𝐕 | 𝐒𝐥𝐨𝐰 𝐁𝐮𝐫𝐧 (𝟑)
Fais bien attention à déjà avoir lu la partie 2, today est un double update ;)
𝐏𝐚𝐫𝐭𝐢𝐞 𝟑
« Hier, vous étiez déjà un casse-tête à déchiffrer, et aujourd'hui, vous l'êtes encore plus. Je me perds dans vos contradictions. J'arrive pas à prévoir votre prochain pas. Je sais pas où est la limite à ne pas franchir. Vous tenez ma vie dans vos mains, et pourtant, vos gestes défient toute explication. Vous êtes paradoxal. »
Jungkook accueillit ces propos si véridiques, intérieurement agité par la lueur compliquée brillant dans les yeux de Taehyung. Il savait qu'il se comportait différemment en présence du plus jeune, mais il ne s'attendait pas à ce qu'il mette en lumière sa vulnérabilité.
Et ça ne fait que vingt-quatre heures qu'on échange.
« J'oublie parfois que vous êtes celui qui m'a enlevé, remplacé par un gars qui s'entête juste à me provoquer. Ce qui m'amène à penser que soit vous mentez depuis le début et que vous jouez un rôle pour me contrôler, soit... je sais pas, hésita-t-il. J'ai comme l'impression que l'ombre de ma mère vous hante, alors vous faites des exceptions à certaines de mes demandes. J'ai juste ? »
Jungkook eut un tic nerveux, le coin de sa lèvre tressautant, le corps remuant de malaise. Ce Kim pouvait pénétrer les profondeurs de son être aussi aisément qu'il lisait dans sa propre noirceur.
Une tempête de colère se leva en lui, écho amer de la détresse d'être si parfaitement démasqué.
« Tu sais, tu aurais simplement pu me dire "vous êtes un gros connard ", ç'aurait eu le même impact, siffla-t-il, sarcastique.
— Mais c'est pas ce que je dis », réfuta-t-il aussitôt, les sourcils froncés par l'incompréhension.
Jungkook inspira profondément, le regard noir.
« Il m'est difficile de comprendre la pertinence de ta référence à ta mère, articula-t-il, sans pouvoir réfréner son ton acerbe. Ce n'est pas ce que j'ai demandé. »
Cesse de lire en moi avec autant d'aisance, tu me terrifies.
Il donnerait tout pour ignorer son cœur qui battait frénétiquement devant cette vérité heurtant sa pudeur.
Son ego.
Sa conscience.
Surpris, Taehyung papillonna des cils, comme s'ils tentaient de dissiper la brume de l'inattendu. Une violente onde de tristesse compressa alors sa poitrine. Il prit la pleine mesure de l'attachement profond qui liait le Jeon à sa mère, malgré son ignorance des secrets de leur histoire commune.
Alors c'est bien ma mère, son point faible, quand il est avec moi.
« Vous m'avez écouté, au moins ? soupira-t-il.
— Il semble que tu insinues subtilement que je manque d'intelligence, siffla-t-il, trop bouleversé pour se contenir.
— Mais arrêtez de déformer mes propos ! Puis c'est vous qui avez posé la quest...
— Alors quoi ? Je suis quoi ? », rugit Jungkook d'un ton sec, l'interrompant tout en le faisant légèrement sursauter.
Taehyung le voyait distinctement : le Jeon ne contrôlait plus rien, aveuglé par ses émotions. Il devinait des cicatrices profondes derrière ces réactions, des vestiges d'une enfance difficile, ce qui expliquait ses répliques tranchantes et presque dérisoires pour quelqu'un de sa stature.
Taehyung soupira doucement.
« Je pense pas que ce serait judicieux que je contin...
— Continue », ordonna-t-il dans un grondement sec.
Mettant de côté sa rancœur le temps d'un instant, Taehyung s'enveloppa de sa bienveillance innée, aspirant à calmer cet homme dont la vulnérabilité résidait dans l'ombre d'Eun-Ae, espérant que ses paroles sincères sauraient l'apaiser.
Ça me fait chier d'avoir de la peine pour lui juste parce que la mémoire de maman circule entre nous.
« Vous êtes juste un homme blessé et forgé dans la cruauté des autres, voilà tout, murmura-t-il prudemment, mais avec certitude. Y'a pas de honte à ça parce que, si je me fie à ce que vous m'avez dit hier, votre vie a été chamboulée quand vous étiez un enfant. Moi aussi, enfin j'étais ado, c'est pour ça que je ne vous définis que par vos actes contradictoires envers moi. Mais je vous vois surtout comme quelqu'un qui lutte pour trouver sa place dans ce monde. Je suis pareil, je m'y sens pas à ma place à cause des autres. »
C'est pour ça qu'il m'est facile de lire en vous, on a quelques similitudes.
Jungkook blêmit, sentant le rugissement du sang affluer dans son cœur troublé et y accélérer les battements. Il se fit violence pour garder une expression fermée, ses mains tremblèrent légèrement alors qu'il cherchait ses mots, bouleversé par autant de vérité. Ses yeux se braquèrent sur le sol comme s'il cherchait des réponses dans le vide, une lueur de douleur et de confusion y brillant intensément.
Taehyung ne cessait de lui asséner des coups invisibles.
« Vous êtes pas foncièrement mauvais et j'ai remarqué que la noirceur n'est pas prédominante en vous, même si vous en êtes définitivement marqué et conditionné pour agir et répondre par le mal », finit-il, une boule d'appréhension se formant lentement dans sa gorge.
Jungkook serra les dents, une réaction presque instinctive pour empêcher les ombres de son passé de refaire surface. Malgré cette bataille intérieure, il tint bon, refusant de céder à la tentation de revisiter les ténèbres qui l'avaient jadis enveloppé.
Heurté, mais digne, Jungkook resta inflexible, les traits durs. Il riva son regard ferme dans les yeux sombres de vis-à-vis.
Ce n'était guère par arrogance ni par une retenue pudique.
Il abandonnait.
Il le laissa s'insinuer en lui, animé par cette étrange impulsion qui l'envahissait.
Une aigreur vibrante l'animait, entremêlée d'une fascination pour l'image claire-obscure que Taehyung avait habilement tissée de lui.
Pourtant, il y eut une étrange alchimie des âmes. Il avait la certitude d'avoir été compris.
Partager ces conversations, qu'elles soient murmurées dans le creux de leurs voix ou écrites dans la profondeur de leurs regards, était une expérience à la fois singulière et libératrice, où chaque mot ouvrait des portes et forgeait un pont entre eux.
Singulière du fait que leur lien était né de la contrainte, lui, l'oppresseur, et l'autre, sa victime.
Libératrice puisqu'il n'avait plus jamais goûté à cette douce sensation d'être compris par quelqu'un autre que « lui-même ».
Son système.
« Est-ce une raison valable de te priver égoïstement de ta vie ? »
La question s'était glissée de ses lèvres, pure et crue. Jungkook se trouvait captif de sa propre conscience, enlisé dans les marécages de ses remords.
Taehyung écarquilla légèrement les yeux face au sujet relancé. Il avait cru à tort d'avoir trop parlé, frôlant une limite invisible. Il aurait juré que le Jeon, par pudeur, refermerait cette boîte de secrets.
Mais voilà que leur conversation replongeait dans les embûches traumatiques, dans ces eaux troubles et pernicieuses qui avaient marqué l'enfance du blond d'une empreinte indélébile.
« Non... lâcha faiblement Taehyung, sans le quitter des yeux, surpris par le choix de ses termes. Évidemment que non...
— Permets-moi de te reposer la question d'hier : si j'avais agi différemment, m'aurais-tu suivi ? », demanda-t-il avec une certaine tension, les dents serrées.
Cette fois-là, Taehyung ne put contenir sa surprise en observant Jungkook, dont le regard agité trahissait son expression impassible. Une lutte intérieure faisait rage, des tourbillons d'émotions visibles, des tempêtes retentissantes sous le masque du calme.
Et soudain, Taehyung tiqua.
Peut-être que son ravisseur réévaluait les décisions qui l'avaient mené jusqu'à cet instant, en pleine conscience, se plongeant dans une introspection chargée de doutes et de regrets.
Mais est-ce que c'est logique pour un assassin rompu à l'art du mal ?
Le cœur de Taehyung battait à un rythme effréné, une valse d'incertitude perturbant sa tranquillité. Ses lèvres s'entrouvrirent pour aussitôt se refermer, gardiennes des mystères de son âme.
« Ne sois pas avare de mots », réclama sobrement Jungkook en le voyant hésiter.
Taehyung s'humidifia les lèvres.
« Mais vous n'aimez pas mes rép... »
Il s'interrompit face à l'œillade glaciale du blond. Ce regard était plus froid qu'une tempête de neige. Taehyung soupira bruyamment avant de se lancer.
Tant pis, qu'il s'en prenne qu'à lui-même.
« Même réponse qu'hier : si vous étiez venu avec des preuves de votre lien avec ma famille et expliqué vos intentions, j'aurais accepté, même si vous êtes pas recommandable. Mais sans la torture mentale d'un mois, sans le kidnapping, et sans l'idée de tuer Jin. »
Sa sincérité résonna dans l'air, une boule d'émotion étreignant sa gorge.
« Mais je vous mets en garde, et je suis totalement en position de le faire : faites-le, et je vous élimine moi-même. »
Il laissa flotter cette vérité implacable, le silence s'ensuivant égrenant les grains du temps.
Sous le choc et tendu, Jungkook fronça les sourcils, son regard s'endurcissant davantage, prenant une intensité féroce et pénétrante. Une lueur de défi brilla dans ses yeux alors qu'il luttait pour contenir sa réaction. Ses poings se serrèrent, mus par un instinct farouche de ne pas céder à la menace de Taehyung et répliquer par la violence.
Pourtant, il demeura immobile.
Je sais qu'un jour, tu deviendras la pire version de toi.
« Tu es... honnête. »
Jungkook articula le mot honnête avec la même âcreté que s'il avait dit rude.
« Vous aviez préféré l'honnêteté, et je suis honnête, rétorqua-t-il aussitôt, ayant décelé l'amertume dans sa voix. Et c'est pas une menace en l'air. On touche pas à ma famille. C'est tout. »
Il n'eut pas le moindre contrôle sur ce que sa bouche venait de formuler...
« Voilà qui est nouveau, persifla Jungkook, masquant son trouble. Hier, tu tenais un autre discours. Toi, le croyant, n'es-tu pas contre le péché d'homicide ? »
Taehyung émit un petit rire froid.
Je fais déjà pire.
« Jeon, c'est simple. La foi n'est pas un bouclier contre la colère. Même les plus dévoués peuvent être poussés à l'extrême quand ceux qu'ils aiment ont été menacés, opprimés et injustement supprimés. »
Ses yeux brûlèrent avec une intensité noire, comme des braises ébène au cœur de la géhenne.
« Pour une raison que j'espère découvrir avec vous, je n'ai plus de clan ni de parents. Je veux retrouver les meurtriers et je vengerai tout le monde, peu importe qui est l'ennemi. Peu importe qui étaient réellement mes parents. Ils restent mes parents. Tout comme Jin reste mon frère. Alors je le défendrai à tout prix, jusqu'à découvrir la vérité avec vous. Apprenez-moi à tirer, perfectionnez mon style au combat, je vous accepte comme maître si ça vous chante ; j'ai aussi mon propre but. »
...ni le moindre contrôle sur les ténèbres assombrissant ses prunelles habituellement pures.
Claires.
Innocentes.
« Il faut juste pas s'en prendre à moi pour des raisons stupides, irrationnelles et inacceptables. Ni à Jin tant qu'on sait pas pourquoi il agit comme un connard. »
À présent sinistres.
« Je vous comprends, maintenant. Je comprends votre désir de vengeance et ce que vous ressentez. Ça brûle, ça fait mal, on dort plus et on en devient presque fou. On ne connaît plus la paix. Mais à mon tour d'être égoïste : si vous m'obligez à me dresser contre vous... »
Vengeresses, profondément convaincues.
« Ce jour-là, fuyez. »
Présageant de sanglantes représailles.
Jungkook blêmit, son sang se glaçant. Son souffle devint saccadé, tandis qu'un frisson de colère parcourut son échine. Un nœud d'angoisse se forma dans son estomac, faisant légèrement fléchir ses genoux.
À l'orée d'un précipice périlleux, sa conscience s'agita, alerte.
Ses doigts se crispèrent instinctivement sur le bord du marbre derrière lui, cherchant désespérément un ancrage dans le tumulte qui déferlait en lui.
Vacillant sur le fil fragile d'une bascule protectrice.
Une rage ardente monta en lui. Il s'imagina le plaquer contre le mur d'un geste vif, muselant toute tentative de menace. Il s'imagina lui dire avec une froideur glaciale « chez moi, tu n'as aucun droit de me parler ainsi ». Il voulait que ses yeux brûlants de défi et de fureur soient si intenses que Taehyung baisserait les yeux, et lui dire « tu n'es personne pour me défier, tu es juste un pion ».
Mais il n'en fit rien, ses membres semblant dissociés avec le tumulte de son esprit.
Il se tenait là, désarmé par les mots de Taehyung, qui, une fois de plus, l'ébranlèrent rudement et effroyablement.
« Bon, même si je suis pas sûr de comprendre ce qui est en train de se passer ni pourquoi on est là à discuter de ça... dit Taehyung en lâchant un bref rire nerveux. Je suis surpris par votre humilité, je vous aurais pas imaginé comme ça. »
Le chaos en Jungkook s'immobilisa soudainement, interrompant une interversion psychique en cours. C'était comme si sa conscience, surprise, s'était figée dans une éternité glaçante.
Jungkook battit des paupières, perdu, médusé, étourdi.
Qu'est-ce qu'il vient de se passer ? Quel est ce changement soudain en lui ? Est-il même conscient de la manière dont ses menaces m'ont été proférées ?
« Tu... tu te méprends », gronda-t-il aussitôt d'une voix caverneuse, balbutiant légèrement.
L'angoisse le dévorait. Chaque battement de son cœur résonnait comme un tambour sourd contre sa cage thoracique, écho persistant à sa fureur passée. Une perle de sueur froide traça une ligne scintillante sur sa nuque. Son esprit restait en proie au trouble, hanté par la fugace lueur sinistre qui venait de disparaître des yeux de Taehyung.
Yeux à présent grands, clairs, brillants d'intelligence, d'innocence.
Comme si les menaces qui y avaient crépité n'avaient jamais existé.
Pourtant, son héritage maudit, Jungkook l'avait vu.
Aussi éphémère qu'un rayon de lune entre les nuages.
Aussi terrifiant qu'un cri monstrueux arraché aux ténèbres de la nuit.
« Je pense pas que je me méprends, rétorqua fermement Taehyung, une fois passée la surprise du bégaiement du plus âgé. Sinon vous prendriez même pas le temps de m'écouter. »
C'eut le don de rendre Jungkook muet, ses yeux s'affolant davantage, cherchant une échappatoire, mais demeurant résolument captives des perles noires du plus jeune.
Pour la première fois, Taehyung lui offrit un sourire léger et sincère, teinté d'une infime indulgence. Jungkook eut un accroc à sa respiration, un frisson désagréable dû à l'intensité du regard de son vis-à-vis.
Puis, compréhensif, le ténébreux baissa les yeux, faisant amende honorable, l'affranchissant de sa geôle contemplative.
Jungkook ressentit comme une libération soudaine, une bouffée d'air frais après avoir été séquestré par ces yeux. Ces yeux pareils à deux satellites usant d'hyperfréquences pour percer à travers les nuages sombres et denses de son propre regard.
Les yeux dans le vague, Taehyung ressentit un sentiment de gratitude d'avoir enfin pu exprimer les mots qui le pesaient depuis plusieurs semaines. Pourtant, dans le même souffle, il ressentit le fardeau des conséquences des choix qu'ils avaient été contraints à faire, tout au long de leur vie.
Car à ses yeux, la vie semblait vicieusement entremêler les fils de leur fatalité, tel un maître tisserand.
Ils s'étaient laissés emporter par des décisions sombres et néfastes pour eux-mêmes. Lui, au cœur d'une activité impure et destructrice du soi, et le Jeon, les mains souillées par le sang.
Leur point commun ?
Ils n'avaient pas eu le choix.
Du moins, il le supposait pour le Jeon.
Mais le fait d'avoir été enlevé par lui le confortait dans cette idée. Il n'avait pas eu le choix. Sinon, pourquoi serait-il si paradoxal et atypique ? Les questions qu'il posait à son otage n'étaient pas de simples interrogations par curiosité.
Non, elles étaient ciblées, significatives.
Comme s'il cherche en moi, le fils et le frère, des réponses que mon père et Jin peuvent pas lui donner.
Les yeux du blond étaient perdus, ternes. Ils voyaient Taehyung sans le regarder. Son visage ne laissait transparaître qu'une infime partie de la tempête intérieure qui le ravageait quotidiennement.
À mesure que la conversation s'était étirée dans cette cuisine, le visage de Jungkook avait semblé s'étioler, des fissures s'ajoutant aux entailles infligées par Taehyung depuis la veille au temple.
Comme si chaque mot de son cadet tombait comme une goutte d'acide sur le masque que Jungkook avait si soigneusement façonné et porté depuis longtemps, le dissolvant peu à peu et dévoilant, avec une cruelle douceur, une infime partie de la vulnérabilité cachée derrière.
Pourtant, ce masque prompt à la brisure jouissait d'une solidité insoupçonnée.
Pour Taehyung, cette révélation était troublante : il n'avait jamais désiré exercer un tel pouvoir sur le Jeon. Malgré un malaise diffus, il ne pouvait ignorer la confiance grandissante qu'il ressentait quant à l'ascendant qu'il détenait sur son aîné.
Confiance qui le poussait à persévérer, écoutant cette brûlure enflammant son cœur.
« Vous m'avez pas répondu. On est bien d'accord, vous ne tuerez pas Jin ? » reprit-il, malheureux.
Il espérait, d'une manière ou d'une autre, atteindre cette part sombre de l'assassin et l'inciter à revoir ses sinistres desseins.
Jungkook resta silencieux, enchaîné par cette incertitude qui ne le quittait plus. Et maintenant qu'il se perdait à nouveau dans le regard de son cadet, une peur subtile infiltra ses veines.
Et si sa part de ténèbres resurgissait et qu'il profère à nouveau ses menaces ?
« Ne sois pas gourmand, le reprit-il d'une voix glaciale, masquant son trouble persistant. Je ne souhaite pas aborder ce sujet avec toi. »
Ni revoir ce putain de regard horripilant et terrifiant.
« Non, j'insiste. Juste un début de réponse, au moins ? », murmura-t-il, son cœur battant plus fort sous le regard meurtrier de Jungkook face à son obstination, le clouant sur place.
Le plus âgé prit une profonde inspiration, agacé. Il le fixa longuement. Devait-il céder à l'appel ardent ducœur, lui implorant de reconsidérer ses intentions, son plan ?
Ou bien demeurer fidèle à la voix implacable de la raison, le poussant sans relâche vers sa quête vengeresse ?
À travers ses perles noires, un dilemme se peignait avec une intensité troublante. S'affrontaient cœur et raison, vengeance et absolution.
Comment se fait-il que ma volonté semble s'effondrer par la seule force de son regard ?
« Que veux-tu que je te dise, Kim ? cracha-t-il, les yeux brillants d'une colère et d'une panique à peine contenus. Que la plupart des plans sont conçus pour être déviés ? Ou que seuls les sots refusent de changer d'avis ? »
Il ne luttait que difficilement face à sa nouvelle émotivité.
Sa respiration à peine saccadée le trahissait, chaque mot semblant être arraché à son âme toujours aussi effarée, profondément affectée par les yeux précédemment sinistres de son captif.
Il avait du mal à s'en remettre.
Il fixa de nouveau ces prunelles à présent dénuées de toute noirceur.
C'était si soudain, bon sang, reparti aussi vite que c'était venu.
« Arrête de résister. Laisse-moi f...
Non. »
« Attendez, balbutia Taehyung, le cœur battant à tout rompre. Vous êtes en train de me dire que vous envisageriez de lui laisser la vie sauve ? s'enquit-il, ne craignant plus d'insister plus que nécessaire.
— Qui déforme les paroles de l'autre, maintenant ?! », rugit-il, faisant sursauter Taehyung par sa voix puissamment grondante.
Il était agacé d'être autant démuni devant l'éclat d'espoir qui émanait des grands yeux de son cadet.
De l'espoir, et pas un avertissement.
Jungkook grinça des dents, en proie à un grand ébranlement.
Quelle dissemblance... Me manipule-t-il en jouant le rôle de l'innocence ?
« Je sais très bien ce que j'ai compris, réfuta Taehyung, ennuyé. Si je vous laisse pas faire, je deviens un ennemi à abattre ? », poursuivit-il, déterminé, le cœur réduit en lambeaux à la pensée de la disparition de son frère.
Un rictus d'irritation tordit les lèvres de Jungkook, tandis que ses joues, son cou et la pointe de ses oreilles s'empourpraient sous l'emprise d'une colère renouvelée.
Et de confusion.
Ne venait-il pas de me dire qu'il serait celui qui me pourchasserait ?
À présent, il voulait chasser ce Kim de chez lui, mettre un terme définitif à leur pacte, l'effacer de sa mémoire, et prier pour que leurs chemins ne se croisent plus jamais.
Cet héritier qui l'obligeait avec une insistance presque cruelle à revisiter des décisions gravées dans la pierre de son âme jadis inébranlable.
Cette jeune victime collatérale qui avait trouvé en lui une brèche, et qui ne cessait de creuser la faille.
Malgré lui, Jungkook cherchait une réponse qui serait acceptable pour celui qui avait réussi à bousculer son monde intérieur. Une danse qui résonnait au rythme des battements incertains de son cœur.
« Je veux avant tout les réponses de Jin. Le reste appartient au futur », éluda Jungkook, des sueurs froides perlant sur son échine.
Il se figea aussitôt. Il se rendit compte que le ténébreux avait habilement extirpé de sa bouche les mots qu'il désirait entendre. Un rictus irrité fendit ses lèvres.
Qu'est-ce donc si ce n'est de la manipulation inhérente aux Kim ?
« Non, c'est plutôt toi qui es largué quand il est là. »
Un tic nerveux fit tressaillir le coin de ses lèvres. Il grinça des dents, refusant d'envisager une telle possibilité.
« Hé, grogna Taehyung, les dents serrées. Jin est mon frère, je veux pas le perdre, protesta-t-il, la voix vacillant au dernier mot. J'ai plus que lui, comme famille ! Peu importe ce qu'il fout actuellement ! »
À présent, Jungkook frémit de colère.
Quelle insolence. Il se moque de moi.
« Qu'est-ce qu'il te faut pour t'ouvrir les yeux ? répliqua-t-il sèchement. Que je te rappelle le contrat qui me lie à lui ? Son abandon, te laissant seul dans ce manoir désert et sans le sou ? »
Sa voix se brisa légèrement alors qu'il continuait presque en criant, ses mots jaillissant comme un torrent incontrôlé.
« Ou encore son présumé parricide monstrueux ? C'est un acte abominable que je suis incapable de reproduire même sous la torture, alors que j'ai mon quota d'interventions macabres, Kim ! », aboya-t-il, le ton dur et le débit de parole rapide tant il était bouleversé.
Taehyung tressaillit à l'entente de la dernière phrase. Ce fut comme un choc pour son esprit qui lui rappela désagréablement face à qui il se trouvait.
« Et alors, c'est pas une raison ! gronda presque Taehyung en réagissant à son changement de ton, les sourcils froncés. Je veux comprendre pourquoi il a aussi radicalement changé. Il s'est passé quelque chose dans ma famille et je tiens à le découvrir. J'attends ça depuis trois ans, j'ai trouvé en vous un "allié", et c'est pas pour vous voir tuer mon propre frère !
— S'ils t'ont caché la vérité, il vaut peut-être mieux que tu te contentes de ce que tu sais déjà.
— Non. J'irai jusqu'au bout des choses.
— Alors, je l'interrogerai une fois captif. Et l'avenir nous révélera la suite.
— On l'interrogera. »
D'un ricanement glacial, Jungkook laissa échapper une note de mépris qui résonna comme un souffle d'hiver, provoquant un tressaillement chez Taehyung.
« Tu auras beau être majeur et vraisemblablement robuste, crois-moi, tu ne souhaiterais pas assister à un de ses... de mes interrogatoires », se reprit-il.
Ses yeux se rétrécirent, l'expression aussi froide que la glace, ses mains serrant le bord du comptoir sur lequel il était toujours appuyé.
Pour rester ancré. Ne pas céder la place.
« Tu y perdras définitivement une part de ton âme. »
Et une partie de ta pureté. Tu céderas peut-être une infime place à l'abomination que j'ai entrevue en toi. Tu ne seras plus jamais le même et tu te haïras.
Il détourna aussitôt le regard, avant de pivoter. D'un geste vif, il s'empara des verres, vidant le sien d'une traite, avant de s'approcher de l'évier, les y déposant. Puis, il appuya ses mains contre le marbre ivoire, cherchant un instant de répit dans la fraîcheur immuable de la pierre.
Il le fuyait.
Quant à Taehyung, l'horreur l'habitait comme un spectre.
Il imaginait avec une précision terrifiante les détails des interrogatoires infligés par le blond. Alarmé, un frisson parcourut son échine tandis qu'il fixait le dos de son hôte, se demandant quels précipices de cruauté pouvaient se cacher en cet homme lorsqu'il œuvrait sur le terrain.
Il redoutait les « missions » à ses côtés et craignait les atrocités qu'il risquait de rencontrer ou d'accomplir. Bien qu'il lui ait fait la promesse de le préserver de certaines tâches, la sensibilité de Taehyung ne pouvait se comparer à celle d'un tueur accoutumé à la cruauté.
Il a pourtant pas l'air d'être aussi cruel qu'il me laisse le penser, mais je peux me tromper. Je connais rien sur lui.
Taehyung était incertain. La seule certitude résidait dans le reflet complexe du regard de son vis-à-vis qui avait traversé un éventail d'émotions, parce qu'il l'avait mis dos au mur avec la force de ses mots.
Je sais pas comment j'ai fait ça, mais c'est bon signe, non ?
Porté par un élan audacieux mêlé d'une subtile hésitation, Taehyung s'engagea, encore, dans la quête de l'inatteignable. Il flirtait dangereusement avec cette frontière interdite à ne pas frôler en la présence du Jeon.
Mais il était résolument prêt à risquer de se brûler les ailes dans l'ardeur du défi.
Parce que cela touchait à la raison même de leur pacte.
Et Taehyung songeait qu'il avait peut-être saisi l'essence des choses.
« Je suis pas sûr, mais je doute que vous déteniez vraiment le droit de vie ou de mort sur moi. »
Taehyung aperçut distinctement le large dos du blond se crisper et ses épaules se tendre, révélant son état d'une manière plus éloquente que n'auraient pu le faire les mots.
Et je loupe encore une occasion de fermer ma gueule.
« Que cherches-tu vraiment, Kim ? Que je te réduise définitivement au silence ici et maintenant ? », rugit Jungkook, la voix vibrante de colère, sans même se retourner.
Le souffle de Taehyung se coupa, son corps se pétrifiant sous l'assaut d'une dualité insidieuse de peur et d'irritation. La menace résonnait dans l'air oppressant, un écho acéré se frayant un chemin jusqu'aux recoins les plus sombres de son esprit.
Il ne pouvait réprimer un sentiment d'impuissance, malgré l'aversion viscérale qu'il éprouvait à l'idée que cet homme, voleur de sa liberté, osait encore lever la voix sur lui.
Ses yeux plissés scrutaient les épaules crispées et le dos imposant qui se dressait devant lui, tel un rempart. Sous le pull fluide d'un bleu pâle, les muscles saillants semblaient prêts à éclater à la moindre provocation, ajoutant une tension palpable à l'air ambiant.
Ses yeux finirent par se poser sur le revolver. Le métal froid et implacable reflétait la lumière du soleil. L'arme reposait là, impassible, témoin silencieuse de la menace qui planait sur lui.
Un instant plus tôt, il l'avait délicatement tenue entre ses mains.
Alors, voir le blond ainsi troublé tout en portant une arme à feu, c'était comme s'il incarnait la dualité de l'âme humaine. Pour Taehyung, il était une énigme vivant dans un monde clivant. Il était comme une étoile sombre et solitaire dans le firmament de mystères insondables.
Cela rendait la scène surréelle.
Et Taehyung ne pouvait qu'être fasciné par ce paradoxe.
Peut-être aurait-il dû mesurer son insatiable soif de réponses. Peut-être n'aurait-il jamais dû s'aventurer si loin sur ce chemin escarpé. Pourtant, il ne put ignorer la réaction véhémente du Jeon et son avertissement.
Comme si toute remise en question supplémentaire était désormais intolérable pour le blond.
Je sais pas si je regrette de l'avoir poussé aussi loin. Mais au moins, ses réactions sont des réponses suffisantes.
Car même s'il nourrissait de la rancœur envers son ravisseur, de l'aversion envers son côté vicié et son aisance financière forgée par nombre de meurtres, il reconnaissait, malgré tout, qu'il n'était pas foncièrement mauvais.
Et son intuition était un phare quasi infaillible. Elle le guidait toujours avec une précision rare et presque surnaturelle.
Ainsi, il ne craignait qu'à moitié pour sa vie, oscillant entre espoir et incertitude. Mais il pouvait se leurrer. Il n'avait aucune assurance tangible.
Seuls le langage corporel du Jeon et l'éloquence de ses regards murmuraient une forme de vérité dans le silence des mots.
Les mains crispées contre le marbre glacé de l'évier, Jungkook était sidéré, abasourdi. En un échange, Taehyung avait encore effleuré les arcanes de leur pacte, dévoilant une perspicacité bien au-delà de ce que Jungkook avait imaginé.
Son otage était trop intelligent, trop lucide, trop audacieux pour être complètement maîtrisé.
Un électron libre.
Ses yeux. Ses putains d'yeux savent explorer mes recoins les plus secrets et je déteste ça.
« Ça m'étonnerait pas qu'il réussisse à nous démasquer. »
L'incertitude mêlée d'angoisse flottait, et Jungkook se demandait s'il parviendrait à garder ses secrets intacts.
« On lui crève les yeux, si tu veux ? »
Jungkook pouffa discrètement face à la voix rieuse caressant son esprit, une brise légère dans la lourdeur de son accablement.
Il ferma les yeux un instant, cherchant à calmer sa respiration légèrement troublée. Puis, avec une lenteur calculée, il pivota et se dirigea vers le plus jeune. Ses pas feutrés et lents résonnaient dans le silence comme des gongs funèbres.
Il s'immobilisa à une faible distance face à Taehyung, et l'air se chargea à nouveau d'une tension électrique.
Avec un mélange de curiosité et d'appréhension, Taehyung observait les yeux du blond, obstinément baissés, évitant les siens avec une ténacité désarmante.
Comme s'il préférait l'abri sûr du sol.
« Le sujet est définitivement clos. Ne l'évoque plus jamais, glissa-t-il, d'un souffle à peine audible, luttant pour cacher les miroirs de son âme. Ou ça risque de mal se finir pour toi. »
Crois-moi, tu ne voudrais pas provoquer sa colère.
« ... »
Ses mots se fondirent dans l'air comme des pétales d'une fleur tombant doucement. Ses sourcils étaient froncés, son visage dur, mais aucun venin ne s'était échappé de ses paroles. Ses yeux restèrent fixés sur le sol comme s'ils cherchaient des réponses dans les stries d'or du marbre noir.
Taehyung comprit.
Il lui demandait de cesser de le sonder librement. De le profaner. Il confessait silencieusement qu'il avait fissuré son armure bien plus profondément qu'il n'aurait jamais cru possible.
Il s'était approché de lui dans un effort désespéré pour préserver son jardin secret, évitant soigneusement ses yeux, érigeant une barrière invisible entre eux.
Malgré lui, un tourbillon de remords enveloppa Taehyung. Interdit par le tableau devant lui, il restait immobile, prisonnier d'une compassion poignante. Le cœur lourd, il constatait les répercussions de ses paroles sur l'aîné.
« Tu m'as entendu ? », cria presque Jungkook, daignant enfin lever des yeux colériques et troublés vers Taehyung, avançant d'un pas supplémentaire.
Taehyung sursauta vivement et haleta de surprise, ses mains cherchant le soutien froid du mur contre lequel il se pressa davantage.
« J'ai compris, mais arrêtez de lever la voix sur moi, par contre », souffla Taehyung, les sourcils froncés, et le ton dénué de toute animosité.
Seule une lueur navrée brillait au fond de ses yeux, portant des excuses que ses lèvres refusaient de formuler.
Le temps, ce fugitif infatigable, suspendit sa course, sentant l'importance de l'instant. Telles des bouées de sauvetage dans l'océan de leur rencontre fortuite, leurs regards se rattrapèrent avec une intensité troublante.
Mais Jungkook refusa de s'abandonner à cet échange trop intime.
Il en avait assez de se sentir vulnérable, exposé, comme si les murs de sa forteresse intérieure s'effondraient chaque fois que le jeune Kim les pénétrait.
Il était émotionnellement affaibli, cependant. Incapable de détacher son regard de ceux à la fois curieux et méfiants de Taehyung. Jungkook découvrait avec une amertume grandissante l'absurdité de son impuissance à museler le tumulte qui l'agitait, et plus encore, à se détourner de ces prunelles, alors qu'il en mourrait d'envie.
De cette source de tourments insidieux, capable à la fois de noirceur et de lumière.
Il fixait les yeux chatoyants de marron foncé avec férocité, dans l'attente de quelque chose qu'il ne savait pas lui-même.
Taehyung perçut la détresse silencieuse qui s'agitait en Jungkook. En un instant, il déchiffra ce cri muet, et son visage s'adoucit tandis qu'il hocha légèrement la tête, émettant une faible onde de réconfort vers l'âme agitée de Jungkook.
Dans ses yeux, une étincelle de confiance prit vie. Timide, mais vibrante.
Tout va bien.
Et Jungkook s'y agrippa avec désespérance, comme si sa vie en dépendait.
C'est alors que les épaules du blond s'affaissèrent, délestées d'un fardeau invisible, libérées par un soupir muet. Il se délivra de l'emprise de sa léthargie.
Libre.
À sa grande surprise, un immense vide l'envahit.
Un vide tel qu'il n'en avait pas ressenti depuis des années. Plutôt que de l'angoisser, ce vide le combla.
Les tourments qui avaient tourbillonné en lui, les tempêtes incessantes qui l'avaient troublé en cette matinée, se suspendirent soudainement dans l'air, apaisés.
C'est...
Ces yeux, tour à tour tourmenteurs et consolateurs, tenaient Jungkook sous leur emprise.
« ...quoi ce bordel ? »
« Taehyung, arrête, gronda-t-il. Il est temps que tu mettes un terme à ta sorcellerie, ou que sais-je. »
Encore une fois, il l'implorait.
Sans même chercher à briser le contact.
Une force mystérieuse le retenait, l'incitant à confier à Taehyung le pouvoir de sa libération.
Comme s'il trouvait un sombre réconfort dans cette agonie, malgré son désespoir palpable.
Taehyung fronça les sourcils, lui aussi happé par ce regard qui lui dévoilait bien trop de choses contradictoires, amplifié par l'intonation désespérée de son prénom.
« ... Ma quoi ? répéta-t-il, dubitatif.
— Peu importe. Arrête. Je supporte pas ta manipulation », répéta-t-il d'une voix éraillée et sifflante, les yeux injectés de sang, presque écarquillés.
Le ténébreux resta coi un instant. Une légère gêne teintée d'une tristesse inattendue passa comme une ombre furtive sur son visage. Il savait qu'il était l'architecte involontaire de cet ébranlement, le faiseur de sa fragilité.
Pourtant, il ne faisait rien de tout cela délibérément.
Il y avait certainement quelque chose qui rendait le Jeon aussi vulnérable. En d'autres circonstances, le blond l'aurait provoqué avec audace, avec ses mots moqueurs, railleurs, le défiant avec son assurance arrogante.
Au lieu de cela, il frémissait de malaise.
Putain, je comprends rien à ce qui se passe.
« Pourquoi vous me reprochez votre instabilité ? dit Taehyung d'une petite voix, malgré lui intimidé et confus par cet échange qu'il jugeait presque surréel. Je vous manipule pas, c'est vous qui êtes aussi ouvert qu'un livre.
— Tu te trompes. C'est toi qui... s'interrompit-il, le souffle court.
— C'est moi qui rien du tout. Au lieu d'attendre que je regarde ailleurs, détournez vous-même les yeux et c'est bon, c'est réglé, non ? », grommela-t-il, mécontent de se voir affublé à tort.
Jungkook ricana, froid.
« Je n'oublie pas de qui tu es issu. Tu fais tout pour me mettre dans cet état. Tu sais exactement ce que tu fais. »
« Tu te mens si fort que tu es ridicule. »
Les lèvres du blond se plissèrent, signe de son irritation.
« Hé, soupira-t-il. Rester dans le déni ne vous aidera pas. »
« Ah bah si même lui le dit. »
Jungkook se consuma dans une panique et une rage brûlante. Ses yeux se métamorphosèrent en deux étoiles tremblantes, naviguant avec frénésie entre ceux de son vis-à-vis.
Ressentant de nouveau l'impérieuse demande dans le silence, Taehyung lâcha un profond soupir.
« Vous voyez, c'est encore à moi d'agir puisque vous vous emprisonnez tout seul juste par fierté », souffla-t-il, bienveillant malgré lui.
Puis il détourna le regard en levant les yeux au ciel, las, puis brisa leur échange.
Jungkook prit une inspiration soudaine en se reculant, son bassin heurtant le comptoir. Ses yeux fuirent vers le couloir de sa chambre. Ses lèvres s'entrouvrirent, cherchant désespérément une bouffée d'air, comme s'il voulait s'y enfermer à double tour.
« Jeon, je... »
À l'instant où les froissements de tissu trahirent l'approche de Taehyung, Jungkook s'enfuit avec précipitation, se hâtant vers son bureau en de grandes enjambées furieuses, se massant le visage.
Suis désolé.
Que venait-il donc de se passer ? Leur échange avait pris une tournure imprévue, le laissant déstabilisé. Lui, qui avait autrefois scellé son cœur pour se protéger de toute intrusion, découvrait que les barrières qu'il avait érigées ne pouvaient résister à ce Kim.
Seulement, pourquoi ?
Pourquoi lui ? Pourquoi aussi intensément ?
Le claquement furieux de la porte résonna comme un coup de tonnerre, envoyant des échos tremblants contre les murs, faisant voûter les épaules d'un Taehyung complètement démuni.
Il eut l'impression d'avoir commis une énorme erreur. Les battements effrénés de son cœur résonnaient en lui. Lui aussi ne saisissait pas pleinement le lien visuel mystérieux qui semblait les unir.
C'était une communion de l'âme qui transcendait les mots, laissant le loisir à leurs yeux de communiquer.
Et cela les perturbait avec une intensité inattendue.
Surtout lui. Il est plus fragile, en réalité.
Il grimaça à cette pensée, s'en voulant de véritablement ressentir cette infime compassion.
Soudain, une peur sourde compressa son ventre face à l'inconnu. Tout était nouveau, tout avait changé, et sa vie basculait irrémédiablement dans un territoire inexploré.
C'était une prise de conscience.
C'était une de ces prises de conscience fulgurantes, celles qui frappent même lorsque l'on croyait déjà savoir.
Elles frappaient si fort, ébranlaient si profondément, remuaient si douloureusement.
Parce qu'il venait de prendre pleinement conscience que l'évolution de sa rancœur envers Jungkook commençait à prendre un tournant bien plus effrayant, sans qu'il s'en rende compte.
Compassion. Indulgence. Humanité.
Non.
Par pitié, non.
Je veux pas changer de regard sur lui.
Je le dois pas.
Ce serait malsain.
C'est un criminel.
Je le hais et je lui en veux tellement, c'est qu'un égoïste qui se sert de moi.
Le cœur au bord des lèvres, Taehyung se détacha vivement du mur et s'approcha du Velux entrouvert avec la grâce d'un danseur. Il le fit doucement coulisser et enjamba les rails, insouciant des convenances.
Il avait besoin de cette bouffée d'air frais, ou il sentait qu'il sombrerait dans une crise de nerfs et de larmes.
À chaussettes, il marcha sur la fausse herbe fraîche étalée sur le sol de la grande terrasse. Il avança, insouciant de la décoration. Il s'immobilisa devant la balustrade. Il inspira profondément, savourant le léger sifflement du vent automnal. Ses cheveux ondulaient comme des vagues, tandis que les rayons du soleil caressaient son visage, y déposant une chaleur douce et réconfortante.
Le dix-septième étage lui offrait une vue spectaculaire sur la ville qui s'étendait sous ses yeux.
Les mains enfoncées dans les poches de son pantalon, il apprécia le frisson de froid revigorant qui naquit depuis la plante de ses pieds. Son regard se posa sur les voitures, les bus et les fourmis humaines qui se déplaçaient en contrebas, chacune enveloppée dans son propre monde, chacune avec ses rêves et ses préoccupations.
La ville était un océan en perpétuel mouvement et, Taehyung, suspendu entre ciel et terre, se laissa emporter par le doux balancement de cette vie trépidante.
Avec une acuité qu'il ne devait qu'à son trouble actuel, il entendit des pas se rapprocher et un bruit de papier qu'on pliait. Il se retourna et, depuis la porte fenêtrée, ses yeux se heurtèrent à un bloc de glace qui déposait quelque chose sur le canapé.
Une forteresse de silence. L'âme de cet homme semblait scellée, dépourvue de toute émotion.
Indifférente à son regard.
Un gouffre infranchissable.
Taehyung sourit tristement et se dit que la meilleure chose à faire était de laisser le temps emporter les non-dits et d'accepter que, parfois, même les étoiles les plus brillantes se perdaient dans l'immensité du firmament.
En baissant la tête vers le faux gazon et les mains toujours plongées dans ses poches, il retourna au chaud, frissonnant dès l'instant où ses pieds se posèrent à nouveau sur le sol réchauffé, le blond l'attendant de l'autre côté.
« Désolé, je me suis permis, souffla Taehyung d'une voix neutre, faisant coulisser la baie vitrée en la laissant exactement comme il l'avait trouvée ; entrouverte.
— Ton certificat », dit-il d'une voix neutre en lui tendant la feuille.
Ah d'accord, il m'ignore carrément.
Taehyung se retint de rouler des yeux. Doucement, il prit le document. Il haussa les sourcils en constatant qu'il tenait une copie fidèle, une réplique parfaite d'un certificat médical authentique. Chaque détail, chaque courbe, chaque couleur, surtout la signature et le tampon semblaient avoir été reproduits avec une précision presque ensorcelée.
« Wow », lâcha-t-il, médusé.
Rien dans ce document ne laissait transparaître la sinistre réalité qui se cachait derrière cette pièce, comme si un artiste maudit avait peint une toile immaculée pour camoufler la vérité.
« Attendez, vous connaissez même mon médecin traitant ? », s'exclama-t-il en levant des yeux sidérés vers le blond qui se contentait de le fixer, impassible.
Sans la moindre émotion.
À cet instant précis, Taehyung eut un mauvais pressentiment.
Ces yeux.
Il est...
Ils étaient identiques à ceux arborés au temple, lorsqu'il avait été menacé, acculé contre le meuble, l'âme ressentant une détresse et une lourdeur inégalables.
...complètement différent.
Il ne déchiffrait plus en lui que la pâle empreinte d'une indifférence glaciale, semblable à la lassitude d'un spectre errant sans but.
Le blond ne répondit pas et se contentait de le sonder.
« En même temps, quelle question... marmonna-t-il avant de lâcher un petit rire nerveux. Vous savez probablement administrativement tout sur moi. »
Le portable du blond sonna, brisant l'instant fragile. Il le sortit de la poche arrière de son jean, et ses yeux s'égarèrent un instant sur l'écran illuminé. Le nom affiché lui arracha un sourire fugace, presque imperceptible, mais suffisamment marqué pour que Taehyung, attentif, le remarque.
Les yeux de son aîné brillaient d'un éclat mystérieux, dissimulant un sentiment insaisissable, telle une énigme échappant à toute compréhension, mais éveillant une profonde intrigue.
« Cousin, salua-t-il avec entrain, en regardant le paysage derrière son invité, avant de froncer les sourcils, haïssant la lumière qui l'aveuglait.
— Kook. J'ai besoin de ta cape d'invisibilité. T'es chez toi ?
— Ouais. Et c'est moi, là. »
Le silence fut pesant. Taehyung, percevant distinctement les propos de l'appelant, fronça les sourcils.
« Je me disais aussi. Il s'est passé un truc ? s'enquit la voix, inquiète.
— Oh, trois fois rien, à part un gamin qui lui casse les couilles.
— Hein ?
— Cherche pas.
— Et ça va ?
— Juste trop émotif, grimaça-t-il. Tu sais, les souvenirs, tout ça... », répondit-il, les yeux toujours plissés, rivés sur le ciel bleu comme s'il lui reprochait sa clarté.
Outre l'indignation que les paroles du blond avaient suscitée chez Taehyung, c'est l'étrange métamorphose devant lui qui l'ébranlait véritablement.
Le niveau de langage, le ton, le débit de paroles plus lent. Comme si le blond possédait tout le temps du monde. Sa voix, traînante et plus rauque, résonnait plus profondément, plus sombrement. Ses yeux brillaient d'un éclat vicieux, plus sournois que jamais.
Et son aura était désormais différente.
Écrasante.
Telle une marée impérieuse et menaçante inspirant la terreur avec sa simple présence.
Taehyung battit des cils, profondément désemparé, médusé, l'esprit tournant à plein régime. Une voix renfermant chaque nuance de cette métamorphose lui revint en mémoire, vibrante :
« Moi, je suis pas patient. »
Taehyung tressaillit, attirant sur sa poitrine le regard perçant du blond. L'intensité mêlée au vide intersidéral de ses yeux le fit presque sursauter. Il recula d'un pas, troublé par cette œillade perturbante.
Son âme se souleva de terreur, sans qu'il en saisisse la raison.
C'est quoi ce putain de bordel ?
« Justement. Ça concerne la mission principale.
— Laquelle ? Y'en a deux.
— La tienne.
— Ah. »
Les yeux du blond se voilèrent de ténèbres lorsqu'il les releva vers ceux de Taehyung, un regard si intense que le cœur de ce dernier se mit à battre furieusement, emporté par une peur qu'il ne s'expliquait guère.
« Tu veux passer quand ?
— D'ici une trentaine de minutes, si c'est bon pour vous.
— Faut qu'on monte tout le dossier ce matin, donc ?
— Yep. Mais tu peux faire la mission plus tard.
— Hmm, réfléchit-il, son regard ne déviant guère du plus jeune qui l'analysait de ses grands yeux sidérés. Code ? Pour qui ?
— Fónos*. Donc c'est plutôt pour toi. »
Le blond esquissa un sourire à s'en damner d'effroi. Une mission d'assassinat. Il ne voulait pas reporter cette entrevue. En ignorant superbement l'accroc à la respiration du plus jeune, il avisa l'heure sur son portable, réfléchit un court instant les yeux dans le vague, puis le reporta à son oreille.
À cet instant précis, Taehyung, à deux doigts de se jeter du dix-septième étage pour échapper à la présence de cet homme et l'étrangeté de la situation, fut soudainement suspendu dans son élan mental par la voix au bout du fil.
Une voix qu'il jugeait étrangement familière, un timbre apaisant et une élocution qui glissait comme une mélodie traînante.
« OK », accepta-t-il après un court moment de silence.
Comme s'il s'était consulté en amont.
« J'arrive.
— Ramène la bouffe si tu peux manger avec lui.
— Il revient ?
— Tout doucement, oui.
— OK, je peux. Sushis ? s'enquit la voix, amusée.
— J'ai une gueule à manger des rouleaux d'algues et de poisson cru ? Je suis pas une salope et tu sais très bien que je peux gerber », grogna-t-il, le visage froissé par le mécontentement.
Taehyung fut pris entre le rire et la profonde sidération.
« Goûte avant de critiquer, sale gosse.
— M'en branle, grogna-t-il, une grimaça de dégoût déformant ses traits. Ramène des tacos ou des pizzas. Tu connais mes goûts.
— Je te les ramènerais quand tu apprendras à respecter tes aînés.
— Mais je déteste ces trucs visqueux !
— Je raccroche.
— Oh ! Te ramène pas avec des putains de sush...
— Dol, ta gueule, je rigolais. Bordel, ce que tu brailles trop », ricana-t-il avant de raccrocher, le coupant.
Taehyung fronça les sourcils à l'entente du nom familier.
Dol.
« Connard », grogna le blond, les dents serrées, tandis qu'il écrivait ce même mot avec un mélange d'agacement et d'amusement, l'envoyant par message.
Puis, en soupirant comme s'il portait le poids du monde sur ses épaules, il leva son regard vers un Taehyung à deux doigts de s'arracher les cheveux d'incompréhension, et attendit.
Mais sa conscience demeura aussi muette qu'une tombe, bien qu'il était mentalement enveloppé par sa présence. Il arrivait doucement.
...Bon.
« Anyway, puisque je suis encore là, soupira-t-il pour lui-même, avant de se frotter vigoureusement l'arrière du crâne. Mon p'tit Kim, un conseil. On aime bien ton humour et ton sarcasme, ma foi intelligent et mordant que même moi j'en rigole, et tout, mais va falloir que t'y ailles mollo, OK ?
— ...Quoi ? balbutia Taehyung, dissimulant son malaise.
— Quoi ? l'imita-t-il d'une voix légèrement plus aiguë. Je parle russe ?
— OK, stop ! s'exclama-t-il en levant les deux mains, tentant d'ignorer son cœur brûlant d'agacement et de trouble. Vous êtes un jumeau ou quoi ? Genre il est parti et le frère bizarre est apparu ? ironisa-t-il, toujours aussi déstabilisé. À quoi vous jouez ? Où est... »
L'autre ?
Il hésita, incertain du terme à employer.
Amusé, le blond pouffa avant de se laisser emporter par un rire tonitruant, sa tête basculant en arrière, révélant la courbe robuste de son cou offert à la lumière. Les poings serrés et la mâchoire crispée, Taehyung luttait contre la colère qui montait en lui.
Putain, mais je vais le dépecer vivant, ce fils de pute.
« Quand je te disais qu'il pourrait finir par nous démasquer... pensa-t-il à voix haute.
— Hein... ? lâcha Taehyung, perdu.
— Tu me ferais presque peur, gamin. Tu le sais, ça ? », dit-il, en l'ignorant, un éclat d'amusement et d'avertissement brillant dans ses perles plus noires que jamais.
D'une noirceur macabre. Il n'y avait pas d'autre nuance.
Cette nuance habituelle. Humaine.
« Moi ? s'offusqua-t-il dans un rire bref et nerveux. Rappelez-moi qui a une arme, ici ?
— Dis-moi, t'as le don de la clairvoyance ? demanda-t-il, curieux malgré son air blasé. Tu es un poil trop lucide pour ton âge, c'est super rare. »
Abasourdi, Taehyung resta muet, laissant passer un souffle de temps pour comprendre que ce qu'il avait entendu n'était pas une hallucination auditive.
« Pourquoi vous... s'interrompit-il, ne sachant plus où donner de la tête. Vous vous foutez de moi ? tempêta-t-il, les narines frémissantes.
— Nan », répondit-il simplement.
Il est vraiment sérieux, en plus !
« Ou alors... commença le blond.
— Si vous pensez que j'ai que ça à foutre d'entendre vos provocations, détrompez-vous, le coupa-t-il. Ramenez votre jumeau, ou je ne sais quoi, qui est un peu plus normal, qu'on en finisse.
— Ça ressemble pas à ça, quand je provoque, moi, réfuta-t-il, un rictus froid. Et y'a pas de jumeau. Ç'aurait été bien, n'empêche, marmonna-t-il pour lui-même.
— ...Je comprends rien, souffla Taehyung, la voix frémissant au dernier mot. Pourquoi vous êtes si différent ? Tout de vous est... s'interrompit-il en le regardant de haut en bas, ne sachant trouver les mots adéquats.
— Tu veux le savoir, hein ? le nargua-t-il en haussant exagérément les sourcils. Gagne notre confiance, d'abord. Surtout la mienne, ajouta-t-il, son expression se muant en une gravité sinistre.
Taehyung émit un petit ricanement nerveux, ne sachant plus comment réagir tant la situation lui paraissait invraisemblable.
« Pourquoi vous parlez au pluriel ?
— Je sais pas ? Peut-être que je suis schizo ? Psycho ? Bipolaire ? Borderline ? le nargua-t-il. Un fou, tant que tu y es ?
— Ç... ça m'a tout l'air, ouais... », bégaya-t-il, les yeux plissés pour se donner contenance.
Il recula d'un pas, le cœur impitoyablement compressé par la confusion.
« T'as peur ? s'enquit-il en inclinant la tête sur le côté, un rictus sournois.
— Non, siffla-t-il en redressant son dos et gonflant sa poitrine, trop fier pour l'avouer.
— Ah bon, railla-t-il.
— Vous êtes définitivement pas normal, cingla-t-il d'une voix étranglée.
— Ah, si tu savais, Kimini », soupira-t-il, mélodramatique.
Malgré lui, un bref rire nerveux échappa à Taehyung, sa main dissimulant maladroitement sa bouche. Sidéré, il ne pouvait réprimer un étrange amusement face à un tel surnom venant de cet homme-là.
« J'ai atterri dans une dimension parallèle, souffla Taehyung pour lui-même, perdant toute trace d'hilarité.
— Fascinant... Bah, c'est sûr que ta capacité à capter la réalité doit faire des loopings dans ton cerveau, Kimini. T'as pas remarqué les petits cerbères qui se baladent dans le couloir aussi ? »
Taehyung resta bouche bée, ses lèvres frémissant d'un sourire naissant, tandis que ses épaules se soulevaient brièvement sous l'élan d'un rire, mais aucun son ne sortit de sa bouche.
Ce connard a le même humour que Namjoon, j'ai failli rire, putain.
« Alors, déjà, arrêtez de m'appeler comme ça, ça me fout la gerbe, cracha-t-il.
— Ouh, Kimini sort les griffes », railla-t-il, provocateur.
La paupière de Taehyung tressaillit, puis il clôt les yeux en se pinçant l'arête du nez.
Je vais le tuer.
Il s'humecta les lèvres, les poings serrés, le souffle légèrement court. Agacé, ses yeux le scrutaient, perçants, cherchant une faille dans ce blond qui lui paraissait bon pour la casse, tant il semblait disjoncter.
Mais rien, aucune faille.
« Et le revoilà en pleine analyse », soupira le blond en roulant des yeux.
L'éclat sournois de son regard illumina subitement son visage devenu sombre. Il avança d'un pas menaçant. Sentant le danger, Taehyung se plaqua soudain contre la vitre froide, ses sens en alerte.
« Hé... ! Reculez », grogna-t-il entre ses dents, la voix vibrante d'irritation et de peur.
Il redoutait son toucher.
Un ricanement rauque, sombre et glaçant s'échappa des lèvres plus vieux.
Il se pencha, réduisant la distance entre eux jusqu'à ce que leurs nez soient séparés par la longueur d'un doigt. Le souffle légèrement précipité de Taehyung se heurtait doucement contre le visage de l'aîné, dont la respiration calme s'harmonisait avec la sienne.
Si maître de lui-même.
« Écoute-moi attentivement, Kim Taehyung. Je t'observe de très près. Si lui montre de la faiblesse, peut se permettre d'être clément et se laisser attendrir, sache que je suis celui qui n'hésite pas à se salir les mains pour eux. »
Taehyung se figea, la perplexité se mêlant à la peur dans son regard, dissimulée derrière une façade de colère.
« Il est le gentil, je suis l'ombre menaçante qui surgira pour le défendre contre ce que tu abrites. »
Taehyung ouvrait et refermait ses lèvres tel un automate brisé, muet et glacé, dont la voix éteinte résonnait d'un silence mortel.
De quoi il parle ?!
« Dernière chose : médite sur le mot "Dol", petit. »
Son regard devint plus perçant, chargé d'une menace glaciale, comme s'il voulait lui faire comprendre que des ténèbres invisibles guettaient sa moindre erreur.
« Anyway, lâcha-t-il nonchalamment, toute trace de noirceur ayant disparu de son visage. Je me barre. »
Avant même que Taehyung ne puisse réagir, une scène d'une étrangeté sans pareille se déroula sous ses yeux, se gravant à jamais dans sa mémoire, soulevant son âme de terreur.
Tout s'était déroulé en une seconde.
Le blond papillonna des paupières, baissant légèrement la tête, puis la releva brusquement, tel un dormeur soudain arraché aux brumes du sommeil, les yeux agités.
Différents.
Taehyung se plaqua davantage contre la baie vitrée.
Il le regarda cligner ses yeux plissés, comme s'il émergeait soudainement de l'obscurité, ses paupières battant comme les ailes d'un papillon.
Taehyung ne sut s'il rêvait ou s'il assistait réellement à des faits étranges.
Mais qu'est-ce qu'il se passe, encore... ?
Là, face à lui, il était sûr de reconnaître un visage familier. Le cœur tambourinant à toute allure, il déglutit. Pour une raison insaisissable, il était terrifié. Ses sourcils se froncèrent, ses yeux s'écarquillèrent, cherchant à comprendre ce qu'il venait d'apercevoir.
Mais qu'avait-il vraiment vu ?
Perdu dans ses pensées, le plus âgé fixait le ciel derrière Taehyung, puis ses traits faciaux s'endurcirent.
Il plissa le nez, semblant soudainement irrité, ses yeux errant furtivement sur l'azur matinal avant de s'arrêter brusquement sur Taehyung, le faisant presque sursauter.
« Suis-moi, on doit rapidement clore cette matinée », dit-il d'un signe de tête impérieux, l'invitant à le suivre vers le séjour.
Taehyung hoqueta silencieusement. Il reconnut immédiatement sa voix moins profonde. Sa tessiture moins caverneuse. Sa manière plus soutenue et nettement singulière de s'exprimer.
Oh, putain.
« Euh, non ? Je peux m'en aller, maintenant ? J'ai le certificat », dit-il en s'apprêtant à ouvrir la baie vitrée et, cette fois, à vraiment sauter.
Jungkook s'installa devant son ordinateur portable, le clavier prêt à accueillir le ballet de ses pensées, puis sortit son téléphone de sa poche arrière et le déposa sur la table basse.
« Kim, mon temps est compté », grogna-t-il, sa voix aussi tranchante qu'un coup de fouet.
Oh.
Putain.
Taehyung était à deux doigts de pleurer de frayeur, mais son corps, en dépit de l'esprit qui criait de fuir, suivit l'ordre. Il se haït d'obéir aussi rapidement. Il avança lentement dans le vaste séjour, la tête pleine de questions. En un instant, il avait l'impression d'avoir perdu puis retrouvé le Jeon qu'il connaissait.
Et si c'était pas un masque, mais qu'il souffrait de schi...
« Accélère. »
Taehyung ne comprit pas vraiment pourquoi il obéissait aussi promptement. Tout ce qu'il savait, c'était qu'il ne devait plus le quitter des yeux.
« J'avais prévu de te conduire à l'université pour m'assurer que tu y laisses le document, mais un imprévu m'en empêche, dit-il précipitamment en apercevant Taehyung s'asseoir en face de lui. Il faudra l'envoyer par mail. Maintenant.
— Euh... ouais ? Ouais, OK », balbutia Taehyung, un peu étourdi par la légère agitation nerveuse du blond, alors que lui-même se retenait de fuir.
Taehyung avait perdu de sa superbe, égaré dans un labyrinthe d'incertitudes. Chaque question l'éloignait un peu plus de la réalité, son esprit alerte ne trouvant pas le repos. Il errait dans ses pensées, cherchant à saisir une vérité qui lui échappait sans cesse.
« Viens à côté de moi », l'invita-t-il sans le regarder, concentré devant l'écran.
Silencieux, le ténébreux se soumit avec une lenteur timorée. Il s'était installé loin, très loin de Jungkook, dont le soupir résonna en un écho de frustration. Résolu, l'aîné combla la distance sur le canapé, jusqu'à ce qu'à peine quelques centimètres les séparèrent.
L'âme se glaçant, Taehyung se demanda comment il pouvait encore respirer, tant son cœur lui avait semblé se pétrifier de peur face à l'approche soudaine du Jeon.
« Connecte-toi, ordonna-t-il en déposant la machine sur ses genoux. Je regarde. »
Saisi par l'urgence de la situation, Taehyung exécuta la tâche sans un mot, déglutissant discrètement. Lorsqu'il eut terminé, il leva le visage, ses yeux scrutateurs et analytiques bravant les cris de sa conscience. Sans un mot, Jungkook récupéra son bien, évitant soigneusement son regard.
Taehyung l'observa prendre en charge la rédaction du courriel en son nom. Les doigts habiles de Jungkook dansaient sur le clavier, orchestrant des lettres, formant des mots, construisant des phrases. Il ne prenait guère le temps de réfléchir. Taehyung s'adossa en croisant les bras sur sa poitrine, captivé par sa virtuosité, lisant chaque mot dactylographié qui prenait vie sous les doigts encrés et agiles.
« Je fais quoi avec le certificat, maintenant ? s'enquit Taehyung, en le voyant scanner le papier avec son portable afin de le transférer dans le mail.
— Tu pourrais en avoir besoin, garde-le. En guise de souvenir, également », dit Jungkook d'un ton nonchalant, avant de refermer son ordinateur portable et le déposer sur la table basse.
Surpris par le ton désinvolte du blond, Taehyung releva la tête vers lui, confus, tâtonnant sur le fil incertain de cette nouvelle dynamique. Toutefois, lorsqu'il perçut le doux relâchement sur les traits du plus âgé, il lâcha un souffle hébété et outré.
« Attendez, je crois que j'ai mal entendu. Vous avez dit quoi ? Souvenir ? », s'insurgea Taehyung, tandis qu'un ricanement désabusé fit vibrer sa voix.
Jungkook l'ignora, bien qu'il sourit imperceptiblement à l'entente de son ton scandalisé, tout en se mordillant la peau intérieure de ses lèvres, nerveux. Mais en avisant l'heure qui s'affichait sur son téléphone, il sentit ses épaules se dénouer et la tension s'évapora de moitié.
J'ai encore un peu de temps.
« Qu'y a-t-il ? J'ai dit quelque chose d'inapproprié ? le provoqua-t-il, indifférent à un Taehyung bouche bée, ulcéré.
— Inapproprié ? Ah non, pas du tout, Jeon, répondit Taehyung avec un sourire narquois, ses yeux lançant des éclairs de sarcasme. Merci pour ce cadeau empoisonné, vraiment. Je le mettrai en vitrine avec toutes les autres merdes que vous m'avez si généreusement offertes. »
Un sourire en coin fleurit sur les lèvres de Jungkook, ravi de retrouver la morsure acérée de ses propos irrespectueux et audacieux.
« Je t'en prie, considère ça comme ma contribution personnelle à ta galerie de trésors », railla-t-il.
Ragaillardi, Taehyung plissa les yeux, une lueur irritée dans le regard.
« Elle va finir par ressembler à un dépotoir », cingla-t-il.
Jungkook s'esclaffa brièvement, sa tête retombant en arrière sur le boudin du canapé, tandis que Taehyung roulait des yeux, exaspéré. Pourtant, il se mordillait la lèvre inférieure, luttant pour ne pas céder à l'hilarité contagieuse du blond.
« Et ça vous fait rire ? pesta-t-il. Ça me navre de voir que vous avez l'humour d'une huître.
— Très. Tu devrais essayer. »
Taehyung grommela dans sa barbe et Jungkook crut percevoir un inintelligible « je suis votre bouffon, moi ? » manquant de peu de raviver son éclat de rire.
« Tu sais conduire ? s'enquit soudainement Jungkook en le regardant tout en gardant sa nuque confortablement installée contre le canapé.
— Oui, répondit-il, blasé et à présent habitué à ses changements brusques de sujet.
— Tu as ton permis avec toi ?
— Non.
— C'est-à-dire, non ?
— Bah, je l'ai pas passé, rétorqua-t-il, le ton évident.
— Mais tu sais conduire ? interrogea-t-il, curieux.
— Hm hm », répondit-il, désinvolte.
Jungkook continua de le fixer, en attente d'un développement qui ne vint jamais.
« Quoi, vous voulez que je vous raconte ma vie ? grommela-t-il.
— Tu as appris sur quel genre de voiture ? demanda-t-il, dissimulant mal l'étrange curiosité qui soudain le troublait.
— Une des Ferrari de papa, à quatorze ans », répondit-il aussitôt, une lueur de nostalgie dans le regard.
Jungkook redressa la tête du canapé, les paupières papillonnant.
« ... Une Ferrari, répéta-t-il. Quelle folie. »
Plongeant son regard dans le sien, il s'imagina un jeune Taehyung, au volant d'une des Ferrari vrombissante de Jaewon, prête à s'élancer avec une fureur dès les premières secondes. Une voiture où l'accident guettait à chaque virage pour un débutant. Il ne put s'empêcher d'imaginer le visage blême de Jaewon alors que son fils conduisait, ressentant alors un tourbillon de douleur et d'amusement doux-amer.
Car, à la place de Taehyung, il s'imaginait auprès de son parrain et de son propre père, apprenant à conduire, écoutant leurs conseils avisés. Un rêve précieux qu'il avait chéri, plus jeune.
Un rêve détruit alors qu'il n'était qu'un enfant qui se construisait.
Ça aurait pu être ma réalité.
Il baissa les yeux sur le torse de Taehyung, sans le voir.
J'aurais pu apprendre avec lui. Ou Jin.
Il réprima l'ardent désir de lui demander une anecdote sur ses débuts en conduite, aspirant à revivre à travers lui le Jaewon d'antan, à imaginer la réaction d'Eun-Ae, et à découvrir comment Seokjin avait soutenu son frère.
Puis, une pensée en engendra une autre.
Il brûlait de savoir comment ils avaient survécu après sa disparition.
S'ils avaient soutenu ses parents avant leur décès.
S'il leur avait manqué.
S'ils l'avaient recherché.
Ou s'ils étaient véritablement les salauds qu'il pensait qu'ils avaient été, exactement comme Yuna lui avait conté.
« Ça devait être mémorable, souffla-t-il, le cœur serré.
— Ah, ça... », sourit-il, nostalgique.
Il se rappela son père, heureux de lui apprendre à manier l'un de ses bijoux hors de prix, le visage grave, mais les yeux scintillants de fierté. Taehyung n'oubliera jamais la joie qui l'étreignit en partageant ces instants, écoutant ses directives et conseils, et paniquant quand son père pâlissait.
Il se souvient avoir été fier de la confiance qu'il avait placée en lui.
Il se souvint de sa mère, mi-inquiète mi-amusée, et de Seokjin qui l'encourageait tout en jouant à l'effrayer en bondissant devant la route, provoquant l'effroi de sa mère, la colère de son père et les cris affolés de Taehyung.
Yoongi venait parfois observer, s'esclaffant avec Seokjin quand il calait ou que Jaewon blêmissait devant ses accélérations soudaines.
Un sourire ténu orna ses lèvres. Il se souviendra à jamais de la mâchoire serrée et des phalanges blanchies de son père, cramponné au cuir de sa voiture les trois premiers jours, pour éviter de se faire projeter à travers le pare-brise.
« Je vous raconterai », souffla Taehyung, sans qu'il contrôle sa langue.
Ébahi, Jungkook le fixa, son visage dépouillé de presque toute dureté, ses yeux légèrement écarquillés par une légère surprise. Déconcerté, Taehyung réalisa que, par cette simple expression, le Jeon venait de se délester de plusieurs années.
Il lui semblait presque juvénile.
Puis, une chaleur monta à ses joues, se trouvant soudainement ridicule d'avoir osé cette proposition à son ennemi.
Mais le regard de Jungkook brillant d'espoir l'atteignit au cœur, murmurant silencieusement : j'adorerais.
La scène dégageait une étrange singularité qui défiait toute logique.
« Bref, dit-il en s'éclaircissant la voix, le cœur tambourinant et la gorge nouée. Dommage, je voulais conduire votre Bugatti. J'adore le bruit de son moteur.
— Une prochaine fois, promit Jungkook. Tu as de quoi rentrer chez toi ?
— Oui, mentit-il, répondant d'une voix trop dure et une mine trop fermée pour que ce soit perçu comme une vérité.
— Vraiment ? », insista Jungkook en accentuant son regard lorsqu'il remarqua une légère trace de nervosité.
Taehyung se tut un instant, sachant que toute tentative de tromperie serait vaine. Le regard de son aîné parlait pour lui, deux orbes profonds semblables à deux oracles silencieux.
Il me croit pas.
Chose que Taehyung trouvait étrange.
« Mais qu'est-ce que ça peut vous fai...
— Ne bouge pas », dit Jungkook en se relevant, coupant le plus jeune qui le regarda se diriger vers son manteau, près des paliers métalliques.
Par une étrange impulsion, Jungkook avait voulu lui permettre de rentrer en lui prêtant une de ses voitures. Son esprit, plongé dans les ombres du passé, avait momentanément éclipsé sa lucidité. Sans parler de l'arrivée imminente de son cousin en la présence de son captif le tenaillait inexorablement.
Revenant vers son invité, il fouilla dans son porte-monnaie et lui tendit un billet de cinq mille wons.
Taehyung se tendit brusquement, au point que Jungkook aurait pu percevoir le frémissement de ses muscles.
Ce geste mille fois répété par ses clients au bar.
Ce symbole d'une transaction routinière qui était devenu une épine dans sa conscience.
Il darda sur le billet parme un regard si alarmé et offensé que le souffle de Jungkook se coupa, ayant la nette et désagréable impression de lui avoir causé du tort.
« Kim. C'est juste pour les transports. C'est un prêt », se sentit-il obligé de préciser, perplexe face à la réaction du plus jeune.
Reprenant ses esprits, Taehyung releva sur lui un regard noir, si noir que le cœur de Jungkook vacilla, se demandant ce qui était en train de se passer.
« Cinq mille wons ? J'ai l'air de demander la charité, peut-être ? Vous vous prenez pour qui ? », invectiva Taehyung d'une voix forte, sur la défensive.
Au tréfonds de son être, Taehyung ressentit une douleur incommensurable, une intense émotion qui le submergea bien au-delà de toute raison. Il le savait, il était excessif, mais comment réfréner cette tornade d'émotions qui tourbillonnait en lui ?
Un geste anodin avait allumé l'incendie de sa colère, une flamme dévorante qui échappait à son contrôle. Son regard demeurait fixé sur celui de Jungkook qui restait sans voix, semblant perdu et ne sachant que dire.
Les regrets envahirent aussitôt le plus jeune.
Jungkook fronça les sourcils, confus.
Devait-il se sentir insulté ou bien devait-il prêter foi à cette minuscule lueur de crainte qu'il surprît au fond de ce regard noyé dans une mer de colère ?
Les secondes s'étiraient et le silence vibrait d'une intensité, nébuleuse, étrange.
« Kim, qu'y a-t-il ?
— Je veux pas de votre argent sale, répondit-il, la voix aussi sèche que son heurt le lui permettait.
— Ce n'est pas de l'argent sale, dit Jungkook en refermant son porte-monnaie avant de le lancer négligemment sur un des canapés.
— À d'autres, grogna-t-il.
— Ma seconde source de revenus est parfaitement légale. Prends ce billet pour rentrer chez toi, ordonna-t-il, la voix pourtant vide de toute froideur.
— M... même. J'en veux pas, contra-t-il, le ton acerbe et tremblant imperceptiblement sous ses émois.
— Est-ce ta fierté qui s'exprime ?
— Ah, parce que vous accepteriez, à ma place ? », ironisa-t-il.
Non, en effet.
« Je sais que tu as des difficultés financières. Comptes-tu frauder dans les transports et risquer une amende ?
— Putain, mais vous me faites quoi, là ? C'est votre B.A. du jour pour soulager votre conscience ? vociféra-t-il, sarcastique. J'en veux pas, je vous dis ! »
Lentement, Jungkook baissa la main tenant le billet, troublé.
« Pourquoi autant de réticence ?
— Écoutez, je... je suis boursier, OK ? éluda-t-il, le cœur battant à son mensonge. Donc, je...
— Tu n'as aucun revenu », soupira Jungkook en le coupant.
Face au ton péremptoire de Jungkook, Taehyung se tut, le cœur battant trop vite pour que ce soit normal.
À quel point il connaît ma vie, putain ?
Le plus âgé avait une connaissance précise de la situation financière de Taehyung. Le néant. Il naviguait dans les eaux troubles de l'absence de revenus. En l'absence de son héritage colossal hormis le manoir. Aucune source d'argent, aucune aide gouvernementale, aucun secours estudiantin.
Plongé dans ses recherches, il avait scruté chaque indice, se demandant, entre peine et perplexité, comment ce jeune adulte survivait. Parfois, une ombre d'empathie était née en lui, mais il l'avait impitoyablement repoussée. Le sort du descendant de ce clan ennemi ne l'importait guère.
Il se l'était répété avec une satisfaction presque cruelle, étouffant toute compassion naissante. Dans ce jeu de rivalités et de vengeances, les faiblesses de l'adversaire étaient des armes précieuses à ne jamais laisser échapper.
Mais, à présent, face à Taehyung, il ne put s'empêcher de se demander si ce dernier travaillait au noir, ou s'il vendait ses effets personnels luxueux, quelques tableaux ou possessions dans le manoir pour manger à sa faim.
Le ventre anormalement creux qu'il avait entrevu, la veille au temple, s'imposa dans son esprit.
Il est indubitablement en sous-nutrition.
Il serra les poings, froissant son billet, ses yeux s'assombrissant d'une animosité qui fit tressaillir Taehyung.
Jin, tu es devenu un tel monstre. Je n'oserais pas le traiter comme tu le fais, toi, son propre frère.
Voyant que Taehyung paniquait intérieurement, il insista une dernière fois.
« Tu auras une amende, si les contrôleurs v...
— Je marcherai, j'ai deux pieds fonctionnels, rétorqua froidement le plus jeune en le coupant. Mais qu'est-ce que ça peut vous faire, de toute façon ? s'exclama Taehyung, au bord de la crise de nerfs.
— Très bien. Si marcher deux heures et traverser une autoroute ne t'effraient pas, concéda Jungkook avec calme, s'asseyant à nouveau à ses côtés après avoir glissé le billet dans la poche arrière de son jean.
— Voilà, merci », grommela Taehyung en croisant les bras sur son torse, ses jambes tressautant nerveusement.
Il frémit presque imperceptiblement, surprenant Jungkook qui se figea pendant une seconde. Sans un mot, il avisa de nouveau l'heure sur son portable. Son cœur bondit.
Merde.
Vivement, il fit pivoter son torse, récupérant le bracelet qu'il y avait déposé lorsqu'il revenait de son bureau.
« Je dois te remettre une chose, dit-il, faisant de nouveau face au ténébreux.
— Quoi, encore ? », grinça Taehyung, passablement irrité, avant que son expression se meuve en une surprise lorsqu'il vit ce que tenait Jungkook.
OK. J'ai peur de comprendre.
« Ne me dites pas que c'est ce que je crois, dit-il d'une voix blanche, le visage fermé, resserrant inconsciemment ses bras croisés sur sa poitrine.
— Tu dois garder ce traceur sur toi jusqu'à ce que je t'en dispense, compris ? Et ne discute pas.
— Sérieusement, deux mercenaires qui me collent au cul, ça vous suffit pas ? clama-t-il, irrité.
— Ton poignet, ordonna-t-il en jetant un énième coup d'œil à son téléphone. Vite, le temps presse.
— Déjà, arrêtez de gigoter chaque fois que vous regardez l'heure. Vous me stressez, grommela le plus jeune en fronçant les sourcils.
— Je préférerais que tu n'interagisses pas avec le policier qui arrive. Ta présence éveillerait ses soupçons et il me poserait des questions. Tout le monde te connaît.
— Ah. Où est le souci s'il me voit ? À cause de nos clans respectifs ? En plus, contrairement à vous, je tue pas des gens. Ou alors, il va trouver ça bizarre que l'un des derniers Kim est innocent, c'est ça ? ironisa-t-il.
— Je ne "tue pas des gens", non plus, soupira-t-il.
— Oui, bien sûr, persifla-t-il avec sarcasme, en parlant du meurtre de son voisin. C'est fou ce que vous adorez vous foutre de ma gueule sans la moindre honte. »
Ce n'était pas moi, Kim.
Jungkook serra les dents, encaissant silencieusement tout en se contentant de le fixer, abandonnant sa résolution prise dans son bureau, qui était de ne plus entrer en contact avec ces yeux scrutateurs et analytiques.
Taehyung sentit son irritation s'évaporer lentement face aux yeux brillants d'une lueur contrite de son vis-à-vis.
« Ton poignet, Kim, je ne le répéterai pas trois fois », ordonna-t-il d'un ton légèrement plus ferme, anxieux à mesure que les secondes s'égrainaient.
Taehyung le regarda, la mine à la fois courroucée et confuse.
« Qu'on en finisse », soupira-t-il en lui tendant sa main après avoir décroisé les bras.
Jungkook dissimula sa surprise devant la reddition du cadet. Il s'était attendu à plus de verve, à une résistance plus vive.
« Seule ma clé peut le détacher, donc n'essaie pas, c'est inutile et tu te blesseras, dit-il d'une voix neutre.
— Fantastique, je vais adorer ça, grogna sarcastiquement Taehyung, les dents serrées.
— Et je suivrais tes déplacements en temps réel sur mon ordinateur, l'ignora-t-il.
— Vous pourrez admirer ma vie palpitante en direct, cool », pesta Taehyung, à la fois ahuri et non surpris par les précautions que prenait l'assassin.
Le contraire l'aurait étonné.
« Je suis obligé », murmura Jungkook en attachant le fin bracelet métallique autour du poignet du plus jeune.
Ses propos sonnaient comme un « désolé ».
Taehyung laissa échapper un rire amer, un éclat de cynisme teinté de dépit. Retirant sa main, il fixa avec aversion ce qu'il voyait comme une nouvelle chaîne à son joug, avant de se renfrogner, un voile de tristesse passant sur son visage.
Sale maniaque de contrôle.
« Vous vous rendez compte que vous allez me traquer ? Vous avez pas besoin d'aller aussi loin, on a un deal, c'est pas comme si j'allais prendre le premier avion et me terrer sur une île pour jouer à cache-cache avec mon kidnappeur », grinça-t-il.
Jungkook tiqua, suspendant ses gestes pendant une infime seconde. Le dernier mot résonnait en boucle dans son esprit.
« C'est par simple précaution, se contenta-t-il de répondre après quelques secondes de silence.
— Je croyais avoir un peu de votre confiance ?
— Tu ne le porteras pas pendant dix mois. »
Taehyung remarqua que le Jeon, en quête d'apaisement, ne cessait de se justifier, comme pour se convaincre d'une vérité incertaine. Il le fixa un court instant. Lorsque Jungkook osa enfin plonger dans ses yeux, le jeune Kim y perçut une lueur éphémère, un léger malaise. Il comprit que le blond portait le fardeau de restreindre une liberté déjà vacillante.
Il est celui qui m'astreint et il ose me regarder comme ça ?
Taehyung poussa un bref rire sarcastique, surprenant Jungkook.
« Non, mais votre culot dépasse l'entendement. À moins que vous me détachiez et que vous m'oubliiez, vous avez pas le droit de me regarder comme ça. Il est trop tard pour les regrets », cracha Taehyung avant de se relever et de se diriger, d'un pas vif et irrité, vers la sortie du penthouse.
Jungkook garda une expression stoïque, bien que stupéfait de constater à nouveau que son otage avait une fois de plus percé les secrets dissimulés derrière son masque avec une habileté éblouissante.
La mâchoire crispée, il jeta un dernier regard à l'heure avant de se lever d'un bond pour rejoindre Taehyung devant les portes de l'ascenseur. Dans un mouvement fluide, il dépassa son cadet tel un éclair, laissant Taehyung surpris par sa grâce évanescente.
Jungkook avait simplement une idée en tête. Il attendait le moment parfait avec la ferme intention d'appeler l'ascenseur de manière distraite, comme si de rien n'était. Cependant, son geste n'était qu'une distraction habile pour accomplir sa véritable intention.
Le billet, froissé et caché dans la paume de sa main, attendait son heure.
Avec une dextérité silencieuse, il glissa le précieux bout de papier dans la poche externe du manteau de Taehyung.
Imbécile. Je suis un imbécile.
« J'avoue. But that's cute. »
Jungkook se retint de lever les yeux au ciel.
Dardant un regard suspect sur son aîné agissant étrangement qui se contentait de le scruter d'un regard imperturbable, Taehyung se revêtit chaudement avant de se planter devant le blond.
Soudain, ses prunelles furent captivées par un scintillement miroitant le soleil sur sa rétine. Son visage pivota aussitôt vers sa droite. Il fut surpris de voir une étincelante fontaine d'eau en acier inoxydable.
Un brin amusé, Jungkook l'observait de ses yeux curieux, tandis que Taehyung, étonné, remarqua un couchage noir et douillet, posé à même le sol près de la fontaine silencieuse.
Qu'est-ce que... ? Comment j'ai fait pour pas remarquer tout ça ?
Ses sourcils se froncèrent lorsqu'il avisa quelques jouets juchés sur le marbre noir, tels des trésors oubliés. Trop absorbé par ces découvertes, il ne se rendit pas compte que son visage trahissait son étonnement, son âme baignée d'une émotion à la fois agréable et confuse.
Puis, comme si l'univers cherchait à lui murmurer la réponse, il perçut le tintement des griffes sur le marbre, suivi d'un grincement prolongé qui le fit légèrement grimacer. On aurait dit un animal lancé à toute vitesse, puis freinant brusquement dans un glissement de griffes. Il se retourna vivement, fixant le long couloir illuminé de néons dorés, dans l'attente d'une apparition.
Rien.
Hormis le même bruit qui, cette fois, s'éloignait.
Taehyung demeura bouche bée, tandis que Jungkook fixait d'un air légèrement rieur l'entrée couloir, sachant la réelle raison pour laquelle un tel va-et-vient avait eu lieu en un clin d'œil.
« C'est quoi ça ? s'enquit Taehyung en pivotant de nouveau vers Jungkook.
— Un démon surpris par ta présence, et qui se cache. »
Et je dis vrai.
« OK. Et la vraie version ? demanda-t-il, blasé.
— Il semble que tu oublies que tu as pénétré un antre méphistophélique, Kim », railla-t-il.
Taehyung se pinça l'arête du nez, avant de soupirer.
« Je suis plus d'humeur, grogna-t-il.
— Dommage. »
Taehyung soupçonnait la présence d'un chat. D'un chien. Ou peut-être un chiot, nouvellement arrivé, aux pattes tapageuses et aux yeux curieux. Un éclair fugace de compréhension passa devant ses yeux, se souvenant du Velux entrouvert au cas où l'animal souhaitait sortir prendre un bol d'air frais.
Sans pouvoir se contrôler, son regard vagabonda à nouveau, mû par la seule curiosité, explorant le vaste appartement à la recherche d'une boule de poils telle une étoile fugace d'innocence, espérant la voir avant de passer les portes de l'ascenseur.
Dans ce silence cocasse, Jungkook demeura attentif aux expressions du jeune Kim, les bras croisés sur sa poitrine. Puis, dans un sursaut de conscience, Taehyung retrouva son aplomb et plongea son regard dans celui de Jungkook, qui l'observait déjà de son visage imperturbable et aux yeux pétillants de malice.
Une étincelle d'interrogation scintillait dans ses grands yeux noirs, faisant tressauter le coin des lèvres du blond qui lisait en lui comme un livre ouvert. Le plus jeune toussota doucement, puis détourna brièvement le regard.
« Ça doit lui faire bizarre de t'imaginer en train de t'occuper de ton truc à poils vivant. »
Jungkook clôt brièvement les paupières, retenant de justesse un léger esclaffement.
« Demain, huit heures. Pas une seconde de plus. Sonne sur "Jeon" et je descendrai te chercher dans le hall », expliqua-t-il d'un ton péremptoire, bien que ses yeux pétillaient toujours d'un amusement sobre.
Taehyung cligna des yeux.
« Pourquoi descendre ? marmonna-t-il.
— Il y a un code pour monter jusqu'ici. »
Taehyung se souvint du boîtier numérique.
« Donnez-le-moi, c'est plus simple, le nargua-t-il sans grand entrain.
— Pour que tu viennes me tuer dans mon sommeil ? », rétorqua-t-il.
Il s'écarta pour laisser le passage à son invité, la cabine s'étant ouverte sous un doux tintement.
Levant les yeux au ciel en marmonnant un « c'est l'hôpital qui se fout de la charité » sous le regard mi-blasé, mi-amusé de son hôte, le plus jeune entra dans la cage et se retourna, dardant sur Jungkook un regard hésitant.
Il fut surpris de voir que les yeux du blond reflétaient parfaitement les siens.
Comme s'ils cherchaient, d'une seule voix, à libérer le poids de leurs âmes et alléger la lourdeur de leurs cœurs. Leurs bouches restèrent cependant scellées, hésitantes.
Lentement, Jungkook pénétra dans l'ascenseur et appuya sur le bouton « HALL » à la place de Taehyung.
« Je compte sur ta ponctualité. »
Il se retourna promptement et rentra chez lui, coupant le contact avec les deux gouffres dans lequel il s'était fait aspirer, une énième fois.
Les lèvres pincées, Taehyung le regarda s'éloigner, juste avant d'entendre le même son de griffes s'entrechoquant avec le marbre. Il écarquilla les yeux, s'approchant d'un pas des portes qui coulissaient déjà, curieux. Il eut à peine le temps de voir le blond sourire doucement et de s'accroupir.
Puis les portes se fermèrent définitivement, leur écho métallique étouffant à peine la voix de Jungkook, plus douce que jamais :
« Il va falloir que tu sois plus courageux, champion, il n'est pas méchant. »
Tourmenté par les tumultes de la matinée, Taehyung fut pourtant agréablement surpris par cette dernière vision, malgré sa déception de n'avoir pu apercevoir l'animal. Lentement, il s'adossa contre un des miroirs de la vaste cabine, laissant son esprit vagabonder parmi ce qu'il venait de vivre dans cet appartement.
Il remonta légèrement la manche de son manteau et fixa le bracelet rigide et métallique qui ornait son poignet. Trop d'événements s'étaient entremêlés, un kaléidoscope d'émotions et d'intrigues remuaient encore dans son esprit prêt à éclater.
Pourtant, parmi cet océan furieux de pensées, seuls deux éclats brillaient : le visage du Jeon, porteur d'innombrables messages, et ses perles noires aux lueurs plurielles, gardiennes de secrets multiples.
Un visage sculpté de traits durs et de lignes tranchantes, adouci subtilement par des émotions qui effleurent sa froideur de marbre.
Et des yeux si antipodaux qui lui murmuraient tout le contraire de ce que son visage lui montrait.
Sans parler de son changement si soudain et bizarre que j'en ai encore des sueurs froides.
Comment on peut passer de chiant à super chiant ? Jusqu'à changer sa façon de parler ?
« Argh ! », s'exclama-t-il, se fourrageant vivement ses cheveux.
Il invectiva le Jeon d'être aussi complexe en ne lui facilitant pas la tâche pour le haïr comme tout otage devait logiquement le faire envers son ravisseur – bien qu'il ne le portât pas dans son cœur.
Beurk, jamais.
Dans dix mois, c'est fini, de toute façon, je verrais plus sa gueule.
Soudain, Taehyung remarqua un léger détail sur la tablette aux séries de chiffres. Le bouton « 16 » était là, tout à fait présent, mais il avait une étrange différence, comme s'il avait été remplacé. Il approcha son doigt, hésitant, et effleura ce chiffre et ce fut lorsqu'il appuya sur le bouton qu'il constatât qu'il était impossible de l'enfoncer.
Comme si l'accès en avait été interdit depuis l'ascenseur.
Les portes s'ouvrirent dans le silence du riche corridor. Taehyung s'inclina devant un couple et leurs deux enfants qui lui rendirent sa politesse, puis sortit de la cabine, ses pas étouffés par le tapis, les yeux rivés sur ce curieux numéro « 16 » jusqu'à ne plus le voir.
Un étage en dessous de celui du Jeon. Et Taehyung était sûr qu'il y avait un lien, puisque, pour monter chez lui, il fallait un putain de code.
Au sortir de l'édifice, il s'élança vers le métro, son chemin gravé dans l'intime cartographie de ses pensées. Il sentait plus qu'il ne voyait la présence des deux mercenaires. Le souffle frais de l'automne le mordit sans prévenir, forçant son cou à s'abriter entre ses épaules et son écharpe chaude, tandis que ses mains se perdaient dans les poches douillettes de son manteau beige.
Perplexe, il sentit contre ses doigts une présence indésirable et, attrapant ce qui semblait être un bout de papier, il le sortit.
Avant de s'immobiliser.
Mais qu'est-ce que... ?
Le visage froissé par l'incompréhension, son esprit tourbillonna de questions face à cette soudaine apparition dans sa poche.
Son esprit frémit d'instinct, y répondant immédiatement lorsqu'il revit le blond agissant curieusement en appelant l'ascenseur pour lui après avoir littéralement bondi à sa suite, tel un fauve.
Le con, il avait dû le glisser à ce moment-là.
Son cœur fut loin de l'orage de la fureur qui aurait dû s'emparer de lui à la vue du billet de cinq mille wons. Il sourit, étonnamment touché. Il nageait dans une quiétude notable, comme une étendue d'eau douce ondoyant sous un zéphyr d'été.
Ses yeux s'attardèrent sur ce billet mauve froissé, évoquant le visage dur du blond au charme sombre et envoûtant, les prunelles changeantes comme les multiples facettes d'un joyau précieux, et son comportement si énigmatique que le Jeon lui-même semblait incapable de le percer.
Ce sale bâtard, il peut pas agir comme un connard qui se respecte ?
Il était là, debout au cœur de la rue bourdonnante. Une silhouette immobile et solitaire dans la marée humaine. Comme des poissons curieux dans un océan de routine, les passants s'écartaient de lui, leurs regards aimantés par son immobilité. Mais il demeurait au milieu du tumulte urbain, esquissant un petit sourire à la fois troublé et touché.
Doux comme une brise printanière.
Triste comme le chant solitaire d'un oiseau à l'aube.
Il était perdu, si perdu dans les méandres de l'incompréhension.
« 𝑄𝑢𝑖 𝑒̂𝑡𝑒𝑠-𝑣𝑜𝑢𝑠 𝑣𝑟𝑎𝑖𝑚𝑒𝑛𝑡, 𝐽𝑒𝑜𝑛 𝐽𝑢𝑛𝑔𝑘𝑜𝑜𝑘 ? »
𝐴̀ 𝑠𝑢𝑖𝑣𝑟𝑒...
* Fónos (grec) : meurtre.
À partir de maintenant, vous devriez avoir des théories un peu plus solides, j'ai hâte de le savoir hihihihi 🌝
Alors, ce chap ? Ton ressenti à chaud ? 🫣
Les 6 et 7 devraient arriver plus rapidement, je n'ai pas eu de changements conséquents à faire.
À très vite ~ !
𝑾𝒊𝒕𝒉 𝑳𝒐𝒗𝒆, 𝑫𝒂𝒓𝒌 𝑬𝒚𝒆𝒍𝒆𝒕 🖤
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