui permettre de se familiariser avec les étapes.
N'entendant aucun pas, Jungkook se retourna et le vit statufié sur place.
« Kim, réitéra-t-il dans le but de le faire sortir de sa torpeur.
— ... Quoi, s'étrangla-t-il en serrant le bas de son pull sous l'angoisse.
— Tu en es capable, tu dois simplement surmonter cette première appréhension. Viens, maintenant. Cible la jambe droite. »
Taehyung prit une profonde inspiration avant d'avancer d'un pas, pendant que Jungkook s'éloignait d'une foulée, lui laissant sa place.
Un silence les enveloppa. Jungkook tendait son bien précieux à son apprenti dont les yeux semblaient agrafés à l'arme.
Immobile, le plus âgé attendait patiemment, prêt à tout stopper au moindre signe de refus. Cependant, il ne fut guère surpris lorsque Taehyung frôla de ses doigts l'acier froid de l'arme, ses lèvres serrées en un pli droit trahissant une bravoure naissante malgré son appréhension.
Taehyung savait que son instructeur veillerait sur lui, assurant sa sécurité.
Sans réfléchir une seconde de plus, il prit lentement le fusil des mains de son aîné, qui le relâcha seulement après avoir confirmé sa prise ferme.
En reculant légèrement, un sourire en coin naquit lorsqu'il vit son cadet complètement immobile, le regard écarquillé braqué sur l'arme. Il perçut les légers tremblements dans ses mains. Ils disparaîtraient dès que le premier coup de feu de son apprenti retentirait.
« Prends le temps que tu souhaites, je ne te lâche pas des yeux.
— Oh, putain de sa mère... », marmonna Taehyung d'une voix fébrile.
Surpris, Jungkook arqua un sourcil amusé.
« Je tiens un putain de fusil. Oh, mon bon Dieu, pourquoi je fais ça, marmonna-t-il, l'air de ne pas y croire.
— Tu ne crains rien, elle est ouverte et déchargée.
— OK. Alors... »
Le silence captiva un Jungkook totalement concentré, malgré la lueur rieuse qui dansait dans ses yeux.
« Et c'est le moment où il sort une pépite. »
« Oh, bordel, je m'en souviens plus. Magnifique, ça, Taehyung, même pas foutu de... »
Le reste de sa phrase ne fut qu'un grommellement inintelligible.
Jungkook esquissa un rictus.
Si j'avais su que je m'amuserais autant...
« Non seulement tu t'emportes en un flot de paroles lorsque tu paniques, mais quelques insultes te trahissent aussi ? constata-t-il, amusé.
— Exactement comme vous le voyez, répondit-il évasivement. Du coup, ouais, charger les chambres. Non, mais quelle idée d'appeler ça une chambre, aussi. Pourquoi pas un salon, tant qu'on y est ? », marmonna-t-il en reprenant son monologue.
Les fossettes de Jungkook ne disparaissaient pas. Il était captivé malgré lui par les agitations nerveuses et les propos décousus de son cadet.
Taehyung l'entendit pouffer et grinça des dents.
« Ravi que vous trouviez ça divertissant, Jeon, siffla-t-il, toujours figé.
— Détends-toi. »
Taehyung grommela dans sa barbe.
« N'oublie pas que tu peux décider d'arrêter à tout instant et réitérer demain. »
Surpris par cette suggestion bienveillante, Taehyung releva aussitôt la tête, croisant enfin les yeux rieurs à la lueur concernée de Jungkook.
« Non. Demain c'est pour les lâches. »
Il était si désireux de poursuivre et de surpasser son angoisse que l'idée d'abandonner l'irrita.
« Alors, à ta convenance. Décris-moi ce que tu fais, ça t'aidera à retenir les fondements de sécurité pour demain.
— Demain... ? s'étrangla-t-il. Y'a quoi, demain ? »
Qu'il me parle pas déjà de mission, piti...
« Aujourd'hui, tu testes, tu t'inities à la base. Mais dès demain, ton entraînement se concentrera exclusivement sur un pistolet semi-auto. C'est l'arme que je veux que tu maîtrises avec excellence avant de te déployer sur le terrain. »
...Ah.
Un rire nerveux et soulagé secoua brièvement Taehyung, faisant lever un sourcil au Jeon.
« Quoi ? demanda ce dernier.
— Non, j'ai cru que... rien », bafouilla-t-il en détournant les yeux.
Il abandonna l'idée de poursuivre son explication qu'il trouvait à présent ridicule.
Il inspira profondément.
« Bon ! cria-t-il presque pour se donner plus de courage, sous le regard attentif et railleur de son aîné. Je vais le charger. »
Il piocha une cartouche pour l'insérer dans une chambre d'une main légèrement hésitante et tremblante, réitérant le geste pour la seconde.
« C'est bien », l'encouragea Jungkook.
Il demeurait vigilant et prêt à réagir à la moindre imprudence susceptible d'engendrer de lourdes conséquences pour son apprenti.
« Maintenant... refermer... », marmonna Taehyung avec une lenteur délibérée, les dents serrées, quelques gouttes de sueur perlant sur son front.
Il retourna doucement le fusil, à la fois troublé par le fait qu'il avait entre les mains une arme chargée, et résolu à ne commettre aucune erreur.
« Fais des phrases. Non, tourne-le du côté droit pour le fermer, tu es gaucher. »
Taehyung se figea dans ses gestes, cligna des yeux puis s'exécuta sous l'œil professoral de Jungkook. Ce dernier scrutait chaque geste avec une attention presque intimidante, s'assurant que l'index de son élève demeure loin de la détente. Le fusil se referma avec un déclic retentissant, et Taehyung suspendit ses mouvements, perdu dans la recherche du prochain pas à suivre.
Un mutisme respectueux régnait, seulement brisé par le souffle légèrement lourd de Taehyung. En retrait, Jungkook ne laissa échapper aucun mot, prêt à intervenir en dernier recours.
« Ah, oui, vers le haut, marmonna Taehyung en manipulant maladroitement l'arme, plaçant lentement le canon vers le plafond.
— Un sans-faute », l'encouragea-t-il.
Jungkook était satisfait de voir son enseignement s'appliquer avec une grande précision.
Il prenait goût à enseigner.
Le regard de Taehyung se posa sur lui et, lorsqu'il vit le léger mouvement de tête approbateur de son aîné, une petite vague de confiance le submergea. Concentré, le cœur battant à tout rompre et l'âme criante d'effarement et d'excitation mêlés, il détourna son regard vers le fusil, le faisant descendre lentement en direction de la cible. Ses mains tremblèrent de plus en plus, sachant que le moment de tirer approchait à grands pas.
Les secondes s'étiraient, chacune étant une bataille intérieure.
Une perle de sueur se fraya un chemin le long de sa tempe, pour disparaître discrètement lorsque Taehyung essuya son front d'un geste vif contre le tissu de son épaule.
Son index effleura le déclencheur, ce point de non-retour, cette frontière entre le monde de l'innocence et celui de la décision irréversible.
Trop nerveux, il éloigna aussitôt son doigt de ce qu'il considérait désormais comme une zone dangereuse à éviter.
« Position, Kim. »
Taehyung sortit de sa torpeur. Il prit un meilleur appui en écartant légèrement ses pieds, se souvenant de celui du blond.
« Je le mets contre mon épaule. »
Ses sourcils étaient froncés par la concentration, ignorant son tumulte interne dans lequel régnait le chaos.
« Tu le maintiens parfaitement, le félicita-t-il en s'approchant d'un pas mesuré, attentif. Maintenant, ne quitte plus la cible des yeux. »
Dans le silence de ce lieu isolé, Taehyung sentit soudainement une présence se rapprocher, un frisson d'appréhension lui parcourant l'échine. Ses doigts crispés sur le fusil, il regarda vers sa droite. À travers ses lunettes de protection, il le fixa.
Mais alors qu'il plongeait dans ces yeux, Taehyung se souvint qu'il n'avait pas vraiment à craindre sa proximité, à l'heure actuelle. Certes, en la présence de cet homme, son esprit ne connaissait pas une totale sérénité, mais il se sentait encouragé et soutenu. Cependant, il ne pouvait pas effacer de sa mémoire le souvenir du Jeon le touchant à trois reprises sans son consentement.
Il ravala sa salive avec une discrétion malhabile, un geste que Jungkook ne manqua pas de remarquer.
Sans un mot, ce dernier glissa ses mains dans les poches de son survêtement blanc, un signe tacite qu'il ne représentait aucune menace.
Taehyung avait machinalement suivi des yeux les mains tatouées disparaître, perdant tout intérêt pour la proximité qui l'avait initialement perturbé. Un mélange de soulagement et de reconnaissance l'envahit à ce simple geste.
Il inspira profondément, puis releva le regard vers Jungkook qui hocha la tête en retour.
Taehyung se recentra alors sur sa tâche, rasséréné.
Les yeux rivés sur la cible, il prit conscience de la mauvaise position de son fusil et ajusta sa prise, le ramenant au bon endroit contre son épaule.
Un pacte silencieux s'était scellé entre les deux hommes, une confiance fragile dans leur monde où les gestes parlaient plus fort que les mots.
« Où tu as calé l'arme ? », demanda Jungkook par pure précaution.
Il ne pouvait le toucher pour corriger une erreur ni s'approcher davantage au risque de le perturber.
« Sur le muscle qui relie au bras.
— Poursuis.
— Après, je dois tenir le truc, là, avec ma main gauche, tenta-t-il, joignant le geste à la parole.
— Le fût, le reprit Jungkook, en réfrénant un sourire.
— Le fût. Et je vise.
— Approche d'abord ton index juste derrière la gâchette.
— Oh non, pas ça, putain..., marmonna-t-il, la panique revenant au grand galop.
— Respire profondément sans effort. »
Taehyung eut soudainement l'impression que le temps se déployait en une lente avancée. Son souffle était le seul son qui troublait le silence. Il observait son index tremblant s'approcher doucement de la queue de détente.
L'angoisse pesait sur lui.
Une perle de sueur glissa avec une lenteur cruelle le long de sa tempe. Prisonnier de sa poitrine, son cœur tambourinait furieusement comme s'il cherchait désespérément à s'échapper de sa cage de chair.
« Allez, Kim, le motiva-t-il. Évite de rester trop longtemps dans cette posture, tu vas t'épuiser.
— Mais putain, là, râla-t-il. Ça glisse, j'ai les mains moites, ça me soûle. »
Il abaissa son arme avec une telle soudaineté que Jungkook écarquilla les yeux, retirant instinctivement ses mains de ses poches et manquant de s'étouffer avec sa propre salive.
« Doucement. Tiens la crosse et ne lâche pas le fût. Canon au ciel et ne bouge plus », énonça-t-il avec célérité, mais d'une voix calme.
Taehyung se statufia brusquement. Son souffle se coupa. Une lueur d'horreur dansa dans ses yeux. Il réalisa la gravité de son geste téméraire, fixant ses doigts tremblants qui frôlaient presque la gâchette, mais la grâce du destin l'avait empêché de franchir ce funeste seuil.
« Oh, merde, pardon... souffla-t-il d'une voix vacillante, tandis qu'il dirigeait lentement le canon vers le plafond.
— Ça va. Tu peux t'essuyer les mains, pose simplement l'arme sur le support devant toi. »
Il avait pris soin de ne pas provoquer de panique en Taehyung outre mesure. Avec bienveillance, il avait préféré ne pas lui peser davantage en imposant le fardeau de décharger le fusil. Il était là, confiant en sa capacité à réagir en cas d'urgence imminente.
Lentement, Taehyung obéit, déposant l'arme sur le côté plat avec une lenteur presque révérencieuse, le canon dirigé vers la cible. Un grognement de soulagement franchit ses lèvres, emportant avec lui la tension accumulée. Il fit craquer son cou, massant ses épaules fatiguées avant de s'étirer, geignant légèrement tandis que son dos émettait un craquement satisfaisant. Essuyant ses mains sur son pantalon, il se sentait enfin libéré du poids invisible qu'il portait.
« Ça va ?
— À votre avis ? J'ai l'impression d'avoir trimballé dix kilos et pris dix ans, » se plaignit-il d'une voix geignarde.
Sous le regard curieux du plus âgé, il s'accroupit pour ôter ses chaussures. Les posant soigneusement devant la ligne de tir à sa gauche, il savoura la fermeté confortable du sol amortisseur de projectiles.
« Je me sens plus à l'aise comme ça, s'expliqua-t-il en jetant un coup d'œil à Jungkook.
— Comme il te plaît. Mais je te prierai de ne pas entrer chez moi avec des résidus de poudre à canon accrochés à tes chaussettes. »
Taehyung ricana, railleur.
« Qu'il se détende un peu, le maniaque. Vous allez pas mourir avec juste un peu de poussi...
— J'ai un animal sensible à l'étage, le coupa-t-il.
— OK, juste pour votre chat, je consens à laisser mes particules explosives à l'entrée et je me déchausserai sur votre paillasson stérile », dit-il en levant les mains en guise de reddition, les yeux blasés.
Leurs discrets sourires s'épanouirent. Puis chacun détourna le regard vers un horizon différent.
« Tu continues ?
Ouais. »
Il baissa les yeux sur le fusil en acier noir. Il se savait capable d'exécuter le reste, mais trop impressionné par ce qu'il s'apprêtait à faire.
Cependant, l'ombre de l'échec ne le retint guère. Il voulait prouver sa valeur. Se forger une âme d'acier pour affronter son frère était plus fort que tout. Son ego le poussait à honorer le serment qu'il avait fait au Jeon.
Et il était déterminé à reprendre les rênes de sa vie dans dix mois.
« Prends un moment pour souffler, lui conseilla Jungkook. Tu as fait preuve d'une persévérance remarquable, malgré ta panique. »
Taehyung sentit ses joues le piquer légèrement, se sentant reconnu pour ses efforts. C'eut le don d'éveiller en lui une détermination renouvelée.
« J'ai un bon prof, hein », marmonna-t-il en haussant les épaules avec désinvolture.
Sa tête était baissée, ses yeux dans le vague.
« Un expert, corrigea Jungkook d'une voix faussement arrogante, faisant légèrement pouffer Taehyung.
— Un expert en quoi, en gonflage de chevilles ? Vous voulez une révérence, aussi ? Désolé, je peux pas, je tiens un putain de fusil. »
Jungkook se mura dans le silence, se contentant de lui offrir un clin d'œil teinté d'un léger éclat de défi.
« Je vous trouve bien culotté », marmonna Taehyung.
Le sourire en coin de Jungkook dissimulait les émotions qui tourbillonnaient en lui, tandis qu'il observait Taehyung retrouver sa contenance. En secret, il admira le profil de son élève. Il s'apprêtait à prendre la parole lorsque, d'un geste inattendu, Taehyung inhala profondément.
Mais alors qu'il s'attendait à ce qu'il reprenne les étapes méticuleuses, Jungkook fut témoin d'un acte totalement différent.
Taehyung baissa la tête, leva une main et, dans un murmure à peine audible, il esquissa le signe de croix, touchant d'abord son front, puis son épaule gauche, puis la droite. Ses lèvres bougèrent doucement alors qu'il chuchotait sa foi en la Sainte Trinité.
Jungkook s'immobilisa sur place. La surprise immobilisait son corps. Ces gestes précis lui étaient familiers. Il les avait souvent vus lorsqu'Eun-Ae les esquissait. Pendant un instant, il avait oublié que le fils avait embrassé la même voie spirituelle que la mère.
Une fois de plus, Taehyung prit une profonde inspiration, sentant l'air frais pénétrer ses poumons, et replaça délicatement le fusil contre la jonction entre son aisselle et son épaule. Son index glissa doucement derrière la détente. Il resserra sa prise sur le fût avec une détermination nouvelle, bien que ses émotions tourbillonnaient sans relâche en son cœur et âme.
Ses yeux autrefois hésitants, fixaient maintenant leur cible avec une précision un peu plus aiguë. Ses mains qui avaient tremblé étaient désormais maintenues dans une prise sûre et ferme, bien que légère.
Une fine perle de sueur parcourut à nouveau son front, comme une caresse fugace de l'appréhension qu'il ressentait toujours. Son cœur continuait de battre à un rythme effréné, angoissé.
Et pourtant, malgré les relents agités de son être, il était excité d'affronter l'inconnu.
J'ai toujours voulu faire ça. Ça va aller. C'est juste pas avec Yoon.
De nouveau à l'affût, Jungkook sentait l'excitation de son propre cœur, comme le doux tumulte des vagues s'écrasant contre les rivages de sa chair. Il laissa le silence envelopper la pièce tout en fixant son élève avec une intensité qui aurait pu faire fondre les étoiles.
Son esprit encore étourdi par la surprise se força à se concentrer sur le potentiel jeune talent qui se déployait devant lui, tel un papillon fragile prenant son envol dans la lueur d'une aube nouvelle.
« Qu'est-ce que je dois viser, déjà ? »
Sa voix était petite, vibrante de très légers trémolos, témoin de son état interne des plus turbulent.
« La jambe droite, évite les zones critiques comme la tête, le cou, la poitrine et le ventre, où tout contact serait potentiellement fatal. »
Jungkook avait ourdi un plan sécuritaire pour son apprenti. Il ne voulait rien d'autre que lui enseigner la défense personnelle et les gestes calculés pour se protéger sans attenter à la vie d'autrui.
Ses perles noires affûtées comme une lame scrutaient chaque nuance dans la pose maladroite, mais volontaire de Taehyung. Aucun souffle fébrile n'échappait à son regard, aucune hésitation n'échappait à sa vigilance. Dans cet instant de flottement, chaque détail ressortait.
Ses mains glissèrent dans ses poches. Il entra en osmose avec les manœuvres du plus jeune, son souffle s'harmonisant au sien.
« Expire. »
Au rythme de l'expiration lente de Jungkook, Taehyung libéra un souffle prolongé, tremblotant.
« Tu es prêt. »
Ce fut le top départ.
Presque.
Une brève hésitation, suivie d'une inspiration profonde et d'une expiration lente, Taehyung s'évada de tout ce qui l'entourait, fusionnant corps et âme avec le fusil qu'il tenait entre ses mains. Dans cet instant précis, son esprit ne connut plus qu'une obsession : prendre pour cible la jambe avec une précision absolue.
Rien d'autre n'avait de place dans son esprit, tout était éclipsé.
Mais il lui fallait encore une ultime chose.
« Tire. »
Le feu vert.
Il tira.
Malgré le casque antibruit, la détonation fracassante fendit l'air, pénétrant ses oreilles comme une morsure glacée. Dans l'instant qui suivit, une secousse électrique parcourut ses bras, comme si le destin lui murmurait un sombre présage.
Ses mains tremblèrent légèrement, ressentant encore la puissance du coup, chaque muscle tendu par l'effort de maintenir l'arme sous contrôle.
Puis le tumulte de l'instant s'évanouit. Ce fut le silence.
Ses sens tourbillonnaient encore, saisi par l'ampleur du recul et le fracas de l'explosion. Pourtant, il demeura immobile. Une frissonnante adrénaline pulsait dans ses veines. Son cœur battait à tout rompre. L'air s'imprégna de l'odeur âcre de la poudre à canon, l'enveloppant en de nombreuses particules invisibles, brûlant très légèrement sa gorge et son œsophage.
Taehyung ressentit un tumulte d'émotions, un mélange indompté de fierté et de soulagement. Il cligna des yeux, essayant de réaliser ce qu'il venait d'accomplir.
J'ai tiré. Je viens de tirer, putain de merde.
Ses mains tremblaient toujours légèrement alors qu'il abaissa le fusil avec précaution. Il avait conscience d'avoir franchi une étape décisive dans son apprentissage, comme si le Ciel lui avait murmuré à l'oreille que sa vie prenait une nouvelle direction.
Ce furent les pensées qui l'assaillirent jusqu'à ce qu'une étincelle de lucidité le pénètre comme un éclair dans l'obscurité. Il devait constater son tir.
L'esprit troublé et l'âme virevoltante d'émotions presque exacerbées, Taehyung ôta lentement ses lunettes de protection et les posa sur le pupitre, tout en observant avec une horreur mêlée à un ahurissement comique, le second trou sur le mannequin.
Dans la même seconde, un bref ricanement se fit entendre à travers son casque.
Jungkook n'avait pu le réfréner en constatant l'expression interdite de Taehyung dès l'instant où ce dernier prit conscience de l'emplacement de son tir.
Même son esprit saturé de rires et de commentaires railleurs.
« On peut dire que pour un début, c'est excellent, plaisanta Jungkook.
— Je viens de lui tirer dans... », balbutia-t-il, complètement ahuri.
Un sourire nerveux étira ses lèvres. Il ne savait s'il devait en rire ou s'en irriter.
« Un tir à l'entrejambe, et c'est le coma garanti. Ce n'est pas une zone qui précipite la mort instantanément, mais, la douleur doit être... eh bien... atroce, conclut-il en grimaçant.
— Mon premier tir réussi. Mais dans les couilles, gloussa Taehyung, ne quittant plus le trou de ses yeux écarquillés.
— Ça te fera une anecdote à raconter. »
Taehyung fut secoué par un petit rire.
Faut que je raconte ça à Yoongi.
« Comment tu te sens ?
— Choqué », rétorqua-t-il aussitôt.
Ses yeux ne quittaient toujours pas le mannequin.
« Il est trop random, pitié. »
« En même temps... », dit Jungkook, la lueur de son sourire ne quittant plus la profondeur de ses yeux.
Il remarqua que le fusil n'avait pas été ouvert, décidant de laisser passer cet oubli pour un premier tir.
« Tu étais instable parce que tu tremblais et ton souffle était légèrement rapide, mais tu devrais constater une nette amélioration lors des prochains essais. »
Soudain, Taehyung pouffa, puis se laissa emporter par un doux gloussement mélodieux. Peu à peu, son rire se fit hystérique. C'était comme si une tempête s'était abattue sur lui, une explosion de joie inattendue qui le secoua. Les éclats de son rire au timbre grave semblaient faire vibrer chaque objet dans la pièce. Ses yeux brillaient d'une folie contagieuse alors qu'il se tenait le ventre, plié en deux, incapable de contenir cette décharge soudaine de tension. Des larmes perlaient sur le coin de ses yeux, ajoutant une touche de comique à ce moment surprenant et déconcertant.
Ses éclats chantants s'amplifièrent, montèrent crescendo, jusqu'à ce qu'il se trouve à rire aux larmes, sa main s'abattant sur sa cuisse, une joyeuse mélodie de soulagement mêlée de gouttes cristallines de liesse sur ses joues.
Il renifla et s'essuya le visage. Des tremblements parcouraient son corps tout entier, les éclats de sa voix douce et rauque perdant peu à peu en intensité.
Pris de surprise, Jungkook avait souri avant de laisser échapper un souffle moqueur, contemplant cette réaction inattendue. Il s'était laissé bercer par cette explosion de voix contagieuse emplissant le seizième étage.
Toute la matinée, il avait ressenti le fardeau qui pesait sur le cœur de son élève, et maintenant il goûtait la satisfaction de voir cette angoisse se transformer en un fou rire libérateur.
Après un bref moment, Taehyung retrouva son calme, inspirant profondément tout en redressant son dos voûté. Il essuya de nouveau les vestiges de ses larmes et remit de l'ordre dans sa respiration pour apaiser les derniers éclats qui lui échappaient.
« Désolé, mais bordel, ça fait du bien », expliqua-t-il, son corps frémissant doucement sous les dernières marques de son rire.
Ne recevant aucune réponse, Taehyung fit pivoter sa tête et découvrit les yeux rieurs de Jungkook qui l'observait avec nonchalance, les mains dans les poches de son pantalon. Ses yeux étincelaient d'une satisfaction discrète et d'un encouragement silencieux.
Le cœur de Taehyung s'élança comme un colibri prenant son envol.
« Ne t'excuse pas », dit Jungkook d'une voix feutrée.
Un rire charmant, ma foi.
Il emprisonna ce compliment précieux au creux de ses lèvres, comme un trésor secret qu'il craignait de dévoiler trop tôt.
« Tu te fous de ma gueule ? Il vient
littéralement de hennir de rire ? »
Puis, des réactions fusèrent dans sa conscience, réprobatrices et approbatrices, rebondissant sur ce commentaire. Il les écouta un instant, amusé.
« Je veux recommencer..., lâcha Taehyung en pointant timidement l'arme.
— Je t'en prie. Jambe droite, cette fois.
— Je sais, merci », grommela Taehyung, embarrassé, le visage légèrement incarnadin perçu par les yeux rieurs de son aîné.
Il récupéra le fusil avant de lever lentement le canon au ciel sous l'œil expert de Jungkook.
« Ah, merde, j'ai zappé de virer la munition. »
Alors qu'il fut prêt à réitérer ses gestes pour préparer son second tir, une voix caverneuse au timbre mélancolique résonna, suspendant son mouvement.
« Mon premier tir allait finir sur Yuna », révéla abruptement Jungkook.
Taehyung releva vivement la tête, son expression renfrognée et concentrée se muant en surprise et intérêt. Il était curieux d'entendre la suite, cherchant ainsi à se sentir moins seul dans sa bévue.
« Elle a paniqué, poursuivit-il, ses yeux errant dans l'horizon, même si un sourire creusait délicatement une fossette. À moi seul, j'ai provoqué un véritable chaos.
— Un petit terroriste, commenta Taehyung, la voix teintée d'un léger amusement, faisant arquer un sourcil à son aîné. Vous aviez quel âge ?
— Dix ans. »
Le visage de Taehyung se vida de toute joie. La stupeur s'empara de lui. Son cœur se serra, oppressé par la peine et la révolte.
« Regarde ce creux dans la faïence », dit Jungkook en levant légèrement la tête vers le sommet du mur, au-dessus des cibles.
Taehyung suivit son regard et scruta la marque de ses yeux curieux.
« C'est mon œuvre, mon second tir.
— Mais wow, comment vous avez fait pour l'atteindre ? demanda-t-il, la voix vibrant légèrement d'un rire ahuri.
— Tu vas rire. J'étais angoissé, j'ai eu un hoquet. Mes souvenirs sont flous, mais je sais que l'arme était lourde. Le coup a largement dévié », narra-t-il, son visage s'illuminant d'un rictus discernable par les ridules aux coins de ses yeux.
« C'était moi, mais bon. »
Jungkook leva discrètement les yeux au ciel.
D'un geste vif, Taehyung tourna la tête vers son aîné, les yeux grands ouverts et la bouche béante. Une danse d'émotions traversa son visage, mélange de peine et d'amusement. Derrière ses rétines se déroulaient deux scènes distinctes : d'un côté, le Jeon enfant, terrifié à l'idée de tirer, et de l'autre, le hoquet suivi du coup raté.
En voyant le visage rieur du blond, Taehyung ne put empêcher un doux et bref esclaffement.
Le pauvre...
« Je n'ai jamais su pourquoi, mais elle a voulu préserver cette trace », murmura-t-il, les yeux dans le vague et la mine mélancolique.
Pourtant, une lueur de tristesse se reflétait dans ses yeux sombres, malgré le sourire subtil qui relevait légèrement ses pommettes.
Habité par une sincère compassion, Taehyung ne détacha pas son regard de lui. Cette anecdote eut le pouvoir de le réconforter, lui faisant comprendre qu'il venait d'accomplir son tout premier tir avec succès, malgré tout.
« Au terme d'une vingtaine d'essais, j'avais enfin touché ma cible. En ce qui te concerne, malgré le fait que tu aies manqué la jambe, tu as touché le mannequin. À mes yeux, c'est une prouesse. »
Il lui avait confié cela avec un éclat de respect dansant au fond de ses yeux.
« Vous avez dit que c'est parce que je suis archer de base, donc... », hasarda Taehyung en haussant une épaule.
Il tentait de ne pas sourire comme un idiot en avisant cette étrange lueur dans les yeux du blond.
« Oui, mais tu es peut-être un As des armes à feu qui n'attend qu'à être révélé. »
Amusé et curieux, Jungkook observait attentivement Taehyung, dont le bout des oreilles rougit tandis qu'il toussotait, essayant en vain de masquer un sourire qui aurait pu éclater en sincérité s'il n'était pas prisonnier de son propre orgueil.
« Elle a toujours été mercenaire, votre tutrice ? demanda-t-il, après s'être éclairci la voix.
— Non. Elle portait l'uniforme des forces de l'ordre. Elle était générale.
— Comment était votre initiation ? »
Éprouvante, je suppose.
Taehyung avait l'âme révoltée, tourmenté par les visions imposées par son esprit du Jeon enfant, contraint de grandir trop vite, de se forger une armure contre une existence obscurcie par la dure réalité.
C'est peut-être un connard, mais il méritait pas ça.
Jungkook haussa légèrement les épaules, ses yeux se noyant dans un océan de pensées lointaines.
« Elle avait conservé cette rigidité qui me contraignait à surpasser l'excellence même. C'était infernal. »
Il murmura ces mots comme on exhalerait un ultime souffle de vie. Il troubla Taehyung. Ce dernier fronça les sourcils, percevant un changement notable chez son aîné.
Il semblait absent.
« Vous l'aimiez... ? », osa-t-il d'une petite voix.
Jungkook resta silencieux. Ses yeux vagabondaient dans l'abîme d'un monde invisible, capturés par une pensée lointaine. Il fit abstraction de la voix grondante et mécontente qui l'invectivait, préférant se laisser bercer par le murmure apaisant d'une autre voix, plus douce, réconfortante et maternelle.
« Bien sûr. »
Étonné par le temps de réponse, Taehyung plissa les yeux. Il le scruta avec une intensité inquisitrice. Il avait décelé une pointe d'hésitation dans sa voix.
Son aîné semblait égaré, son attitude empreinte d'une étrangeté déroutante. Les bras croisés sur sa poitrine en une étreinte protectrice, il se balançait très légèrement d'avant en arrière, ses yeux grands ouverts, à moitié dissimulés par ses mèches blondes, fixant un vide insondable.
Il semblait errer dans un rêve désagréable. Pris au piège d'un cauchemar éveillé.
Cette vision déclencha la peine et la tristesse en Taehyung. Ce regard brisé lui fendait le cœur. Il devinait les vives et profondes cicatrices d'un traumatisme. D'une éducation rude. D'une enfance hors des normes. D'une innocence volée.
Taehyung décelait tout cela avec une aisance déconcertante, ayant lui-même traversé les tumultes d'une adolescence pénible.
Cette fragilité... Qu'est-ce qu'il a bien pu vivre ?
Taehyung s'éclaircit la voix, dans l'espoir de tirer Jungkook de sa douloureuse torpeur.
« Dites... je peux ? », demanda-t-il en montrant du doigt la rangée.
Jungkook leva les yeux vers son cadet, battant des paupières comme s'il émergeait d'un long rêve. Une chaleur suffocante le submergea, chaque fibre de son sweat semblait l'opprimer.
Il était certain d'avoir perçu le timbre rauque et doux de Taehyung, mais les mots lui avaient échappé. Pendant un instant fugace, il avait été absent, remplacé, le temps que le tout se régule.
Une voix plus monotone, lasse, traînante, lui vint en aide.
« Il veut reprendre le tir. »
« Oui, vas-y », répondit-il aussitôt, se remettant de son absence.
Certains sujets impliquant Yuna étaient comme une entité aux multiples ramifications, abritant en Jungkook quelques déclencheurs* traumatiques.
Comme à cet instant.
Le système* se tenait prêt, frémissant d'une agitation subtile. Par mesure de précaution, des pairs nécessaires s'éveillèrent, partageant une seule et même conscience, une même vision, un souffle partagé entre plusieurs âmes.
Ce matin au réveil, Jungkook avait été seul. Désormais, son environnement faisait qu'ils n'étaient plus seulement une petite poignée, comme à l'accoutumée en cas de besoin, mais un réseau de présences silencieuses, à l'affût.
Parmi elles, seules deux étaient prêtes à agir.
Les autres observaient, de patientes sentinelles attendant leur moment.
Prêtes à intervenir si nécessaire.
Pourtant, au cœur de cette foule vibrante et insaisissable, Jungkook restait solidement à l'avant-garde aussi longtemps que le système le jugeait en sécurité.
La seule différence était que, désormais, des émotions étrangères glissaient en lui comme des murmures, influençant subtilement son âme d'une manière insoupçonnée.
Il était en plein blending*.
Bien qu'ils eussent appris à se dissimuler avec une maîtrise parfaite, Jungkook pressentit que Taehyung avait perçu la subtile variation de son être.
« Juste un instant », dit Jungkook, stoppant son cadet dans ses gestes.
La chaleur de son sweat l'étouffant, Jungkook sentit la nécessité de se libérer. En de gestes presque fébriles, il retira son casque, subtilisa ses lunettes de son col et les déposa sur le pupitre le plus proche. Il débarrassa ensuite du vêtement d'un geste fluide et vif.
Il soupira d'aise, retrouvant une bouffée d'air frais.
Avec une grâce méthodique, il plia soigneusement sa tenue, la déposant sur un autre pupitre de la rangée à gauche de celle de Taehyung. Ses mouvements précis reflétaient une sérénité intérieure alors qu'il remettait son casque, réajustait ses lunettes devant ses yeux et réglait rapidement son équipement, tout en s'approchant de Taehyung pour reprendre son assistance.
« Tu peux y aller. »
À l'instant où il releva la tête pour demander à Taehyung s'il l'entendait, il suspendit ses gestes, stupéfait.
Puis, une pensée railleuse se démarqua des autres, glissant furtivement dans son esprit, semblable à une exclamation moqueuse dans la pénombre.
« Wait, il te mate, là ? »
Sans s'en cacher, Taehyung laissait son regard dériver avec une fascination audacieuse sur le torse athlétique de son aîné. Il s'attarda sur chaque courbe finement dessinée sous le tee-shirt tout aussi blanc que le reste de sa tenue. Il parcourut les épaules larges et le cou massif qui soulignait délicieusement la mâchoire acérée, la poitrine généreuse, les biceps puissants, et les avant-bras épais marqués de tatouages et de veines saillantes.
Jusque-là, il n'avait fait que deviner la robustesse du corps et sa musculature développée, mais le découvrir ainsi taillé éveillait en lui un mélange de défi et de doute.
Mais ce qui captivait irrésistiblement son regard, c'était cette poitrine sculptée aux contours fermement dessinés. Il était logique que le Jeon arbore des pectoraux développés, mais jamais n'aurait-il imaginé une telle... insolence.
Un instant, il hésita entre l'admiration, l'envie et une sorte de fascination troublante pour cette opulence audacieuse. Était-ce d'ailleurs l'audace de ce calibre ou celle de deux pointes rendues visibles par le tissu trop près du corps, qui éveillait en lui ce mélange d'émotions ?
Jungkook fronça les sourcils, plongé dans une brume d'incompréhension.
« Mes yeux sont un peu plus haut, Kim, dit-il en tentant de masquer un rictus éberlué.
— Je sais, Jeon, répondit-il aussitôt, ses yeux ne cessant de dévaler les reliefs du torse.
— Je sais que j'ai un corps plaisant, mais regarde-moi.
— Bah c'est ce que je fais. »
Les yeux de Taehyung glissèrent vers la saillie des abdominaux apparents et parfaitement tracés sous le vêtement.
« Ah oui... murmura-t-il pour lui-même, impressionné.
— Kim, arrête ça, gronda-t-il avec un bref rire à peine contenu. Tu es sans gêne. »
Taehyung leva des yeux pleins de résolution, puis pointa le torse de son aîné du doigt, surprenant ce dernier.
« Je veux la même chose », avoua-t-il, une voix empreinte détermination et dénuée de toute jalousie.
Je veux redevenir fort, en finir avec ce corps faible et frêle.
Malléable.
Il se retint de grimacer.
Jungkook ouvrit la bouche sur un silence, décidant de ne pas céder à la tentation de formuler une réplique acérée qui aurait déclenché une nouvelle guerre de mots, se contenant avec ardeur.
Je serais indélicat de lui faire une remarque sur son corps, même en plaisantant.
Il perçut la flamme farouche dans les yeux du ténébreux, une ardeur qui promettait d'atteindre des sommets insoupçonnés. Troublé, il cligna des yeux, emporté par la confusion et l'éclat de cette ambition brûlante en Taehyung.
« Ah. J'ai cru qu'il avait un kink des big boys. »
Jungkook reprit contenance, lâchant un souffle rieur au ton déçu de sa pensée.
« Tu aspires à un miracle plutôt qu'à un simple abonnement à la salle de sport ? » dit Jungkook avec une pointe d'ironie, mais visiblement flatté.
— Sauf si vous êtes motivé pour pousser un peu plus l'entraînement prévu.
— Je t'ajouterai des exercices en fin de séance.
— Cool. Entraînez-moi jusqu'à ce que je crache mes tripes. Zéro indulgence, je suis pas une poupée. »
« Avec joie. »
Une fossette apparut sur la joue du blond, dévoilant un rictus en coin qui s'épanouissait doucement, face au rire sardonique résonnant en écho.
« Il y a une salle de sport au huitième étage.
— Sérieux ? s'étonna-t-il.
— C'est là que j'ai prévu de t'entraîner.
— Je finirais comme vous en dix mois, vous pensez ? », s'enquit-il, les yeux plissés, taquin.
Jungkook arqua un sourcil presque indigné.
« Ce corps est le fruit de longues années de maintien. On peut revenir à la leçon, maintenant ? », lâcha-t-il avec un soupir, bien qu'une lueur divertie demeurât au fond de ses yeux.
Taehyung lui accorda un sourire, un éclat de malice arrogante dans les yeux. Une malice de celles qui charment et déconcertent. Puis, sans perdre une seconde, il se détourna de son aîné, déjà absorbé par la reprise du tir, laissant derrière lui une ombre de mystère flottant dans l'air.
« Mais c'est... c'est quel genre de flirt, ça ?
Est-ce que c'est du flirt, même ? »
Amusé, Jungkook secoua doucement la tête, se demandant jusqu'où irait la spontanéité du jeune Kim, chaque instant passé avec lui se révélant son imprévisibilité déroutante.
Concentré, Taehyung répétait les étapes avec une assurance grandissante, laissant derrière lui une partie de son hésitation. Il prenait cependant garde à chaque geste, conscient de sa maladresse persistante.
« Lunettes.
— Ah oui. »
Taehyung les récupéra aussitôt et les plaça sur son nez.
Jungkook le scrutait avec attention, notant la progression de son efficacité avec un œil professoral.
Le second tir fusant dans l'air, il percuta la paroi du mur, suscitant une brève exclamation frustrée de Taehyung. Son esprit était inébranlable, animé par une détermination farouche à toucher sa cible, à viser juste, à toucher cette jambe qui lui était missionnée.
« Me casse les couilles cette putain de jambe, pesta-t-il d'une voix forte, tandis qu'il redressa sa position.
— Ta frustration est telle que j'en frissonne », le charria Jungkook.
Il me fait penser à quelqu'un.
« De toute façon, je sors pas d'ici tant que j'ai pas touché cette jambe de merde, marmonna-t-il.
— Alors, on est bien partis pour camper.
— Comment ça, camper ? aboya-t-il aussitôt, piqué au vif. Je vais viser dans le mille juste pour vous faire mentir, vous allez voir. »
Jungkook secoua légèrement la tête.
Quelle fierté démesurée.
« Kim, cette discipline exige une grande sérénité. Il est vain de réagir impulsi...
— Mais c'est vous, là ! le coupa-t-il, indigné. Vous me provoquez !
— C'est toi qui te laisses emporter tout seul. Reprends ton calme. »
Taehyung pesta des mots inintelligibles dans sa barbe, déclenchant une cascade de rires insaisissables par son ouïe, qui provoquèrent presque celui de Jungkook.
« Allez, prouve-moi que tu sais viser, le nargua-t-il.
— Bon, vous pouvez arrêter de me déconcentrer, maintenant ? », grogna-t-il frustré.
Taehyung prit le soin de faire pivoter l'arme correctement afin de l'ouvrir, se souvenant des gestes requis.
« Toutes mes excuses, je ne voudrais pas déranger ta grande concentration », dit Jungkook avec une pointe d'ironie.
Sans daigner le regarder, Taehyung leva les yeux au ciel avant de charger le fusil et de le refermer d'un coup sec, minutieux.
« C'est bien, tes gestes s'affinent, tu le manies avec plus d'efficacité.
— Je sais, vous m'avez déjà complimenté, répondit-il avec une modestie feinte, luttant pour contenir un sourire ravi malgré son expression renfrognée.
— Un peu d'humilité ne te ferait pas de mal, Kim. Et garde à l'esprit qu'un compliment répété n'a pas la même valeur, soupira-t-il avant de croiser les bras sur sa poitrine.
— Je vous remercie pour cette leçon précieuse, maître. Mais vous savez bien que certains plaisirs ne perdent jamais leur saveur, même lorsqu'on y revient encore et encore », ironisa-t-il, avant de lâcher un petit rire sarcastique, fier de sa réplique.
Taehyung plaça à nouveau le fusil contre son épaule et visa la jambe, sans se rendre compte de la subtile ambiguïté de ses mots...
...ni le silence absolu qui régnait dans une existence percevable que par son aîné.
« Wait, what ? »
« Je... wow. »
« Je vous ai dit que c'est mon
âme sœur, ou pas ? »
« Et il balance ça comme ça ! »
« JK, reprends-toi, y'a zéro
sous-entendu. Enfin, je crois. »
Des rires fusèrent.
Quant à Jungkook il était totalement déconnecté de ces pensées en lui. Sa bouche s'était ouverte dans un silence, comme s'il créait une page vierge dans le livre de leur conversation. La surprise retenait ses mots prisonniers de l'étonnement.
Car à cet instant, en plus de l'amusement qui teintait ses yeux à la suite des propos de son cadet, il prit conscience de la complicité naturelle qui s'était tissée entre eux. De leurs mots lancés dans une joute verbale teintée de plus de malice qu'habituellement.
À cet instant précis, il ne put s'empêcher de se perdre dans les méandres du « si seulement ».
Si seulement la vie n'avait pas ourdi ses caprices autour de lui.
Si seulement le destin avait été plus clément, un allié plutôt qu'un adversaire.
Si seulement ses choix passés pouvaient être réécrits, comme on efface des mots sur une page.
Si seulement le temps lui offrait une seconde chance, un battement de cœur pour tout recommencer.
Si seulement, si seulement...
Il se prit à rêver, se demandant si dans une autre réalité, ils auraient été des frères, des âmes sœurs inséparables liées par le fil invisible d'une amitié forte et sincère.
Ses souvenirs d'enfance baignaient dans la brume du passé. Lointains et flous. Les rires joyeux et les jeux innocents, autrefois éparpillés dans les méandres du temps, s'étaient partiellement effacés.
Cependant, une image précieuse se détachait nettement, comme un soleil éloigné, brillant dans l'obscurité de ses souvenirs : le ventre arrondi d'Eun-Ae.
Sa forme ronde et douce comme la lune qui demeurait gravée dans sa mémoire.
Taehyung grandissait en elle. Du haut de ses cinq ans, Jungkook avait ressenti un bonheur si immense qu'il en avait été submergé.
Il avait fait la promesse solennelle d'être le « protecteur » de cet enfant à naître. Ses mots avaient provoqué un éclat de rire chez la jeune et magnifique mère, du père et du frère, tandis que ses propres parents, présents à leurs côtés, avaient partagé ce moment de tendresse et de complicité.
Une douleur aiguë transperça son cœur quand il revit les visages radieux de ses propres parents. Leurs sourires lui rappelèrent les jours heureux.
« J'y crois pas ! J'ai réussi, putain ! Alors, ce camping ? Ça vous apprendra à me sous-estimer ! »
Cependant, l'erreur presque fatale vint lorsque ses yeux se posèrent sur Taehyung. Le visage juvénile se superposa mystérieusement à celui plus mature qui le dévisageait avec une expression à la fois fière et excitée.
Cette étrange juxtaposition fit se figer Jungkook. Son cœur bondit dangereusement. Il émit une plainte rauque et étouffée. Sa conscience remua aussitôt, prise dans l'urgence. Il fixa le sol, les yeux dans le vague. Il lutta. S'ancra. Serra les poings et les dents pour garder une posture normale.
« Jeon, vous avez vu ? »
Cette voix le tira brutalement de sa léthargie, le laissant déconcerté et perdu dans la sinuosité d'un retour au présent brusque.
Ce fut l'esprit encore troublé que Jungkook suivît le doigt pointé de Taehyung et constatât avec grande surprise qu'une jambe avait été touchée.
Mais que trois trous étaient visibles derrière le mannequin. Des balles manquées.
« Merde, tu as vraiment tiré quatre fois ? », paniqua Jungkook en décroisant vivement les bras.
Il prit brusquement conscience d'avoir été trop profondément absent en faillant à sa surveillance minutieuse. Il vérifia d'un coup d'œil expert et habitué que le fusil était sécurisé, et fut rassuré de le voir ouvert et désapprovisionné.
Taehyung perdit son sourire et ses épaules s'affaissèrent, une mine inquiète et confuse remplaçant celle enjouée.
« Bah, quatre fois comme vous pouvez le voir, répondit-il, incertain. Vous savez plus compter ?
— Excuse-moi, j'étais perdu dans mes... »
Sa voix mourut, il grinça des dents. Son cœur subit une seconde contraction aiguë. Il haleta un soupir plaintif, une main broyant son pectoral gauche.
À nouveau, ses yeux affolés se perdirent dans le vague, puis se fixèrent sur un point invisible du sol. Il fronça les sourcils. Lutta avec véhémence. Lâcha une faible lamentation rauque. Sortit fébrilement son arme fétiche de son étui. Il la fixa, la tritura. Et s'ancra plus fort.
« Je rêve ou tu luttes ? »
« Euh... Vous faites quoi, là ? »
La voix de Taehyung le frappa. Son réveil fut brutal.
« ... Ça va ? »
Il réussit. Il s'était ancré grâce à ce doux timbre.
« Oui. »
Sa voix tremblotait, son souffle court.
Un battement douloureux lui martelait les tempes. Ses yeux embués par la fatigue trahissaient une bataille intérieure. Le corps, pris de panique, agir urgemment pour accomplir sa mission primordiale : protéger Jungkook coûte que coûte d'une crise imminente.
Mais ce dernier luttait.
Il luttait en chassant les souvenirs qui l'assaillirent afin d'éviter de sombrer. Afin d'éviter son repli forcé. Il pouvait le repousser jusqu'à s'y soustraire.
Il voulait rester au-dehors. Il le devait. Il fallait surveiller Taehyung. Il ne voulait pas à nouveau faillir à sa vigilance.
Mais, telle une toile d'artiste, son esprit peignit les visages de sa mère. son père. Jaewon. Eun-Ae. Seokjin. Taehyung. Chacun se superposait avec une douceur cruelle. Il s'attarda sur le souvenir du visage bienveillant et paternel de Jaewon. Sur le sourire fraternel et étincelant de Seokjin.
Les souvenirs de ces visages autrefois lumineux se fondaient avec celui plus sombre de ces mêmes hommes.
Ses tourmenteurs.
Certes indirects.
Invisibles dans leurs gestes.
Mais implacables dans leurs effets destructeurs.
Comme une cascade de lames aiguisées, cette vision suffocante le submergea sans le moindre état d'âme. Elle le transperça, lui infligeant une pluie d'aiguilles vicieuses et empoisonnées, l'engloutissant dans une douleur incommensurable.
Seize ans.
Seize ans s'étaient écoulés.
Mais les fissures, les brisures, les cicatrices étaient innombrables.
Jungkook n'était pas un homme que le temps pouvait apaiser. Tout restait vif. Douloureux.
Une douleur qui se composait d'un amalgame amer de colère, d'injustice, de remords tenaces et de regrets éprouvants.
Tandis qu'une pensée en entraînait une autre, son esprit, dans un élan inattendu, prit un chemin abrupt, déconcertant et indésirable : l'enlèvement de Taehyung.
Une chaîne invisible qui pesait sur sa conscience, s'ajoutant dans les ombres de ses méfaits.
Jungkook revoyait la terreur qu'il lui avait insufflée. Le bruit du violent coup porté à sa nuque. Ses cris, sa colère. Ses larmes. Son désespoir. Sa haine. Le chantage perfide qui le retenait captif. Le bracelet.
L'initiation au tir.
Il lui avait infligé des blessures par pur égoïsme, alors qu'il avait promis à ses parrains de veiller sur lui.
Quelle cruelle ironie.
Ces pensées dévoraient son cœur qui s'emballa avec la férocité d'un fauve prêt à bondir et y laisser la vie.
« ARRÊTE, PUTAIN ! »
La même voix paniquée, grave, féroce...
« Rym... ! »
...devenant résignée, tremblante, éprouvée. Impuissante.
Les présences s'agitèrent et le système, enfin discipliné, se tint prêt à agir pour remettre de l'ordre.
Jungkook le sentit. Mécontent, il gronda, plaquant une main sur son front, les yeux fermement clos.
Il tenta d'ignorer la dangereuse frénésie d'anxiété qui se jouait sur son cœur. Son souffle se brisa bruyamment, un tumulte intérieur qui ne passa pas inaperçu pour Taehyung.
Une voix douce et rassurante appelée en renfort résonna dans son esprit.
« Ton protégé ne verra rien
avec le masking*, tu le sais. »
Un son plaintif échappa à Jungkook. Il lutta davantage, grinça des dents, secoua vivement la tête...
Inquiète, la voix réitéra sa demande, une note de menace se glissant dans ses paroles, prête à recourir à la force si nécessaire.
Le souffle court et loin d'en être intimidé, Jungkook s'ancra davantage, ses yeux fiévreux ne quittant pas son arme. La détermination le brûlait de l'intérieur, refusant catégoriquement de céder sa place, même si on lui murmurait que celle-ci pourrait lui être arrachée de force.
Ce qui le contraindrait à un long repli.
Il s'éclipserait, disparaissant pendant des jours, des semaines, des mois. Il était l'hôte, son départ bouleverserait le système qui en sera désorienté, incapable de se réorganiser rapidement. Et Jungkook, dans cette obscurité, attendrait que l'ordre se rétablisse avant de pouvoir reparaître à la lumière.
Tout cela à cause de cette lutte intérieure, acharnée, contre ce que son cerveau avait construit pour le protéger. Il savait qu'il ne devait pas défier ce système, qu'il ne devait pas se dresser contre les mécanismes qui le maintenaient en vie.
Hélas...
C'était plus fort que lui.
Sa lutte s'amoindrit progressivement.
Il est ma responsabilité.
J'avais promis de...
« Alors, cède. Tu pourras ensuite t'en occuper à ta guise. Et tu es à deux doigts de faire une tachycardie. Tu vas l'inquiéter. »
L'inquiéter... ?
Convaincu par cette promesse, harassé par sa lutte féroce et périlleuse, Jungkook céda.
En lui, un profond silence hébété se fit face à sa soudaine capitulation.
En entendant la dernière phrase, il fut facile pour lui d'abandonner ses défenses avec une telle rapidité et une telle facilité que chacun, témoin de la scène, se demanda si Taehyung était devenu un déclencheur positif* pour Jungkook.
Peut-être Taehyung serait-il une force extérieure, une béquille les incitant à l'accepter pour leur bien-être.
Ou bien une faiblesse, un levier traumatique, le condamnant à être éliminé par l'un des protecteurs pour leur survie.
Tout s'était passé en moins de vingt secondes.
À quelques pas de lui, Taehyung déposa son arme sur le pupitre, laissant un silence pesant planer dans la pièce. Il fit glisser ses lunettes vers le haut, dévoilant son front et son regard luisant d'inquiétude. Enfin, il retira son casque, le déposant sur sa nuque.
Il savait que son aîné luttait contre une douleur lancinante qui semblait lui broyer le cœur.
Ses lèvres laissèrent échapper une plainte à peine audible, avant qu'un soupir plus doux traverse l'air comme un écho d'une fin de lutte.
Alerté par son vacillement dangereux, Taehyung se précipita vers lui, cherchant à arrêter la chute inexorable du plus âgé à deux doigts de s'effondrer sur le sol.
« Attention, lâcha précipitamment Taehyung. Je vous tiens. »
Il lui saisit solidement l'avant-bras et l'épaule, le conduisant avec prudence vers le pupitre suivant pour qu'il puisse y appuyer le bas de son dos. il lui retira doucement le revolver de la main, le posant précautionneusement – et avec anxiété – près du fusil sur le pupitre à sa gauche.
Se sachant sécurisé, le blond sentit ses vertiges diminuer légèrement. Il inspira profondément, accordant à chaque souffle le soin de remettre de l'ordre en lui.
Le calme.
Le calme à tout prix.
Taehyung garda le silence, attendant qu'il daigne relever la tête et l'informer sur son état préoccupant. Son regard analysait son aîné, dont le front perlé de sueur trahissait l'effort d'une respiration de plus en plus maîtrisée, un rituel familier qu'il avait observé lors de la nuit de l'anniversaire de Hoseok.
Il grimaça légèrement à la pensée de son ami. Son âme se noya dans une tristesse infinie en pensant au reste de la bande.
Son regard s'aiguisa sur la joue perlée de sueur de Jungkook.
Me voilà en train de venir en aide à celui qui m'a arraché à eux. C'est quel genre d'ironie, ça ?
Son regard se voila d'une mélancolie saturnienne. L'amertume s'abattit sur lui comme un orage silencieux.
Et comme une pensée en apportait une autre...
Papa, maman, Jin, qu'est-ce que vous avez fait au monde pour que les répercussions de vos actes me détruisent ?
Ses mains se resserrèrent inconsciemment autour du bras et de l'épaule de son aîné. La tête de ce dernier oscilla avec une lenteur hypnotique, ses cils frémissant à peine, évoquant un léger état de somnolence.
Un malaise indéfinissable et une confusion étrange envahirent Taehyung.
Il est complètement déconnecté. Il est en pleine crise de dépersonnalisation* ?
Son regard s'assombrit et son cœur se compressa sous une légère contrariété.
...Comme moi au travail ?
Mais qu'est-ce qui déclenche ça si ce n'est un stress intense ? Il aurait été extrêmement anxieux depuis tout à l'heure, et je l'ai pas vu ?
Des sueurs froides glissaient sur sa peau. Il secoua vivement la tête, tentant de chasser ses pensées paniquées. Son cœur battait avec une force inexplicable, résonnant d'un effroi mystérieux qui l'enveloppait.
Le temps s'étira, un voile de silence drapé sur la salle seulement troublé par le souffle régulier du blond, de plus en plus paisible.
Elle céda sa place, demeurant néanmoins aux aguets avec quelques présences.
« Ne refais plus ça. »
Bien qu'inquiète, la voix douce et salvatrice laissa transparaître une bienveillance.
Les paupières de Jungkook se soulevèrent soudainement. Il était figé comme une statue. Taehyung sursauta puis tressaillit, son cœur bondissant sous l'effet de la surprise.
Plus que ça.
Il était terrorisé. Irrationnellement anxieux.
Il sentait que quelque chose n'était assurément pas à sa place, mais l'interprétation lui échappait, laissant place à une frayeur inexpliquée.
Il eut une sensation de déjà-vu.
Il déglutit, son souffle se faisant tremblant.
« ... Jeon ? », appela-t-il prudemment.
Ses pouces caressaient inconsciemment la peau de son aîné avec une délicatesse apaisante.
Une voix caverneuse, irritée et teintée d'inquiétude s'éleva à la suite, dévoilant pourtant une subtile lueur de soulagement en filigrane...
« Putain. Tout ça à cause de ce gosse ? Refais plus ça, sauf si tu veux m'obliger à le supprimer. Et crois-moi, j'ai pas envie. »
...pourtant effroyablement menaçante.
Jungkook frémit, le mécontentement froissant ses traits. Il croyait fermement à cette menace. Il avait commis une erreur, une grave erreur. Il le savait. Son corps courbaturé en témoignait.
Pourtant, toute son énergie avait été consacrée à cacher... ça.
Lorsqu'il releva les yeux encore vitreux vers ceux inquiets de son cadet, Jungkook eut l'agréable impression que la douleur restante se désagrégeait en une myriade d'éclats. La surprise due à leur proximité anesthésia son esprit.
Il se tenait là, face à Taehyung qui ne le lâchait pas de ses grandes perles noires à présent complètement dévoilées. Aucun filament ondulé ne venait obscurcir son regard ni alourdir le doux battement de ses longs cils. Sur son front, seules subsistaient de légères traces qui cicatrisaient depuis la nuit au temple.
En cet instant, Jungkook ressentit comme une douce emprise, une invitation à s'évader vers un autre monde inconnu.
Il contempla la délicate courbe de ses doubles paupières, les sourcils luxuriants dessinés avec une perfection naturelle, et la teinte de ses iris, une oscillation entre l'onyx et la douce nuance chocolat, une révélation insoupçonnée derrière les mèches sombres qui en avaient toujours masqué la vraie nuance, la vraie splendeur.
Il fut tellement ensorcelé par l'instant qu'il ne sentit pas le plus jeune lui ôter le casque avec précaution pour l'ajuster sur sa nuque légèrement humide de sueur.
Jungkook était happé, si bien qu'il ne réalisa pas l'expression obnubilée qui avait pris vie sur son visage.
Déconcerté, Taehyung rosit devant ce regard à la fois pénétrant et curieux fixé sur lui, le plongeant dans une confusion grandissante.
Il s'éclaircit la voix.
« ... Ça va mieux ? »
En le voyant complètement perdu dans son regard, Taehyung déposa ses mains sur les épaules à présent complètement détendues, dans une tentative de le faire sortir de sa torpeur.
« Hé, vous commencez sérieusement à me faire flipper. Répondez-moi, implora-t-il d'une voix ténue et inquiète. Je dois appeler quelqu'un pour vous venir en aide ? »
Les paupières de Jungkook papillonnèrent, dévoilant une lucidité naissante à la lumière crue de la réalité. Il était pris au piège de sa propre inattention, sa réaction ensorcelée exposée. Le malaise le submergea alors qu'il détournait précipitamment le regard, tentant désespérément de dissimuler son émoi.
Bon sang, quel embarras.
En silence, il se réprimanda en un dialogue intérieur brutal, regrettant d'avoir cédé à une fascination qu'il ne comprit pas.
Puis, il remarqua une agréable diffusion de chaleur sur ses épaules. Surpris, il leva les yeux pour rencontrer le regard du plus jeune dans l'attente.
Taehyung le touchait.
« Tes mains... Désolé, je t'ai poussé à... prononça-t-il d'une voix basse, légèrement éraillée et hésitante, ne sachant comment formuler sa phrase.
— Oh. »
Il ôta prudemment ses mains, s'assurant que son aîné ne défaille pas à nouveau.
« Tant que c'est moi qui vous touche, c'est pas un souci », expliqua-t-il en secouant légèrement la tête, appuyant ses propos.
Jungkook hocha la tête, reconnaissant.
Taehyung avisa la légère couche de sueur sur la peau de son aîné, notant les joues à présent plus claires.
« Qu'est-ce qui s'est passé ? demanda Taehyung d'une voix prudente et basse. Vous avez semblé perdu dans vos pensées avant de perdre l'équilibre en vous tenant le cœur. Et visiblement, vous n'avez même pas vu que j'ai tiré quatre fois, c'est inquiétant.
— Excuse-moi, je ne t'ai pas surveillé comme il se doit. Heureusement que tu t'adaptes vite... », répondit-il en éludant volontairement le reste des questions.
Il plongea son visage dans une main lasse avant de le frotter doucement, soupirant profondément.
Je suis exténué.
« Y'a pas eu de mal », souffla Taehyung, comprenant que le sujet était clos.
Il croisa ses mains derrière son dos en reculant d'un pas, désireux de laisser de l'espace au plus âgé.
Appuyé contre le pupitre, Jungkook soupira une ultime fois, sa main glissant avec lassitude à travers ses mèches blondes, échouant contre sa nuque à présent sèche de toute moiteur.
La fatigue, fidèle compagne après chaque affolement presque mortel de son cœur fragilisé, était venue le rejoindre.
Lentement, il se retourna légèrement pour regarder la cible et constata qu'une jambe avait bel et bien été touchée.
Malgré la fatigue alourdissant légèrement ses paupières, ses yeux satisfaits et espiègles rencontrèrent ceux de Taehyung. Un froncement de sourcils froissa le front de ce dernier lorsqu'il constata l'éclat malicieux dansant dans les yeux du blond.
« ... Quoi ? s'enquit Taehyung, curieux.
— Sache que je suis impressionné, commença Jungkook d'une voix légèrement affaiblie. Mais... »
Il bâilla en glissant une fois de plus sa main dans sa chevelure d'or, luttant contre un soupir émanant de la fatigue qui le contrariait.
« Mais quoi ? le pressa Taehyung en plissant les yeux sous l'incompréhension, ne sachant la réelle raison du faible sourire en coin du plus âgé.
— J'avais dit, pour la troisième fois, la jambe droite », articula-t-il.
Taehyung pivota brusquement, son regard se fixant avec une intensité féline sur le mannequin. Il se déplaça en un mouvement fluide, presque chorégraphié, effectuant trois pas en crabe.
Puis, une réalisation soudaine s'abattit sur lui, cruelle comme le tranchant d'une lame : il avait choisi la mauvaise jambe.
« Putain, mais c'est pas possible ! », pesta-t-il, déçu.
Puis un grognement s'échappa de ses lèvres, créant un contraste saisissant avec le rictus narquois du blond. Ce dernier se leva lentement, son pas lourd résonnant sur le sol caoutchouteux. Son regard était rivé sur le visage de Taehyung qui mêlait frustration et déception.
« J'étais content pour rien, grommela-t-il en faisant faiblement pouffer Jungkook.
— Rien ne t'empêche de prendre ta revanche sur le fait que tu confonds la droite et la gauche.
— Mais je confonds pas la droite et la gauche ! aboya-t-il, piqué au vif. J'étais... je sais même pas, finit-il par avouer, indécis.
— Tu étais focalisé sur le fait de toucher la cible, parce que, si je constate les trois balles perdues derrière, et si j'en crois ton tempérament tempétueux, je pense que tu t'es laissé submerger par tes émotions, ce qui t'a conduit à une erreur de positionnement. »
Yuna ne m'aurait jamais pardonné cette erreur.
« ... Sûrement, marmonna-t-il, ayant l'échec en travers de la gorge.
— Ne sois pas trop sévère envers toi-même. Ta précision et ton talent sont indiscutables. En quelques séances seulement, tu maîtriseras parfaitement une arme. Tu excelles en tant qu'archer et tu manies plutôt bien un fusil. Alors un pistolet ne devrait pas te poser le moindre souci. »
Les yeux ancrés dans ceux du plus jeune, dont la timide fierté brillait tandis qu'il se grattait nerveusement l'arête du nez pour masquer ses rougeurs en grommelant, Jungkook prit une profonde inspiration, sa poitrine se gonflant légèrement. Il n'eut ni le cœur ni le courage de s'interroger sur le plaisir coupable qu'il trouvait, encore une fois, à observer les réactions de Taehyung à ses éloges.
Il se contenta d'esquisser un petit rictus.
Mais il ne put ignorer la douce chaleur, aussi discrète qu'une caresse, qui effleurait la glaciale froideur de son cœur.
« C'est pas que je m'en réjouis pas, mais... », souffla Taehyung en fixant le fusil déposé sur le pupitre.
Mais apprendre à tirer pour vous seconder dans vos missions me plaît pas...
« Garde en tête que tu seras capable de te défendre, conseilla Jungkook, le ton légèrement traînant.
— Hm... lâcha-t-il, les yeux dans le vague.
— Continue, si tu veux.
— Non, je me suis assez challengé, comme ça, dit-il en ébouriffant ses cheveux, avant de s'étirer de tout son long et de remettre ses chaussures.
— Très bien. Passe-moi ton casque. Prends le fusil, tu vas le ranger. »
Il récupéra mollement son revolver et le glissa dans son dos, repoussant le souvenir du récent tumulte dans son esprit et la raison pour laquelle son arme était hors de son étui. Il prit la boîte des munitions, le talkie et le casque que lui rendit Taehyung avant de se diriger vers l'armoire à pas lents et lourds.
Quant au plus jeune, il se stoppa devant le tableau des armes, attendant que leur propriétaire le rejoigne.
Réfrénant une grimace lorsqu'un vif et bref vertige l'assaillit, Jungkook se stoppa aux côtés de son élève, son sweat pendu à son bras, tandis qu'il plongeait ses mains dans ses poches. Il lui fit signe d'accrocher le fusil à son emplacement désigné.
Sans hésitation, Taehyung obéit en le rangeant de manière presque solennelle. Il recula d'un pas, admirant les armes avec un nouvel œil. Il fixa celle qu'il venait de déposer. Un petit rictus satisfait apparut en voyant son fusil pointé à l'envers, son canon défiant le sens de toutes les autres armes accrochées.
Il sentit le regard de Jungkook qui se posa sur son profil.
« Pourquoi l'avoir placé à l'envers ? demanda Jungkook, le ton amusé.
— Ma petite touche personnelle dans cet ordre flippant », rétorqua-t-il en haussant une épaule désinvolte, espiègle.
Il perdit son sourire, croisant les mains derrière son dos.
« Je réalise pas encore ce qui vient de se passer, je crois, dit Taehyung d'une voix éteinte.
— Ce n'est pas étonnant, dit Jungkook d'une voix légèrement éraillée. Ce sont des actions que tu n'aurais jamais imaginé accomplir de cette manière. »
Taehyung acquiesça et dévia son regard sur la photo de la femme.
« Elle était belle, souffla-t-il, en voyant du coin de l'œil le blond poser également son regard sur la photo.
— Il n'en existe pas deux comme elle. Elle était amie avec mes parents et... »
Les tiens.
Réalisant ce qu'il avait été sur le point de dire, son silence devint un rempart fragile contre le torrent impétueux des révélations non prêtes à éclore. Les mots chargés de vérités trop lourdes furent suspendus, attendant patiemment l'instant propice pour se libérer.
« Et... ? l'encouragea Taehyung en rivant son regard vers lui, ses prunelles tombant malencontreusement sur son bijou nasal.
— ... Et la vie les a séparés. Leur amitié n'a pas pu être préservée », éluda-t-il, sans réellement mentir, le regardant à nouveau.
Taehyung lisait sur son visage un mélange de fatigue et de malaise. Les yeux de son aîné révélaient des émotions dans un langage que Taehyung connaissait un peu plus chaque jour.
Son cœur se serra, heurté par une douleur familière. Il détourna précipitamment le regard, cherchant à échapper à cette compression désagréable qui pesait sur sa poitrine.
« Vous pensez réellement que je vais pas changer ? demanda-t-il avec raideur, les yeux fixés au sol, se triturant les mains jointes derrière son dos.
— On n'a pas déjà évoqué ce sujet ? demanda-t-il, surpris, faisant écho à leur précédente conversation avant la leçon.
— Si », soupira-t-il.
Il ne releva pas les yeux du sol drapé de dalles antiretour, se sentant gêné de se montrer aussi préoccupé.
L'adrénaline qui retombe, franchement, c'est pas ouf.
Le regard de Jungkook se posa sur lui et, dans cette fraction de seconde, il comprit. Taehyung ne demandait pas seulement des mots. Il demandait une vérité qui aurait le goût de l'amertume, mais qui lui sera douce comme une musique triste.
« Dans quel sens ? », consentit-il à répondre.
Il se fit violence pour ne pas grimacer sous le poids de la fatigue l'accablant.
Il savait qu'après chaque précrise, il était inévitablement remplacé. Pourtant, en cet instant fragile, il éprouva une profonde gratitude d'être encore en première ligne, savourant ces précieux instants avant de céder sa place pour quelques heures de répit.
Merci.
Une voix gronda, lourde de reproches, comme un tonnerre dans la nuit calme.
« Mets-le où tu le penses, ton "merci".
T'as quinze minutes. »
Jungkook s'affaissa légèrement, pris de remords.
« Mais je te jure que si tu luttes encore, je... Putain, mais tu veux le voir morfler avec moi, ou quoi ? Il va rien comprendre et je serais obligé de tout lui dire ! C'est ça que tu veux ? »
« Il a compris, arrête de le réprimander. »
La voix caverneuse irritée et la voix douce, lasse et féminine se mêlèrent à une tierce plus neutre et masculine, un brin froide.
« Pourquoi il nous casses les oreilles plus que d'habitude, le borderline ? »
« Et toi, pourquoi tu la ramènes ? Et parce que j'ai pas envie de m'en occuper. »
« Toi qui nous rabâches sans cesse que t'as un coup de cœur pour le petit prot... ? »
« RYM, ME CONTREDIS PAS, PUTAIN. »
Jungkook tressaillit. Un sanglot d'enfant tout juste éveillé résonna, glaçant l'assemblée. Il ferma les yeux, poings et mâchoire crispés, et déglutit discrètement.
Il aurait tout donné pour un instant de silence. Absolument tout. Mais il n'avait que lui-même à blâmer ; il avait mené sa bataille, lutté contre ce qui le maintenait en vie tout en l'emprisonnant.
Et maintenant, tout flottait dans un désordre – heureusement – éphémère.
Il s'en voulait de les entendre s'inquiéter, de les contraindre à agir quand ils auraient dû goûter au repos. Il s'en voulait de les entendre se disputer au point de faire pleurer un little*.
Dire qu'ils avaient eu du mal à se stabiliser. Ils venaient à peine de trouver un équilibre fragile, où les tumultes s'étaient apaisés, l'instabilité s'était régulée, les échanges s'étaient faits plus rares, et où Jungkook restait à la surface plus longtemps.
Mais l'arrivée de Taehyung avait tout bouleversé.
Tapie dans l'ombre, l'anxiété avait resurgi avec une force dévastatrice, ramenant avec elle son cortège de troubles. Il n'avait eu d'autre choix que de composer, d'une main tremblante, au milieu de la nuit et après un terrible cauchemar, le numéro de sa psychiatre. L'urgence de calmer ce chaos dévorant l'avait poussé à implorer l'apaisement médicamenteux qu'elle seule pouvait lui prescrire.
La seule lueur d'apaisement que Jungkook pouvait entrevoir résidait dans l'harmonie fragile qu'il avait tissée avec sa petite famille fragmentée. Il avait appris à chérir leurs présences, malgré les écueils, et il se blâmait silencieusement de semer des épines sur leur chemin.
« Rym est là. Donc calme-toi. Tu nous rends anxieux et tu fais pleur... »
« JE SUIS CALME, LÀ. »
Luttant contre les vagues d'anxiété qui l'étouffaient, Jungkook ouvrit les yeux et s'efforça d'ignorer leur joute qui se poursuivait. D'autres voix s'en mêlaient. Les pleurs redoublèrent.
Une cacophonie infernale.
Il inspira profondément.
Chacun percevait la peur et le regret qui habitaient Jungkook pour avoir agi avec tant d'imprudence. L'idée de contraindre Taehyung à côtoyer d'autres que lui qui prendraient le relais pendant un temps indéterminé suffisait à le rendre anxieux.
« Vous pensez que même si je... tue personne, le fait de seulement le blesser par balle me rendrait plus... enfin moins... ? », hésita-t-il, incapable de trouver un adjectif qui le qualifierait.
Les voix s'éteignirent. Le silence s'installa, lourd et solennel, lorsque la voix chargée d'appréhension de Taehyung s'éleva, comme s'il détenait à cet instant un étrange pouvoir sur le système.
Jungkook papillonna des yeux, la confusion peinte sur son visage. Un rictus ironique manqua d'éclore sur ses lèvres.
Parmi toutes les questions possibles, il a fallu que tu choisisses celle-ci.
« Vérité brute ou biaisée ? »
Le visage de Taehyung demeura impassible, mais surprise et gratitude traversèrent secrètement son cœur face à cette considération.
« Depuis quand vous pensez à me ménager ? », répondit-il d'un ton ferme, le regard toujours baissé.
Jungkook soupira.
« Tu peux développer une résilience tout en préservant ton humanité, et plus encore ton empathie. Te connaissant, je ne m'inquiète pas vraiment pour ton sort. »
Taehyung acquiesça, le cœur bondissant, sentant qu'il n'avait pas terminé.
« Mais blesser quelqu'un peut te transformer, poursuivit-il avec amertume. Tu évolueras, car la souffrance découlera inévitablement de tes actions, et une âme aussi blanche que la tienne peinera à consentir aux actes néfastes que tu commettras, même pour ta propre défense. »
Et toi, tu n'auras pas l'abri qui m'a été donné contre ce tumulte intérieur.
Il avait fait en sorte de choisir ses mots avec une sincérité brutale. Il serra les poings et les dents, son regard se faisant plus acéré sur la photographie de Yuna.
Taehyung demeura muet. Les mots amers de la vérité qu'il avait sollicitée le frappaient comme une lame froide.
« J'ajoute une chose. »
Du coin de l'œil, Taehyung perçut le regard de son aîné se poser sur lui. Il se tendit, chaque fibre de son être frémissant à l'idée que les prochains mots pourraient lui donner le coup de grâce.
Jungkook s'humidifia les lèvres, figé dans une soudaine hésitation.
Il te suffit d'une seule entorse pour que tes gênes te condamnent.
Il ouvrit la bouche, prêt à formuler cette sentence exacte. Mais les mots se figèrent dans un silence lourd de sens. Alors, avec une résignation douce-amère, il réarrangea ses pensées, tempérant ses paroles, mais respecta la demande de son cadet.
« J'aimerais te dire que ce n'est pas le mal qui est en toi qui te définit entièrement. Je fais allusion à...
— Mes gênes ? le coupa-t-il avec un sourire teinté de tristesse et d'agacement.
— Oui. Malheureusement, je ne peux t'apporter de solution. Si ce n'est te conseiller de ne pas les laisser obscurcir ton jugement. »
En espérant de tout cœur que ce soit possible.
Une gratitude âcre fleurit en Taehyung envers Jungkook qui refusait de broder de douces illusions pour apaiser son tourment. Il voulait exprimer son désaccord sur la question des « gènes », mais se tut.
Car, plus que tout, une émotion émergea dans les profondeurs de son âme.
Il voulait que son aîné lui présente des excuses.
Juste ça.
L'entendre formuler ses regrets, sachant qu'ils étaient déjà éloquents dans ses yeux d'un noir intense.
À peine l'idée éclose, une perplexité le saisit. Ses sourcils se froncèrent tandis que son cœur s'emballait dans sa poitrine.
« Au moins vous êtes honnête, souffla-t-il, les dents serrées. Me... »
Il grimaça.
Qu'avait-il été sur le point de faire ? Remercier son bourreau ? Jamais.
Il s'y refusait farouchement.
Et puis quoi encore.
Jungkook inspira profondément, lentement, subissant un léger vertige en silence.
« Tu seras présent dans les missions où tu n'auras, en théorie, jamais besoin de dégainer ton arme. C'est ce qui a été envisagé dès le départ et ça ne changera pas », assura-t-il, sérieux, les yeux toujours fixés sur la photographie.
Taehyung ne sut s'il devait lui en être reconnaissant, quand bien même son cœur tambourinait sous le soulagement que cela lui procura.
« Ah, donc l'idée, c'est que je devrais juste regarder l'horreur, sans m'y mêler. Charmant.
— Il y a des réalités que je préfère te présenter plutôt que d'autres. »
Même si je sais que je ne peux pas tout éviter.
« C'est quand même ironique, dit-il en regardant son profil. C'est vous qui... »
Il s'interrompit en voyant le Jeon fermer doucement les paupières, laissant échapper un long soupir tremblant tout en grimaçant légèrement. Ce geste troubla Taehyung, ravivant en lui le souvenir de cette étrange crise. Il prit conscience que la peau opaline de son aîné s'était davantage pâlie, que ses mouvements avaient perdu de leur vivacité habituelle, que son échine s'était légèrement courbée, et qu'il laissait échapper des soupirs bien trop fréquents.
Des soupirs éreintés.
« Vous avez l'air un peu malade », dit Taehyung en penchant légèrement sa tête sur le côté, scrutant le visage au teint presque maladif.
« Il est bientôt l'heure. »
Une voix douce et agréable comme une caresse.
Une aura bienveillante l'enveloppait lentement dans l'obscurité avec une douceur rassurante comme un voile de soie tranquillisant son âme.
Cette voix serait celle qui veillerait sur Taehyung.
Et Jungkook sentit son cœur s'apaiser, en même temps que sa conscience s'éteignait progressivement, lentement, mais sûrement.
« Rien de bien grave », objecta-t-il avec une douce résistance, le temps de lui répondre.
Jungkook se détourna et se dirigea lentement vers les escaliers. Taehyung fronça les sourcils, remarquant ses pas lourds.
Jungkook avait définitivement un souci et Taehyung s'injuria mentalement de s'inquiéter à nouveau pour son bourreau. Malgré les incertitudes qui pesaient sur leur relation forcée, une complicité fragile commençait à germer, telle une fleur délicate dans le désert aride de leurs existences.
Il se méfiait de l'aisance troublante avec laquelle leurs énergies semblaient s'accorder. Et cette complicité l'effrayait, donnant naissance à une lourdeur permanente dans sa poitrine.
La crainte du point de non-retour, s'il s'attachait véritablement au Jeon.
« On monte. »
Sa voix n'était plus qu'un souffle.
Le cœur de Taehyung était comme béant, un tourbillon d'émotions l'envahissant. Il observa son aîné s'éloigner, chacun de ses pas creusant un abîme de vide en lui.
Puis, alors que Jungkook atteignit le centre des marches, il s'immobilisa, comme si une invisible corde le retenait à Taehyung. Ses oreilles ne percevaient pas le son de ses pas qui le suivaient, mais son instinct les ressentait immobiles.
Ils se regardèrent.
Jungkook battit paresseusement des cils, se sentant partir.
« Qu'est-ce que tu avais voulu dire, tout à l'heure ? », demanda Jungkook d'une voix basse, faisant référence à la dernière phrase inachevée de son cadet.
Il savait que Taehyung, armé d'une vérité aussi tranchante que tourmenteuse, s'était apprêté à l'accabler de reproches. Jungkook brûlait de les entendre à n'importe quel prix, peu importe l'âpreté de ces mots.
Que ça me serve de punition.
Taehyung baissa subitement la tête.
« C'est plus le moment », souffla-t-il.
Il s'élança vers les marches, sa silhouette se fondant dans la lumière, tandis que les yeux de Jungkook se perdirent pendant un instant dans le néant, captivés par une lueur fugace qu'il avait entrevue dans les prunelles de Taehyung avant qu'elle s'évanouisse.
Une profonde rancune.
Mêlée à un soupçon de détresse.
Et Jungkook se sentit comme le pire des hommes sur Terre.
Dans cette prise de conscience cruelle, il succomba, s'effaça,
laissant derrière lui un silence lourd de regrets.
☾
Le moteur de la Bugatti cessa de ronronner, garée devant le portail du manoir.
Jungkook s'éveilla doucement, mais ne se manifesta pas encore, le temps d'envelopper doucement la présence actuelle.
« Demain, sois prêt à huit heures moins quinze. »
Il se pencha à travers le pare-brise, scrutant l'horizon avec une attention particulière. Là, dans la pénombre, il aperçut les deux mercenaires fidèles, immobiles et vigilants comme des statues de pierre, gardiens silencieux de sa mission. Un sentiment de satisfaction qui n'était pas le sien l'envahit, rassuré par leur présence inébranlable.
« Vous étiez pas obligé de me raccompagner... grommela Taehyung en ôtant sa ceinture de sécurité, intérieurement redevable. En plus vous avez conduit super lentement une sportive, bordel, on dirait ma mère », ricana-t-il, un soupçon de mélancolie dans la voix.
Jungkook se manifesta enfin, revenant à la lumière.
« Je conduis plus prudemment quand je suis fatigué. »
« Désolée, je n'aime pas conduire les sportives. »
Une fossette apparut sur la joue de Jungkook à cette voix féminine.
« Bah fallait rester chez v...
— Tu accepterais de reprendre mon argent pour les transports ? le coupa Jungkook en s'appuyant sur le volant, cherchant son regard.
— Jamais ! se renfrogna aussitôt Taehyung. Et arrêtez de me couper, putain.
— Le sujet est donc clos. »
Taehyung leva les yeux au ciel. Des ridules se dessinèrent aux coins de ses yeux plissés par la fatigue de Jungkook.
« Les lunettes.
— Quelles lunettes ? »
Suivant la trajectoire du regard du Jeon, Taehyung lâcha un petit hoquet de surprise. Il leva une main jusqu'à atteindre le sommet de sa tête, où le plastique frôla ses doigts.
« Pourquoi vous me l'avez pas dit plus tôt ? », questionna-t-il en les ôtant, un sourcil arqué.
Jungkook ouvrit la bouche avant de se faire couper par une pensée goguenarde.
« Quelle question. Tu es bien plus sexy avec le front dégagé. »
Bien qu'amusé par le retour de la voix caverneuse – à présent sereine –, Jungkook soupira avant de secouer doucement la tête, sous le regard perplexe du ténébreux qui ne comprenait pas cette réaction.
« Non, mais dites-le si je vous emmerde, s'offusqua-t-il.
— Ce n'est pas toi, réfuta Jungkook avant de montrer les lunettes d'un geste du menton. Et pour les lunettes, je viens de m'en rendre compte », dit-il.
« Hé, je pensais à un truc. Dommage il a pas notre âge, non ? T'imagines comment il serait trop band... »
Ferme-la.
Jungkook se força de se garder de toute réaction que seul un imperceptible frémissement de sa paupière droite trahit son agacement, tandis que tous les conscients étaient amusés, mais étonnamment silencieux.
« Genre ça se voyait pas ? grommela-t-il, sceptique. Mais attendez, ça se voit que ce sont des lunettes de tir ? paniqua-t-il.
— Il n'y a pas écrit sur ton front que tu étais dans une salle de tir, Kim. »
Dans un murmure rauque et agacé, Taehyung laissa échapper des paroles indistinctes, perdant leurs sens entre ses dents serrées.
« Tu veux les ajouter à tes souvenirs ? le charria Jungkook d'une voix nonchalante, le regard scintillant d'une légère lueur de malice.
— Sans façon, grommela-t-il.
— Range-les dans le coffre devant toi. »
Une inspiration laborieuse.
« Si tu veux bien. »
Alors que la rébellion montait en lui, prêt à refuser et défier l'ordre formulé avec un peu trop d'autorité à son goût, Taehyung l'observa un instant, figé par ce « si tu veux bien » murmuré, éreinté et fragile.
Ça le fatigue tant que ça, une crise... ?
Taehyung soupira doucement, las, avant de s'exécuter, puis de fermer la petite porte du coffre avec un geste presque délicat. Il se laissa choir contre le siège, lançant un regard dont le sens demeurait insaisissable pour Jungkook.
« J'ai l'impression de vous connaître, lança-t-il, abruptement le regard profondément ancré dans le sien. Depuis que vous m'avez donné votre véritable nom, au temple. »
« Oulà. »
Jungkook se paralysa sur place, demeurant en attente de ses paroles.
« C'est bizarre, parce que je me dis que c'est pour ça qu'on... Enfin, je vois bien qu'au fond, on s'entend... bien ? », grimaça-t-il légèrement.
Et ça m'écorche la bouche.
« J'ai même pensé que si on enlève notre rencontre super flippante, on aurait vite accroché malgré nos différences d'âge et de pensée », ajouta Taehyung.
Une boule d'appréhension se forma dans la gorge de Taehyung. Il saisit tardivement la lourde portée de ses propos.
Les yeux de son aîné s'écarquillèrent comme des étoiles surprises par une clarté inattendue. Quelle incroyable coïncidence que ce Kim prononce à haute voix ce que Jungkook avait pensé dans la salle de tir ?
Cette pensée qui avait fait basculer sa sérénité au seizième étage, provoquant une douleur intérieure oppressant son cœur tel un étau implacable.
Perplexe devant le mutisme soudain de son aîné, Taehyung ressentit un embarras qui le fit détourner les yeux, comme s'il avait involontairement perturbé le fragile équilibre entre leurs âmes.
« J'aurais dû la fermer. Oubliez, c'est complètement con de ma pa...
— Qu'est-ce que tu cherches à me faire comprendre ? »
Taehyung déglutit et ouvrit la bouche sur un silence. Il hésita face à ces yeux perçants et inquisiteurs.
« C'est juste que je sais pas qui vous êtes, et ça me bouffe trop pour que je me taise. Faut que ça sorte, sinon je pète un câble », répondit-il avec fermeté.
Taehyung n'osait guère espérer une discussion sur ce sujet singulier et étrange, certain que le Jeon le rembarrerait ou se murerait dans le silence.
Mais il fut surpris par les propos qu'il entendit.
« Laissons ce sujet pour un autre jour. L'aborder maintenant ne ferait qu'approfondir nos confusions.
— Nos confusions ? Qui vous dit que je suis confus ? grogna Taehyung, le cœur frénétique.
— Ne joue pas les aveugles, le contra-t-il, le timbre vibrant dans les tons plus graves.
— Il vous suffit de me dire qui vous êtes, alors.
— Ton insistance ne te mènera pas plus vite aux réponses », soupira-t-il en passant une main lasse à travers ses fils d'or, créant un doux murmure dans le silence.
Taehyung se tut, une boule se formant dans sa gorge. Il scruta avec une intensité presque magnétique la façon dont le blond détourna ses yeux, puis exhala un énième soupir, aussi furtif qu'une brise légère.
« Bon, j'y vais, marmonna Taehyung en détachant sa ceinture, frustré et légèrement irrité.
— Kim. »
Retenant un juron entre ses dents serrées, Taehyung se retourna, ayant été sur le point d'ouvrir la portière.
« Quoi encore ? »
Jungkook fut pétrifié par son regard brillant d'une légère rancune. L'expression stoïque, il tendit son bras vers l'arrière exempt de sièges, mais possédant une petite portière liée au coffre dans laquelle il avait rangé un petit sac à cabas.
Il le récupéra pour le déposer sur les genoux d'un Taehyung dont les yeux étaient à présent ouverts par la curiosité.
« Bah... ? »
Son étonnement fut si net que sa voix s'éleva légèrement dans les aigus.
Jungkook ne répondit pas puisque Taehyung étendait déjà le sac.
La bouche de ce dernier s'entrouvrit dans un étonnement silencieux. Ses yeux naviguaient entre trois boîtes en verre soigneusement empilées, chacune renfermant un festin, et une bouteille en verre teinté.
« Mais... », balbutia-t-il, confus.
Il releva un visage habité par une profonde stupéfaction vers le plus âgé.
« Ne les refuse pas. »
Jungkook se renfrogna légèrement, écrasé sous le regard étonné qui brillait d'une émotion inexprimée, insaisissable pour lui.
Puis il paniqua intérieurement. Il sentit l'agitation grandir tel un ouragan secret qui menaçait d'emporter son calme lorsqu'il vit son cadet déglutir, puis ses yeux s'embuer.
« ... Pourquoi vous faites ça ? », demanda-t-il d'une petite voix légèrement chevrotante.
Devant lui se dressait Taehyung, plus fragile que jamais. Ses perles noires erraient dans les siennes, semblables à des oiseaux perdus, cherchant désespérément un abri dans ce tumulte émotionnel. Il le scrutait de son regard humide et perçant, faisant de Jungkook une énigme à décrypter.
C'était comme si les étoiles elles-mêmes avaient prêté leur éclat à ses yeux, lançant des éclairs de questionnement dans l'âme du blond.
Jungkook grimaça. Il ne pensait pas devoir répondre de ses actes. Il passa une main à travers ses mèches blondes, comme un musicien ajustant les cordes de son violon avant un concerto. Puis, il posa sur Taehyung un regard trouble, mais aussi pur que l'aube naissante, une fenêtre ouverte sur son âme.
Je ne pouvais me résoudre à te renvoyer chez toi en sachant que tu risquais de ne plus manger avant demain.
« Tu dois reprendre des forces pour demain », éluda-t-il, le regard résolument fixé sur lui.
Taehyung n'était plus qu'un marin scrutant l'horizon incertain de l'océan. Quelque chose en lui se déliait, échappant à toute analyse, et laissait son esprit flotter à la dérive.
Il n'arrivait plus à analyser.
Dans son esprit, c'était le désordre.
Chaque fois que le Jeon faisait preuve d'un acte bienveillant, Taehyung ne pouvait s'empêcher de se souvenir de son voisin, de son cadavre qui hantait ses nuits telle une créature des enfers. L'ombre du danger avait plané sur lui pendant des semaines, et le voilà maintenant face à son bourreau, cet homme qu'il avait longtemps vu comme un prédateur saisi d'une faim insatiable de chair et de sang.
Même ses rêves étaient envahis par une danse macabre, un ballet cruel entre prédateur et proie, où ils s'affrontaient au rythme terrifiant de la peur. Dans ces visions nocturnes, le Jeon se transformait en une créature monstrueuse, sanguinaire, folle, l'incarnation même de la terreur. Il entendait presque son rire machiavélique qui hantait ses cauchemars.
Il le rêvait sous sa forme la plus démoniaque, une image d'horreur indicible.
Il frémit.
Pourtant, voilà qu'une image tout autre se présentait à lui. Une image sereine. Calme. Affable. Il était face à cet homme, ce sinistre acteur de ce tableau tragique, lui tendait encore de la nourriture.
Comme l'aurait fait un être normal, bienveillant, incapable de porter atteinte à ses semblables.
Mais le Jeon portait atteinte à ses semblables.
Taehyung était déchiré tel un naufragé entre les flots déchaînés de l'incertitude. Son aîné était un oiseau de proie qui, après avoir capturé sa victime, déciderait de la laisser vivre pour la dévorer un autre jour.
Je dois faire quoi ? Accepter ? Refuser ?
Refuser de la nourriture offerte lui semblait absurde, mais dans les yeux troubles de son aîné où les frontières entre bien et mal s'étaient mélangées, chaque pensée pesait sur lui.
« Qui vous dit que j'ai rien à manger ? demanda-t-il, la gorge serrée, retenant de justesse un flot de larmes.
— Kim, je suis loin d'être idiot. »
Le plus jeune baissa la tête sur les boîtes et la bouteille nichées à l'intérieur du sac, son souffle accéléré par l'émotion qui l'étreignait.
« Vous voulez quoi, en échange, en vrai ? », s'enquit-il, relevant un visage dur.
Oui, il se demandait sérieusement si le Jeon n'avait pas une autre idée en tête, parce que bordel qu'est-ce que c'est, ça.
Sinon, pourquoi serait-il aussi prévenant ? Il devait se douter de qui il était réellement. De ce qu'il faisait certains vendredis soir. Il attendait ses faveurs.
Il doit me connaître, il peut tout savoir. C'est évident. Ce serait con de ne pas l'en croire capable, non ?
Il se surprenait à douter, à se perdre. Cette bonté émanant du blond, si franche, sincère, pouvait-elle vraiment exister à ce degré ?
Est-ce seulement possible pour quelqu'un ayant été élevé par une mercenaire ? Ayant grandi dans la noirceur ?
Ou les vices du monde avaient-ils tant marqué Taehyung qu'il en avait perdu foi en la pureté de l'âme humaine ?
« Rien, répondit aussitôt Jungkook, sincèrement confus.
— Alors pourquoi vous jouez les bons samaritains ? s'insurgea-t-il d'une voix forte, surprenant son vis-à-vis qui fronça les sourcils.
— Qu'est-ce que tu me fais, là ? », marmonna-t-il.
Il sentait un mal de tête poindre à mesure que l'aura lourde et écrasante du protecteur* commençait à nouveau à l'envelopper.
« Dépêche. »
Son repli était imminent, car Jungkook risquait dangereusement de s'effondrer sous le poids de l'épuisement.
« Non, vous, qu'est-ce que vous faites ? s'exclama-t-il, la voix proche de la supplique.
— Je dois encore me justifier, Kim ? », prononça-t-il, sa voix lasse et si basse résonnant presque contre les murs de l'habitacle.
J'agis sans réfléchir. Voilà ce que je fais.
Irrité, Taehyung détourna les yeux, son regard perdu sur le cabas posé sur ses genoux. La colère s'enroulait autour de sa gorge, entravant tout élan de réponse. Rien ne pouvait refermer le vide béant qui se creusait en lui.
« La famine que tu endures est cruelle et injuste. C'est tout ce qui justifie ce don. Rien d'autre. »
Sa sincérité rayonna à travers ses paroles
Surpris, Taehyung releva la tête vers lui, ses yeux inquisiteurs.
Il comprit.
« Vous avez connu la faim. »
Bien qu'il en fût surpris au premier abord, Jungkook maîtrisa habilement cette émotion fugace, déguisant son étonnement derrière un regard neutre. Mais ses prunelles devinrent les messagères silencieuses de son âme et, dans cet échange muet, Taehyung saisit l'inexprimé.
Encore une similitude.
Son cœur se serra sous le poids de la compassion.
Il m'énerve.
« C'est du jus de pomme ? », s'enquit-il, désireux de chasser cette lourdeur étouffante qui l'oppressait cruellement.
Jungkook cligna des paupières, dérouté par le changement soudain dans l'atmosphère avant de se dérider, comme si un poids avait été levé de leurs épaules.
Il acquiesça.
Un sourire radieux effleura les lèvres de Taehyung, éclairant son visage d'une joie furtive. Puis, comme un souffle éphémère, l'éclat s'évanouit. D'un discret raclement de gorge, il masqua son ravissement, retrouvant la maîtrise feinte de ses émotions.
Seul l'incarnadin sur ses joues le trahissait.
Jungkook esquissa un léger rictus narquois.
...Cet enfant arrogant.
« J'avoue ? T'as vu ce poker face, un peu ? »
Jungkook s'esclaffa face à l'ironie découlant de cette pensée, plongeant son visage dans sa main.
Taehyung tourna vivement la tête vers lui, les sourcils froncés en signe de mécontentement. Il prit une profonde inspiration, tentant de maîtriser le rouge sur ses joues, le trahissant.
« Quoi ? Vous avez un truc à redire ? lâcha-t-il avec un air faussement indifférent.
— J'aurais peut-être dû mettre trois bouteilles, vu comment tu as l'air de...
— Une seule suffit, merci », le coupa-t-il d'un ton sec, embarrassé.
Il croisa les bras, essayant de reprendre le contrôle, mais ses yeux pétillaient, trahissant son amusement malgré lui, lorsque son aîné secoua doucement la tête.
« Vraiment ? C'est ce que disent tous ceux qui feignent de ne pas en désirer plus », dit Jungkook d'un ton nonchalant.
Dans l'habitacle du véhicule, Taehyung ne put retenir un rire fugace qui se libéra comme un colibri échappant à la pluie. Il exhala un soupir ténu, puis plongea à nouveau son regard dans celui de Jungkook.
Un trouble se fraya de nouveau un chemin entre eux, les laissant perplexes face à cette énième intimité qui s'était emparée de l'instant.
Ce début d'intérêt qu'ils avaient essayé de repousser avec force se muait désormais en un attrait doucement enraciné, puis nourri, malgré eux.
Comme si leurs énergies s'emboîtaient parfaitement et qu'aucune force ne pouvait ébranler, pas même eux-mêmes. Chaque jour passé ensemble érodait un peu plus la barrière qu'ils avaient érigée. Lorsque Taehyung avait exprimé à voix haute ce que Jungkook avait pensé tout bas, une partie de ce mur s'était effondrée, emportée par une force inouïe.
Leurs regards étaient un heurt d'âmes aussi puissant que deux galaxies entrant en collision dans l'univers infini. Quelque chose d'indescriptible s'épanouit, comme une fleur rare éclosant dans l'obscurité de la nuit.
Et ce fut exactement ce qui les brisa, comme s'ils étaient une fragile porcelaine tombée des étoiles. Et dans le tumulte de leur vie, ils étaient devenus des astres égarés, des comètes effrayées, cherchant le sens perdu dans l'infini mystère de leur relation.
Émergeant de sa torpeur, Taehyung fut celui qui en ressentit un profond mépris.
Non. Non, non et non. À quoi je pense, merde ? Depuis quand je suis aussi crédule ?
« Jeon, écoutez », souffla-t-il après s'être nerveusement humecté les lèvres.
Jungkook ne comprit pas la soudaine vague de panique qui le submergea, une intuition douloureuse, comme si son âme pressentait une blessure imminente.
Non. Je t'en prie, non.
En lui naquit une tempête silencieuse, un chaos à
peine éclos, mais déjà prêt à tout bouleverser.
Encore.
« Je m'interroge sur vos intentions même si je refuse pas votre générosité. Mais ça sert à rien, on m'achète pas. J'oublie pas que vous êtes celui qui m'a foutu dans ce merdier, et je vous tiendrai coupable de tout ce qui va m'arriver. Le temps qu'on a passé ensemble n'a aucune valeur pour moi. Peu m'importe qu'on soit liés par le sang ou non, vous serez toujours celui qui m'a arraché à ma vie pour servir vos d'intérêts. Je sais pas si vous vous rendez compte, mais vous m'exploitez par pure vengeance ? Vous m'emprisonnez, et les mercenaires et ce putain de bracelet sont là pour me le rappeler. Et heureusement. »
Le chaos s'intensifia...
« Et merde, putain. »
« Alors, faites toutes les bonnes actions du monde, vous aurez pas mon pardon. Je reste lucide. Vous n'avez aucune place dans mon cœur. »
Les mains tremblantes, Taehyung ouvrit la portière.
« Au revoir », souffla-t-il.
Puis la referma d'un geste doux.
Et il s'en alla.
Sous le regard figé et vide de Jungkook.
...et emporta tout sur son passage.
La gorge nouée et les yeux embués, Taehyung déverrouilla le portail et fit son chemin vers la demeure qu'il appelait sienne. Son cœur battant comme une mélodie discordante, alors que ses yeux étaient rivés sur ce sac de victuailles.
Un bienfait précieux que le Ciel avait consenti à lui offrir.
Trois repas qui effaçaient les soucis du lendemain.
Il étouffa un sanglot, le cœur lourd de regrets face à ses mots qu'il jugeait trop acérés.
Pourtant, ils avaient été nécessaires.
L'image du visage impassible Jungkook lui revint en mémoire : une expression à la fois terrifiante et fascinante. Du coin de l'œil, il avait aperçu un léger tremblement de sa main. Le corps ne mentait jamais. La tension qui avait habité le Jeon avait été telle que son corps avait semblé doubler de volume sous sa veste en cuir tant ses muscles avaient été bandés.
Taehyung savait qu'il l'avait blessé, lequel s'était appliqué, avec une maîtrise admirable, à dissimuler le heurt que ces mots avaient causé.
...Mais c'était nécessaire, putain.
« Alors pourquoi je me sens comme le pire des connards... ? »
Il devinait à peine la tempête qui avait déchiré l'âme du Jeon, l'éclatement silencieux de son cœur.
Mais il ne pouvait imaginer qu'à cet instant, Jungkook avait soudainement disparu, trop accablé par le choc, la douleur, et les remords qui l'avaient submergé pour s'en aller doucement.
Ce retrait brusque était synonyme d'une urgence, comme s'il fuyait un péril invisible.
Il était à présent évanoui. À la dérive. Épuisé. Arraché à sa zone de confort. Meurtri. L'anxiété avait été extrême. Et le corps avait agi.
Le voilà perdu dans le néant. Suspendu hors du temps qui pouvait se fondre en heures comme en jours, laissant sa place à d'autres visages que le sien.
À mi-chemin dans la cour, Taehyung entendit le vrombissement de la voiture qui démarra en trombe, s'éloignant à une vitesse folle. Inquiet pour le Jeon, il pivota brusquement, ses yeux rivés sur les phares rouges à travers les fleurs de sa demeure qui disparaissaient à une allure vertigineuse, le grondement du moteur déchirant le silence de l'après-midi, laissant derrière lui un vide sonore.
J'y suis peut-être allé trop fort.
Mais je devais lui rappeler qu'on peut pas être amis.
Son cœur se serra dans une pulsation amère, laissant un goût d'absinthe sur sa langue. Ses yeux glissèrent vers le sac qu'il ne se souvenait pas avoir pressé contre sa poitrine, le serrant comme un talisman contre un monde qui lui échappait.
On le sera jamais.
Il soupira, submergé par un torrent d'émotions contradictoires qui bouleversaient son âme.
Mais il m'a l'air bien parti pour nous rapprocher...
C'est peut-être aussi ce que je veux... ?
Il soupira.
« Je sais plus quoi faire, ni ce que je veux... »
À suivre...
Le chap 8 mettra un peu plus de temps, je ne l'ai pas encore relu, désolée 🥺
Mais je m'y attèle dès lundi, merci d'être patients ♡
⚠️ TRÈS TRÈS IMPORTANT POUR COMPRENDRE ⚠️
* Dépersonnalisation (à ne pas confondre avec déréalisation – cf. plus bas) : rappelle-toi de TH dans le chapitre 2 (ou 3 ?), au « travail », il vit une situation qui le force à « sortir de son corps » en regardant la lune pour s'ancrer dans son refuge interne. La dépersonnalisation est un symptôme d'anxiété, donc son cerveau lui permet de supporter son labeur grâce à ça.
TH en est conscient au moment même. Pendant une dépersonnalisation, les personnes ressentent souvent un détachement de leur propre corps ou de leurs pensées. Donc TH se sent comme un observateur extérieur à ce qui se passe dans cette chambre, il peut reconnaître qu'il s'était senti détaché de son corps ou de ses pensées, il a l'habitude.
Et sans ça, il se brise. Son cerveau l'a bien compris et le protège comme ça.
Du coup, dans ce chapitre 7.2, TH pense donc que JK est en pleine crise de dépersonnalisation, et que quelque chose l'a déclenché, mais il comprend pas quoi, parce que c'est impossible d'être aussi « perdu » d'un coup sans qu'un fait extérieur traumatisant et stressant se présente.
Il a peut-être vu juste, peut-être pas. À ton avis ? 🌝
* Déréalisation : c'est « le monde autour n'est pas réel, ce que je vis n'est pas réel ».
En gros, c'est une sensation où le monde autour de soi semble irréel, étrange ou comme un rêve. Les objets, les personnes et les environnements peuvent paraître déformés, flous ou artificiels. C'est une expérience où, même si on sait que ce qu'on voit est réel, on a l'impression que ça ne l'est pas.
Le cerveau agit comme ça en guise de protection dans un cas de stress et d'anxiété extrême, il déclenche la déréalisation.
(J'ai vulgarisé au max du max pour que ces deux définitions te soient assez claires, mais retiens ces infos !)
* Déclencheur : c'est un « trigger » qui pousse une identité à « prendre le contrôle ». Il existe des déclencheurs positifs et négatifs. Je développerais le sujet quelques chapitres plus tard.
* Système : terme médical et psychologique inhérent au *beep* (peux pas dire) pour parler d'un ensemble de *beep* (lolilol) dans un seul et même « corps ».
* Blending / blend : mélange entre plusieurs *beep* (me frappez pas) au point de ne plus savoir qui est qui.
* Masking : terme utilisé en *beep* (trop tôt pour le dire) pour « cacher » quelque chose (mes notes ne servent à rien, ou presque pour les plus fûté.es).
* Little : un rôle, enfant entre 5 et 12 ans.
* Protecteur : un rôle.
𝑾𝒊𝒕𝒉 𝑳𝒐𝒗𝒆, 𝑫𝒂𝒓𝒌 𝑬𝒚𝒆𝒍𝒆𝒕 🖤
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