𝐈𝐕 | 𝐋𝐢𝐯𝐞 𝐎𝐫 𝐃𝐢𝐞 (𝟐)
𝐏𝐚𝐫𝐭𝐢𝐞 𝟐
« J'ai mes ressources, puis tu l'as mentionné devant lui. Et je le sais parce qu'on a agi de la même manière avec ma famille qui en a été affectée.
— Qu'est-ce qu'il lui est arrivé ? demanda-t-il, hésitant et compatissant.
— Détruite.
— Qui ? Jin ? s'enquit-il, se retenant de reculer face au regard du blond qui ne diminuait pas en intensité furieuse.
— Ton père, trancha-t-il, la mâchoire furieusement crispée.
— Quoi... ! M... mon... ? balbutia Taehyung en reculant d'un pas, effaré et incrédule, en se pointant du doigt. Mon père... ? »
Le blond retint sa respiration, tandis que le spectre de son passé se déployait en une litanie ininterrompue derrière ses rétines. Sa mémoire l'importunait, lui en rappelant chaque nuance abominable. Il n'avait alors que neuf ans, mais il conservait avec une précision cruelle le visage du père de Taehyung. Ses fils présentaient une nette ressemblance physique avec lui — Taehyung un peu moins —, et c'était amplement suffisant pour susciter en Jungkook un tumulte douloureux.
Mais le père et le fils préservé ne jouaient pas dans la même cour, et Jungkook était ébahi par la rapidité avec laquelle il n'était plus capable de cultiver la moindre émotion négative à l'égard de Taehyung.
Son dégoût s'était évaporé au fil des jours, naturellement, inexorablement.
Ce qui troublait le plus Jungkook, ce qui avait suscité en lui un dérèglement émotif tout au long de cette nuit, depuis le club jusqu'ici, était que ce jeune Kim était à mille lieues de l'image qu'il s'était imaginée de lui.
Il se révélait être totalement inoffensif.
Bien qu'il porte en son sein une menace latente, son regard ne trahissait pour l'instant aucune propension au sang et à la violence. Ni à la folie.
Il partageait assurément leur apparence physique, dotée d'une prestance tout aussi souveraine malgré son jeune âge, arborant la même carnation que ses pairs. Il était tout aussi perspicace et intelligent que sa lignée.
Mais une caractéristique distinguait Taehyung de son clan, ce qui le rendait remarquablement pur et innocent aux yeux de Jungkook.
Son affliction qu'il percevait parfaitement.
Sa solitude qui l'avait frappé avec vigueur.
Et sa vive souffrance qu'il estimait trop lourde pour un garçon à peine sorti de l'adolescence.
Ayant lui aussi grandi dans la souffrance et la noirceur, il se sentait étrangement concerné par la situation tout bonnement désolante du plus jeune.
Il était troublé par cette réalité.
Tout au long de son existence, il avait été conditionné à croire en la perfidie des Kim. Que tous, sans exception, étaient ainsi. Sa haine envers eux avait été inculquée dès son plus jeune âge et cette aversion avait perduré de manière viscérale, même après de nombreuses années.
Mais voilà que, devant leur dernier descendant, ses convictions vacillaient, s'effritaient, sur le point de disparaître.
Il l'avait assez observé dans la boîte de nuit pour y déceler une candeur particulière, une pureté qui laissait le blond silencieux. Cette force mentale avait indubitablement permis à Taehyung de supporter les épreuves de sa vie, y compris les tourments infligés par son propre frère.
Si son otage demeurait résilient, et s'il avait osé soutenir son regard malgré sa crainte, cela était dû à son fort caractère et à sa volonté inébranlable forgés grâce aux épreuves.
Et depuis le tout premier instant où Jungkook avait croisé son regard sur le campus universitaire, il avait été troublé d'une façon insondable. Ses yeux l'avaient bouleversé, l'amenant à méditer, pendant toute une semaine, sur les mystères et les nuances qu'ils pouvaient contenir.
Jusqu'à ce qu'il comprenne que c'était le souvenir qu'il avait de ses grands yeux innocents dans leur enfance, lorsque Taehyung n'était pas plus haut que trois pommes, qui remuaient son âme et son cœur.
Face à sa version adulte, la puissance de ce même regard était suffisante pour faire basculer son monde.
Comme à cet instant même, où leurs regards étaient verrouillés.
Est-ce bien ce qui me rend conciliant à son égard ? Le passé qui se mêle au présent au point de tout remettre en question ?
Il soupira, perturbé. Il n'éprouvait aucune satisfaction de l'avoir enlevé, encore moins de lui soumettre cette proposition.
Il percevait les premiers signes de remords qui s'apprêtaient à l'envahir, serrant son cœur d'une manière inattendue, ce même cœur qu'il avait longtemps cru endurci comme de la pierre envers ses semblables.
C'est comme s'il redécouvrait sa propre essence en présence du ténébreux ; qu'il n'était pas devenu foncièrement mauvais.
Cette sensation était à la fois rassurante et inquiétante, et il devait maintenir sa concentration sur ses objectifs en faisant fi de ce que son cœur lui soufflait avec douceur.
Néanmoins, il ne pouvait ignorer que Taehyung et lui partageaient deux similitudes notables. Ils possédaient tous deux une force intérieure suffisante pour supporter leur existence et étaient animés par un objectif clair à atteindre.
Puis, ils partageaient tous les deux le statut de victimes.
De dommages collatéraux.
Cette constatation frappa Jungkook de plein fouet, bloquant son souffle dans ses poumons.
Sans qu'il le sente arriver, la perception qu'il avait de Taehyung subit une transformation radicale.
Il le contempla sous un nouveau jour, comme si un voile venait d'être soudainement levé, lui permettant enfin de le voir uniquement comme étant juste Kim Taehyung.
Celui qu'il côtoyait et apprit à connaître lors d'un court laps de temps.
Son visage s'adoucit légèrement, résigné. Il embrassa enfin le synchronisme de son âme guidant son cœur.
À quoi bon nier, à ce stade.
Encore une fois, il abaissa un peu plus ses défenses, laissant un peu plus son masque le dévoiler.
Sous le regard curieux et dérouté de Taehyung, qui avait observé toute une gamme d'émotions sur son visage presque impassible, Jungkook ferma brièvement les yeux avant de les rouvrir, dépourvus de toute animosité, de toute hostilité, de toute colère.
Seule une abdication y demeurait.
Taehyung se demandait si ses yeux lui jouaient des tours, mais il venait à nouveau d'assister à un changement drastique du blond. Il eut la curieuse impression qu'en cet instant, il était en présence du véritable Jungkook et que la confrontation ne constituait plus la voie à suivre.
« Dites-moi ce que vous avez à me dire, l'attente est insoutenable », supplia presque Taehyung, sentant qu'il pouvait maintenant exiger des réponses sans se voir défié.
Ou presque.
Jungkook exhala un léger soupir, submergé par la lassitude d'avoir assumé un rôle qu'il n'avait pas souhaité tout le long de leur échange, alors qu'il en ressentait l'épuisement. Ses épaules s'affaissèrent et ses muscles se relâchèrent, révélant à quel point il avait été tendu.
« Je regrette de devoir t'annoncer ça de manière aussi abrupte, entama-t-il, mais ton père était à la tête d'une organisation criminelle.
— P... pardon ? », s'étrangla Taehyung, loin de se douter d'une telle information.
Jungkook plissa le front, se remémorant les confidences de Jimin sur le fait qu'il avait été écarté des affaires familiales.
« Personne ne t'a donc dit que ta famille est une puissante dynastie criminelle.
— Crim... non, souffla-t-il, l'âme écartelée entre le croire et nier. Une dynastie tout court. Papa était un homme d'affaires qui gérait plein d'industries, c'est ce qu'on m'a toujours dit, mais pas... ajouta-t-il en agitant légèrement sa main vers son vis-à-vis, comme si son geste continuait sa phrase.
— Oh, ça... sourit Jungkook avec une pointe d'amertume. Il était certes le Bill Gates de notre nation, mais sa stature dépassait largement ça. Ta famille a dirigé l'une des plus grandes organisations criminelles du pays depuis des siècles de générations, une histoire qui remonte très loin, fit remarquer Jungkook, le visage impassible.
— Mais... non... balbutia-t-il, plus que jamais confus et choqué, perdant ses mots. C'est ridicule. C'est pas ce que maman m'a dit, ni Jin ni mon père, balbutia-t-il, déboussolé.
— J'ai appris que tu as été préservé de leur monde, d'une partie de ton héritage. »
Si je l'avais su avant cette nuit, j'aurais peut-être agi autrement avec lui.
« Quoi ? Qui vous a dit ça ? tiqua-t-il, confus.
— Qu'importe. Ton père, ta grand-mère et les générations précédentes étaient les parrains et doyennes de ta propre famille et une grande partie des Kim. La plupart des membres de ton clan entretenaient des liens avec cette entité fondée par tes aïeux. Des personnes extérieures aux Kim étaient également à leur service. Actuellement, sous les directives de ton frère, ils assurent l'ordre dans le milieu criminel. »
Il s'interrompit, constatant que Taehyung était de nouveau submergé, terrassé.
Anéanti.
« Ton père a détruit ma famille, reprit-il, le ton froid et le regard plus acéré. Ainsi que bien d'autres. »
Taehyung fit un pas en arrière, frappé d'une peur soudaine. Le choc l'oppressait, hésitant d'entendre la suite. La douleur était vive, insoutenable. Car, dans les yeux du blond, il y avait une souffrance véritable, telle la profondeur d'un océan agité dévoilant des tempêtes qu'il ne cherchait plus à cacher.
C'était cela même qui le saisissait d'effroi ; il ne pouvait ignorer cette lueur, malgré l'absence de preuves tangibles.
Mais il ne pouvait se résoudre à ces révélations. Il fallait que Yoongi les lui confirme pour en saisir toute la vérité. Il pensa à lui avec une pointe d'amertume et de tristesse.
Est-ce qu'il sait, tout ça ?
« Comment ça "détruit" ? bredouilla-t-il, saisi par l'effroi, des pensées parasites lui montrant toutes les horreurs possibles et imaginables.
— Quand j'avais neuf ans. Ajoute à ça l'affrontement des clans d'il y a trois ans.
— C'est pas possible, souffla Taehyung, les mains et les lèvres tremblantes. Mais pourquoi ce serait lui qui... qui... balbutia Taehyung, peinant à envisager de telles implications. C'était même pas lui, le chef de clan, mais ma grand-mère !
— Il n'avait pas besoin de ce titre pour instiguer ses ordres. Il était presque aussi puissant et intouchable qu'elle, même en détenant vingt-cinq pour cent de l'entreprise, à l'époque. »
En baissant les yeux au sol, Taehyung promena doucement sa main le long de sa joue, les yeux écarquillés trahissant tout ce qui l'agitait sournoisement. Ses prunelles ne parvenaient pas à se fixer sur un point précis, témoignant de l'orage intérieur qui le torturait.
« J'arrive pas à y croire, c'est pas possible ! », s'opposa-t-il, sa voix résonnant avec puissance dans l'immensité du sanctuaire.
Il aurait préféré ne jamais croiser le regard de Jungkook où il décelait, inexorablement, la véracité de cette lourde révélation.
« Je n'ai aucun intérêt à te mentir.
— Et je suis pas obligé de vous croire !
— J'ai des preuves.
— Eh bien, montrez-moi ces preuves ! tempêta-t-il avec véhémence.
— Plus tard. »
Taehyung lâcha un petit rire nerveux et éreinté.
« Vous vous foutez de moi. Vous nous faites débarquer ici sans aucune preuve et vous espérez que je vous croie sur parole ? vociféra-t-il, incrédule.
— Je n'avais pas prévu de m'expliquer outre mesure ni t'accorder certaines réponses, rétorqua Jungkook d'un ton calme.
— Pourquoi ?
— J'ai mes raisons, répondit-il en croisant les bras sur son buste.
— C'est toujours la même chose, avec vous ! Vos "raisons", toujours vos "raisons" ! s'exclama-t-il, perdant de plus en plus le contrôle de ses nerfs.
— Il est encore tôt pour que tu saisisses tout, Kim, soupira-t-il, la mâchoire crispée, contenant une réplique acerbe. Tu n'es pas en mesure d'assimiler davantage.
— Qu'est-ce que vous en avez à foutre de mes états d'âme ? grinça-t-il. Pourquoi vous vous permettez de décider de ce qui est trop tôt pour moi ? Vous vous prenez pour qui ?
— Je n'ai aucun compte à te rendre sur mes choix, répliqua Jungkook avec désinvolture.
— Mais mettez-vous à ma place ! explosa-t-il, rouge de colère.
— Peu m'importe. Je préfère une approche méthodique, précisa Jungkook avec une nuance de condescendance feinte.
— J'ai le droit de savoir, brailla-t-il, les dents serrées.
— Je n'ai pas dit le contraire. Tu sauras lorsque je l'aurai décidé.
— Quand ?! hurla-t-il, la voix tremblante de frustration.
— Lorsque je l'aurai décidé, répéta-t-il en séparant chacune des syllabes d'une voix posée, imperturbable.
— Putain... ! », grogna Taehyung d'une voix forte, brisée par de légers trémolos, frustré et impuissant.
Il inspira profondément, son souffle frémissant. Un désarroi lancinant l'étreignait devant l'attitude du blond.
« Qu'est-ce qu'il vous a fait, à vos neuf ans ? », réitéra-t-il d'une voix étranglée, en relevant un regard à la fois résigné et craintif.
Face à ce changement soudain, Jungkook fronça les sourcils, capturant la confusion qui envahissait Taehyung. Il le vit vaciller, comme un château de sable s'effritant. Ses expressions emmêlées témoignaient d'une tempête émotionnelle.
« Il a... vous me dites qu'il a détruit votre famille, qu'est-ce que ça veut dire ? », poursuivit Taehyung.
Jungkook éprouva une nouvelle vague de compassion, mais la réprima aussi vite, las. Il semblait vivre la détresse de son otage à travers le miroir de ses yeux. Une expérience dérangeante.
« Je ne répondrai pas à ta première question. »
Taehyung hocha la tête, compréhensif malgré la frustration grondant dans sa poitrine.
« Que ton père y a indirectement contribué, précisa Jungkook, répondant à la seconde question.
— Donc ça veut dire qu'il ne vous a rien fait directement ? »
Une fragile lueur d'espoir étincela dans les yeux de Taehyung, touchant Jungkook bien malgré lui, méprisant cette sensation.
« C'est tout ce que je te dirai », dit-il, le regard froid.
Le plus jeune se mordit la lèvre, l'âme en tumulte. Il se sentait désemparé, égaré, comme si le monde avait changé de visage. Comme s'il était un étranger dans sa propre vie. Malgré ses doutes, les réponses du blond lui semblaient presque dérisoires.
« Je suis désolé pour ce que vous avez subi par leur faute. »
Même si j'arrive pas à y croire.
Ce fut tout ce que Taehyung put articuler, se sentant responsable alors même qu'il peinait à assimiler l'abrupte et brutale information, encore engourdi par le choc.
Jungkook fut incapable de dissimuler son étonnement, ses sourcils s'élevant légèrement. Avait-il véritablement présenté des excuses pour un méfait perpétré alors qu'il n'était qu'un enfant de quatre ans ? Troublé, il se retint avec peine de laisser éclater sa colère et de tout réduire en cendres sur son passage. D'où émanait cette soudaine furie ? À ses yeux, tout semblait teint d'une monstrueuse injustice.
Au lieu de cela, il inspira lentement, cherchant à apaiser sa respiration chancelante et son cœur agité. Il fixa le verre de vin à ses côtés, s'y versa une gorgée qu'il avala d'un trait, le reposant avec hardiesse, manquant de peu de briser le pied du cristal.
Il s'adossa contre le meuble tout en regardant le plus jeune. Il se retrouva face à des yeux dépourvus d'expression. Il fronça les sourcils alors qu'il l'observait assis contre le mur, légèrement recroquevillé sur lui-même, les jambes repliées contre sa poitrine. Taehyung attendait qu'il poursuive, sans avoir l'air de vouloir l'interrompre. Jungkook comprit qu'il s'efforçait de surmonter son choc et de méditer sur cette terrible nouvelle.
Il s'en tire bien...
Il détourna les yeux, maudissant intérieurement ce cœur, ce traître qui débordait — encore et toujours — de compassion pour l'enfant éploré et brisé.
« Kim, l'appela-t-il prudemment. Tu es avec moi ? », s'enquit-il ensuite, s'invectivant mentalement de se montrer aussi concerné par son état.
Taehyung émergea de l'abîme de ses pensées, ses yeux retrouvant leur éclat vital. Il resserra ses bras autour de ses jambes avant de se pincer les lèvres, anxieux quant à la question qui lui brûlait la langue.
« Qu'est-ce qu'il y a entre Jin et vous... ? s'enquit-il d'une voix éraillée.
— Une aversion réciproque. Et la mienne dépasse toute mesure, répliqua-t-il d'une voix caverneuse et amère.
— Il vous a fait du mal indirectement, aussi ? », souffla-t-il, le cœur battant à tout rompre.
Dès l'instant où Jungkook acquiesça, Taehyung lâcha un soupir tremblotant tout en dissimulant son visage au creux de ses genoux, cherchant refuge dans l'ombre.
Jungkook prit le temps de rassembler ses pensées, tandis que Taehyung relevait son visage, observant attentivement le plus âgé. Il peinait à concevoir que le visage de ce blond puisse être assombri par une telle tristesse, une telle détresse, un tel désespoir.
La douleur qu'il avait brièvement entrevue dans les yeux du blond lorsqu'ils étaient dans les vestiaires de son université était similaire au regard actuel qu'il n'affrontait plus avec la même hostilité.
Je dois quand même rester prudent, tuer est son métier et il a un contrat à mon nom à cause de Jin.
Ce constat fit naître un frémissement en Taehyung et Jungkook le perçut, ne l'ayant pas une seule fois quitté des yeux.
« Il a perpétré un acte grave, un geste que je ne pourrais jamais envisager de reproduire moi-même.
— Grave comment ? »
Il fut aussitôt légèrement intimidé et par ce regard à la fois glacial et soudainement enflammé par une rancœur manifeste.
« Il a trahi sa promesse, ce qui a déclenché une série de malheurs alors que je n'étais qu'un enfant.
— C'était indirect aussi ? souffla-t-il, articulant à peine.
— Oui.
— Donc, ils... lui et papa ne vous ont jamais fait du mal de manière... enfin, je veux dire...
— Non », le coupa-t-il d'une voix blanche.
Taehyung clôt les paupières en soupirant aussitôt de soulagement, avant de s'excuser du bout des lèvres de s'être montré soulagé face à l'amoindrissement de « l'acte grave ». Jungkook comprit qu'il cherchait à se figurer une image d'eux plus acceptable en s'assurant qu'ils ne l'avaient pas volontairement anéanti.
« Je n'en saurais pas plus, je suppose... soupira-t-il, résigné.
— Non. C'est entre lui et moi. »
Taehyung hocha doucement la tête, respectant ce fragment secret. Il ne souhaitait finalement pas savoir, son esprit craignant de se briser, malgré l'appel de la curiosité.
« Mais il a peut-être fait pire, reprit Jungkook.
— Quoi ? bredouilla aussitôt Taehyung en se redressant légèrement, l'expression inquiète.
— Je le soupçonne d'avoir mis fin à la vie de vos parents pour une raison qui m'échappe, prononça-t-il, le visage imprégné d'un profond dégoût.
— Pardon ?! », feula soudainement Taehyung, en se levant promptement du sol, bouillant de fureur.
Il gémit de douleur en se tenant le front, trébucha légèrement, puis se tint au mur en ressentant un étourdissement prononcé. Silencieux, Jungkook l'observa attentivement.
Jusqu'à présent, Taehyung avait maintenu un contrôle vacillant. Cependant, face à une révélation aussi inimaginable qu'insupportable, il se trouva dans l'incapacité totale de conserver la moindre maîtrise.
Comment osait-il incriminer son frère de la sorte ? Leurs propres parents ? Cette assertion était dénuée de tout fondement ! Et qui était cet assassin pour envahir sa vie, proférer des menaces mortelles, jouer avec son existence comme si elle n'avait aucune valeur, tout en révélant la prétendue vérité sur sa famille et la mort de ses parents ?
Sur quelle base pouvait-il affirmer que cela correspondait à la réalité ?
Il n'avait aucune preuve !
Non, j'accepte pas.
Taehyung émit un bref rire ironique, vibrant de nervosité, tandis qu'il se détachait lentement du mur. Il se tint avec une posture impeccable, le dos bien droit et le menton levé, lançant des éclairs de défi à Jungkook, face à lui à moins de trois mètres.
« Mais vous êtes pas bien ! Qu'est-ce qui me dit que vous mentez pas ? Vous dites n'importe quoi, Jin n'aurait jamais tué nos parents ! Vous vous rendez compte de ce que vous dites ? C'est pas possible, vous m'entendez ? s'égosilla-t-il ses gestes amples accompagnant ses paroles, emporté par une fébrilité nerveuse et une colère dévorante, ses veines saillantes ornant son cou telles les marques d'un tigre rugissant.
— J'ai dit que je le soupçonnais.
— Même ! C'est mon frère et je le connais ! Même s'il a changé, jamais il ferait ça ! hurla-t-il, les yeux presque fous. Je peux pas tolérer que vous l'insultiez comme ça !
— Je compr...
— Vous prétendiez le connaître, en plus ! le coupa-t-il, sa voix se brisant vers les aigus, sur le point d'éclater en sanglots.
— Calme-toi », tempéra-t-il avec une impassibilité qui ne trahissait aucune surprise face à cette réaction compréhensible.
Inconsciemment, le ténébreux se soumit, resserrant avec vigueur ses poings à en faire blanchir les jointures, ses ongles s'enfonçant dans ses paumes. Le souffle court et le corps fiévreux, il renifla, ravalant ses larmes. Ses nerfs le rendaient à fleur de peau et ce blond aux yeux perçants titillait sérieusement sa patience et sa santé mentale.
S'il apprenait encore une autre sentence choquante, il craignait de céder à la folie, de s'effondrer en pleurs en s'enroulant en position fœtale sur le sol. La lourde charge qu'il portait déjà pesait bien trop sur ses épaules, il ne voulait pas d'un fardeau de plus à supporter.
Jungkook lui accorda quelques instants de répit, se contentant de le fixer. Taehyung baissa ses yeux vides, élargis. Les jambes peinant à le supporter dégringolèrent au sol, là, au milieu de la pièce. Faisant fi de la froideur mordante du marbre, il s'allongea telle une étoile de mer. Il accueillit le frisson frigorifique, lui permettant de reprendre ses esprits. Le regard fixé dans l'infinité du velum, il contemplait sans les voir les splendides sculptures allégoriques qui ornaient le plafond du temple sacré.
Jin, assassiner leurs parents ?
Son père, un parrain ?
Son clan, une dynastie de l'ombre cachée derrière des métiers nobles ?
J'y crois pas un traître mot. C'est que des balivernes. Tout sauf vrai.
Pourtant, il conservait le souvenir des regards en coin qui lui étaient destinés durant sa jeunesse, à l'école. Ces regards qu'il n'avait jamais tout à fait saisis, mais qui restaient gravés dans sa mémoire d'enfant. Ces regards qui l'avaient maintes fois incité à poser des questions à son frère et à ses parents qui évitaient habilement de fournir des explications claires.
Ils sont simplement jaloux, mon fils. Ne fais pas attention à eux.
Une de leurs nombreuses réponses édulcorées.
Il se remémora les multiples refus des commerçants auxquels il avait soumis ses candidatures, il y a trois ans, désormais capable de saisir la véhémence injustifiée et inexplicable des injures qui lui étaient adressées, ainsi que leurs rejets.
Ces mêmes commerçants qui l'avaient inconsciemment orienté vers la prostitution.
Ces péripéties qui se succédaient éclairaient, avec une certaine logique, le drame qu'était sa vie.
Son existence entière se trouvait-elle ourdie par une trame de tromperies ? Comment concevoir que les injustices et les épreuves qui jalonnaient sa vie émanaient de son père ? Et son propre frère, dirigeant de cette nébuleuse criminelle...
Une pègre, par tous les saints.
« C'est inconcevable, chuchota Taehyung après un moment muré dans le silence, sans détourner les yeux du plafond décoré. Vous pouvez pas faire pire comme révélations.
— Tu serais surpris.
— Que ce soit vrai ou faux, je peux pas envisager ça, c'est trop soudain. Je peux pas vous croire sur parole en un claquement de doigts. »
Jungkook saisit avec une acuité remarquable la souffrance qui habitait actuellement le cadet.
« Je n'invente pas ce que je te dis, Kim. Ma présence ici repose sur une raison valable.
— Je minimise pas votre vécu, mais je peux juste pas, répéta-t-il, la voix étouffée. Comprenez-moi. »
Jungkook fronça les sourcils tandis qu'il le scrutait. Il accepta, exceptionnellement, de se laisser submerger par la vive compassion qui l'étreignit férocement.
Je te comprends mieux que quiconque.
Il était en proie à une amère empathie envers le cadet, en même temps qu'une haine d'une rigueur intransigeante était dirigée vers l'aîné.
Il le comprenait si aisément que, durant l'espace d'un instant, il se surprit à penser ce que cela ferait de lui souffler des mots compatissants afin de porter avec lui son fardeau. Brusquement, il clôt les paupières et se débarrassa aussitôt de cette idée qui lui parasitait inutilement l'esprit.
Le réconforter alors que je l'utilise comme un appât ? Et puis quoi encore ? Le protéger ? songea-t-il, amer, manquant de ricaner de manière acerbe.
Jamais, depuis le moment où sa vie avait pris un tournant décisif à ses neuf ans, ni depuis le commencement de son sombre parcours de chasseur de primes, n'avait-il ressenti ne serait-ce qu'un soupçon de bienveillance ou d'empathie envers un semblable.
Sauf son cercle restreint de proches qui se comptaient sur les doigts d'une main.
Il savait sa perception biaisée, mais à ses yeux, l'humain était drapé de ténèbres. Il pensait avoir perdu la capacité d'éprouver compassion ou amour de façon délibérée, ayant été malheureusement témoin de la sombre essence de l'homme, de sa monstruosité et de l'égoïsme intrinsèque et désolant qui l'animait.
Lui-même en faisait partie, d'une certaine manière.
Pour se protéger.
Cependant, en la présence du plus jeune, il percevait une subtile perturbation dans son univers, comme si l'ordre établi avait été troublé.
Un malaise s'insinua en lui.
Était-ce dû à l'innocence de ce Kim malgré le patrimoine génétique qui courait dans ses veines ?
Ou bien la profondeur de ses grands yeux sombres miroirs d'un passé doux-amer ?
Ces mêmes yeux qui le captivaient pendant un temps inhabituellement étendu, créant une étrange synapse ?
Était-ce parce qu'il ressemblait à sa feue marraine ?
Non, pas ce souvenir.
Il émit un clappement de langue irrité.
Encore et toujours ces mêmes pensées, ces mêmes questions... !
Jungkook fut contraint de réprimer la soudaine apparition d'un nœud dans sa gorge, de peur que son cœur bascule dangereusement. Il se trouvait au bord de l'implosion, sur le point de pousser un cri qui aurait mis à rude épreuve ses cordes vocales, de s'arracher les cheveux et de se griffer le visage à en faire jaillir le sang.
Son corps frémit, témoignant de l'intensité de sa retenue.
Il conserva un visage impassible, même si sa respiration légèrement plus rapide le trahissait. Il prit conscience que Taehyung le scrutait, curieux et préoccupé, sans proférer un seul mot, comme s'il lui accordait une certaine pudeur.
Il lui ressemble tellement...
Il soupira, éprouvé par ses pensées. De la poche intérieure de sa veste, il sortit son paquet de cigarettes mentholées.
« Suis-moi », murmura Jungkook tout en tirant un briquet de la poche arrière de son pantalon, ses pas résonnant sur l'ophite.
Taehyung le suivit des yeux, le blond s'éloignant vers la pièce adjacente, descendant habilement les quelques marches de marbre sans même se retourner. Taehyung grimaça. Bien qu'il eût en aversion son ordre, son corps fut animé par une impulsion irrésistible.
Il se releva avec lenteur, maintenant son regard fixé sur la silhouette imposante et lointaine, veillant à ne pas succomber à l'étourdissement persistant provoqué par le coup administré à sa nuque, ainsi que par le mal de tête intensifié par le choc de toutes ces révélations pétrifiantes.
Si je m'attendais à toutes ces conneries...
Ses pas hésitants et lents résonnèrent à leur tour, avertissant Jungkook de son approche timide. Taehyung descendit le court escalier et traversa les portes coulissantes. Son regard terne se posa sur chaque recoin du temple. Il était si éreinté que même sa magnificence accentuée avec les innombrables bougies dansant au gré de la brise glaciale ne réussit pas à l'émouvoir.
Il était vidé. Bouleversé. Égaré dans une dure réalité dévoilée.
La pièce adjacente baignait dans une douce pénombre, moins réchauffée, mais accueillant les lueurs argentées de la pleine lune qui s'y insinuaient avec aisance. Dans cet éclat de la nuit, ils se voyaient distinctement, tandis que les flammèches des bougies demeuraient à l'ombre de leur propre lumière.
Après avoir ouvert l'immense baie vitrée du balcon, Jungkook fumait calmement, s'étant accoudé sur l'épaisse balustrade en fer forgé et doré, capable d'accueillir cinq personnes. Taehyung s'approcha de lui, veillant à maintenir une distance confortable. Frissonnant de froid et regrettant la chaleur enveloppante du futon, il croisa les bras et lui fit face, appuyant une hanche conte le fer or.
Ses yeux caressèrent les contours du profil aux traits harmonieux du blond, endurcis par les épreuves. Il cligna des yeux, intrigué, lorsque ses prunelles tombèrent sur celles brillantes de mélancolie fixant l'horizon. Cette scène suscita en lui à la fois une perplexité et une vive curiosité pour les pensées de son aîné.
Il clôt les paupières afin de se reprendre et se racla discrètement la gorge.
« Vous avez connu ma grand-mère ? demanda-t-il d'une voix ténue.
— Je ne l'ai que rarement croisée, répondit-il avant de porter la cigarette à ses lèvres.
— La chance. »
Le coin des yeux de Jungkook se plissa légèrement, révélant l'ombre furtive d'un sourire naissant.
« Et donc ? Elle vous a aussi... hésita le plus jeune.
— Formule des phrases complètes, Kim. Je ne suis pas devin. »
Taehyung soupira.
« Est-ce qu'elle est responsable de quelque chose ? grommela-t-il.
— Non, mais je ne suscitais pas son affection et elle n'avait pas charmé mon cœur d'enfant », déclara-t-il, tandis qu'un nuage blanc s'échappait de ses lèvres avec une grâce hypnotique.
Taehyung ne put s'empêcher de pouffer discrètement, amer.
« Personne ne l'aimait, de toute façon, souffla Taehyung. Pas même papa, son propre fils.
— Ta mère osait lui tenir tête.
— Ouais, ricana le ténébreux, la voix adoucie à ce souvenir. Elle lui fermait le clapet avec tact. J'adorais voir la vieille bique enrager face à mes parents. Même Jin se dressait contre elle, parfois.
— Témoigne un brin de respect pour ton aïeule, ironisa Jungkook.
— Rien à foutre, elle mérite aucun respect, grimaça-t-il. Je lui ai même écrasé le pied parce qu'elle dit à maman qu'elle n'était personne, marmonna-t-il, les sourcils froncés à ce souvenir.
— Tu as bien agi, le félicita-t-il, la voix légère en tapotant sur son bâton sans quitter des yeux l'horizon étoilé.
— Merci.
—Tu avais quel âge ?
— Huit. »
Huit...
Jungkook se livra à une équation mentale, bien qu'il ne comprît pas son désir d'assimiler son âge à celui de Taehyung.
J'avais treize ans. Un an avant ma libération.
« Tu remontes dans mon estime, susurra-t-il, faisant fi du malaise qui l'étreignait à l'évocation de son passé.
— Ah bon, marmonna-t-il en levant les yeux au ciel. Et si je vous dis que j'ai craché dans son verre de vin, une fois ? Et que maman m'a vu et qu'elle a ouvertement ri ? Et qu'avec Jin, on a jubilé comme des fous en la voyant boire ? Et quand on l'a raconté à papa, il a eu un sourire satisfait ? Oui, on était des bâtards, je vous l'accorde, mais elle l'a cherché, aussi. »
Jungkook se mordit la langue, tentant de refréner son amusement, mais la fossette apparente le trahit.
« Sacrée anecdote. »
Dans son esprit, la scène se matérialisa et, malgré la compression de son cœur, un bref et ténu souffle rieur lui échappa.
C'était doux-amer.
J'aurais pu vivre ça à leurs côtés.
Quant à Taehyung, le poids sur son cœur s'allégea, mais il perdit son sourire dès qu'il prit conscience de l'étrange atmosphère qui les entourait.
Envolée la discorde.
Une légèreté inédite empreignait leurs échanges. Ils évoquaient un passé presque commun qui semblait adoucir les aspérités de leur ressentiment mutuel.
Peut-être étaient-ils simplement épuisés.
Peut-être avaient-ils simplement besoin d'une trêve dans leur haine.
Une haine ?
Qu'étaient-ils, en réalité ? Il y a à peine quelques instants, ils auraient catégoriquement affirmé être des ennemis doublés d'aversion, d'aigreur envers l'autre.
À présent, ils se trouvent incapables de se définir.
Il n'empêche qu'ils se laissaient emporter par l'instant, même si des interrogations planaient dans l'air, même si la colère et la rancœur de Taehyung pesaient lourd envers le traitement brutal du blond. Même si la méfiance de Jungkook envers le ténébreux et ce qui sommeillait en lui demeurait intacte.
Même si toute affection était inexistante, absente.
« Elle était... mauvaise, souffla Taehyung, après un court laps de temps, les yeux rivés sur les feuillages en contrebas. Elle les menaçait beaucoup juste parce qu'ils n'allaient pas dans son sens.
— Ça ne m'étonne pas, typique d'un Kim. »
Taehyung lui lança un regard mauvais.
« Non, arrêtez tous avec ça. Je deviendrais jamais comme elle, siffla-t-il avec toute la conviction du monde, la poitrine enflammée. Les médias ont extrapolé sur nous, vous ne devez pas persister à penser ça.
— Oh, il me paraît improbable que tu atteignes son degré de malfaisance. Et je ne conteste pas ton patrimoine génétique, dont je me méfie. C'est la seule chose que je juge fiable dans les médias, puisque je l'ai intimement constaté.
— C'est vraiment n'importe quoi, grogna-t-il. Faut pas généraliser.
— J'espère pour toi que tu emprunteras le même chemin que ta mère. Que tu n'aies pas été préservé pour rien. »
Déstabilisé, Taehyung haussa les sourcils, fixant son profil. À nouveau, il fut frappé par le regard spleenétique égaré dans la nuit infinie.
« Bon ! s'exclama subitement Taehyung. Est-ce qu'on peut arrêter ça ? L'encens nous est monté à la tête ou quoi ? C'est trop bizarre », grommela-t-il en grimaçant.
Jungkook émit un faible souffle railleur, aussi délicat que le battement d'ailes d'une mésange. Le silence fut souverain en l'espace de quelques minutes, chacun plongé dans ses pensées.
« Écoutez, mes parents ont été assassinés, mais pas par mon frère, murmura-t-il, comme s'il ne désirait pas briser le silence presque apaisant s'il occultait sa propre situation. Jin n'y est pour rien, je vous l'assure. »
Jungkook expira des volutes de fumée mentholées, la mine se froissant de dédain.
« Comment tu peux me l'assurer ? demanda Jungkook, l'expression légèrement sarcastique, sans détourner le regard de l'horizon, sa voix naturellement forte et profonde claquant dans le silence de la nuit bien avancée.
— Je ne le vois pas faire... ça. Le simple fait de l'imaginer dépasse l'entendement, je... », argua-t-il, la voix vacillant à la fin de sa phrase, sa gorge se nouant soudainement.
Il baissa la tête et serra ses bras croisés contre sa poitrine, son cœur palpitant à l'idée que son frère puisse être le véritable responsable de l'assassinat de leurs parents.
Avait-il été crédule, aussi dupe à ce point ?
Seokjin aurait donc dissimulé sa tromperie derrière son apparence bienveillante, lumineuse et attentionnée tout au long de leur enfance ?
Impossible.
À l'entente du déni de Taehyung, le cœur de Jungkook se comprima pour la énième fois, cette nuit. Tapotant sur sa cigarette, il s'approcha de son otage de quelques pas et plongea ses prunelles droit dans les siennes, faisant sensiblement la même taille. Taehyung se crispa, les sourcils froncés, attentif et méfiant.
Jungkook ne releva pas, le contemplant calmement tout en savourant les effets de sa cigarette. Il ne désirait plus l'effrayer. Parce qu'à mesure qu'il observait ce visage révélateur d'un passé qu'il ne pouvait plus occulter, il percevait de plus en plus en lui une femme dotée de ce même charme délicat et envoûtant, son prénom résonnant dans son esprit fracturé.
Eun-Ae.
Jungkook était profondément perturbé. Depuis le début, cette ressemblance le rendait misérablement fragilisé. Des blessures longtemps refermées se rouvraient, et des souvenirs teintés de joie, éloignés dans le temps, émergeaient de son subconscient pour ressurgir dans la clarté de sa conscience.
Sans parler de l'étrange bulle de trêve qu'ils venaient de forger, à l'instant, puis détruite.
Taehyung s'efforça de maintenir fermement ses pieds ancrés au sol, tolérant la proximité de Jungkook avec une résistance telle qu'il put sentir le mélange agréable de son eau de Cologne avec les effluences mentholées de sa cigarette. Une combinaison qu'il considérait comme étant fort raffinée.
Les arabesques de fumée caressaient délicatement ses narines, mais son esprit était irrésistiblement captivé par le regard élégiaque et vibrant de tristesse de Jungkook, dont l'éclat révélait un chagrin insoupçonné, laissant Taehyung sans voix.
« À quoi vous pensez ? murmura-t-il sans détourner les yeux.
— À Eun-Ae. »
Taehyung tressaillit, son cœur battant à un rythme effréné. Ses yeux s'élargirent. Maman ? Plus encore, il demeurait sans voix à l'entente de son ton. Doux. Trop doux pour qu'il ne se pose pas de questions. Trop doux pour qu'il n'aperçoive pas, dans ses yeux saturniens, la douleur de ce que sa disparition avait sûrement causé à son ravisseur.
Comme si sa mère avait été un élément positif dans sa vie, contrairement à l'ombre que représentaient son père et son frère.
« Elle... Vous avez l'air d'avoir de bons souvenirs avec elle, non ? balbutia-t-il d'un ton qu'il aurait voulu moins désespéré. Est-ce que... »
Il se tut, et déglutit.
« Est-ce qu'elle a été celle que j'ai toujours connue ? », reprit-il d'une voix semblable à une supplique.
Des ondulations de fumée dansant hors de ses lèvres, Jungkook détourna le regard, fixant le paysage enveloppé d'un voile sombre et ponctué par la lueur de la pleine lune sur les crêtes montagneuses. Ses yeux se perdirent au loin, vers les étoiles scintillantes comme des joyaux éparpillés dans le ciel profond.
« Pitié dites-moi qu'elle n'était p... », réitéra-t-il, sa curiosité le poussant à braver sa peur de la réponse.
Le regard de Jungkook se riva instantanément sur lui, animé par une impulsion incompréhensible.
« Oui. Oui, elle était juste et droite », s'empressa-t-il de le rassurer, la voix aussi basse qu'un souffle du vent, avant de détourner le regard, étonné de sa réaction.
Elle avait une âme dotée d'une beauté authentique et rare. Un peu comme la tienne, peut-être.
Un souffle ténu et tremblant sembla alors fendre l'atmosphère, porteur du soulagement intense de Taehyung.
« Quant à ce qui est advenu par la suite, je ne te garantis rien. Je n'étais plus là, à mes neuf ans. »
Le plus jeune hocha la tête, son soulagement se mêlant aux brumes du doute. Il se pinça les lèvres, refrénant la question qui brûlait son cœur.
Qu'est-ce qu'il vous est arrivé, à neuf ans ?
« C'était l'associée de mon père, donc elle gérait... », dit-il avant de s'interrompre, indécis, ses prunelles rivées vers le profil blond.
Son regard chercha celui de Jungkook. Leurs yeux se croisèrent, et le plus âgé saisit le fond qui scintillait. Un espoir timoré, timide.
« Elle représentait les affaires légales de ton clan, répondit-il.
— Comment vous le savez ?
— J'ai mené quelques recherches. Tout est réglementaire et licite en son nom. »
Taehyung arqua un sourcil, surpris.
« Vous avez voulu vous en assurer ? » s'enquit-il, le ton presque indulgent, compréhensif.
Jungkook acquiesça, pivota à nouveau face à la vue nocturne, se présentant de profil à Taehyung. Il éteignit sa cigarette contre le fer doré et laissa le mégot s'échapper de ses doigts, le suivant de son regard se perdre entre les feuillages en contrebas.
« Donc mon père gérait les activités... », s'interrompit-il de nouveau, comme si sa langue pesait des tonnes.
Il s'éclaircit timidement la gorge, mal à l'aise.
« Illégales, compléta Jungkook.
— Ouais », lâcha-t-il après un bref et faible ricanement désabusé.
Et c'était quoi précisément ces activités illégales ?
Il tressaillit, pris d'une terreur face aux réponses évoquées par son esprit.
Drogue ? Proxénétisme ? Corruption ? Homicides ?
Papa aurait été ce genre de connard ? Impossible.
Un frisson lui parcourut l'échine. Il avait l'impression d'errer à l'aveugle, perdu dans son propre monde. Il était terrifié. Ses doigts massèrent avec lenteur son visage, cherchant à voiler la détresse qui imprégnait son regard.
« Ma mère devait donc adhérer à ce que faisait mon père, non ? Puisqu'ils étaient... associés. »
Jungkook quitta l'horizon des yeux lorsque la voix de Taehyung craqua au dernier mot. Il le vit inspirer profondément, serrer la mâchoire et déglutir, l'expression douloureusement abattue.
« Je me suis aussi posé la question.
— Et donc, vous en pensez quoi ? », le pressa-t-il.
Je préfère imaginer qu'elle guidait ton père par amour pour lui plutôt que par devoir envers sa famille.
« Je ne sais pas, gamin.
— Vous pouvez pas avoir des infos ?
— Non. »
Le cœur serré par cette incertitude, Taehyung accentua son regard, dans l'expectative qu'il poursuive.
« Ces infos ne sont pas accessibles informatiquement, ajouta Jungkook. À moins de se déplacer pour les intercepter directement à la source. »
Taehyung acquiesça doucement.
Alors Yoongi doit savoir, lui.
« J'arrive pas à comprendre qui vous pourriez être, murmura-t-il, la tessiture de sa voix éraillée. J'aurais pu dire que vous avez cherché des infos sur moi pour m'enlever et arriver à vos fins. »
Sale sauvage.
Dire qu'il aurait été heureux de lui faire part de cette insulte était un euphémisme. Une telle confession allégerait quelque peu son cœur.
« Mais j'ai bien compris que vous étiez un véritable proche », poursuivit-il.
Jungkook arqua un sourcil narquois, bien que son visage parût comme taillé dans la pierre, dur et froid. D'un vif mouvement du menton, il lui intima de poursuivre.
« Vous êtes aussi un Kim ? », s'enquit Taehyung.
Avec un regard qu'il avait dû dérober au diable, Jungkook posa sur lui des prunelles vides, mais dont l'ardeur incandescente témoignait de l'offense qu'il ressentait.
« Quelle insulte », murmura-t-il, le ton menaçant.
Taehyung se retint de reculer d'un pas, ayant frémi face à son aura écrasante.
« Alors, répondez-moi.
— Plus tard. »
Taehyung lâcha un souffle, frustré et agacé. Il ne trouva guère la force de s'emporter, son esprit encore ébranlé.
« J'ai oublié à quel point vous pouvez être chiant. Pourquoi pas maintenant ? grinça-t-il, la mine crispée.
— Je t'ai déjà dit je procède dans l'ordre.
— Vous pouvez vous le foutre là où je pense, votre ordre », cracha-t-il.
À la fois surpris et habitué, Jungkook ne put réprimer un rire. Un éclat fugace et sincère, faisant fondre l'expression contrariée de Taehyung. Un son bref, non feint. Il s'était esclaffé d'un rire délicieusement grave qui laissa Taehyung coi.
Alors il est capable de rire comme ça ?
« Je rêve ou ça vous fait rire ? lâcha-t-il, à la fois irrité et stupéfait.
— Tu es bien le fils de ta mère. Sa fougue t'a été transmise », murmura-t-il, les yeux résolument posés sur l'horizon noir.
Taehyung souhaita répliquer, mais il se sentit comme une marionnette animée par des paroles muettes. Il fut de nouveau pris au dépourvu par ce ton légèrement plus tempéré et cette expression à peine plus adoucie, agrémentée du spectre d'une expression mélancolique.
Encore cette mélancolie.
Pourtant, un malaise étreignit Taehyung. Il fut presque troublé de constater, une fois de plus, cette humanité en lui. Comme si l'évocation de sa mère lui faisait davantage baisser son masque déjà bien dégagé.
« Pourquoi vous n'agissez pas gentiment avec moi ? Avec le vrai vous, comme tout à l'heure ? Comme maintenant. »
Ses lèvres s'étaient mues par une force invisible, comme si c'était son cœur qui avait pris la parole.
Le visage de Jungkook se ferma aussitôt, une ombre glissant sur ses traits. Surpris, Taehyung se retint de reculer face à cette métamorphose drastique d'expression.
Comme s'il s'est rendu compte qu'il était sorti de son rôle.
En très fin observateur, Taehyung décela une lueur, une fissure dans l'armure de son ravisseur. Une énigme complexe se dessinait devant lui, une dualité entre la noirceur de ses gestes et la lueur d'humanité vacillante dans le regard du blond. Une résonance troublante émanait de cet homme, une vague agitée entre culpabilité et désir de vengeance.
Et dans cette nuit interminable, Taehyung saisit que derrière chaque acte cruel se cachait un écho de douleur.
Cet homme était perdu dans un entre-deux d'ombre et de lumière.
Sinon, pourquoi l'aurait-il assommé puis enlevé pour lui évoquer sa famille, surtout sa mère avec une douceur terrifiante, alors même qu'il aurait simplement pu s'abstenir ?
À moins qu'il s'affaiblît.
« Revenons-en au sujet principal, dit Jungkook d'une voix grondante, évitant toujours son regard. Les médias ne connaissent pas la vérité.
— Ah, parce que vous, oui, ironisa-t-il.
— Justement, non. »
Taehyung fronça les sourcils, perdu et agacé par ses réponses souvent vagues.
« Elle a été dissimulée. »
Taehyung médita un instant, puis hocha doucement la tête. Cette éventualité se dessinait avec clarté. Mais qu'est-ce qui justifierait la dissimulation d'une vérité au profit d'une version différente auprès des médias et des journaux, si son frère n'avait rien à cacher ?
Son souffle se suspendit, et ses yeux s'écarquillèrent.
« Non, mais à quoi je pense ! », rugit-il entre ses dents.
Jungkook le scruta. Soudain, une lueur espiègle jaillit au fond de son regard, exprimant son amusement pour une idée que Taehyung trouvait obscure. Ce dernier remarqua l'apparition délicate de ridules au coin de ses yeux.
« Des connexions sont en cours, là-haut ? demanda-t-il en désignant sa tête d'un geste du menton, le ton teinté d'un subtil sarcasme.
— Arrêtez d'influencer mes pensées avec vos belles paroles. »
Le regard profond de Jungkook maintint une tranquillité troublante, cependant Taehyung perçut l'éclat fugace de malice qui dansa dans les prunelles.
« Tu es conscient que je t'expose la vérité, mais tu résistes à l'admettre.
— N'essayez pas de prétendre savoir ce qui se passe dans ma tête », cingla-t-il, renfrogné.
Plutôt crever que de reconnaître qu'il a raison.
Les lèvres closes, Jungkook émit un doux souffle moqueur, le visage demeurant telle une forteresse impénétrable. Taehyung grinça des dents, tandis qu'il serrait les poings dissimulés sous ses aisselles, les bras résolument croisés, bravant le froid en frissonnant sporadiquement.
« Tu es intelligent, affirma Jungkook. Je sais que tu as déjà établi quelques liens. »
Cette réponse se suffisait à elle-même. Taehyung comprit qu'il avait été percé à jour.
« Et alors quoi ? Jin aurait dissimulé l'identité de l'assassin de mes parents ? grogna-t-il, cynique.
— C'est très probable. »
Comme il est tout aussi probable qu'il cache une vérité plus significative.
« Mais il y a eu des enquêtes, ils ont découvert des empreintes, ils ont fait une autopsie sur...
— Tu as vu leurs corps à la morgue ? l'interrompit-il.
— Non, je... »
Il détourna le regard.
Je pouvais pas. Pas comme ça.
« Il est inconvenant de soutenir des affirmations sans en avoir confirmé la véracité de tes propres yeux, jeune homme.
— Je prétends rien ! s'exclama-t-il en relevant des yeux agacés vers lui.
— Que disait la conclusion du rapport de police ?
— La même chose que les médias, répondit-il entre ses dents.
— Pourquoi penses-tu que l'affaire a suscité un tel matraquage médiatique ?
— On parle d'un milliardaire connu, là, dit Taehyung, perplexe. C'est normal que...
— Lorsqu'une affaire est fortement médiatisée, c'est souvent pour détourner l'attention et dissimuler d'autres éléments, le coupa-t-il de nouveau.
— Mais ça n'a...
— Pourquoi crois-tu que la plupart des gens te rejettent ? l'interrompit-il à nouveau.
— Bon, c'est bon là, je... grommela-t-il, assailli.
— Tu es devenu un paria à leurs yeux, n'est-ce pas ? poursuivit-il, lancé dans son élan.
— Mais vous allez arrêter de me couper ? grogna-t-il, à la fois irrité et confus par cet enchaînement de questions.
— Je veux te souligner le caractère suspect de cette affaire, Kim. Tu n'as pas été témoin du décès de tes parents ni informé des vraies conclusions de l'enquête. Ta connaissance se limite donc aux rapports médiatiques.
— Et où j'aurais dû prendre les infos, hein ? s'insurgea-t-il. J'avais quinze ans !
— Je parie que tu n'es pas au fait que certains des grands journaux et chaînes télévisées avaient reçu des sommes considérables pour façonner une autre version sur l'assassinat de tes parents, poursuivit-il, ignorant sa question.
— Quoi ? balbutia-t-il, perdant aussitôt sa mine froissée. Comment vous... ?
— L'argent a toujours une traçabilité, il suffit d'en maîtriser les rouages.
— Mais... qui les a payés ?
— Je n'ai pas pu découvrir l'identité du payeur. Et qu'ont-ils dit d'autre ? » enchaîna-t-il.
Les lèvres de Taehyung se murent, marionnettes muettes dans le ballet des non-dits. Assailli de toutes parts, il se trouva prisonnier de son silence.
« Ton clan a été accusé, à tort ou à raison, alors que trois clans étaient impliqués au même niveau dans la bataille d'il y a trois ans. Ironiquement, il semble que l'histoire ait pris une tournure des plus intrigantes : ces mêmes clans sont glorifiés comme des héros pour avoir triomphé du tien. Les Park, notamment, ont incriminé ton père d'avoir rompu le traité de paix en causant la mort des anciens chefs, les parents de Jimin. Quelle conclusion tires-tu de cette farce, Kim ? Parce qu'à mes yeux, c'en est une. »
Nul répit ne lui était accordé, le ton à la fois péremptoire et neutre de Jungkook créait une cage impossible à briser. Taehyung se perdait dans le silence, ses croyances se fissurant, prêt à céder sous le poids d'un cataclysme intérieur.
« Alors ? demanda Jungkook, le rappelant à l'ordre.
— Je sais pas, putain ! », aboya-t-il, les yeux agités et écarquillés.
Il éprouvait cette sensation désagréable d'être acculé contre un mur, privé de toute issue possible.
« Le résultat est que tu endosses les lourdes retombées de la bataille. Tu te retrouves affublé d'un fardeau mensonger. À mes yeux, tout semble orchestré pour que tu restes dans le flou. Il y a une faille dans la vérité accessible, comme si on te refusait l'accès à la vérité sous-jacente. Quelle étrange manière de te préserver. Ou de te tourmenter. »
Taehyung resta immobile, les yeux rivés dans ceux intransigeants du blond. Son regard exprimait un mélange de choc et de douleur. Son corps entier était crispé, trahissant la tension émanant de sa posture.
« Mais pourquoi Jin aurait fait ça ? souffla-t-il.
— Ton clan était trop puissant. Le pouvoir, le contrôle tentaculaire, les secrets sombres pourraient avoir conduit tes parents à dissimuler des découvertes potentiellement compromettantes qu'auraient faites les Park. Ou peut-être même que les Park ou les Jeon avaient fait ou repéré quelque chose qu'ils n'auraient pas dû. Je ne saisis pas le réel but de cette bataille.
— Mais ça n'a aucun rapport avec moi, c'est ridicule ! dit-il, éberlué.
— Non, je te l'accorde. Mais fais le lien avec tout ce qui t'est subitement arrivé il y a trois années, et ce qui est en train de se produire depuis quelques heures. Ce n'est pas anodin. »
Les yeux dans le vague, la mine profondément troublée, Taehyung ne pensa qu'à une chose.
Jin est venu me voir il y a trois ans, pile après les affrontements. Et il réapparaît cette nuit, comme par enchantement. Ça semble trop bien orchestré pour être une simple coïncidence. Et si quelque chose de grave est sur le point de se produire ?
Mais pourquoi moi ? Pourquoi je me trouve ici avec ce type à découvrir tout ça ?
Il releva des yeux nerveux, troublés. Il refusait, s'affolait, pris au piège de ses propres hésitations. Il tanguait sur le fil ténu entre la certitude et le désarroi.
« Je te trouve bien silencieux. Qu'est-ce que tu en tires ?
— Écoutez, c'est... ce que vous... »
La voix de Taehyung se brisa. Jungkook eut l'impression de voir ses paroles se fracasser en éclats sur le sol, alors que Taehyung secouait la tête avec une vigueur presque désespérée, comme pour chasser ses pensées. Un souffle léger et frémissant lui échappa, tandis qu'il glissait une main nerveuse à travers ses mèches sombres, fixant Jungkook d'un regard alarmé.
« Tout ça, c'est... fou, bredouilla-t-il. C'est vraiment difficile à concevoir... !
— Tu étais en quête de mes réponses, les voilà, rétorqua-t-il, dissimulant sa compassion dans son regard impassible.
— Ces réponses sont bien maigres, sans preuve, protesta-t-il, la méfiance teintant sa voix.
— J'en possède, mais il reste des zones d'ombre. C'est précisément pour cette raison que j'ai besoin de ton aide.
— J'appellerai ça une "aide" si vous avez agi différemment et que j'y ai expressément consenti, grommela-t-il, las.
— Tu m'aideras, objecta-t-il.
— Et si je refuse ?
— Tu voudras tôt ou tard connaître le fin mot de l'histoire », conclut-il, le regard portant une lueur énigmatique.
Taehyung demeura immobile, ses paupières battant rapidement, prisonnier de l'instant où le tumulte de ses émotions l'accablait.
« Vous avez l'air sûr de vous », grinça-t-il.
Mais ce sauvage a raison. Je veux la vérité, toute la vérité, quoi qu'il en coûte. Même si je suis terrifié.
Jungkook ne répondit pas, se contentant de serrer les dents, les muscles de sa mâchoire s'animant sous la tension, tandis qu'il contemplait la lune.
« Je connais le commandant de police qui s'est occupé de l'affaire. C'est mon tuteur, il a pu constater leurs... leurs corps à ma place. Il m'a tout raconté et m'a confirmé les faits... ! dit-il en faisant des gestes désespérés pour appuyer ses paroles.
— Peut-être qu'il te protège.
— Je refuse de croire qu'il me mentirait sur quelque chose d'aussi grave. Il a été là pour moi. Il a pleuré la mort de ma mère qui était aussi sa meilleure amie. Je l'ai vu complètement bouleversé, au plus bas ! Je vous interdis de le diffamer ! protesta-t-il, heurté.
— Du calme, je ne diffame personne, rétorqua-t-il, imperturbable, influencé par les relents apaisants de l'astre nocturne. Il est possible qu'il adhère sincèrement à ce qu'il t'a dit. Il pourrait également être influencé ou être tenu dans l'ignorance de certaines informations. »
Le regard à présent noir et les narines dilatés par l'agacement, Taehyung fixait Jungkook sans ciller. Il était contrarié par la façon dont cet assassin ébranlait les fondements de ses convictions les plus profondes.
Au fond, il lui était reconnaissant de lui ouvrir les yeux, peu importait s'il l'utilisait pour arriver à ses fins, peu importaient ses desseins sous-jacents, peu importait si tout cela était potentiellement fallacieux, car cela lui apportait enfin des réponses.
Même si c'était une réalité difficile à assimiler.
Le comble ? Son intuition lui soufflait que ce blond ne mentait pas.
Mais plutôt crever que de le reconnaître ouvertement.
« Pourquoi tu marmonnes dans ta barbe ? s'enquit Jungkook, toujours de profil, amusé de l'entendre grincer des dents et pester des murmures inintelligibles.
— Parce que vous m'énervez, grommela-t-il.
— La vérité n'est jamais agréable. »
C'est ta tête qui est pas agréable.
« Tu devrais en discuter avec Yoongi, ton tuteur. »
Taehyung sursauta, éberlué.
« Putain, mais jusqu'où vous connaissez mes proches ? », s'insurgea-t-il, sa contrariété grandissant à l'idée que cet homme possédait une connaissance presque exhaustive de sa vie, alors que lui-même était dans l'ignorance totale à son sujet.
Jungkook dévia son regard du paysage sombre et paisible pour fixer Taehyung avec une indifférence impénétrable. Le ténébreux grinça des dents, un rictus d'irritation tordant ses lèvres.
« Bon. Vous le côtoyez ? demanda-t-il, suspicieux.
— À ton avis ? »
Taehyung se pressa les tempes, les massant doucement, tentant d'apaiser le tumulte de son exaspération.
« Et ça veut dire quoi ça ? soupira-t-il, avant de retenir à la dernière seconde un juron cinglant.
— Qu'on est en zone grise, lui et moi.
— ...Zone grise ? Parce que vous êtes un criminel et qu'il est flic ? »
Il comprend vite.
« Être un chasseur de primes ne signifie pas nécessairement que je suis un criminel, Kim.
— Si vous me dites que vous êtes un justicier, je vous crève les yeux, répliqua Taehyung avec une froideur glaciale, ses yeux étincelants d'indignation.
— Bien que je ne souscrive pas totalement à cette menace, je tiens tout de même à souligner que je suis loin d'être un criminel », répéta-t-il avec calme, refrénant un sourire amusé.
Taehyung émit un ricanement sarcastique.
« Mais bien sûr, prenez-moi pour un con. Parce que tout le monde sait que les chasseurs de primes sont juste des philanthropes en herbe qui sauvent des chats coincés dans des arbres. Vous avez raison, c'est totalement la même chose que tuer mon voisin derrière une ruelle », grogna-t-il, sa voix teintée d'un venin brûlant.
Jungkook émit un souffle rieur, échappant à tout contrôle. Si Taehyung ressentait une tension électrique crépitant dans l'air, le plus âgé demeurait serein et diverti par son audace.
« Bon, au lieu de vous esclaffer, j'ai juste ou pas sur votre zone grise avec Yoongi ? le pressa Taehyung, les paupières battant rapidement par l'agacement.
— Plus ou moins », répondit-il avec flegme, malgré l'amusement discret sur son visage.
Le sourire narquois du blond ne put que s'accentuer dès qu'il l'entendit souffler d'irritation.
« J'en ai marre de vos réponses trop vagues », accusa-t-il en baissant des yeux troubles.
De son doigt, Jungkook caressa discrètement sa lèvre inférieure pour réprimer son rictus amusé et incontrôlable. Une nouvelle joute se profilait et, contre toute attente, il ressentit le désir de l'engager. Un léger froncement de sourcils révéla son hésitation, troublé par cette envie brûlante.
Ce n'est pas le moment de divaguer.
« On partage une quête commune, Kim : la vérité.
— Vous voulez dire Jin, rétorqua-t-il, le ton âpre, en jouant avec un pan de sa chemise, nerveux.
— En d'autres termes, oui, puisqu'il est probablement celui qui a étouffé l'affaire. Il en a largement les moyens.
— Vous n'êtes même pas sûr, soupira-t-il en relevant les yeux, tombant dans ses prunelles perçantes.
— J'ai mes ressources. »
Le cœur de Taehyung s'embrasait dans l'ardeur de son bouleversement, libérant ses paroles en de flèches acérées porteuses de son ressentiment.
« Vos ressources d'assassin, là ? Vous passez votre temps à geeker devant votre ordi dans le noir avec une capuche ? demanda-t-il, d'un ton mordant, en croisant une fois de plus les bras sur son buste, frissonnant de froid.
— Précisément », répondit Jungkook en enfouissant les mains dans les poches de son pantalon.
Seuls ses yeux dévoilaient l'étendue de son divertissement. Ils scintillaient.
« Il est amusant. »
Jungkook clôt brièvement les paupières, les ridules sur le coin de ses yeux s'accentuant à peine.
Encore une fois, il sentit l'arrivée d'un énième duel et ne put s'empêcher d'en être impatient. Au fond, il méditait toujours sur la source de cette exaltation, qui lui semblait si étrangement familière.
« Ça explique les crevasses sous vos yeux. »
Bingo.
« Tu es plein de jugements, mais je suppose que ces crevasses sont inévitables dans ma profession, déclara-t-il, le visage neutre malgré la lueur mutine dans le regard.
— Plus cliché tu meurs », marmonna Taehyung, caustique.
Cette fois, Jungkook ne put refréner un sourire en coin.
« Je croyais que vous ne saviez que tuer des gens ? relança Taehyung d'un ton acerbe, ses yeux perçants défiant ceux de Jungkook. Ou les traquer, les menacer ou les kidnapper, au choix. »
Le sourire narquois de Jungkook s'épanouit d'une sombre intensité, son regard dégageant une arrogance calculée.
« C'est déjà pas mal, n'est-ce pas une avancée appréciable ? lâcha-t-il avec désinvolture.
— Ça vous amuse ? s'exclama Taehyung, les yeux étincelants de mépris.
— Assez, oui, répondit Jungkook avec un calme déconcertant, savourant chaque mot comme une pointe aiguisée plantée dans le cœur de son adversaire.
— Mais vous êtes inhumain ! cracha Taehyung, les poings serrés. Vous n'avez pas de cœur !
— Oh ? N'est-ce pas toi qui disais le contraire, quelques instants plus tôt ? », le provoqua-t-il.
Le ricanement de Taehyung résonna dans l'air glacial, mêlant frustration et dégoût.
« Vous n'avez aucune idée de ce qu'est un cœur. Le vôtre est trop noir pour que vous le perceviez. J'espère que vous crèverez à la prochaine crise », cracha-t-il.
« Bordel, ce petit Kim... »
Des rires éberlués et amusés caressèrent les oreilles de Jungkook, qui lutta contre l'envie irrépressible de se joindre à leurs éclats.
« Je me trouve perplexe, cher ami. Qu'ai-je donc fait pour mériter une telle rancœur ? déclara-t-il, avec une pointe de malice dans la voix.
— Passez votre arme, pour voir ? maugréa-t-il, frémissant sous l'effet du froid et de la colère qui brûlait en lui. Je vais vous rafraîchir la mémoire sur ce que vous avez fait ! »
Alors qu'il sortit à nouveau son paquet de cigarettes, Jungkook haussa un sourcil, un éclat de folâtrerie dans ses perles noires.
« Il semblerait que tu développes déjà des tendances meurtrières, dit-il d'une voix doucement grondante, un éclat inquiétant et mordant dans les yeux, avant de placer un bâton entre ses dents d'un geste fluide et habitué. Ça progresse plus vite que je ne l'imaginais.
— Jamais ! Je suis pas sans âme comme vous ! cracha-t-il, son regard lancinant lançant des éclairs de haine.
— En chaque être humain réside le potentiel du mal, répliqua Jungkook, le ton cynique, avant d'allumer le tabac. Selon les circonstances, poursuivit-il en expirant la fumée, tu ne te sentiras jamais emporté vers ton côté sombre. Il te séduira en douceur, te guidera vers des chemins où tu croiras agir correctement, ensorcelé par cette brûlure en toi. Mais c'est une vile illusion, car tu es en réalité aveuglé. Charmé par tes propres ténèbres. »
Puisque je le sais. Kim ou pas, c'est simplement humain.
« N'importe quoi, grinça Taehyung, bien que légèrement perturbé par ces propos. C'est biaisé, c'est votre point de vue. Selon vous, tout est perdu si on fait un écart, je suis pas d'accord. Il existe un truc qui s'appelle la rédempt...
— Sauf si tu as cette chance inouïe d'être remis sur le droit chemin par tes proches », poursuivit Jungkook en le coupant, mettant un terme à leur partie de bras de fer.
Je n'ai pas eu cette chance assez tôt.
Le silence s'étira comme une corde tendue entre deux archers, vibrant d'une électricité palpable, chacun fixant l'autre avec une intensité qui aurait pu faire fléchir les âmes les plus vaillantes.
« C'est marrant venant de celui qui a fait le choix de me kidnapper au lieu de simplement agir de manière civilisée et venir m'en parler ? », ironisa Taehyung, son ton tranchant comme une lame.
Alors qu'il exhalait lentement la fumée, Jungkook arqua un sourcil, sceptique.
« Toi, tu m'aurais écouté et suivi ? répliqua-t-il, un soupçon de sarcasme dans la voix.
— Bah oui ? rétorqua-t-il d'un ton évident, exaspéré. Puisqu'on veut la même chose. Si vous m'aviez simplement expliqué, je vous aurais dit que moi aussi je cherche des réponses en Jin et que je veux le retrouver, mais que seul, j'y arriverais pas. Même si je devais m'associer à un mercenaire qui semble connaître toute ma famille. »
« J'adore comment il remet toute notre vie en question. »
...Bon.
« Ce qui est fait est fait, soupira-t-il, son ton restant imperturbable malgré l'amertume qui compressa son cœur. Et je ne suis pas un mercenaire.
— Et il s'excuse même pas, pouffa Taehyung, amer. Et c'est pareil.
— Je ne suis pas là pour te materner, dit-il d'une voix placide et détachée. Et non, ce n'est pas pareil.
— J'ai demandé à être materné, peut-être ? », s'écria-t-il, le visage rouge de ressentiment et le cœur battant à tout rompre, épris par ses émois troubles et intensifiés.
Cet homme allègre et serein — mais quel connard — ne lui laissait aucun répit. Sa maîtrise de soi était exaspérante.
« Ça suffit, Kim », finit par souffler Jungkook, le ton calme, tout en retenant une expression légèrement plus enjouée.
Il avait savouré chaque moment de leur confrontation.
Taehyung se tut instantanément. Les expressions du blond, qui dérogeaient à son habituel mépris, à sa haine et sa souffrance, le prenaient au dépourvu, laissant libre cours à ses étonnements incontrôlés.
À cet instant, il éprouvait une fascination irrépressible envers la présence du plus âgé. Quand bien même il le répugnait, quand bien même il le craignait un peu moins, quand bien même sa simple vue l'horripilait, Taehyung était inéluctablement conquis par la beauté de cet homme périlleux, dont le visage se trouvait adouci par la luminescence lunaire, réduisant considérablement son aspect intimidant.
Jungkook éprouvait un léger amusement mêlé de confusion en observant son otage qui le scrutait de manière presque dévorante. Il ne fit aucune remarque, constatant qu'il était perdu dans une contemplation inconsciente.
« Tu es convaincu ? demanda Jungkook de sa voix légèrement plus éreintée, la fumée s'échappant d'entre ses lèvres à chaque syllabe.
— J'en sais rien, moi... », marmonna Taehyung en détournant le regard, fronçant les sourcils, et resserrant ses bras croisés autour de son buste dans un geste intuitif de protection.
Les tréfonds de son âme refusaient d'envisager la version du blond, son cœur saignant à cette simple idée. Néanmoins, il éprouvait à la fois un sentiment de révolte et de résignation lorsqu'il comprit qu'il pourrait envisager d'accepter les informations graves partagées par lui.
Non.
« Je crois en Jin. Et en Yoongi. Surtout en Yoongi », dit-il avec aplomb.
De nouveau, un esclaffement. Un simple rire. Taehyung arqua un sourcil, une teinte légèrement rosée s'invitant sur ses joues, révélant sa confusion mêlée à une subtile lueur d'irritation.
« Quelle naïve innocence », souffla simplement Jungkook, sa voix baissant d'une octave.
Soudain, un mot, un écho fissura Taehyung en une myriade d'éclats sombres.
Les rougeurs qui coloraient son visage étaient désormais le résultat de la honte qui l'envahit. Il abaissa les yeux vers le sol tout en réprimant avec effort une nouvelle vague de colère qui bouillonnait en lui, menaçant de déborder à tout moment, se propageant insidieusement sur sa peau et à travers ses veines.
En vain.
Il frémit, son souffle s'accéléra, alertant Jungkook qui se fit plus attentif, le visage dur.
Habité par la fureur, Taehyung décroisa les bras et empoigna vivement le col de Jungkook qui, trop surpris pour réagir, se contenta de le fixer, le visage marqué par l'incompréhension.
« Non seulement vous vous permettez d'insulter ma famille, et en plus vous me réduisez à l'innocence ? Plus jamais vous évoquerez ce terme ! Je suis loin d'être innocent, et encore moins naïf ! Vous ne savez pas par quoi je passe depuis qu'il... que je dois... putain... ! », grogna-t-il, terrassé par une subite céphalée.
Sa prise se desserra. Sa tête palpitant de douleur s'abandonna entre ses paumes tremblantes, un gémissement étouffé lui échappant. Il recula, chancelant, une main cherchant la balustrade qu'il agrippa désespérément, tandis que l'autre maintenait fermement son front.
Jungkook était si profondément interloqué face à son expression peinte de douleur pure, qu'il relégua l'idée de lui faire payer son affront au second plan. Il se tint plutôt attentif à ses réactions, désireux de percer le mystère de ce trouble soudain.
Taehyung se laissa glisser le long du mur près de la large fenêtre, après s'y être rattrapé de justesse. Une danse muette entre l'effroi et la compassion s'insinua en Jungkook ne put réprimer le léger mouvement de recul de sa tête, les sourcils froncés, tandis que la chemise de Taehyung s'était relevée dans sa manœuvre, dévoilant l'origine du malaise du blond.
Un ventre creux. Anormalement creux.
Les flammes de ses émotions crépitaient en Taehyung, mais même au cœur de cette fournaise, un frisson glacé parcourait son échine. Étreint par le froid mordant, il se recroquevilla, enserrant ses jambes contre son torse. Sa tête se perdit entre ses genoux, ses doigts osseux s'accrochèrent à sa chevelure sombre. Il frottait son front en de gestes lents, mais intenses, comme pour apaiser une douleur insaisissable.
Le souffle haletant, un geignement plaintif jaillit de ses lèvres, suivi de murmures poignants, de lamentations, de réprimandes qui s'échappèrent, perturbant le silence du temple.
Jungkook demeurait silencieux. La mâchoire serrée, il n'avait d'autre choix que de river son regard troublé sur son otage qui succombait enfin à l'ampleur de ses émois, se grattant vivement le front par moments et extériorisant sa peine, oubliant la présence de celui qui lui avait appris la cruelle réalité.
Et qui, inconsciemment, en un seul mot murmuré à la légère, avait suffi à ébranler Taehyung, déclenchant en lui une cascade de traumatismes enfouis.
Innocent.
Un mot chargé d'une puissance dévastatrice, fragilisant le plus jeune.
Jungkook détourna les yeux avant de les fermer à regret lorsqu'il entendit de légers sanglots. Les mains crispées contre la rambarde et les yeux perdus dans le décor montagneux, Jungkook se dit que Seokjin avait infligé d'indicibles tourments à bien des âmes, y compris celle de son propre frère.
Frère que le cadet continuait de défendre et d'aimer, mais qui tombait à présent des nues, souffrant de la désolante vérité. Désormais, les voilà réunis sous un même toit dans le dessein de répondre à celui qui avait précipité leur existence dans un tourbillon de souffrance presque quotidienne.
Par moments, le cours du destin révélait son étonnante complexité.
En grinçant des dents, Jungkook s'accouda sur la balustrade, le dos voûté, préférant éviter de fixer Taehyung, lui laissant ainsi sa sphère d'intimité. Par respect, malgré tout.
Je lui dois au moins ça.
Taehyung prit un long moment pour se remettre de ses émotions et, d'un geste lent et faible de sa manche, il essuya les traces de tristesse et de colère tout en reniflant discrètement, quelques hoquets faisant frémir sa poitrine. Une sensation de vide l'envahit, son corps se faisant lourd, presque courbaturé.
Il poussa un discret soupir tremblotant. Il était complètement épuisé, la peau de son front le picotant, se sachant griffé par ses propres soins. La céphalée éclair avait enfin disparu, mais son cœur continuait de saigner en abondance.
Il baissa le regard sur ses mains frémissantes, constatant qu'il était arrivé à son seuil de tolérance pour ainsi céder à un déchaînement émotionnel en la présence d'une menace ambulante et armée.
Sans le vouloir, Jungkook avait ravivé en lui les images nocives de son labeur avilissant.
Un travail qui n'avait rien d'innocent.
Innocence qu'il avait perdue il y a bien longtemps.
Lentement, il leva la tête vers Jungkook qui l'observait déjà. De là où il se trouvait, Taehyung fut frappé par la lueur de désolation irradiant de ses prunelles. Bouleversé, il se questionna de nouveau sur la véritable nature de son ravisseur. Pour fixer sur lui un tel regard étonnamment sincère, il semblait ressentir une certaine compassion pour son otage, comme s'il comprenait ce que traversait le plus jeune.
Taehyung clôt brièvement les paupières, les sourcils froncés.
Il comprendra jamais ce que c'est, d'être utilisé.
Puis il se rendit compte de son ignorance à son égard. La véritable identité de cet assassin, dont la personnalité lui paraissait enchevêtrée, mais intrigante, demeurait inconnue. Les moments partagés en sa compagnie lui avaient révélé une nuance d'indulgence cachée sous la noirceur de son âme qu'il devina entièrement fissurée.
Si ce n'était brisée par la disgrâce de son sort.
Taehyung ricana en secouant la tête, fixant ensuite le sol à ses pieds. Se pouvait-il qu'il ait succombé à la folie ? Cet homme indulgent possédait une emprise totale sur son destin.
Il tuait moyennant une compensation financière.
C'était sa source de subsistance.
Alors, arrête tes conneries. Indulgent ou pas, qu'il ait fait partie de mon passé ou non, il reste un criminel.
Jungkook se redressa de la rambarde et le regarda ricaner dans son coin tout en se questionnant s'il allait devoir être témoin d'une nouvelle éruption émotionnelle, potentiellement encore plus intense cette fois-ci. Néanmoins, Taehyung releva ses yeux, désormais emplis de larmes et chargés de chagrin, exprimant ainsi son affliction et son désespoir.
Émettant un cri silencieux de détresse face auquel Jungkook demeurait impuissant, puisqu'il en était l'instigateur. Cet enfant était sévèrement éprouvé par sa faute. Il contemplait le résultat de ses actes égoïstes, prisonnier dans ses propres remords.
Avec une démarche délibérément lente, Jungkook s'avança vers son captif qui le regardait de manière impassible, dépourvu du moindre signe de nervosité ou de réticence. Il était si épuisé qu'il n'avait même pas la force de ressentir le moindre agacement à l'égard de celui qui l'avait plongé dans la tourmente.
Affalé contre le mur, les yeux vides, les bras entourant ses jambes repliées, il observa le blond s'accroupir devant lui, posant ses coudes sur ses propres genoux. Leurs mains se frôlaient presque.
Jungkook retint un mouvement de recul face aux prunelles égarées, un océan d'émotions contradictoires. Taehyung dégagea légèrement les mèches de ses cheveux, agacé par la sensation moite sur son front. Une fine coupure s'y dessinait sous les yeux du plus âgé.
Il s'est griffé à s'en faire saigner.
« Qu'est-ce que tu avais ? », demanda Jungkook d'une voix neutre.
« Oh ? »
Il ignora la fourberie de son esprit. De nouveau, ses mains tremblèrent de fureur contre une part de lui-même, trahissant l'orage qui grondait en lui. Il répudiait ce qu'il ressentait. Inquiétude. Peine. Remords.
Désir d'abandonner le plan. Le marché.
Et abandonner sa quête de réponses ?
Il n'en était pas question.
Taehyung remarqua les poings frémissants du blond, perchés sur ses genoux.
« N'hésitez pas, hein, le provoqua-t-il d'une voix faible et éraillée. Frappez. Sortez-moi de ce cauchemar qui a assez duré. »
Outré, Jungkook demeura coi un bref instant, son visage se durcissant, marquant un ressentiment contenu.
« Tu penses réellement que je vais te violenter ? s'indigna-t-il. Je ne suis pas un monstre.
— Vous vous définissez comment, alors ? », se moqua Taehyung, la voix ténue, un murmure caustique faisant pétiller ses yeux d'une ironie flagrante.
Jungkook se figea. Il se perdit instantanément dans le miroir de sa propre noirceur, où la lumière vacillante révélait les contours d'un monstre tapi dans l'ombre de son âme. Ses yeux se ternirent, semblant voir au-delà de Taehyung.
Un monstre... ?
« Vous semblez choqué. Vous avez la mémoire courte ? Vous m'avez assommé, je vous rappelle, sans parler du canon enfoncé contre ma tempe, fit-il remarquer. Pour moi, c'est de la violence.
— Non ! J'ai veillé à te traiter différemment, j'ai... »
J'ai renoncé à t'enchaîner. À t'effrayer davantage. Je n'aimais pas ça.
Le mouvement de sa mâchoire devint saccadé, prête à se rompre sous la pression de ses émotions contenues.
...Pourquoi ressentir le besoin de me justifier ?
« Ah. Vous croyez que donner à boire c'est un traitement différent ? Ou bien parler de ma famille comme si vous en faisiez partie va miraculeusement abaisser mes barrières ? pouffa-t-il. Et c'est moi qui suis naïf ? Je vous rappelle que vous avez mon nom dans votre putain de liste, tempêta-t-il, la mine froissée par le dégoût.
— Tais-toi, imposa-t-il, sa voix résonnant impérieusement dans l'acoustique sacrée du temple.
— Je crois pas non. La vérité fait mal, hein. Vous représentez tout ce que je déteste, et vous êtes un monstre. »
Jungkook se releva vivement, toisant durement Taehyung en le dominant de sa stature imposante.
« Abstiens-toi de proférer ces accusations. Je ne suis pas un monstre, et je te conseille de cesser de jouer avec mes nerfs », contra-t-il, le cœur embrasé sous l'injustice qu'il ressentait.
Il serra ses poings, se sentant humilié lorsqu'il entendit l'insidieux petit rire froid du ténébreux.
« Sinon quoi ? le provoqua-t-il. Vous allez m'assommer, encore ? Allez-y, au moins je parlerais pas dans le vent en disant que vous êtes un gros bâta...
— Sinon rien ! cria-t-il, indigné.
— J'arrive vraiment pas à vous comprendre, rétorqua Taehyung, trop remonté pour le craindre. Vous m'emmenez ici p...
— Tu as voulu des réponses, le coupa Jungkook, son regard sombre et impénétrable.
— Arrêtez de me couper, putain, grogna-t-il, les dents serrées. Et ça va être de ma faute, maintenant ? On vit définitivement pas dans le même monde », clama-t-il, acerbe.
Doucement, les échos d'un ricanement parvinrent à Jungkook. Taehyung glissait doucement vers une hilarité incontrôlable. Ses éclats étaient presque teintés de folie. Un frémissement traversa Jungkook. Il passa une main fébrile dans ses mèches blondes, tandis qu'il faisait craquer sa nuque dans un geste nerveux, un malaise oppressant étreignant sa poitrine.
« Je vais devenir fou, putain », chuchota Taehyung d'une voix tremblotante, après s'être lentement calmé.
Il secoua la tête et, bon gré mal gré, il se releva, le corps engourdi. Son élan combatif mêlé à la résignation le poussa à s'accrocher à la rambarde, les coudes appuyés sur le fer forgé. Il s'épuisait dans l'effort de tenir debout. La tête baissée, ses mèches ondulées dansaient au gré de la brise glaciale, dissimulant parfois ses yeux.
« Hé. »
Alors qu'il était en train de se frotter lentement les yeux, Jungkook redressa brusquement la tête vers un Taehyung immobile contre la fenêtre, la posture voûtée, les yeux cachés. Il cligna des yeux, ses sourcils se rejoignant dans une expression mêlée de curiosité et d'irritation face à la manière dont il fut appelé.
« Je vous fais pas confiance. Je veux pas vous croire. Apportez-moi même des preuves, je vais choisir de me référer à ce que m'a dit Yo... »
Avant que le plus jeune n'eût achevé sa parole, Jungkook, telle une tempête annoncée dans le silence de l'aube, perdit irrémédiablement son sang-froid.
Bondissant vers lui, il abattit une main courroucée sur la balustrade dorée. Taehyung sursauta brusquement, son cœur sur le point de se rompre. Il protesta tandis que le blond saisissait son col, ses yeux étincelant de fureur.
« Ce que tu observes en moi découle de ce qu'ils ont permis qu'on me fasse subir. Je ne saurais te dissimuler ça, puisque tu sembles capable de me lire », déclara-t-il d'une voix basse et profonde, chargée d'animosité, le regard acéré et agité transperçant le plus jeune.
Sa voix fut calme. Paisible comme un lac endormi. Pourtant, son ton fut puissant, sa tessiture féroce, troublant l'équilibre fragile de Taehyung. Une vague de terreur et d'épiphanie l'ébranla face à la brutalité de cette confession.
« Lâchez-moi », murmura-t-il d'une voix éraillée, tandis que ses yeux tentaient en vain d'éviter le regard perçant du blond.
Il paniquait, il voulait se soustraire à ces gouffres éloquents et échapper à cette marée inexorable qu'il n'arrivait guère à repousser. Ses yeux s'embuèrent à mesure qu'il lisait en Jungkook cette souffrance qui lui était déjà familière. Impossible de l'ignorer, de la nier. Elle était là, tissée dans l'étoffe de leur premier regard échangé à l'université.
Taehyung ouvrit la bouche pour répéter sa requête, frissonnant sous l'oppression de leur proximité forcée, mais il fut l'interrompu dans son élan.
« Je te conterai mon histoire, un jour, énonça-t-il d'une voix moins menaçante, mais toujours empreinte de son timbre caverneux caractéristique. Je sais que tu as un sens aigu de l'observation. Je sais que tu as attentivement scruté mes réactions lorsque j'étais près de ton frère.
— Et alors ! Ça ne veut pas d... »
D'un geste vif, Jungkook le secoua, le faisant taire sur-le-champ en un seul mouvement. Les lèvres de Taehyung se pincèrent sous l'irritation, ses dents grinçant.
« Je n'approuve aucunement son mauvais comportement à ton égard, poursuivit-il avec une fermeté glaciale, non pas parce que je me soucie de ton sort, mais parce qu'il incarne le mal.
— Marrant ça. Et le vôtre, on en parle ? Votre hypocrisie me sidère.
— J'ai compris, Kim, gronda-t-il d'emblée. J'ai compris... », répéta-t-il, la tessiture un brin moins hargneuse.
J'ai compris que je ne suis pas plus estimable que Jin, en fin de compte.
Désarmé, Taehyung se contenta de le fixer avec peine. Vaincu, car touché par la détresse du blond déguisée en colère. Il détourna le regard, regrettant presque son élan de véhémence. Jungkook le relâcha avec moins de brusquerie qu'il l'aurait voulu, laissant flotter dans l'air le poids de leurs émotions non dites.
Enfin libéré, Taehyung réarrangea son haut avec un soupçon d'arrogance. Un regard noir et un reniflement dédaigneux lancés, il lui tourna ostensiblement le dos. il fit face au paysage nocturne, inhalant à pleins poumons l'air pur du mont Anson, les mains fermement agrippées au fer doré.
« De toute façon, mentit-il, de mauvaise foi, je m'en fous complet de votre histoire. »
Loin de s'en offusquer, Jungkook haussa un sourcil, le coin de ses yeux se plissant à peine sous l'amusement qui engloutit doucement son irascibilité et son heurt précédents. En une enjambée, il s'approcha de Taehyung, le tintement sourd de sa chaussure résonnant sur le sol en ophite.
« Tes réponses se trouvent pourtant dans mon histoire, gamin, murmura Jungkook avec une pointe d'amertume, se tenant face à Taehyung qui était de profil, s'accoudant sur un bras contre la balustrade du balcon.
— Si c'est vrai, alors répondez à toutes mes questions. Et arrêtez de m'appeler comme ça, on n'est pas potes et on le sera jamais, rétorqua-t-il, le ton tranchant, posant son regard fulminant sur le blond qui le fixait déjà.
— Plus tard, dit-il d'un ton las, retenant un rictus, sa colère s'étant définitivement évaporée.
— Oh putain... siffla Taehyung, le regard fulminant. Au prochain "plus tard", je vous jure devant Dieu que je saute sans hésiter. »
Jungkook s'esclaffa sobrement, accentuant le regard noir de Taehyung.
« Étouffez-vous », morigéna-t-il.
Avec un clappement de langue faussement réprobateur, Jungkook se tourna, laissant le paysage nocturne derrière lui, pour appuyer le bas de son dos contre la balustrade, les mains gracieusement posées de part et d'autre de son corps sur la rampe.
« Il semble que ta crainte à mon égard s'estompe, c'est presque décevant.
— Je crains personne, siffla-t-il, son regard acéré transperçant presque Jungkook qui fixait un point invisible devant lui.
— Sauf Dieu, c'est ça ? persifla-t-il.
— Exactement. »
Surpris, Jungkook tourna la tête vers lui, ses yeux contemplant son profil. Il demeura ainsi, silencieux, semblant chercher des réponses dans des prunelles légèrement mordorées, résolues à l'éviter. Il ne s'attendait pas à ce que Taehyung affirme sa foi dans leur échange tendu, alors qu'il n'avait fait que l'insinuer en plaisantant, loin de se douter de la véracité de sa croyance.
Sentant son regard lui brûler la joue, Taehyung émit un clappement de langue irrité.
« ...Quoi ! s'insurgea-t-il sans relever les yeux de l'horizon.
— Toi aussi ?
— Quoi, moi aussi ? grogna-t-il en le regardant enfin. Me dites pas que vous êtes croyant, je pourrais mourir de rire.
— Non, pas moi. Eun-Ae l'était aussi », souffla-t-il, ignorant sa pique.
La mine agacée de Taehyung laissa place à une profonde mélancolie. Les yeux du plus âgé étaient les miroirs des siens avec une sobriété et une subtilité accrues. Taehyung détourna promptement le regard, sentant des larmes lui picoter les yeux.
« Je ne devrais pas être étonné que tu sois croyant. »
Taehyung prit une profonde inspiration.
« Ne jouez pas avec ça.
— Je ne comptais pas le faire. »
Leurs regards se croisèrent à nouveau, cette fois-ci avec un peu moins de tension, laissant place à un fragile équilibre.
« Vous étiez qui, pour elle ? demanda-t-il en serrant les poings, sachant d'ores et déjà qu'il n'obtiendra pas sa réponse.
— Es-tu certain de vouloir ma réponse ? s'enquit-il, retenant un sourire mutin.
— Puisque je vous le demande ! s'exclama-t-il.
— Je préfère m'abstenir au risque de te voir sauter. Ce serait regrettable que mon projet soit compromis par un énième "plus tard". Évitons les déconvenues, hm ? »
Si Jungkook s'en divertissait, Taehyung rit jaune. Un rictus d'irritation tordit ses lèvres, sa mâchoire se serra au point de menacer de céder, et ses yeux semblaient prêts à déchaîner des éclairs mortels.
« Bon. J'en ai marre, lâcha Taehyung, les yeux brûlants d'indignation. Je traite pas avec des inconnus, encore moins des malades mentaux qui cherchent une vendetta à mon frère. Je passe mon tour. Bonne chance à vous, adieu et à jamais. »
Jungkook humecta ses lèvres, fort amusé par ses propos. Néanmoins, il ressentit l'impératif de calmer la situation avant que l'énergie chargée de tension ne prenne une tournure plus préoccupante.
« Je ne te laisse pas le choix, Kim.
— Dommage, parce que j'ai encore mon libre arbitre, Dol, cracha-t-il. Et vous ne me l'enlèverez pas. »
Jungkook arqua un sourcil, réprimant un rire naissant. Taehyung se retourna d'un pas décidé, sa démarche ample et vive, prêt à partir. Mais alors qu'il atteignait presque la porte, un cliquetis retentit.
Celui d'une arme où on désengageait la sécurité.
« Osez tirer, pour voir ! », aboya-t-il en se retournant à demi, courroucé, sans cesser de marcher.
Et Jungkook n'hésita pas. Avec une précision parfaite, il tira.
Une détonation retentit brutalement dans le calme du temple, faisant écho entre les murs ancestraux et interrompant le silence sacré d'un coup sec et assourdissant.
Taehyung sursauta vivement, puis se figea par le fracas, tandis que l'odeur âcre de la poudre emplit l'espace autrefois imprégné de prières. Un sifflement avait traversé l'atmosphère, frôlant son oreille comme une promesse sombre. Le cœur de Taehyung menaçait de céder. Il était pétrifié, ses pupilles dilatées reflétaient l'horreur, son sang était glacé dans ses veines, et l'air se dérobait de ses poumons.
Le fils de pute. Il a osé.
Lentement, il se retourna, la rage éclipsant sa raison, tout comme la terreur palpitait en son âme.
Le silence s'étendit comme un monarque sur son tronc d'ébène.
Dans un calme trompeur, Jungkook abaissa son arme, laissant la fumée se dissiper dans l'air stagnant. Il fit un pas en avant, et Taehyung recula instinctivement, puis se figea lorsqu'il entendit le clappement de langue avertisseur du blond qui lui intima clairement de s'immobiliser.
Il plongea une main dans sa poche, serein, sachant que Taehyung était maintenant sous contrôle, le fixant de ses yeux écarquillés, le souffle erratique, le visage frémissant de colère contenue et les poings serrés.
Un tableau de désespoir face à la domination de l'autre.
Il était acculé, piégé, enchaîné par les circonstances.
« Tu n'iras nulle part », dit-il d'un ton impénétrable, alors qu'il s'approchait de son otage.
Taehyung fixait Jungkook d'un regard aussi noir que l'encre de minuit, si puissant que l'on aurait cru que sa simple intensité aurait pu faire fondre la peau de Jungkook.
Assuré de son autorité, le blond sortit sa main de sa poche. Son regard pénétrant et sérieux plongea avec fermeté dans celui du plus jeune. D'un geste subtil, il lui fit lever le visage avec un doigt sous le menton. Vivement, Taehyung claqua sa main avec le dos de la sienne, refusant tout contact.
Sur le point d'expulser un déluge d'insultes ciselées par la colère, ses lèvres frémissaient déjà dans l'attente de libérer le torrent bouillonnant de son indignation, mais Jungkook l'interrompit.
« J'ai été tolérant jusqu'à présent. Désormais, je m'attends à une obéissance totale, sans équivoque. Sois conscient que je saurai recourir à ce besoin, le cas échéant », dit-il d'une voix sombre, montrant son arme.
Taehyung rit jaune, sa voix prenant une tonalité froide, ponctuée de subtiles vibrations tremblantes.
« Osez affirmer que vous êtes pas un monstre, après ça, reprocha-t-il, avec dégoût.
— Tu ne sais pas ce qu'est un véritable monstre, Taehyung, objecta-t-il, le regard plus concerné. Je te souhaite de ne jamais expérimenter cette sombre parcelle de leur existence. »
Taehyung fut hébété qu'il prononce son prénom. Plus encore, il fut subjugué par son ton d'une amabilité inattendue. C'était comme si chaque syllabe était tissée de vérité pure. Le plus jeune en perdit ses mots, emportés par le flot de son étonnement. Son regard se perdait dans celui évocateur d'un passé dont il devinait les tourments, dont les récits semblaient insupportables.
« Évite de me contraindre à des actions que je n'aspire pas à entreprendre avec toi », soupira-t-il, glissant son arme dans son étui derrière son dos, la rangeant.
Il recula de deux enjambées, élargissant la distance entre eux. Lorsqu'il perçut que le corps de Taehyung se détendait légèrement et qu'il n'était pas près de répliquer ou se rebeller, Jungkook sut qu'il était temps de libérer une vérité enfouie sous les strates du silence.
Une vérité parmi tant d'autres.
Une vérité qui, une fois dévoilée, changerait à jamais le cours de leur destinée. Il le savait.
Il l'espérait.
« Jungkook, c'est mon véritable prénom », se présenta-t-il, le visage à présent dénué de toute émotion.
Le prénom que ta mère a choisi.
Les muscles de Taehyung se relâchèrent davantage, comme des cordes tendues se dénouant soudainement. Son expression naguère irascible laissa place à une mine incertaine et dubitative. Toute trace de colère s'était évanouie. Il recula d'un pas, le fixant comme si une seconde tête apparût soudainement sur l'épaule du blond.
« V... vous venez de quel cl...
— Jeon. »
À l'évocation du nom du clan, le cœur de Taehyung bondit férocement, effleurant les hauteurs des souvenirs... quels souvenirs ? Mais il n'avait pas rêvé : dans cette unique syllabe, il avait saisi l'étrange écho d'un passé.
Une sensation de familiarité qui le rendit perplexe.
Attentif, Jungkook le scrutait, se demandant si le ténébreux le reconnaissait.
« Jeon... souffla le plus jeune. Jeon Jungkook », répéta-t-il d'une voix feutrée, les sourcils froncés et les yeux dans le vague, agités.
Silencieux, le blond plissa légèrement les yeux, intensément curieux, cherchant à sonder les pensées de son captif.
« Pourquoi votre nom me dit quelque chose ? Mais votre tête me dit rien ! proféra-t-il, frustré.
— À toi de me le dire, répondit le blond avec un léger soupçon de déception.
— Répondez... supplia-t-il, la mine perdue. Et d'ailleurs, pourquoi Jimin vous a appelé Dol ?
— Mystère... », murmura-t-il, l'expression légèrement sinistre.
Taehyung frémit imperceptiblement. Il ne sut guère la raison pour laquelle son corps réagit ainsi. Face à ce Jeon, il ressentit une étrange tension, un avertissement muet de l'âme. Il réalisa à quel point il ne devait pas le sous-estimer.
« Ah, ben oui. C'est sûrement un nom de code », affirma Taehyung après quelques secondes de réflexion, le visage sérieux.
Discrètement amusé, Jungkook secoua doucement la tête, se demandant jusqu'où s'étalait la perspicacité du ténébreux.
« Kim, fais ce que je te demande, et je te délivrerai les réponses que je détiens. Et à deux, nous en découvrirons davantage. »
Comme un sursaut dans le calme d'un lac, Taehyung eut un tic musculaire sur sa mâchoire lisse, suivi d'un soupir exaspéré.
Ç'aurait été trop facile.
« C'est du chantage, tempêta Taehyung avec fermeté.
— Un compromis.
— On n'a pas la même définition d'un compromis, je crois », cingla-t-il.
Il y eut un long silence dans lequel ils se fixèrent. À la place de s'intensifier, la tension entre eux s'estompa, chacun pressentant que cet échange touchait à sa fin, qu'il était temps enfin de conclure.
Las, Taehyung fit quelques pas vers un mur près du grand balcon, désireux de s'asseoir tant il se sentait lessivé, tant ses jambes lui donnaient presque la sensation d'être du coton. Le tir fracassant l'avait tellement effrayé que ses tremblements demeuraient, faisant imperceptiblement tressaillir ses mains de manière sporadique.
Toute la durée de cette nuit, ses nerfs avaient été mis à dure épreuve.
« Bon, c'est quoi le plan précis ? », soupira-t-il d'une voix faible et éteinte, s'asseyant contre le mur.
Jungkook fut surpris par cette demande subite, ayant presque oublié la raison de leur présence au temple tant l'instant s'était étiré. En venant ici, il ne s'était pas imaginé lui accorder autant de temps ni autant de réponses, encore moins que le passé viendrait se faufiler entre eux, tissant des instants tantôt nostalgiques, tantôt piquants de joutes qu'il qualifiait de stimulantes.
C'était comme une renaissance, une redécouverte de la complaisance en compagnie d'une âme qui le ravivait.
Avec une démarche délibérément lente, Jungkook s'avança vers son captif qui le regardait de manière impassible, dépourvu du moindre signe de nervosité ou de réticence. Il était si épuisé qu'il n'avait même plus la force de se rebeller.
Affalé contre le mur, les yeux vides, un bras reposant sur sa jambe pliée et frissonnant momentanément de froid, il observa attentivement le blond qui, de nouveau, s'accroupissait devant lui avec lenteur, posant ses coudes sur ses propres genoux.
Ils demeurèrent en silence pendant un bref instant, leurs regards se reflétant mutuellement. Une douleur commune, une colère partagée les unissait. Même si chez l'un, il n'y avait aucun désir de faire couler le sang de Seokjin, contrairement à l'autre.
Avant de parler, Jungkook prit un moment pour puiser en lui la force nécessaire afin de prononcer les mots qu'il avait en tête.
Les mots qui faisaient partie du chantage, du rôle qu'il avait construit et joué auprès de lui. Son regard s'aiguisa. Il choisit d'ignorer l'amertume qui lui enserrait le cœur, alors qu'il discernait l'accablement grandissant dans le regard de l'autre.
« Je m'engage à ôter ton nom de ma liste si on atteint notre but. Je m'accorde un délai jusqu'à août, soit dix mois.
— Comment ça dix mois ? s'affola aussitôt Taehyung, les yeux écarquillés.
— Ça peut être moins. Mais je préfère compter sur ta compagnie pour accélérer ma démarche.
— J'avais raison, alors. Je suis un appât », s'insurgea-t-il.
Jungkook demeura silencieux, préférant s'abstenir de toute réponse tout en humectant ses lèvres.
« Mais concrètement, vous me demandez d'être votre complice ? »
Jungkook acquiesça.
« Vous êtes malade, reprit-il en grimaçant, à bout de forces. Je n'ai aucune envie de finir derrière les barreaux.
— Ne te préoccupe pas des autorités.
— Comment ça ?
— Disons que je jouis d'une certaine immunité. »
Taehyung fronça les sourcils, curieux et perplexe.
« Mais vous êtes un tueur à gages, objecta-t-il, la mine légèrement froissée.
— Chasseur de primes, rectifia-t-il. C'est différent.
— Différent en qu... Non, vous savez quoi, je veux même pas savoir », grommela-t-il.
Jungkook se retint de lever les yeux au ciel.
« Médite sur ceci, susurra Jungkook d'une voix teintée de gravité. Ce marché repose sur ta vie. Si tu déclines, ton frère prendra cette responsabilité et ne compte pas sur moi pour l'en empêcher. »
Jungkook énonça ces termes avec une certaine réticence, n'ayant jamais eu l'intention de mettre en péril la vie de Taehyung. Son unique dessein était de le maintenir en captivité dans le but de mettre en œuvre un plan stratégique et attirer Seokjin dans ses filets et avoir ses réponses.
Et peut-être le mettre hors d'état de nuire.
« Comment vous pouvez en être sûr ? Ah oui, il aurait tué nos parents, donc le petit frère, c'est du gâteau, railla Taehyung, ignorant le frisson d'horreur qui parcourut son échine. De toute façon, j'arrive pas à y croire, vous vous rendez compte à quel point c'est absurde ? »
Jungkook se tendit et baissa les yeux face à cette remarque, sentant une tension s'installer en lui. Il soupira lourdement, puis glissa sa main dans ses cheveux avant de relever le regard.
« J'ai déjà reçu un acompte de sa part », souffla prudemment Jungkook, s'invectivant mentalement de remuer le couteau dans la plaie.
Le souffle de Taehyung se coupa et il fut brusquement pris d'un vertige.
« Vous mentez... »
Puis, instantanément, des larmes silencieuses coulèrent sur ses joues sous le regard brillant d'une colère refrénée du blond qui s'abstint de détourner le regard. Pour une raison obscure, cette vue ne lui plaisait pas.
Pire, elle lui labourait le cœur.
« Ce n'est pas moi ton ennemi, Kim, confessa Jungkook d'une voix basse et plus douce, sans s'en rendre compte.
— Laissez-moi en douter », ironisa-t-il, le souffle rapide et la voix vibrante de légers trémolos, essuyant faiblement ses larmes d'un doux revers de la manche.
Il avait d'ores et déjà compris que son frère avait un arrangement avec cet assassin visant à lui nuire, mais l'entendre était d'une telle douleur qu'il en venait à se questionner sur la véracité de cette assertion. Cependant, en son for intérieur, il était fermement convaincu qu'il y avait une étrangeté manifeste dans cette intrigue.
Quelque chose qui échappait à la logique.
Jungkook refréna l'impulsion de modifier ses derniers propos, de lui révéler la vérité de son plan en lui soufflant un « avec moi, tu seras en sécurité et ta vie est préservée depuis le début ». Il voulait lui dire qu'il avait simplement besoin de son implication et qu'ils avaient tous les deux un avantage à attirer Seokjin vers eux.
Et c'était tout.
Mais il nourrissait des doutes quant à la probabilité que le jeune Kim demeure sagement à ses côtés, car depuis le début, il avait adopté une approche malavisée en le retenant en otage et en le soumettant à cette vile négociation.
Mais comment aurait-il dû se comporter envers un Kim qu'il découvrait innocent ? Même s'il avait eu l'occasion d'effacer son ressentiment envers Taehyung après avoir constaté sa bonté, il ne pouvait plus modifier son mode opératoire.
Il se trouvait dans l'obligation de faire plier Taehyung, et bien qu'il regrettât actuellement de ne pas avoir abordé la situation de manière différente, il se réconforta en estimant qu'il faisait déjà preuve d'une certaine indulgence envers son captif.
Qu'il n'était pas contraint de se comporter conformément à sa réputation d'assassin redoutable et insipide qu'il était.
Ou alors, juste un peu. Très peu.
« Jeon, l'appela Taehyung en faisant le brusquement sortir de ses pensées. Il y a quelque chose qui me gêne dans cette histoire. Quelque chose me donne la certitude que Jin n'ira jamais jusqu'à me tuer, répondit Taehyung, sûr de lui.
— Étrange, parce que j'ai ton nom dans mon carnet.
— Je sais, grinça-t-il, mais...
— Il est lui-même venu me rencontrer pour ça », répéta-t-il, souhaitant lui ouvrir les yeux.
Le ténébreux se crispa. Il secoua la tête avant de chasser les derniers vestiges de larmes qui humidifiaient ses cils courbés.
« Écoutez, je sais que vous allez me dire que je nie tout en bloc parce qu'il est mon frère. Peut-être que c'est le cas. Mais je l'ai connu dans ses meilleurs jours, il n'a pas toujours été aussi... sombre. Je suis encore perturbé par la vision que j'ai eue de lui, tout à l'heure, mais croyez-moi, même si je conçois encore difficilement le fait qu'il ait pu... tuer n... nos parents, même s'il a fait de ma vie un enfer depuis trois ans, même si j'ai bien vu que vous le haïssez profondément, j'ai une certitude que je peux pas ignorer.
— Laquelle ? s'enquit Jungkook, sérieux et à l'écoute.
— Vous trouvez ça logique qu'il veuille me tuer alors que vous vous servez de moi pour l'appâter ? Alors qu'il m'a clairement laissé partir avec vous ? Vous savez autant que moi qu'il a pourtant eu de nombreuses occasions pour le faire, cette nuit. Au fond, vous devez vous douter que son but envers moi est tout autre. Il prépare un truc. Il avait ce regard déterminé, scrutateur, comme s'il lisait entre les lignes du futur, bref. Je le connais, OK ? Faut me croire. »
Taehyung avait débité ses propos avec célérité, désespéré.
« Ce sont tes souvenirs avec lui qui influencent ton discernement, observa calmement Jungkook.
— Mais vous avez aussi des souvenirs avec lui, non ?
— Leur influence n'altère en rien mon discernement. Nous ne sommes plus jamais ceux que nous avions été. Ça vaut pour Jin ; il n'est plus le même.
— Arrêtez votre charabia, vous croyez que j'ai pas remarqué vos réactions quand Jin parlait, pendant que vous vous preniez pour un serpent à m'étrangler ? Même vous, vous êtes choqué de son changement et vous avez voulu voir s'il reste un peu du Jin du passé. Je suis pas con.
— Je salue ta perspicacité et ton sens accru de l'observation, mais on en a déjà parlé, soupira Jungkook.
— Ouais, bref, marmonna-t-il. Il y a aussi autre chose qui colle pas. Il m'a mis en joue, mais il a semblé vous attendre. Je l'ai vu. Pour moi, avec le recul, il aurait fait tout ça pour qu'on en soit là aujourd'hui, vous et moi.
— J'ai également pensé ça, mais on ne peut pas en être absolument certains. Mais je sais une chose : c'est qu'il rôde autour de toi et ça favorise l'exécution de mon plan. »
Épuisé, Taehyung se retint de riposter avec des mots tranchants, s'entourant plutôt d'une aura de réflexion dans le silence qui suivit.
« Vous êtes pas obligé de me croire, comme j'ai aucun moyen de prouver que ce que vous dites est vrai, souffla Taehyung, avant de prendre une profonde inspiration. Mais ce qui transparaît dans vos yeux n'est pas feint, murmura-t-il, sincère. Je serais odieux si je continuais de faire comme si j'avais rien remarqué. »
Jungkook soutint un regard intense teinté d'émotion en réaction aux paroles compatissantes et intelligentes du plus jeune. Ces mots étaient sages, dotés d'une clairvoyance que Jungkook pouvait discerner dans les profondeurs de ses yeux.
Une gêne subtile l'envahit. Il se sentait mis à nu, comme chaque fois qu'il laissait Taehyung sonder son âme. Il grinça des dents.
C'est tellement impudique.
Pourtant, il discernait également les pensées de l'autre dans ses yeux, une lecture aussi captivante que déconcertante.
L'un avait beau être le ravisseur et l'autre son captif, ils partageaient une compréhension exceptionnelle qui émergeait au fil de leur expérience commune, de leur infortune mutuelle et de leur détresse réciproque.
Le tout tirant son origine de la même personne, ou presque.
Seokjin.
Jungkook approcha légèrement son visage du sien, afin de mieux braquer ses yeux dans les siens. Taehyung grimaça et recula son buste autant que le mur lui permettait, crispé.
« Je te ramènerai ton frère, déclara-t-il, avec sérieux et détermination. Il est mon objectif ultime.
— Et si vous échouez ? demanda-t-il, les sourcils légèrement froncés.
— J'ai les moyens nécessaires. Je le capturerai.
— C'est pas un animal, siffla Taehyung, heurté par ses propos.
— Je valorise mon propre animal plus que sa personne », répliqua-t-il avec une nuance froide dans les yeux.
Le regard de Taehyung se durcit sous le voile de la colère, pourtant muet de toute parole. Ses lèvres se figèrent en une ligne tendue, son regard se détourna, refusant toute réplique, las de batailler. Un silence dense se tissa, révélant en échos sourds les reproches non formulés envers Jungkook. Ses poings se crispèrent discrètement, trahissant sa frustration.
Il se redressa, réprimant à grand-peine l'envie irrésistible de repousser Jungkook en arrière et avoir la satisfaction de le voir trébucher au sol. Il se tint debout, dominant de sa stature le blond accroupi face à lui. Ses yeux lancèrent un regard impérieux, incisif, résolu, provoquant un léger froncement de sourcils chez Jungkook, qui détestait être ainsi dominé, soumis à une telle œillade.
À son tour, il se leva dans un mouvement gracieux, le défiant silencieusement du regard.
« Quelle est ta décision ?
— Parce que j'ai le choix ? cracha Taehyung.
— Assurément, dit-il d'un air légèrement espiègle, appréciant aussitôt le regain d'ardeur chez le cadet.
— Attendez, ricana-t-il, nerveux et irrité. Vous me confrontez entre crever misérablement ou à l'esclavagisme moderne pour vous jusqu'à ma probable mort ? Quel dilemme, wow, que choisir entre l'agonie et l'agonie un peu moins immédiate ? cingla-t-il, sarcastique.
— Quel esprit caustique, vraiment. Il transcende toute notion de courtoisie, persifla-t-il.
— Non, mais je suis juste submergé par la gratitude pour cette magnifique occasion de servir vos intérêts égoïstes. Vous devriez enseigner la compassion dans les manuels, sérieusement. Votre empathie éclaire vraiment le monde, fustigea-t-il, acerbe.
— Admirablement acéré, ton sarcasme, s'esclaffa Jungkook, allègre. Si tranchant qu'il pourrait découper le fer.
— Bah, désolé de ne pas être à la hauteur de vos nobles attentes de soumission et d'acceptation joyeuse de mon sort prédestiné ! Je devrais peut-être me prosterner devant votre grandeur et vous remercier de me faire choisir entre deux formes de misère. Votre générosité est vraiment à couper le souffle. Mais je suppose que c'est juste une autre journée normale dans votre univers égocentrique ? », accusa-t-il, le ton mordant, avec une aigreur virulente.
« OK, je crois que je suis in love. »
La facétieuse manifestation de son esprit déclencha l'amusement chez Jungkook, faisant tressauter les muscles de sa mâchoire, plisser légèrement le coin de ses yeux, élever délicatement ses pommettes, tandis que ses lèvres oscillaient. Pourtant, la totalité de son visage demeurait presque impassible.
Divertissant. Il est indubitablement divertissant.
« Et en plus, ça vous fait rire ? cracha Taehyung, le regard noir.
— Ça suffit. N'oublie pas à qui tu t'adresses, déclara Jungkook d'une voix veloutée et envoûtante, rappelant presque le sifflement d'un serpent ensorcelant sa proie.
— Devinez quoi ? Je m'en tape.
— Je ne suis pas un enfant de chœur pour m'apitoyer sur ton sort ou jouer les bienfaiteurs, poursuivit-il, ignorant l'intervention de Taehyung. J'ai un but à atteindre, et tu vas y contribuer sans discuter. »
Cette simple phrase murmurée d'une voix profonde suffit à exaspérer Taehyung qui se tut, harassé de sans cesse l'affronter, malgré ses prunelles éloquentes d'une irritation mêlée à une certaine frustration.
« Ta réponse, réclama Jungkook, le visage plus détendu.
— Premièrement, retenez bien ça : je me laisserai pas faire, cracha Taehyung, la rage bouillonnant en lui. Ma vie m'appartient, point final. Osez me la prendre et vous le regretterez jusqu'à votre dernier souffle. Je vous maudirais chaque seconde de votre existence, et je vous tuerai mille fois quand vous me rejoindrez en enfer. »
Jungkook s'esclaffa légèrement face au refus du plus jeune de formuler explicitement son accord. Cependant, il éprouva une satisfaction à l'égard de cette réponse — fort comique, à ses yeux —, tout en ignorant la légère contraction de son cœur.
Il tendit gracieusement sa main.
« On est donc parvenus à un accord. »
Taehyung dévisagea la paume tendue avec un mépris évident avant de brusquement la chasser d'un revers de la main aussi dédaigneux que le regard qu'il lança à un Jungkook qui, lui, arborait un discret sourire en coin.
« Non merci, je préfère éviter de contracter une maladie en touchant ça, cracha Taehyung, insensible quant à la ligne à ne pas dépasser pour éviter d'irriter le blond. Et j'ai pas fini. »
Jungkook arqua un sourcil, intrigué. Il était surtout frappé par son assurance, bien qu'il ait depuis longtemps remarqué sa personnalité forte.
« J'ai deux conditions. Ignorez-les, je vous garantis que je deviendrai votre pire cauchemar, et vous savez que j'en suis plus que capable », lança-t-il d'une voix péremptoire, alors qu'il se dirigeait vers la sortie, rejoignant le meuble blanc, assoiffé.
Jungkook demeura coi. Ses yeux à peine écarquillés capturaient chaque geste de Taehyung, suspendus dans une fascination stupéfiée. Il ne se rendait pas compte de l'admiration discrète teintant son regard, tout comme l'éclat étincelant d'un vif intérêt. Il trouvait charmante son âme rebelle, même s'il se heurtait parfois à l'impossibilité de la dompter à sa guise.
Son cœur s'emballa devant le frisson de l'inconnu.
Plus que tout, il aimait le fait que nul défi n'égalait le challenge qu'était Taehyung.
Ses pas le guidèrent vers le plus jeune qui s'abreuvait d'eau, son regard intransigeant l'accueillant avec une posture altière.
« Tout dépend de tes conditions », répliqua Jungkook d'une voix aérienne, se sentant plus léger.
Il s'immobilisa face à lui, les mains dans les poches.
« Je crois que vous avez pas compris. Y'a pas de "ça dépend", c'est pas une demande », contra Taehyung, déposant le verre vide sur le meuble.
Leurs regards ne se détachèrent plus, habités par une résolution inflexible.
Puis, les deux esprits obstinés, deux forces singulières, fusionnèrent silencieusement dans cet accord tacite.
« 𝐽𝑒 𝑡'𝑒́𝑐𝑜𝑢𝑡𝑒, 𝑔𝑎𝑚𝑖𝑛. »
𝐴̀ 𝑠𝑢𝑖𝑣𝑟𝑒...
Relu par
Alors ? Des pistes qui s'approfondissent ou tu es perdu(e) ? x)
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