CHAPITRE UN

JESSICA

pour entreprendre l'étude de la vie de muad'dib
il convient de le placer d'abord en son temps. il
convient aussi de bien le situer sur la planète arrakis.
et l'on ne devra pas se laisser abuser par
le fait qu'il naquit sur caladan et y vécut les
premières années de sa vie.

— Manuel de Muad'Dib, par la princesse Irulan

JESSICA IGNORAIT CE qu'elle regretterait le plus. Serait-ce le son de la fine bruine vespérale qui l'avait maintes fois bercé, ou bien la vue des vagues qui s'écrasaient contre les falaises verdoyantes bordant l'antique demeure de la maison Atréides ? La réponse lui était inconnue, mais une chose était certaine : Caladan allait terriblement lui manquer. Son climat, ses paysages, son essence même. Elle quitterait tout cela avec une tristesse silencieuse qu'elle dissimulerait à sa famille, dans la Manière que l'école Bene Gesserit lui avait enseigné.

L'émissaire de l'empereur était attendu en fin de matinée. Leto l'avait prévenue ce matin au réveil et cette simple annonce l'avait plongée dans une profonde mélancolie. Aujourd'hui, le Duc Atréides signerait le document officiel attestant de sa prise de contrôle d'Arrakis, la planète des sables. Leto ne renoncerait pas, Jessica ne le savait que trop bien. Ce jour-là allait marquer un tournant irréversible dans la vie de la concubine et du reste de sa famille.

Suis-je prête ? pensa-t-elle, debout face au miroir de sa chambre, revêtant une légère robe de chambre par-dessus ses vêtements de nuit. Encore une autre question sans réponse. Le départ était prévu dans quelques semaines et semblait si proche à la fois. Au fond d'elle, elle savait que le voyage se ferait sans retour, d'une façon ou d'une autre. Jessica se devait de profiter des derniers jours passés sur la planète berceau de la maison Atréides. Elle devait savourer ces ultimes instants dans ce lieu familier qui serait le seul qu'elle considèrerait réellement comme sa maison.

Une fois décemment habillée, la compagne du Duc quitta ses appartements pour rejoindre la salle à manger familiale où son fils l'attendait pour petit déjeuner en sa compagnie. Rares étaient les matins où elle trouvait l'occasion de passer du temps avec Paul ces derniers temps. En temps qu'héritier de la maison Atréides, le jeune homme avait chaque jour de nombreuses responsabilités à accomplir. Jessica ne l'avait jamais entendu s'en plaindre, mais Paul n'était pas un garçon particulièrement bavard, ni émotif. C'était en partie de sa faute, elle le reconnaissait. Bravant les interdits de ses sœurs, Jessica avait décidé de l'élever dans les préceptes du Bene Gesserit. Lui, un enfant mâle, alors qu'on lui avait ordonné de ne donner que des filles au Duc. Un jour, elle paierait pour cela, elle s'y était préparé.

Ce matin-là, elle avait trouvé Paul dans une attitude assez en retrait. Il avait à peine remercié la jeune servante qui lui avait servi son déjeuner. Jessica décelait en lui un certain manque de sommeil, et elle croyait bien en connaître la raison. Les nuits de son fils étaient hantées par d'étranges rêves qui se faisaient de plus en plus fréquents. Des rêves avec un fond de réalité, disait-il. Se pourrait-il que ce soit lui ? s'était plusieurs fois demandé Jessica. Paul semblait assez contrarié, aussi sa mère décida d'échanger quelques banalités, plutôt que de sa prendre la tête avec ces histoires de songes.

— C'est bien que tu te sois levé tôt aujourd'hui, lui dit-elle entre deux bouchées de son repas.

Son fils avait tourné la tête vers elle en entendant sa voix. Jessica essaya de lui sourire pour le mettre à l'aise.

— Ton père veut te voir en uniforme pour accueillir l'émissaire de l'empereur, ajouta-t-elle.

— En uniforme ? demanda l'adolescent d'une voix fatiguée. Militaire ?

— De cérémonie.

Paul soupira longuement.

— Pourquoi tout ce cirque alors qu'ils ont déjà pris leur décision ?

— Pour le cérémonial, répondit Jessica.

La nouvelle ne semblait pas le réjouir. Jessica le comprenait un peu, elle non plus n'avait pas envie de tout cela. Mais le cérémonial était important. L'émissaire ne serait sûrement pas seul mais accompagné de membres de la cour impériale qui s'empresserait de jouer les informateurs pour l'empereur dès leur retour.

Jessica fit un signe à la servante qui était restée dans un coin de la salle. Cette dernière s'approcha de la table pour verser de l'eau dans les deux verres posés près de la concubine. Cette dernière la remercia d'un geste de la tête et la domestique reprit sa place, silencieuse, invisible, afin de laisser leur tranquillité à la famille ducale. Paul avala une bouchée de son petit déjeuner et leva les yeux vers sa mère, attendant qu'elle lui fasse passer un verre d'eau. Mais Jessica avait une autre idée en tête. Il était de le secouer un peu.

— Si tu veux ce verre, oblige-moi à te le donner. Utilise la Voix.

Elle but une gorgée du sien, le regard plongé dans celui de son fils, comme pour le provoquer.

Paul secoua la tête, agacé.

— Mère, je viens de me réveiller.

Jessica ne bougea pas. Elle ne cèderait pas et Paul le comprit vite. Il posa doucement ses couverts et ses yeux gris se posèrent sur le verre tant convoité.

— Donnez-moi tout de suite cette eau.

L'erreur du jeune garçon fit sourire Jessica. Ils s'étaient entrainés ensemble tant de fois et pourtant, il semblait oublier les bases même de l'utilisation de la Voix.

— Ce verre ne t'entend pas, Paul. C'est moi que tu dois soumettre.

Les pupilles de son fils rencontrèrent les siennes. Il y eut quelques instants de flottements, un affrontement silencieux entre mère et fils. La tension était palpable dans toute la salle à manger. C'était entre leurs deux esprits. Lequel serait le premier à faiblir ?

— Donnez-moi tout de suite cette eau.

L'ordre résonna dans son intérieur tout entier. Son esprit s'éteignit le temps d'une fraction de seconde. Jessica ne contrôlait plus rien. Sa main s'avança malgré elle vers le verre d'eau. Elle ferma les yeux quelques instants, fouillant en elle de quoi s'accrocher à la réalité, de quoi reprendre les rennes de sa propre conscience. Grâce à son entraînement Bene Gesserit, elle y parvint juste avant d'assouvir le désir de son fils. Elle se reconnecta, quelque peu secouée, et surtout impressionnée par la démonstration de force que Paul venait de lui faire. Une autre personne autre qu'elle, sans aucun exercice, aurait succombé.

— Tu y étais presque, lui dit-elle en poussant quand même le verre vers lui.

Autant lui dire la vérité. Si Paul prenait trop de confiance en lui, cela pourrait un jour lui être fatal. Le jeune homme semblait déçu de lui, mais c'était mieux ainsi.

— Quoi ? Seulement "presque" ?

— Il faut des années pour maîtriser les facultés Bene Gesserit, Paul, le rassura-t-elle.

Jessica terminait tout juste son assiette et déjà, la domestique s'approcha pour la débarrasser. Cette jeune fille était un peu trop zélée à son goût mais la Dame ne fit aucun commentaire et fit en sorte de ne pas la gêner dans son travail. Tandis que la servante s'affairait, elle reprit le discussion avec Paul, en arrivant enfin au sujet qui fâche.

— Tu as l'air fatigué. Tu as encore rêvé ?

Jessica perçut le léger mouvement de tête de son fils... Ainsi que celui de la servante. Elle écoute. Jessica aurait du refuser sa présence. La suite de cette discussion devait avoir lieu en privé. Elle ne souhaitait pas que son fils soit le sujet de tous les racontards des employés de Castel Caladan. Personne ne devait savoir que les rêves de Paul étaient plus que cela. Heureusement, le jeune homme répondit par la négative à sa mère, et vu qu'il avait lui aussi terminé de manger, elle lui permit de se lever pour aller se préparer.

Jessica l'imita et ordonna à la domestique de venir l'aider à se coiffer et s'habiller. De retour dans sa chambre, la compagne du Duc s'assit face à son miroir et la servante commença à passer la brosse entre ses mèches cuivrées. Jessica en profita pour l'observer à travers la surface réfléchissante. Peau mate, apparence juvénile, des boucles brunes fermement retenues dans un chignon strict. Deux orbes d'un noir profond qui suivaient les mouvements de la brosse. Jessica se rendit compte que c'était la première fois qu'elle voyait cette jeune fille. Elle ne devait pas être bien plus vieille que Paul et déjà, elle se démenait toute la journée au travail.

Repensant à son attitude de tout à l'heure, Jessica engagea la conversation :

— Tu nous as écouté pendant le repas.

La fille s'arrêta soudain, son expression se perdant dans la plus grande des confusions. Elle avait était prise la main dans le sac et elle était mise face à son crime. Par cela, Jessica venait de lui prouver que rien ne lui échappait et qu'elle devrait surveiller son comportement à l'avenir. La domestique baissa la tête humblement :

— Je vous pris de m'excuser pour ma curiosité mal placée, ma Dame. Cela ne se reproduira plus.

Jessica se sentit un peu mal après cela. Elle l'avait effrayée. Enfin, elle avait sûrement plus peur de perdre son travail que d'elle même mais ce n'était pas l'effet voulu. Cette fille était bien jeune et ne pensait pas à mal, elle avait certainement dût être intriguée par la tournure que prenait la conversation. Cette curiosité était humaine. Jessica essaya donc de la rassurer :

— Ce n'est rien, c'et déjà oublié. Ton visage ne me dit rien, es-tu nouvelle ?

— Oui, ma Dame, répondit-elle en reprenant son travail. Je remplace Anita après qu'elle ait dû démissionner pour s'occuper de sa grand-mère. J'étais aux cuisines jusqu'à présent mais messire le Duc qui vient de m'assigner à votre service.

Jessica haussa un sourcil. Habituellement, Leto ne s'occupait pas de l'emploi du temps de tous ses domestiques. Mais si cette fille était là, c'était probablement parce qu'on l'avait jugé digne de confiance, assez pour s'approcher de la concubine du Duc et de son fils. Si Leto  était réellement intervenu dans ce choix, Jessica n'avait rien à craindre.

— Comment t'appelles-tu ?

— Je m'appelle Rani, ma Dame. Juste Rani.

La jeune fille terminait juste d'achever la coiffure de la Dame. Cette dernière hocha la tête et complimenta le résultat. Cela suffit à aider Rani à se détendre totalement. Si elle était désormais à son service, Jessica ne voulait pas qu'il y ait un malaise entre elle. Tant qu'elle restait à sa place et qu'elle ne menaçait en rien sa famille, Jessica ne voyait aucun soucis à faire preuve d'un peu de gentillesse à son égard. Au fond, elle avait un peu pitié de cette adolescente qui n'avait sûrement pas choisi cet emploi qui demandait beaucoup d'efforts. Mais comme tout le monde, elle devait travailler pour subvenir à ses besoins.

Jessica sélectionna ensuite la tenue qu'elle souhaitait revêtir pour accueillir l'envoyé impérial. Elle choisit un ensemble bleu pâle qui allait bien avec ses yeux, selon Leto. Rani l'aida à enfiler la robe, décorée du symbole du Bene Gesserit, discrètement brodé dans le tissu fin. La concubine reprit place devant la coiffeuse pour que Rani ajuste sa chevelure et dépose un léger voile assorti à sa robe sur sa tête.

— Vous êtes splendide, ma Dame, lui dit-elle avec un sourire remplit de sincérité.

Jessica la remercia en observant son reflet. Tant d'effort pour accueillir le héraut de l'homme à l'origine de tous ses soucis. C'était nécessaire mais ça ne lui plaisait pas. D'ici peu, il n'y aurait plus aucun retour en arrière pour la maison Atréides.

D'ici peu, Leto accepterait de lui-même de se jeter dans le plus grand piège de l'univers.

et voilà le premier chapitre ! je profite de ce dernier jour de vacances pour être un peu productive aha
je me suis bien amusée à écrire ce chapitre du point de vue de jessica. j'adore ce personnage, que ce soit dans le film ou dans le livre. et très clairement, rebecca fergusson est géniale dans ce rôle et sa performance était pour moi la meilleure. j'espère que j'ai bien respecté son caractère dans ce chapitre. on est encore dans une phase d'introdcution et ceux ayant vu le n'ont sans doute pas été dépaysés vu que j'ai repris quasiment mot pour mot l'une de ses scènes, mais le chapitre suivant sera du point de vue d'arani. il arrivera dans un petit moment malheureusement car les cours reprennent pour moi ToT
ps : je ne me suis toujours pas décidé si je vieillissais paul (et donc aussi arani) ou non. je rappelle que dans le livre il a tout juste quinze ans et même si il ne se passera absolument rien d'indécent dans cette fanfiction, peut-être qu'il vaudrait quand même mieux que je lui donne un ou deux ans de plus pour la coté moral, par rapport aux épreuves qu'il va endurer je veux dire-
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