𝐏𝐚𝐫𝐭𝐢𝐞 𝟐

C'était une femme d'une splendeur remarquable, vêtue avec élégance. Sa chevelure brune, fluide comme une cascade d'ombres soyeuses, encadrait un visage aux contours parfaits. Ses yeux, profonds comme des abysses mystérieux, semblaient contenir l'univers entier dans leur éclat envoûtant.

Elle portait une robe raffinée, une création de haute couture qui caressait chaque courbe de son corps. Le tissu chatoyant épousait sa silhouette partiellement dissimulée sous un manteau de fourrure blanc, tandis que les nuances de pourpre et d'or de sa robe semblaient danser au rythme de sa démarche gracieuse, alors qu'elle avançait vers eux dans la large cabine.

Taehyung était loin d'être insensible face à autant de magnétisme, ébloui par ce tableau vivant de grâce et de charisme. Il ne pouvait que se perdre dans la délicatesse de cet être dont la présence était comme une poésie en mouvement.

Presque ensorcelé par le parfum qu'elle dégageait et le cœur battant la chamade, son souffle se coupa lorsqu'il la vit lever ses grands yeux savamment maquillés en direction de Jungkook.

Il les contempla se fixer intensément, une lueur de malice dans leurs regards respectifs. Il les vit s'échanger un sourire complice, la belle brune offrant alors un rictus étincelant et harmonieux.

« Je me disais bien que je ne te voyais pas, chez toi. J'ai nourri le monstre, au fait », claironna-t-elle avec un sourire.

Elle sortit élégamment de la cage, ses escarpins blancs résonnant sur le plancher de la cabine avant de s'estomper sur le tapis bleu roi.

Bien qu'elle fût perchée sur ses talons, elle était contrainte de s'élever sur la pointe des pieds pour susurrer des mots à l'oreille de Jungkook. Ce dernier ne daigna guère s'abaisser, son visage s'animant d'une lueur malicieuse suite aux paroles légèrement suggestives chuchotées.

« Oui, reviens ce soir », murmura-t-il tout en la fixant intensément.

Il éleva sa main gantée pour caresser tendrement son visage, faisant s'effleurer leurs lèvres sans toutefois sceller un baiser.

Intimidée mais charmée, elle rit doucement, enchantant leurs oreilles, tandis que Jungkook la libérait avec un air mutin, s'engageant ensuite dans l'ascenseur. Gênée, elle se tourna vers Taehyung, lui offrant un sourire timide puis s'inclina poliment. Taehyung lui rendit vivement sa politesse avant de baisser les yeux, mort d'embarras et le cœur sur le point de sortir de sa cage thoracique, pour ne pas la lorgner de manière irrespectueuse alors qu'elle se dirigeait vers le hall.

Retenant les portes de l'ascenseur avec sa main, Jungkook la suivit du regard en appréciant sa démarche rapide, naturellement féline et chaloupée par ses escarpins, s'attardant davantage sur ses mollets dénudés et délicieusement galbés.

Il regarda ensuite Taehyung qui fixait le sol, les joues teintées de rouge, l'expression renfrognée et triturant le pan de son châle blanc. Ce dernier n'avait pas manqué une miette de leur échange complice, ayant saisi la nature de leur relation.

Le voyant ainsi, Jungkook lâcha un souffle rieur, faisant aussitôt relever des yeux noirs vers lui, Taehyung constatant qu'il l'attendait en retenant les portes.

Maîtrisant son envie de répliquer avec des mots tranchants et ignorant les commissures de ses lèvres tremblantes sous l'émotion, Taehyung se contenta de pénétrer dans la cabine en se mordant la joue, évitant soigneusement de croiser le regard narquois que le blond lui lançait.

Manque de chance, les parois de la cabine étaient des miroirs. Il ne put cacher son expression embarrassée et troublée. D'autant plus qu'il sentait le parfum de la jeune femme se déployer en ondes envoûtantes dans la cabine, l'ensorcelant davantage.

Jungkook ne le lâchait plus de son regard perçant à travers la glace.

« Quoi ? aboya brusquement Taehyung, les joues empourprées par l'embarras de la situation précédente et du regard scrutateur du plus âgé.

— Du calme. »

Il détourna le regard afin d'appuyer sur le bouton « 17 » et d'entrer rapidement un code dans le boîtier digital, fixé à droite de la liste des chiffres menant aux différents étages.

Taehyung arqua un sourcil face à ce curieux manège, oubliant presque son embarras. En prenant une profonde inspiration, il détourna le regard des chiffres pour le poser sur Jungkook qui le fixait déjà.

« Vous habitez vraiment ici ? s'enquit-il, pour briser le silence et par réelle curiosité.

— En quoi est-ce surprenant ?

— Ça gagne tant que ça, un tueur... éluda Taehyung, son visage s'assombrissant légèrement.

— Chasseur de primes, corrigea-t-il, las.

— C'est pareil, grommela-t-il.

— Loin de là.

— Vous allez me dire qu'il y a une différence entre tuer et tuer ? méprisa-t-il.

— Je ne tue personne.

— Vous vous foutez de ma gueule ? Monsieur Choi, ça vous dit un truc ? s'offusqua-t-il, les yeux écarquillés et les sourcils froncés.

— Vaguement, soupira-t-il.

— Vous l'avez tué sous mes yeux !

— Ce n'était pas de mon fait. »

Et il était si sincère que Taehyung fut un instant dérouté.

...Il se fout de moi ?

« Ça vous fait rire ? Vous plaisantez sur la mort comme s'il s'agissait d'un sujet normal, s'insurgea-t-il, révolté.

— Pourtant, la mort est normale. Tu es juste terrifié pour l'admettre. »

Taehyung ne put retenir une expression scandalisée face à son ton léger, à l'entendre lui mentir éhontément sur le meurtre de son feu voisin.

Pour une raison obscure, Jungkook fut frustré à la vue du frisson de dégoût qui parcourut le corps de l'autre, en réaction à son ton désinvolte. Lorsqu'il se fit la réflexion que ce Kim était d'une certaine manière innocente, cette constatation le contraria.

Parce qu'il était celui qui s'apprêtait à éroder cette précieuse innocence, cette pureté qui jaillissait si mystérieusement de ce Kim. Celui qui l'entraînerait inexorablement vers son monde jalonné de noirceur.

Au doux tintement qui retentit lorsque les portes métalliques s'ouvrirent lentement, aucun des deux hommes ne fit le moindre geste. Ils restèrent happés par le regard de l'autre, plongeant chacun dans les abîmes de leurs pensées intérieures.

Taehyung fut le premier à s'arracher de l'échange, baissant la tête en fronçant les sourcils, enveloppé dans une confusion grandissante. Il était passé d'une répulsion manifeste à une curiosité à peine voilée lorsqu'il avait vu les yeux du Jeon s'éteindre lentement, comme s'il contemplait une tragédie se déployer sous ses yeux alors qu'il le regardait fixement.

Jungkook soupira discrètement et leva le menton en direction de la sortie.

« Après toi.

— C'est bizarre, j'entends plutôt "Bienvenue chez le diable". C'est certainement plus approprié, mâchonna Taehyung en glissant ses mains dans les poches de son manteau.

— Tu es son porte-parole officiel ? railla Jungkook.

— Ouais, je fais office de guide touristique, grommela-t-il en levant les yeux au ciel. Bon, vous me faites une visite guidée ? J'ai pas envie de me perdre dans les ténèbres.

— Tu as raison, des mystères traînent dans les coins sombres de ma demeure, s'amusa-t-il, le ton léger.

— Rassurant, ça. »

Jungkook secoua légèrement la tête sans dire un mot, son regard pétillant trahissant son amusement.

Lorsque Taehyung se détacha de la paroi de l'ascenseur, il se figea. Il fut instantanément captivé par le raffinement du salon où il avait atterri, alors qu'il n'avait même pas tout à fait quitté la cage d'acier. Il s'attendait à découvrir un couloir, mais se retrouver directement dans un appartement était inattendu.

Dans un émerveillement éperdu et sous le regard pénétrant de Jungkook, Taehyung fit quelques pas hésitants, ses yeux grands ouverts et brillants errant à travers l'espace en cherchant où se poser, tout en contemplant l'architecture magnifique du repaire de son hôte.

Le salon se parait d'une élégance sombre, jouant avec art sur une palette de nuances mêlant le noir, le gris, le bleu et le blanc pour révéler la lumière. Le sol était entièrement revêtu de marbre noir aux stries doré, les couleurs s'alliant harmonieusement en rendant l'endroit accueillant et élégant. L'ensemble baignait dans la clarté d'un immense Velux entrouvert qui habillait un pan entier du mur, offrant une vue sur la ville et baignant la pièce de la douce lueur du soleil matinal.

Un penthouse. Ce mec vit dans un putain de penthouse.

Face à un tel décor paradoxal, Taehyung avait l'étrange impression de pénétrer l'essence même de Jungkook. Comme si l'appartement avait volontairement été drapé dans l'obscurité, tandis qu'une lueur éblouissante persistait à l'illuminer.

Et Jungkook évoquait précisément cette impression de clair-obscur.

« Entre sans crainte, aucune bouche aux crocs acérés ne te guette, l'invita Jungkook, le ton moqueur. Pour l'instant. »

Et je ne fabule même pas.

« Vous vous croyez drôle ? dit-il d'une voix grinçante.

— Je crois surtout que tu es terrifié, le nargua-t-il.

— Vous avez un souci de vue », visiblement.

Le sourire en coin de Jungkook fit naître une fossette sur sa pommette.

« Ma vue se porte très bien. »

Tes clignements d'yeux fréquents, tes mouvements de lèvres inhabituels ou ta posture rigide ne tromperont jamais un œil avisé.

« Grand bien vous fasse.

— Déchausse-toi. Ne salis pas mon marbre. »

Taehyung émit un petit rire narquois.

« Ça, c'est ce qu'on appelle une "phrase de maman riche" », se moqua-t-il, pendant que Jungkook se retenait de pouffer en se pinçant les lèvres.

Sous le regard curieux de Taehyung, il se déchaussa et se débarrassa de son manteau, les rangeant de manière ordonnée. Il évolua jusqu'au séjour pour poser ses courriers et ses clés de voiture sur une table basse en verre teinté noir, sur laquelle gisait un ordinateur portable haut de gamme ouvert sur un écran en veille.

Autour, nombre de feuilles de papier, de dossiers et de livres s'étalaient proprement. Taehyung se fit la remarque que tout était parfaitement entreposé. Trônaient également un grand verre à pied et un verre neat vides.

Tout était rangé au millimètre carré.

Devant l'immobilité de Taehyung qui s'était timidement déchaussé, Jungkook perçut de nouveau la lueur d'incertitude dans son regard. L'assurance qui l'habitait s'était évaporée.

Une faible lueur d'amusement luit dans les prunelles du blond.

Un paradoxe ambulant, ce petit.

« Accroche ton manteau à côté du mien et entre. »

Taehyung cligna des yeux et avisa le portemanteau près des imposantes portes d'acier fermées, puis obtempéra. Lorsqu'il entra dans le séjour, il fut enveloppé par la douce chaleur qui émanait du sol, comprenant l'absence de chaussons.

Décidément, même si Taehyung avait grandi dans l'opulence au sein d'une famille aisée, un tel luxe digne des publicités qu'il ne voyait que sur son écran ou des magazines le prenait presque de court.

« Kim, prend place, tu veux ? soupira-t-il. Je dois diriger chacun de tes gestes ? Ton corps ne répond plus à tes propres commandes ? »

Taehyung claqua sa langue contre son palais, agacé d'être pris sur le fait. Avisant les larges divans de cuir blanc, il avança à reculons, envahi par une étrange timidité qu'il ne parvenait guère à s'expliquer.

Il s'installa timidement sur l'un des trois canapés. Des rougeurs enflammèrent soudainement ses joues, son odorat de nouveau titillé par les effluves du parfum de la femme croisée plus tôt. Jungkook remarqua ses épaules tendues, ses yeux voyageant çà et là, assis sans s'adosser.

Le ténébreux était de plus en plus mal à l'aise.

Sans un mot, Jungkook se dirigea vers la cuisine ouverte sur son salon. Après s'être soigneusement lavé les mains, il sortit une bouteille de jus de pomme – confectionné par ses soins – du réfrigérateur. Il prit également une bouteille d'eau sur le comptoir qu'il coinça sous son bras. Avec deux verres, il disposa le tout élégamment sur un plateau et revint au salon pour le déposer devant Taehyung.

« Si le cœur t'en dit. »

Le laissant se débrouiller, Jungkook se versa du jus avant de s'asseoir sur le canapé en face, un bras sur le dossier et les jambes écartées, buvant gracieusement sans lâcher le plus jeune des yeux.

Taehyung fronça les sourcils en fixant ce que lui présentait généreusement son hôte.

Non, mais choqué.

« Si j'accepte de boire ça, je suis inconscient. Y'a de la drogue, cette fois ? lança Taehyung, mêlant ironie et inquiétude.

— Oh, ce n'est que du poison, dit-il avec lassitude, en se retenant de rouler des yeux.

— Parfait, ça. Je serais vite débarrassé de votre compagnie », dit-il d'une voix neutre, les bras croisés.

Jungkook émit un clappement de langue presque agacé.

« Cesse tes fantaisies et sers-toi. Ne vois-tu pas que je bois la même chose ? »

L'attitude singulière du Jeon continuait de le surprendre, alors qu'il déployait une hospitalité qu'il ne lui imaginait pas.

« Vous êtes... », murmura-t-il, suspendant ses mots dans l'air.

Paradoxal.

Il plongea le blond dans une attente silencieuse, alors que la conclusion de sa phrase ne se matérialisa jamais. Taehyung secoua la tête et décroisa ses bras. Alors qu'il s'apprêtait à saisir le verre restant, une voix doucement grondante le prit de court.

« Aucune goutte ne doit souiller mon tapis. Compris ?

— Ah oui, donc vous êtes vraiment maniaque. Quelle surprise », ironisa-t-il.

Jungkook arqua élégamment un sourcil, fixant Taehyung d'un regard glacial et lourd de sous-entendus, créant une ambiance lourde, un silence pesant sans proférer un seul mot.

Un frisson parcourut l'échine de Taehyung, dressant le duvet sur ses bras. Il passa sa langue contre l'intérieur de sa joue, crispé et frustré, avant de se servir un filet de jus. Toujours avec cette timidité qui l'irritait.

Une timidité inhabituelle, l'oppressant dès la seconde où il avait franchi le seuil de l'intimité d'un tueur.

En une seule et timide gorgée, une exquise surprise chatouilla son palais, lui arrachant un étonnement inattendu. Ses prunelles légèrement écarquillées rencontrèrent celles de Jungkook, dont le regard perçant persistait, le bas de son visage dissimulé par son verre. Alangui dans sa posture, Jungkook semblait revêtir l'allure d'un prince dans son palais.

Taehyung fronça les sourcils et se racla la gorge, avant de s'abreuver de nouveau, appréciant la quintessence des pommes fraîchement cueillies. Le goût délicieusement équilibré mariait la douceur sucrée des pommes mûres avec une légère acidité piquante, dansant en harmonie sur son palais.

C'est quoi ce putain de jus délicieux ?

Porté par l'essence de cette expérience savoureuse, il leva les yeux vers son hôte, une lueur de demande muette dans le regard. Réprimant une remarque taquine, Jungkook indiqua la bouteille de jus d'un discret mouvement du menton, lui accordant silencieusement de se resservir.

Taehyung en fit presque déborder son verre. Il n'avait guère eu d'appétit avant de venir ici ; il n'écartait donc pas l'idée d'introduire une touche de sucre dans son organisme sous-alimenté, malgré son estomac noué d'incertitude face aux projets que son hôte lui réservait pour ce matin.

Silencieux, Jungkook se réjouit de voir son plaisir à déguster sa propre confection. Il reposa son verre vide sur le plateau, appuya ses coudes sur ses genoux et pencha la tête sur le côté dans l'intention subtile d'attirer l'attention de Taehyung.

« Quoi ? réagit aussitôt ce dernier après avoir avalé sa gorgée, la mine renfrognée.

— Tu me feras le plaisir de poser ton verre sur le plateau plutôt que sur la table », exigea Jungkook, intérieurement satisfait de le voir reprendre du poil de la bête.

Taehyung leva les yeux au ciel.

Non, mais à quel point il est obsédé par la propreté ?

Il se contenta de terminer le fond de son verre avant d'obéir, le regard blasé rivé sur celui du plus âgé.

Puis, leurs voix se chevauchèrent.

« Tu as des quest...

— Est-ce que je serais obligé de... », balbutia Taehyung d'une petite voix anxieuse.

Il ne parvint pas à terminer sa phrase.

« De ? »

Taehyung déglutit difficilement, mimant un geste non équivoque de la mise à mort. Jungkook fronça les sourcils, pris de court par cette question inattendue dès le départ.

« Bien sûr que non », grogna-t-il immédiatement d'un ton évident.

Le plus jeune expira un long souffle, semblant se défaire comme une feuille emportée par le vent d'automne.

« Je prévois de t'initier aux armes à feu et au combat, et peut-être même aux armes blanches, selon tes progrès et tes préférences. »

Taehyung se tendit de nouveau, dardant sur lui un regard hébété.

« Des armes à feu ? Mais vous venez de dire que je...

— Pour te défendre si nécessaire, le coupa-t-il. Je t'enseignerai à cibler des points vitaux sans causer de mort. Le reste, c'est de mon ressort. »

Le ténébreux hocha faiblement la tête, à la fois soulagé et anxieux.

« Et comment ça, si nécessaire ? répéta-t-il, la boule au ventre.

— En cas d'imprévu ou en mon absence pendant une mission. Mais je te protégerai de toute exposition, tu ne seras jamais en première ligne ni la cible de qui que ce soit. Mon but n'est pas de te nuire. »

À ces derniers mots, Taehyung ricana doucement, amer, et le cœur prêt à éclater, tandis que Jungkook mordillait discrètement l'intérieur de sa lèvre, se réprouvant.

Vous m'avez nui au-delà de ce que vous pouvez imaginer.

« Ça sera quoi mon rôle, alors ? s'enquit Taehyung, après un soupir irrité.

— Tout dépendra de la mission du jour. Je t'en informerai en temps voulu. Néanmoins, je suis conscient que tu es d'une nature bienveillante, mais pour ta propre sécurité, tu devras t'endurcir. »

Un mot.

Un seul mot a suffi.

Et leurs regards se mirent à converser avec une éloquence muette.

Celui de Taehyung était brillant de malaise, tandis que celui du blond était assombri par un lourd blâme. Chacun se replongeait avec une précision presque troublante dans les paroles étranges de Seokjin :

« Tu t'endurciras avec lui ».

Sortant de ses sombres réminiscences, Jungkook fut conscient de l'état proche de la panique du plus jeune.

« Je ne te confierai rien qui pourrait t'accabler ou te contraindre à renier tes principes, ajouta-t-il. Mais ton assistance sera précieuse pour moi qui suis habitué à œuvrer seul depuis longtemps. »

Silencieux et le cœur résolu à demeurer vif, Taehyung acquiesça, tendu.

« Tu sais te battre et te défendre ? »

Taehyung s'éclaircit la voix, s'emplissant d'une profonde inspiration pour calmer l'agitation de son âme.

« Oui, j'ai de bons réflexes, je le dois à Yoongi. Mais il m'a appris que les bases. »

Les cils de Jungkook papillonnèrent, réfrénant sa surprise.

« Il voulait aussi m'apprendre à me servir d'une arme », ajouta Taehyung, avec un léger sourire, triste et nostalgique.

Cette fois, Jungkook haussa les sourcils, pris d'un étonnement qu'il ne put contenir.

« Pourquoi ?

— Parce qu'il y avait des jours où... »

Des putains de nuits.

Il raffermit à nouveau sa voix, luttant pour chasser le nœud qui lui étreignait la gorge.

« ... Où j'avais eu besoin de me protéger ou juste... intimider et me sauver d'une situation un peu... voilà, bref, c'est pas important, marmonna-t-il en faisant un geste désinvolte de la main, avant de se triturer nerveusement les doigts.

— Et pourquoi cette nécessité n'a pas été faite ? s'enquit-il, les sourcils froncés, ses yeux fixant les mains du plus jeune. Où était Yoongi ?

— J'avais plus trop la tête à ça, et Yoongi est assez occupé, de toute façon », souffla-t-il, la gorge nouée.

Acquiesçant doucement, Jungkook s'abandonna aux visions tissées par son esprit : Yoongi, le maître des armes, transmettant à Taehyung l'art du tir. Un triste sourire ténu ourla ses lèvres.

« Je vois. C'est regrettable », commenta Jungkook.

Pourtant, le mystère de l'impérieuse nécessité de Kim à se protéger attisait sa curiosité. Pourquoi Yoongi en était-il venu jusqu'à lui proposer d'apprendre à manier une arme, alors qu'il l'avait déjà initié au self-défense ?

Quand l'autodéfense ne suffisait-elle plus ? Contre qui avait-il voulu se protéger ?

Jungkook sentit sa résolution se raffermir, comme une flamme inattendue et ardente, embrasant son cœur d'une ferveur insoupçonnée.

Peu importe. Je t'apprendrai et tu sauras te protéger. Même contre moi.

« Pourquoi regrettable ? répéta Taehyung.

— Ça m'aurait épargné une perte de temps », soupira-t-il, feignant la lassitude.

Taehyung ricana, ahuri.

« Non, mais y'a pas à dire des conneries pareilles ? Alors que c'est de votre faute si je suis là ? s'indigna-t-il. Ah, mais non, j'oubliais que votre temps est si précieux. Je suis sûr que le monde entier s'arrête dès que vous soufflez un peu trop fort, siffla-t-il, le regard noir.

— Penses-tu pouvoir te mettre à l'entraînement rapidement ? renchérit le blond, passant outre sa remarque précédente avec un léger esclaffement, amusé.

— C'est quoi cette question ? Vous me posez une colle, là », ironisa-t-il, sa jambe commençant à tressauter nerveusement.

Jungkook darda sur lui un regard neutre, se faisant violence de ne pas montrer la légère compassion qui lui nouait le ventre.

Pur comme tu sembles l'être, tu ne seras jamais prêt, c'est un fait incontestable.

Il se leva de sa place et contourna la table basse. Le pas lent et les yeux verrouillés dans ceux suspicieux de Taehyung, il s'approcha tout en extrayant lentement son arme de son étui à l'arrière de sa ceinture, sans prendre des mesures nécessaires pour le rassurer.

Et puis quoi encore.

Lorsqu'elle apparut devant ses yeux, le plus jeune hoqueta sans pouvoir contrôler sa réaction.

« Hé ! Vous faites quoi, là ? paniqua-t-il en reculant légèrement sur son séant, prêt à se lever.

— Je t'ai connu plus intrépide, railla Jungkook sans cesser son avancée.

— Gardez vos jugements pour vous, siffla-t-il, sans lâcher le revolver des yeux, le buste penché vers l'arrière.

— Du calme, je veux juste te montrer la théor...

— Mais je suis calme ! coassa aussitôt Taehyung en le coupant, son débit de parole rapide.

— C'est très flagrant, oui, ironisa Jungkook en s'immobilisant, ce qui lui valut un regard sombre de la part du plus jeune. Je vais simplement m'asseoir à côté de toi, pas t'arracher les membres. »

Il dirigea le canon vers le sol, sans pour autant esquisser le moindre pas supplémentaire, demeurant à cinq pas de son invité.

Une lueur troublée et inquiète traversa les yeux de Taehyung. Pourtant, il ne pipa mot ni ne bougea, hormis pour hocher faiblement la tête. Avec une nonchalance élégante, Jungkook avança et prit place, laissant entre eux un espace où seul un chat aurait pu se lover en boule.

Taehyung se tendit, son torse s'inclinant instinctivement à gauche, son regard farouche et scrutateur fixé sur le blond.

Putain, il peut pas s'asseoir plus loin ?

Il sentait son cœur battre frénétiquement, troublé par la proximité de son hôte armé, mais conservait une curiosité quant à ce qu'il s'apprêtait à lui montrer. Néanmoins, il s'éloigna des quelques maigres centimètres, s'éclaircissant la voix. Ignorant superbement le rictus amusé de son aîné, il enserra ses genoux de ses mains crispées, le dos droit et les yeux plissés braqués sur l'arme.

Il était incapable de discerner la nature de l'émotion dominante qui bataillait en lui.

« Détends-toi, bon sang, soupira Jungkook.

— Vous foutez pas de moi, vous tenez une a...

— Et alors ? l'interrompit-il. Je t'ai mentionné que j'allais te montrer la théorie.

— Et alors je vous fais pas confiance ! Vous vous en êtes déjà servi sous mes yeux ! », s'écria-t-il.

Un subtil sourire se dessina sur les lèvres de Jungkook tandis que le cadet lançait un regard assassin à son revolver.

« J'entends, mais pourquoi cet air méprisant envers cette pauvre arme qui ne t'a rien fait ? », le provoqua-t-il.

Taehyung hoqueta, à présent irrité.

« Arrêtez de vous payer ma tête, putain ! s'offusqua-t-il, le fusillant du regard.

— Ça suffit, le somma Jungkook. Sois attentif. »

Éberlué, Taehyung laissa échapper un rire nerveux, à un souffle de se lever pour l'assaillir de coups. Mais le cœur tambourinant à toute allure, il se tut, bien que hautement agacé.

Un feu le brûlait, furieux contre l'audace de ce blond qui prenait plaisir à le provoquer pour se délecter de ses réactions.

Connard.

Son regard se posa une fois de plus sur l'arme reposant sur les genoux du Jeon, et il se remémora la sensation du métal dur et froid contre sa tempe derrière le club, et le fracas assourdissant de la balle ayant frôlé son oreille, dans le temple.

Il s'en est servi il y a à peine quelques heures, putain.

Il se remémora également du pistolet noir de son frère. Pistolet qu'il avait osé pointer vers lui, évoquant le frisson glacé de cette nuit où la folie avait fauché ce qui lui restait d'innocence.

Il se remémora la détonation du coup de feu vers le ciel du blond le protégeant.

Puis, inlassablement, il se remémora le sinistre écho de ce même blond qui avait envoyé le corps de son voisin s'effondrer, puis s'éteindre à jamais.

Des armes, des armes, encore des armes.

Toujours des armes.

Il leva des yeux à la lueur complexe vers son hôte qui serra les dents, semblant lire dans ces prunelles troublées. Jungkook ouvrit la bouche sur un silence avant de la refermer aussitôt, se retenant de justesse de prononcer des mots qu'il jugeait malvenus.

Mais c'était là, sur le bout de sa langue.

Je regrette de t'avoir entraîné dans mon monde avec une telle brutalité.

Il retint un soupir, de douloureux remords compressant sa poitrine.

Le muscle de sa mâchoire tressauta, tandis qu'il inspirait profondément, chassant ces pensées éprouvantes.

« Vous êtes parti où ? », l'appela Taehyung, étonné de le voir aussi silencieux et les yeux dans le vague.

Jungkook battit des paupières, renouant ainsi avec le monde qui l'entourait.

« Prêt ? », souffla-t-il d'une voix blanche.

Taehyung le fixa avec suspicion, décidant de mettre de côté le comportement étrange du plus âgé. Voyant qu'il ne comptait pas lui laisser le choix de reculer, Taehyung refréna un frisson d'appréhension. Il déglutit péniblement en se grattant nerveusement l'arrière du crâne d'une main hésitante.

Depuis toujours, une curiosité insatiable et une audace innée le guidaient vers les frissons de l'inconnu. L'envie d'apprendre à tirer l'avait toujours attiré. L'adrénaline pulsait de plus en plus dans ses veines, le poussant à acquiescer, sa nuque semblant rigide.

Son regard s'aimanta de nouveau au revolver argenté à la manche en bois brillant et poli.

Jungkook n'avait cessé de s'arracher la peau interne de sa bouche, luttant contre les injonctions contradictoires de sa conscience : arrêter, continuer, s'adoucir, changer d'approche.

Il ne put réfréner l'influence de sa conscience. Les voix se chevauchaient.

Il ne s'entendait plus penser par lui-même.

Mais c'était sans compter sur le fait qu'il était doté d'individualités bien distinctes.

Des compagnons qui...

Soudain, une voix douce se démarqua, résonnant distinctement parmi les autres.

« Souviens-toi de la première fois où on a dû tenir une arme. »

Jungkook frissonna.

« Stop », grogna-t-il, les yeux fixés dans le vide.

Son souffle eut un léger accroc, accentuant l'attention de Taehyung sur lui, dont le visage montrait un mélange de confusion et de perplexité, la bouche entrouverte et les sourcils froncés, cherchant à comprendre cette soudaine complainte.

« Mais j'ai...

— Remettons ça à demain, restons-en aux questions si tu préfères, suggéra-t-il, se reprochant sa propre faiblesse face aux murmures de son esprit.

À ces voix.

À ces fractures invisibles.

« Non, non, c'est bon, lui enjoignit Taehyung, clignant des yeux par la confusion grandissante. Mais vous qu'est-ce que vous avez, tout à coup ? »

Il était troublé par le simple fait que le Jeon lui paraît soudainement réticent, lui proposant un report. Il avait vu sa mâchoire se contracter par intermittence, ses yeux s'affoler dans le vide. Puis son « stop » presque désespéré. Que devait-il se passer dans son esprit ?

Taehyung ne sut comment le déchiffrer.

« Elle appartenait à mon feu père. Il était général dans une unité d'élite, plus jeune, avant de choisir d'être commissaire de police après son mariage », commença Jungkook d'une voix à peine plus douce, ignorant sa question.

Il ignorait pourquoi il se laissait aller à dévoiler ces informations personnelles qu'il aurait pu aisément garder sous silence. Peut-être avait-il besoin de parler de ses feus parents. Ou de rappeler à Taehyung un passé.

Mais elles eurent le don de détendre Taehyung qui le scrutait avec étonnement.

« Mais quoi ? », s'exclama-t-il, ahuri.

Jungkook esquissa un léger rictus, notant avec amusement son ton presque scandalisé.

« Ironique, hein ? », murmura Jungkook.

Il ne lâchait pas l'arme des yeux, la regardant avec une tendresse mêlée à une forme de tourment éprouvant.

« Pardon, mais c'est même plus de l'ironie, à ce stade... », ricana Taehyung sans filtre, faisant apparaître les ridules amusées sur le coin de l'œil du plus âgé.

Ridules qui disparurent lorsque Taehyung offrit ses sincères condoléances d'une petite voix. Jungkook hocha la tête, exprimant sa gratitude muette.

« C'est une MR73, mon arme fétiche, reprit-il. Ces revolvers sont français. Ils sont universellement reconnus comme étant parmi les plus exceptionnels au monde. Précis, fiables, d'une qualité hors pair. Ils sont prisés par les forces de l'ordre dans les unités spéciales. J'ai la version GIGN. Tu sais ce que c'est ? »

Taehyung perçut une passion émanant des paroles de son hôte, suscitant en lui une profonde fascination et une curiosité inédite à l'égard des armes à feu.

Armes à feu, sinistres artisans d'une danse macabre, ayant pourtant peint un kaléidoscope de tracas dans sa vie. Et en un seul mois.

Un mois éphémère, mais chargé d'une éternité de souvenirs traumatiques.

« Ouais, l'élite de la gendarmerie française, en gros », répondit Taehyung, après quelques secondes de silence.

— Étonnant que tu le saches, avoua Jungkook.

— C'est Yoon. J'adore quand il me parle de son métier. J'ai appris pas mal de choses, expliqua-t-il en haussant négligemment une épaule.

— Il te narre les détails de ses missions ?

— Oui, certaines qu'il juge racontables, souffla le plus jeune, esquissant un petit sourire en repensant à son tuteur. Il le fait avec passion. »

Silencieux, le plus âgé s'interrogea sur cette émotion subite qui lui étreignait le cœur.

Sur cette brise de jalousie, légère comme un souffle.

« Quoi ? », interrogea Taehyung, curieux et dénué de toute hostilité.

Jungkook battit des paupières, puis secoua doucement la tête. D'un geste fluide, il ouvrit le barillet pour éjecter les cartouches et tendit l'arme vide à Taehyung. Ce dernier, partagé entre appréhension et excitation, la saisit d'une main timide et légèrement tremblante, ignorant le bond affolant que venait de faire son cœur.

Un léger vertige l'enveloppa.

Il avait la sensation d'être sur le point de s'évanouir.

« Oh, wow, putain... balbutia-t-il d'une voix vibrante d'émotion, les yeux rivés sur la MR73. Première fois que j'en tiens une, bordel de merde. »

À l'entente du flot d'injures, Jungkook arqua un sourcil, son amusement davantage piqué en le voyant tenir l'arme avec une délicatesse évoquant le port d'une plume dans sa paume ouverte.

« Mon arme est certes précieuse, mais tu peux la manipuler avec un peu plus d'assurance. Elle n'est plus chargée, lui rappela-t-il !

« Ah... oui, s'exécuta-t-il avec précaution. C'est... Je m'attendais à ce que ce soit un peu plus lourd, constata-t-il en la soupesant, le cœur battant à tout rompre.

— Huit cent soixante grammes.

— Seulement ? s'étonna-t-il. Bon, c'est quand même presque un kilo, ajouta-t-il en relevant des yeux écarquillés vers Jungkook.

— Ça peut aller jusqu'à un kilo selon la longueur du canon, précisa-t-il.

— Mais trop bien ! Enfin, non, je veux dire... Bref... », marmonna-t-il avant de s'éclaircir la gorge, réalisant trop tard son enthousiasme.

Jungkook fut amusé face à cette réaction spontanée.

Il est entier.

« Tu ne possèdes vraiment aucun atome de la noirceur d'un Kim, je peine encore à m'y résoudre.

— Alors résolvez-vous, et vous vous porterez mieux, râla-t-il, exaspéré.

— Si même dans tes moments les plus sombres, ta bonté me surprend, je pense pouvoir m'y résoudre, dit-il, sincère.

— ...Eh bah voilà, balbutia-t-il. Bref, vous pouvez mettre combien de... ah, comment Yoon a appelé ça, déjà ? demanda aussitôt, Taehyung, ignorant la remarque qui colora ses joues d'un doux incarnadin.

— Balles ? », indiqua-t-il, les commissures de ses lèvres tressautant légèrement.

Taehyung hocha la tête, levant les yeux au ciel pour avoir oublié un terme qu'il connaissait pourtant déjà.

« Six, comme tu peux le voir.

— Ah, ben oui, lâcha Taehyung, intéressé, même si sa voix vacilla légèrement vers la fin de sa phrase.

— Attention à ne pas approcher ton index de la détente. Erreur que font tous les débutants.

— Oh, putain. »

Taehyung retint son souffle et leva immédiatement son doigt qui était pourtant déjà loin de la détente, provoquant le léger esclaffement du blond.

« Mais rigolez pas, fallait me le dire plus tôt ! s'époumona-t-il, affolé.

— Je ne faisais que plaisanter. Tant que l'arme est déchargée, il n'y a aucun danger pour toi.

— Non, mais quel esprit d'enfant. Vous prenez des risques à m'énerver, hein, grogna-t-il, mécontent de la taquinerie. J'imagine que l'enseignement du tir sera tout aussi... s'interrompit-il en fixant son expression moqueuse. Vous pouvez arrêter de faire ce sourire énervant ? »

Jungkook arqua un sourcil, les yeux pétillant de malice, contrastant avec la sévérité de ses traits ciselés.

« Du calme. Je m'assurerai que tout soit fait dans la sécurité la plus totale, tempéra-t-il avec désinvolture.

— Génial, je me sens déjà beaucoup mieux, merci », maugréa-t-il avec un sarcasme mordant.

Son regard sombre trahissait l'irritation que lui inspirait l'impression persistante que le blond se nourrissait de ses réactions.

Il lui rendit l'arme, Jungkook s'empressant de la recharger sous son regard impressionné et curieux, oubliant son irritation.

En le voyant manipuler l'arme à feu avec autant de fluidité, Taehyung repensa – encore et toujours – à l'abattage de son voisin. Pris au dépourvu, il tressaillit devant l'image brusque qui s'imposa à son esprit, surgissant sans préavis.

Hébété et le cœur affolé, il cacha son visage dans sa paume, les yeux fermement clos. Il tentait par tous les moyens de ne pas succomber à la panique soudaine. Il ne voulait pas se perdre dans les méandres d'une existence qu'il peinait à reconnaître.

Tout semblait désormais hors de sa portée, déplacé, et tout avait perdu l'amertume d'autrefois à laquelle il s'était résigné.

C'était bien pire.

Sa vie n'était plus qu'une marionnette aux fils tirés par une main invisible.

Suppléée par une main tatouée.

Confus, le blond le fixa un instant avant de détourner les yeux, attendant patiemment que la respiration de son invité s'équilibre.

« Vous attendez quoi pour continuer ? », dit-il sèchement, emporté par l'ébranlement.

Entendre la voix basse et faible du plus jeune le heurta d'une manière qu'il ne sut déchiffrer.

Sans le regarder, Jungkook arracha la peau interne de sa lèvre, son geste instinctif et habituel, reflet muet de son agitation.

« Observe, reprit-il d'une voix plus basse, captivant aussitôt l'attention du plus jeune. Manier une arme c'est : charger, viser et tirer, expliqua-t-il, ses gestes se fondant en harmonie avec ses paroles. Tu sais déjà qu'il faut relever le chien avec le pouce jusqu'à le maintenir en position arrière, prêt à l'action. Et il te suffira d'une pression sur la détente pour déclencher le coup. »

Ayant partiellement réussi à occulter ses souvenirs lésionnels, Taehyung hocha faiblement la tête, buvant ses paroles, intéressé.

« Tu veux la charger ? demanda Jungkook, s'attendant à ce qu'il refuse.

— Ouais », répondit-il d'emblée, décidé.

Bien que surpris, Jungkook ne laissa rien transparaître. Il répéta l'opération avec diligence, s'assurant que le plus jeune suive. Puis il tendit l'arme à Taehyung, le guidant de manière méthodique à chaque étape de l'insertion des cartouches dans les chambres respectives, tout en expliquant ces procédures de manière que son discours soit captivant pour son apprenti.

Ce dernier, suspendu à ses paroles, écoutait religieusement et exécutait timidement à la perfection, laissant parfois ses yeux se poser sur le piercing nasal du blond, attiré par l'éclat des petites gemmes qui semblaient danser dans la lumière matinale.

« Bien joué », le félicita-t-il, insufflant une légère fierté au plus jeune qui acquiesça en silence, priant pour ne pas rougir.

Jungkook récupéra précautionneusement l'arme à des fins de sécurité et la dissimula habilement dans son étui, à l'arrière de sa ceinture. Taehyung en fut aussitôt soulagé, l'arme chargée désormais hors de sa portée et de sa vue.

« Ton intérêt était évident, non ? », constata simplement Jungkook, sans provocation aucune.

Il sera un bon apprenti.

« Pas du tout », répondit-il trop rapidement pour que ce soit crédible.

Puis, face au sourcil levé du blond et son regard trahissant son scepticisme sans équivoque, Taehyung roula des yeux.

Pourquoi il est toujours obligé de m'emmerder, ce bâtard ?

« OK, c'était intéressant. Vous êtes content ? », grinça-t-il en se reprenant.

Quel ego.

Jungkook inclina la tête sur le côté face à sa mauvaise foi évidente, les yeux légèrement plissés par un sourire quasi imperceptible.

« Vous sortez jamais sans votre MR ? s'enquit Taehyung, souhaitant détourner le sujet.

— Ce serait imprudent.

— Et vous l'utilisez souvent ?

— Rarement en mission, même si elle ne me quitte jamais. Il ne s'agit que de mon arme personnelle, rétorqua-t-il en rivant son regard vers celui de son vis-à-vis.

— Pourquoi ?

— Je dois être prêt à me défendre si on vient me provoquer pour un règlement de compte.

— Ça vous arrive souvent, j'imagine.

— Assez régulièrement. J'évite ces confrontations en limitant mes apparitions et en restant armé à chaque sortie. La majeure partie de mon temps s'écoule ici ou chez mon cousin lors de jours creux. »

Taehyung hocha la tête, captivé malgré lui par les mots de son aîné. Jungkook arqua un sourcil en remarquant une ombre d'hésitation dans son regard, et des signes que seul un observateur attentif pouvait détecter.

Un geste nerveux de la main, un grattement léger de l'arête du nez, une jambe tressautant, une tension dans les épaules et la mâchoire, le regard fuyant.

Autant de signes d'une bataille intérieure.

Ils étaient assis côte à côte, dans ce silence qui ne faisait que souligner l'importance de ce moment. Le blond se tenait là, le dos appuyé sur le canapé, prêt à écouter, à expliquer. Il savait que Taehyung avait besoin de temps et de patience pour exprimer ce qui se manifestait au fond de lui.

Puis, finalement, un léger signe de tête encourageant de Jungkook brisa le silence dans ce simple geste, Taehyung le percevant comme une invitation tacite à partager un fragment de sa pensée.

« Mais à part ça, vous la gardez sur vous par symbolisme ? Comme si votre père était là ? tenta timidement Taehyung. Je veux dire, certains héritages sont plus que de simples possessions, et... enfin, voilà, je me posais juste la question », finit-il avant de se gratter discrètement l'arête du nez.

Il craignait de s'aventurer sur un terrain miné, mais il était désireux de creuser un peu plus sur le paradoxe personnifié qu'était son ravisseur.

« J'ai oublié à quel point tu remarques les détails », souffla Jungkook d'une voix lourde de sens, sans le quitter de ses yeux taris par le souvenir de son feu père.

Il trouve toujours les significations cachées.

Face à cet aveu à demi-mot, Taehyung remarqua une fissure dans l'âme de ce blond au visage gracieux, dont le visage d'ordinaire si fermé et inébranlable laissait de nouveau entrevoir une fragilité. Une compassion soudaine envahit Taehyung, chassant légèrement l'obscurité de son propre mal-être.

« Chacun a ses propres façons de se souvenir, dit Jungkook avec un léger froncement de sourcils.

Son visage se ferma aussitôt, assombri, évitant soigneusement de laisser transparaître toute vulnérabilité.

Mais c'était sans compter sur la clairvoyance de Taehyung qui, étrangement, en cet instant, se sentait presque à l'aise aux côtés de l'assassin qui lui apparaissait de plus en plus humain.

Et le jeune Kim détestait cela.

Il va me prendre pour un timbré, mais je me sens obligé de...

Il soupira, fourragea ses cheveux.

Putain.

Une gêne émanait de lui, attisant davantage l'attention de Jungkook dont les yeux s'élargirent à peine, curieux.

Ce serait cruel de rien dire, non ?

« Je doute pas que cette arme porte en elle l'esprit et la force de votre père », murmura Taehyung, sa langue guidée par une volonté intrinsèque en accord avec ce qui animait son cœur.

Saisi par la surprise, Jungkook écarquilla légèrement les yeux, son regard rivé sur son cadet. Puis il masqua aussitôt son trouble derrière un visage impénétrable. Mais son cœur avait fait un bond furieux et, au fond de ses prunelles, une mélodie muette jouait.

Elle révélait ses secrets à qui savait écouter.

À Taehyung, observateur attentif qui entendait chaque note, chaque souffle retenu dans l'écho du silence.

À Taehyung qui comprenait ainsi la symphonie des émotions qui l'habitait.

Il pouvait haïr son ravisseur, mais il ne pouvait guère ignorer la douleur mêlée à un amour profond qui brillait dans ses yeux lorsque son aîné regardait son arme ou évoquait son père.

Ironiquement, il avait fallu que le Jeon se permette de nouveau une rare vulnérabilité pour que Taehyung lui exprime ces propos.

Des propos lourds de sens face à la douleur inhérente à la perte d'un père.

Une cicatrice éternelle sur l'âme.

Son aîné venait d'ouvrir une porte vers cette douleur, créant un pont entre leurs cœurs meurtris, endeuillés. Un pont forgé dans la sincérité de cette émotion brute.

Jungkook était troublé et touché que ce soit son fils qui lui offrait ces mots.

Tu as au moins le mérite d'avoir mis au monde un fils digne de celle que tu as tendrement aimée, Jaewon.

Ce même fils qui, par ses paroles, réussit l'exploit d'atténuer le feu dévorant que tu as allumé en moi.

« J'apprécie », acquiesça Jungkook, détournant le regard.

N'est-ce pas ironique, Jaewon ?

En rirais-tu si tu étais encore parmi nous ? Ou en serais-tu accablé de regrets ?

« Je possède d'autres armes pour différentes missions », éluda-t-il, ses mots et sa posture demeurant résolus, alors qu'il évitait délibérément de croiser les yeux de son cadet.

Taehyung se pinça les lèvres, s'excusant avec un petit sourire désolé.

« Vous en avez combien ? Elles sont où ? Attendez, mais vous avez le droit d'en planquer, chez vous ? Je sais que Yoongi à toute une pièce dédiée à ses armes, mais il est flic, lui », déblatéra Taehyung, sa curiosité défiant les lois de la décence.

Jungkook releva des yeux à peine rieurs vers lui, plongeant dans deux gouffres brillant d'un franc intérêt.

« Je te les monterai demain si tu es prêt à commencer ta première leçon, répliqua-t-il.

— OK, répondit simplement Taehyung.

— OK pour ? répéta-t-il.

— La leçon. Je suis... je veux bien commencer demain. Plus vite je commence, plus vite ce sera fini », murmura-t-il, la voix vacillant légèrement.

Je suis absolument pas prêt, putain.

La mâchoire de Jungkook se contracta. Il savait que le ténébreux s'efforçait de paraître détaché.

« Tu es bien... vaillant », murmura Jungkook avec un soupçon de respect dans la voix, les yeux perdus dans le vague bien qu'ils fussent fixés sur Taehyung.

Il s'était retenu de justesse de lui souffler « Tu es bien le fils de ta mère ».

Pris au dépourvu, Taehyung demeura silencieux un instant, fixant Jungkook avec une lueur indéchiffrable. Il inspira profondément, tourmenté par la découverte d'un tel aveu de la part d'un homme tel que ce Jeon.

Il rit jaune.

« Ça fait trois ans que je... disons que j'ai appris à... bref. J'ai pas le choix que de l'être, éluda-t-il en haussant négligemment les épaules avant de se triturer les doigts, baissant la tête.

— Je sais que tu as dû abandonner ton innocence bien trop tôt, fit remarquer Jungkook.

— Quoi ?! réagit aussitôt Taehyung en rugissant, relevant promptement des yeux fébriles et affolés vers le blond. Comment ça ? De quoi vous parlez ? »

Son cœur battait son propre record de vitesse, l'angoisse revenant l'habiter.

« De l'abandon de Jin », répondit-il sur le ton de l'évidence, les sourcils froncés face à une réaction aussi brusque.

Tendu, Taehyung suspendit ses mots, le souffle légèrement court. Ses yeux cherchaient fébrilement la moindre trace de mensonge sur le visage de son aîné.

« Et si je vous dis Griffin, qu'est-ce qui vous vient à l'esprit ? l'interrogea-t-il d'une voix froide et rauque, le visage fermé, se protégeant inconsciemment d'une possible réponse positive. Ne mentez pas.

— Le bar au centre-ville ?

— Oui ! s'insurgea-t-il en le pressant, presque hystérique.

— Rien qui mérite d'être exprimé, répondit aussitôt Jungkook, perplexe.

— Vous avez rien entendu ? Des rumeurs qui circulent sur ce bar ?

— Rien. Kim, qu'est-ce qui...

— J... jurez-le... », balbutia-t-il en l'interrompant d'une voix plus ténue avant de déglutir, sa voix vibrante de trémolos.

Jungkook fronça les sourcils, sa curiosité éveillée.

« Tu deviens préoccupant. »

Le cœur au bord des lèvres, Taehyung secoua la tête avant de la baisser, croisant les bras contre sa poitrine tout en s'adossant contre le canapé, se faisant tout petit sans s'en apercevoir.

« Vous savez quoi ? Laissez tomber », murmura-t-il.

Jungkook le scruta avec une acuité perçante. Ses yeux inquisiteurs captèrent sa réaction instinctive à la fragilité d'un sujet à peine évoqué. Il le vit se replier sur lui-même, comme si ses mots à venir étaient des lames affûtées prêtes à blesser Taehyung.

Un mur invisible se dressa devant Jungkook, une forteresse de protection érigée dans l'inconscient de son cadet. Il comprit que ce terrain était trop épineux, trop délicat pour être exploré davantage.

Il était pourtant si honteusement curieux, cherchant dans son esprit une quelconque information qu'il aurait oubliée après ses recherches sur Taehyung.

« Tu as été contrarié par un incident dans cet établissement ? tenta-t-il, feignant la désinvolture.

— On s'en fout, OK ? lâcha-t-il en relevant la tête vers lui, sa jambe commençant à tressauter nerveusement. C'est moi, j'ai mal interprété vos propos. »

Jungkook baissa le regard vers la jambe révélatrice du tumulte qui agitait le plus jeune, avant de relever les yeux.

« Bien », abdiqua-t-il à regret.

Il fronça les sourcils lorsque Taehyung déglutit avant de se mordre la lèvre du bas, perdant ensuite son regard vers l'étendue s'offrant à lui depuis la large baie vitrée à sa gauche, sa jambe ne cessant de bondir sous l'anxiété.

Jungkook se promit de se renseigner davantage sur les mystères de ce bar. Il voulait naviguer au-delà des apparences qui allaient le mener là où se cachaient les secrets les plus troublants.

Des rumeurs, j'en ai entendus, sur ce bar.

Désireux de le laisser seul un moment, Jungkook se leva et se dirigea vers son bureau, sentant que son cadet avait besoin de démêler les fils de sa pensée.

Après quelques minutes passées à l'intérieur, il émergea avant de se diriger vers la cuisine, ses pas feutrés résonnant faiblement sur le sol en portor.

L'ayant entendu revenir, Taehyung se leva de sa place, sentant le poids de l'inaction peser sur ses membres. Un bref instant d'isolement lui avait été offert par son geôlier, et il réalisa que la pensée de s'évader n'avait même pas caressé son esprit.

Il regarda des portes de l'ascenseur, puis soupira. À quoi bon ? Il se savait captif, craignant les sombres méthodes que son ravisseur pourrait employer pour lui remonter les bretelles.

Rien que cela.

Le cœur alourdi, mais résolu, il avait pleinement consenti à sacrifier sa liberté au service du Jeon, s'offrant à lui pour quelques mois.

C'est juste l'histoire de quelques mois. Je peux le faire.

Lorsqu'il découvrit le dos du blond dans la cuisine ouverte, il préféra ne pas prêter attention à l'arme scintillant discrètement à chacun de ses mouvements. À la place, il s'approcha de cette pièce spacieuse et accueillante, se glissant silencieusement contre le mur qui marquait l'entrée à sa droite.

Il hésita, figé par une retenue mystérieuse, ses yeux errant sur les lignes épurées de l'architecture et les rangements impeccables de cette demeure. Il songea que tout exhalait la pureté.

Il fixa la nuque blanche et épaisse, caressée par un voile de fils d'or soyeux.

Maniaque névrosé.

Quoiqu'avec son activité funeste, Taehyung pressentît que derrière cette sinistre besogne se cachait une obsession tenace pour la propreté. Une compulsion à effacer les traces, à dissimuler les pistes.

À masquer le péché.

Son regard s'égara, errant sans préavis, capturé par le sol de marbre noir entrelacé de stries dorées.

Puis, comme un éclair fugace de lumière dans l'obscurité de la situation, un sourire moqueur naquit sans qu'il en ait conscience, tandis que son esprit tissait l'image du Jeon, tablier et foulards cachant ses cheveux et le bas de son visage, affairé à embellir son domaine telle une fée des foyers.

Son sourire s'élargit. C'était là une image improbable qui s'imposa dans son esprit, contrastant violemment avec le port altier charismatique de son aîné et la menace qu'il insufflait avec seulement ses yeux pénétrants et calculateurs.

L'absurdité de sa pensée provoqua son bref rire étouffé et incontrôlé. Il attira sur lui le regard de Jungkook qui leva un sourcil interrogateur en le voyant qui tentait en vain de réprimer un gloussement contre ses lèvres pincées, les yeux rivés sur le sol et les bras croisés.

Ne l'avait-il pas quitté anxieux ? Et le voilà qui semblait voguer dans les flots d'une hilarité dont lui seul s'en amusait.

Jungkook aurait mis sa main à couper que c'était simplement la manière de Taehyung de s'acclimater à sa nouvelle réalité.

« Tu perds déjà la raison ? », dit Jungkook d'une voix tranquille, en se servant un verre de vin.

Taehyung sursauta, comme si les étoiles elles-mêmes avaient murmuré son nom. Il perdit aussitôt son expression amusée, prenant conscience d'avoir été pris sur le fait.

« Je suis encore jeune pour être sénile, non ? », rétorqua-t-il en décroisant les bras pour plonger ses mains dans les poches de son pantalon.

Une lueur espiègle naquit dans son regard, un éclat de malice qui fit lever un sourcil suspicieux chez le blond. Il avait l'air d'un diablotin qui venait de découvrir un secret enfoui au plus profond de Jungkook.

Taehyung esquissa un rictus en coin, puis son regard fut attiré par le scintillement d'un cristal baigné par les rayons du soleil. Il médita alors sur le raffinement de cet homme, discernant ses goûts de luxe dans le simple nom gravé sur la bouteille de vin blanc.

Château d'Yquem, 1 921.

Il se fait pas chier.

Jungkook inclina légèrement la tête en direction de la bouteille, une question muette dans son geste, demandant silencieusement à Taehyung s'il désirait en boire. Ce dernier hésita en avisant l'heure matinale, puis son ventre vide, avant d'acquiescer d'un léger haussement d'épaules.

« Justement, alors pourquoi tu ricanes dans ton coin sans raison apparente ? C'est inquiétant », reprit le blond tout en servant un verre et le posant devant Taehyung.

Il s'accouda sur le comptoir blanc et rectangulaire servant de table et de seule séparation avec le séjour, son verre à pied entre ses doigts, sirotant son alcool sans le quitter des yeux.

« Ah, non, refusa-t-il d'un ton catégorique. Vous voulez pas le savoir. »

Il s'invectiva mentalement de devoir expliquer la nature de ses pensées saugrenues alors qu'il se trouvait face à un assassin armé et surtout chez lui.

« J'insiste. »

Taehyung laissa échapper un soupir retenu. Il saisit gracieusement son verre, laissant son regard vagabonder brièvement sur le liquide ambré, avant de le plonger dans les prunelles perçantes de Jungkook.

Un silence s'étira entre eux, le poids de l'attente suspendu dans l'air.

Jungkook médita sur le paradoxe que devenait peu à peu ce jeune Kim. Chaque heure qui passait ne faisait qu'ajouter une nouvelle couche à sa complexité. Tantôt, il se montrait vulnérable, comme une brise légère caressant les fleurs fragiles, puis se transformait en un lion courageux, prêt à affronter tous les défis.

Et pourtant, en cet instant, une lueur taquine pétillait dans ses yeux, laissant entrevoir une facette insaisissable de sa personnalité.

Cette attitude ambivalente l'intriguait bien plus qu'il voulait bien l'avouer.

Taehyung demeura silencieux un court instant, faisant doucement tourbillonner le vin dans son verre pour libérer ses arômes. Il sentit son bouquet, se laissant porter par son voile parfumé ; un ballet de miel doré, de fruits exotiques mûrs et de notes florales délicates.

Il laissa échapper un soupir de délice, ses yeux pétillants reflétant l'émerveillement de cette expérience olfactive. Avec une candeur intrépide, il releva des yeux brillants pour cette fragrance qui éveillait en lui un mélange de curiosité et de ravissement.

Il fit naître un éclat d'intérêt dans les perles attentives de son hôte.

« Rien, je me disais que c'est propre, chez vous », éluda-t-il.

Il espérait se retenir de repenser à l'image risible afin d'éviter de lui rire au nez sans pouvoir s'en empêcher.

« Tu n'es pas dans une porcherie, Kim, dit-il, un léger éclat suspicieux irradiant de ses orbes sombres. Et alors ?

— Attendez, je goûte cette merveille. »

Jungkook cacha son rictus en buvant une gorgée.

Lentement, le ténébreux prit une petite lampée, laissant le vin s'étaler sur toute la surface de sa langue, capturant les différentes saveurs. Il lâcha un petit grognement d'appréciation, émerveillé par l'éventail somptueux de saveurs du millésime.

Il ne vit jamais la fascination muette se dessiner sur les traits sévères de Jungkook, échappant à son regard telle une brise effleurant les pages jaunies d'un vieux livre.

Il sait déguster.

« ...Bon, soupira Taehyung après un instant d'hésitation, croisant un bras sur son torse, le verre à pied près de ses lèvres. Je me dédouane de ce que je vais vous dire, ne vous en prenez qu'à mon esprit trop imaginatif, tenta Taehyung.

— Épargne-moi tes excuses et parle, ordonna-t-il sans animosité, de plus en plus intrigué.

— Comme vous êtes maniaque, il est facile de vous imaginer en train de récurer le sol et nettoyer votre appart de manière acharnée, lâcha-t-il d'une traite, retenant fortement son sourire en se pinçant les lèvres, en vain. Voilà », ajouta-t-il, la voix vibrante d'un rire retenu.

Médusé, Jungkook cracha presque son vin dans une brève quinte de toux. Il était là, les yeux écarquillés, se trouvant face à une description inattendue qui ne le flattait guère.

Un silence pesant enveloppa la pièce et il fixait Taehyung d'un regard absent, une image se formant lentement dans son esprit. Un léger sourire sidéré ourla ses lèvres, mêlé d'une maigre vexation et d'une pointe d'autodérision.

Jungkook baissa légèrement la tête. Il se détacha du comptoir, chaque pas calculé résonnant dans le silence de la matinée. Le contenu de son verre dansait délicatement entre ses doigts longs et fins.

Lorsqu'il s'approcha lentement du plus jeune, un frémissement subtil teinta l'air d'une énergie diffuse et palpable.

Il y eut presque une complicité silencieuse.

Un regard de prédateur fixé sur lui, Taehyung se figea comme une proie capturée dans les filets invisibles du blond. Sa respiration se figea, chargé d'une attente électrique, avant de reprendre, à peine véloce. Son sourire en coin amusé s'évanouit graduellement, le laissant curieux et légèrement inquiet.

Il ignorait ce que ce Jeon avait en tête, mais il était avide à découvrir ce qu'il allait lui dire.

Il frémit imperceptiblement, la volonté de le confronter verbalement jaillissant à nouveau en lui. Mais il se tenait désormais chez son ravisseur, trop proche de lui, et une délicate – énervante – réserve nouait ses entrailles dès la seconde où il avait pénétré ce sanctuaire luxueux.

« Je te conseille de peser tes mots avec prudence, Kim. Elles pourraient te coûter plus cher que tu le penses, lança-t-il d'une voix vibrante d'un léger avertissement feint.

— Oh, ça va, c'est de l'humour, le prenez pas personnellement. Puis je vous ai dit que c'est pas moi le fautif. »

Bien que sa voix ne trahisse pas sa légère agitation, il colla davantage son dos contre le mur, serrant son verre afin de garder une posture faussement détendue.

Putain, je cherche vraiment la merde.

Taehyung n'eut guère besoin d'étudier les traits du blond pour comprendre que ce dernier avait senti son malaise. Il lui suffisait de lire le coin de ses yeux. La courbure de ses lèvres. Le scintillement dans ses perles noires.

Et il savait.

Ce Jeon s'abreuvait de l'ascendant qu'il avait sur lui. Il tirait pouvoir de cette influence innée.

« Ce n'est pas toi le fautif ? répéta-t-il, sarcastique. Il semble que tu éprouves quelques difficultés à dresser les limites. Mais sois assuré que je saurais te guider vers la bonne voie, si tu continues. »

Taehyung déglutit, ses orbes s'enfuyant pendant une seconde avant de se braquer de nouveau sur ceux perçants de Jungkook. Presque menaçants. Pourtant scintillant d'une lueur rusée, narquoise.

« Croyez-moi, je connais mes limites, hein. Je ne suis pas près d'oublier l'arme chargée sous votre ceinture qui me nargue quand vous avez le dos tourné, grommela Taehyung, dérangé par cette soudaine proximité, quand bien même trois enjambées les séparaient.

— Pourquoi donc tenter le diable ? susurra Jungkook, en croisant ses bras avec une assurance troublante tout en cachant son sourire espiègle derrière son verre.

— Vous êtes pas vraiment un diable... », admit Taehyung en contournant subtilement le sujet, avant de boire une gorgée.

Il s'invectiva mentalement de ne pas pouvoir réfréner son intrépidité.

Faut vraiment que j'apprenne à fermer ma gueule au lieu de chercher une raison de le provoquer.

Pourtant, il ne niait pas cette étrange sensation de plaisir mêlée à une forme de consolation qui naissait en lui à chaque échange avec cet homme.

Une sensation insolite, contraire à l'usage.

Mais Taehyung restait lui-même, car, après tout, il n'avait aucune intention de tisser des liens, encore moins de prétendre à une amitié naissante pour gagner la confiance du blond. Il était digne, loin d'être hypocrite, et acceptait son sort comme il en avait l'habitude.

Le plus étonnant ? Le Jeon ne semblait pas lui en tenir rigueur. Au contraire, il entrait dans son jeu, répondant à ses provocations avec mordacité, parfois avec légèreté. Le tout avec un rictus quasiment indécelable, mystérieux, mais sincère.

Et c'était cela qui troublait Taehyung : c'était la sincérité émanant de son aîné, quelle que soit sa parole, son geste ou son regard. Il était entier. Et Taehyung avait une inclination pour les personnes authentiques et entières.

Ce que le Jeon était, à ses yeux.

Mais pourquoi se défiaient-ils sans arrêt ?

Leurs échanges fougueux et électriques défiaient toute logique, alors qu'ils n'étaient rien d'autre que deux personnes cruellement réunies par la force des choses.

Deux âmes qui, d'un accord commun, se quitteraient dans dix mois.

Concentré et le regard scrutateur, Jungkook l'étudiait. Il avait conscience que le plus jeune cherchait en lui un rempart, un roc contre le tumulte qui l'agitait. Il percevait en Taehyung cette nécessité silencieuse, ce besoin viscéral de se mesurer à lui, de tester les limites, de défier l'ordre établi, tout en préservant l'équilibre fragile de leur relation loin d'être amicale.

Pas même cordiale.

Juste forcée.

Jungkook le laissait cependant se rebeller à sa guise. C'était comme un jeu dangereux, un équilibre précaire où l'un devait retenir l'autre pour ne jamais franchir la frontière invisible, sans transgresser les lois tacites qui régissaient leur lien singulier.

Il observait en silence la détermination farouche du plus jeune, cette faculté d'adaptation qui le fascinait. C'était une force tranquille, une volonté indomptable, une énigme que Jungkook ne pouvait s'empêcher d'admirer, tout en gardant jalousement secret son intérêt naissant pour ce Kim.

Si le destin avait choisi une personne différente, Jungkook n'aurait guère toléré cette offense dès la première seconde ; il céderait depuis longtemps à son penchant inné pour l'intimidation réelle et la menace réelle, jusqu'au passage à l'acte réel s'il le fallait.

Mais c'était Taehyung.

C'était différent.

Il était le vestige du petit garçon qui faisait partie de ses souvenirs doux-amers.

Il ne cherchait plus à exercer un contrôle mental sur son otage, pas plus qu'il ne voulait renforcer le pouvoir qu'il avait déjà prétendu détenir en évoquant la menace de mettre fin à sa vie. Cette emprise, il n'avait aucune envie de la renforcer. La veille au temple, il s'était laissé emporter, et cela avait fini par lui laisser un goût si amer en bouche qu'il ne souhaitait plus jamais revivre cette expérience.

Ou du moins, plus aussi régulièrement.

« Et qu'est-ce que je suis ? s'enquit Jungkook, ses lèvres effleurant à peine le bord du verre tandis qu'il sirotait lentement, sans le quitter des yeux.

— Un paradoxe sur pattes, je dirais », répondit aussitôt le plus jeune, sincère, dégustant son vin.

Jungkook arqua un sourcil intéressé.

Oh.

Ça me plaît.

Il recula de deux pas jusqu'à s'appuyer contre le côté du long comptoir, demeurant face à son invité adossé contre le mur.

« Vous allez encore mal le prendre ? soupira-t-il.

— Non. Je suis simplement sidéré par ton esprit suicidaire. »

Taehyung le fixa un instant, le trouvant détendu, une oasis au milieu de l'aridité de son propre malaise. Un léger soupir s'échappa de ses lèvres et il haussa simplement les épaules.

« En parlant de paradoxe, jeune homme, tu n'es pas en reste, puisque tes humeurs fluctuent toutes les deux minutes. Combien êtes-vous, dans ta tête ? », le provoqua Jungkook, lui rendant son affront.

Ahuri, Taehyung ne sut s'il devait pousser le jeu plus loin en le provoquant davantage. Un sourire fugace dansa sur ses lèvres, un sourire impertinent qui reflétait la complexité de ses sentiments.

Finalement, il opta pour le rire, un rire bref et outré qui brisa la tension. Il allait répondre à ce défi lancé en toute légèreté, mais chargé de sous-entendus.

« Si vous devez compter mes humeurs, vous finirez par y perdre votre propre compte en essayant de me suivre.

— Peut-être devrais-tu consulter.

— Peut-être devrais-je vous rappeler que la fluctuation des humeurs est un signe d'intelligence émotionnelle, pas de confusion mentale. Mais je suppose que ça ne compte pas dans votre monde d'assassin. Ça doit pas être joli à voir, là-haut, non ? rétorqua-t-il, téméraire, en pointant sa tempe.

— Intéressant. Et je suppose que dans ton monde, la manipulation est une vertu. Mais bon, que puis-je attendre d'un Kim ? », asséna Jungkook, jubilant intérieurement.

Stupéfait, les yeux du plus jeune naviguèrent entre choc et amusement. Un subtil sourire ironique éclaira son visage, témoignant de son admiration pour l'esprit vif de Jungkook, bien malgré lui.

« C'était gratuit, grommela Taehyung. Et je manipule pas, moi.

— Je te rends simplement ton affront, lâcha-t-il, sournois. Je suis déçu, j'espérais une repartie plus mordante.

— Flemme », marmonna-t-il.

Il cacha son bâillement d'une main, avant de finir son verre et le garder dans sa main.

« Tu te dégonfles ? », dit Jungkook d'un ton léger.

Taehyung secoua la tête, un sourire énigmatique jouant sur ses lèvres, sentant un apaisement s'insinuer en lui, même s'il se perdait un peu plus dans les méandres de la confusion.

« Eh, déjà je suis fatigué, j'ai dormi deux heures grâce à vous. Ensuite, je bois un millésimé à jeun, le combo est mortel. Mais je vous rassure : on va se battre après. »

Jungkook ne put réfréner un souffle rieur.

« Bien, alors victoire par abandon pour moi, statua Jungkook.

— Bravo, ironisa-t-il. J'ai un gage ?

— Si tu y tiens. Tu...

— Sans façon », cingla Taehyung, le regard noir.

Les yeux du plus âgé pétillèrent d'une lueur plus goguenarde, arquant un sourcil.

« Dommage. Pour ta gouverne, reprit Jungkook, satisfait d'avoir gagné cette joute. Une femme de ménage s'occupe de l'appartement.

— Dommage, j'aurais bien aimé vous voir à l'œuvre, le nargua-t-il, retrouvant aussitôt sa malice.

— Oh, ironisa sombrement Jungkook. Tu en auras bien l'occasion. Tu verras à quel point je ne laisse aucune trace après mon passage », susurra-t-il d'une voix nettement plus basse, sournoise, avant de siroter une énième gorgée de son vin.

« Je pourrais vous écouter vous cracher à la gueule toute la journée. »

Le blond se pinça les lèvres, réfrénant un esclaffement. Il exulta intérieurement en voyant le sourire mutin de Taehyung dégringoler au moment même où son esprit lui montra l'image précise de la scène insidieuse semée par son hôte perfide.

Taehyung se trouva face à un dilemme, son âme divisée entre garder le silence et exprimer sa colère. Ses narines frémirent, comme si elles tentaient de retenir les mots enflammés qui menaçaient de jaillir. Ses dents se serrèrent, un étau d'acier. Son regard, autrefois rieur, était maintenant teinté d'une noirceur profonde, reflétant l'orage qui grondait dans son cœur.

« Ça t'apprendra à t'aventurer sur un terrain que tu ne maîtrises pas, jeune homme.

— Vous avez juste gagné un jeu, vous flattez pas trop, hein, répondit-il sèchement, ses yeux lançant des éclairs.

— Mauvais perdant ? railla Jungkook, haussant un sourcil narquois.

— Exactement. Vous savez où me trouver quand vous voudrez passer aux choses sérieuses, on remet ça quand vous voulez », grommela-t-il, frustré de s'avouer de nouveau vaincu.

Taehyung darda sur lui un regard plus appuyé et empli de mauvaise foi. Une lueur moqueuse s'égara dans les yeux de Jungkook, ressentant un amusement plus profond que tout ce qui pouvait être dit.

« Développe ton avis sur ma nature que tu juges paradoxale », exigea-t-il.

Jungkook revint subitement sur le sujet principal, désireux d'entendre le jugement de son otage sur sa propre personne.

Comme si son avis comptait.

Peut-être était-ce le cas, que son avis avait plus de poids qu'il ne l'imaginait. C'était comme si, dans le silence de ses pensées, il posait la question à Eun-Ae, par extension.

Elle serait si déçue.

Il redoutait sa déception, comme si cela menaçait de ternir son monde, même après qu'elle l'ait définitivement quitté. Dans un soupir étouffé, il s'arracha la peau de l'intérieur de sa bouche, tentant de chasser cette obsédante présence qui hantait son esprit depuis peu.

Celle de son absence omniprésente depuis la présence de son fils dans sa vie.

Taehyung le scrutait, son regard tourbillonnant dans une mer d'incertitude. Le silence suspendu entre eux était une toile fragile, des émotions inexprimées qui dansaient dans l'air épaissi par l'attente.

« Pourquoi vous voulez le savoir ?

— Pourquoi pas ?

— Je veux dire, vous prendriez mon avis en compte ? »

Par fierté, Jungkook ne répondit pas. Mais ses prunelles scrutatrices revêtaient une sincère curiosité, dans l'expectative.

Son regard parlait pour lui.

« Je t'écoute », ordonna-t-il.

Étonné, Taehyung se perdit un instant dans cette toile de connivence, se demandant s'il pouvait réellement révéler ce qu'il pensait de son aîné.

Ses lèvres se pincèrent imperceptiblement, ses poings se serrèrent dans ses poches, et il baissa la tête, cherchant refuge dans l'obscurité momentanée de ses pensées.

Pourtant, la force magnétique du regard de Jungkook était irrésistible. Comme attiré par une étoile lointaine, Taehyung releva lentement les yeux, laissant échapper un soupir silencieux d'acceptation.

« Bon. »

Il s'éclaircit la voix, tendant son verre au blond, s'en débarrassant.

Et le voilà qui recommençait à s'empêtrer dans la nervosité.

« Je vous l'ai déjà dit, hier », commença Taehyung à voix basse, perdant son regard dans le sol, une humilité soudaine s'emparant de lui.

Il sentait son courage fléchir face aux yeux perçants du blond, qui posa le verre du ténébreux sur le comptoir derrière lui, ainsi que le sien, avant de croiser les bras.

Instinctivement. Nerveux. Prêt à encaisser.

𝐴̀ 𝑠𝑢𝑖𝑣𝑟𝑒...