deux
CHAPITRE DEUX
ARANI
peu d'écrits mentionnent celle
à qui appartenait le coeur de
muad'dib. la raison est toute
simple : elle n'existait pas
vraiment. elle n'était qu'une
image créée par elle-même, un
mensonge, un mirage dans le
désert.
— Celle que Muad'dib a aimé, par la princesse Irulan
ETRE REDUITE A PEIGNER les cheveux de la concubine du Duc avait quelque chose d'humiliant. Certes, cela faisait parti du plan, c'était destiné à servir un plus grand dessein, Arani le savait, mais il était toujours difficile pour elle de savoir mettre son orgueil de côté. Les danseurs-visages étaient plus que ça. Ils n'étaient rien et tout à la fois, des moins que rien tout autant que de nobles personnages. Ils changeaient d'identité comme les simples humains changeaient de chemise et c'était ce qui faisait d'eux des armes convoitées. Des armes mortelles.
C'était ce que lui avait enseigné le Bene Tleilax et ce que lui avait plusieurs fois répété son maître Scytale. La force des êtres de son espèce était justement cette capacité à adopter le comportement de n'importe quel autre humain, qu'il soit pauvre ou riche, jeune ou vieux. Leur vie était comme une longue pièce de théâtre, l'univers entier était leur scène, ils étaient des acteurs qui revêtaient chaque jour un nouveau masque par dessus le premier. Et que restait-il en dessous ?
Rien, tu n'es rien d'autre que ce qu'ils veulent que tu sois.
Scytale avait aidé Arani à façonner ce visage. Une mission aussi importante que celle confiée par le baron Harkonnen nécessitait que tout soit parfait. Pour la mener à bien, il fallait qu'Arani soit capable de se fondre dans la masse, mais qu'elle ait tout de même ce petit quelque chose qui la rendait attirante. Ainsi, elle serait capable d'être à la fois invisible et au centre de l'attention. Qu'elle puisse écouter et se déplacer en silence et marquer l'esprit de sa victime, la mettre en confiance avec un visage avenant, pour qu'elle ne voit pas le coup venir. Un plan des plus parfaits. Une nouvelle réussite pour une des meilleures créations du Bene Tleilax.
Arani avait promis à son maître qu'elle réussirait, avant de rejoindre Geidi Prime pour sa rencontre avec le baron. Elle se souvenait encore de l'apparence qu'il avait choisi ce jour-là, celle d'un homme dans la trentaine au visage souriant, le même qu'il aimait adopter lors de leurs entraînements au combat. Scytale l'avait mise en garde. Ce serait la première fois qu'elle garderait la même apparence pendant une longue période de temps. Arani avait compris les sous-entendus derrière ce constat. On lui avait déjà narré les histoires de ses frères et sœurs qui avait fini par devenir la personne qu'ils imitaient. Ceux-là étaient des produits défectueux dont le destin était d'être détruit.
Mais Arani ne connaîtrait pas ce sort. Chaque soir, elle se projetait dans le futur, se figurant le moment où elle mettrait un terme à la vie de l'héritier Atréides, l'instant qui marquerait la fin et le succès de sa mission. S'imaginer son sang rouge coulant sur sa dague était le seul moyen qu'elle avait trouvé pour se rattacher à ce qu'elle était. Un assassin polymorphe et sans pitié. Une vision de violence qui lui rappelait qu'elle était née pour détruire.
Maintenant qu'elle y pensait, elle avait très peu côtoyé sa cible. Lorsque Rani la servante avait dit à Dame Jessica qu'elle avait commencé aux cuisines, c'était vrai. Il fallait que son histoire soit crédible après tout. Et sitôt sortie de ces fourneaux malodorants, trop tard à son goût, on l'avait tout de suite placé au service de la noble femme. Ce matin là était sûrement la première fois qu'elle s'était approché aussi près de Paul Atréides, lorsqu'elle s'était baissée pour servir ce verre d'eau. Il n'avait même pas fait attention à elle, comme prévu. Mais un simple coup d'œil avait suffit à Arani pour faire une première analyse du jeune garçon. Cela n'était pas suffisant, mais elle trouverait une autre occasion de s'informer sur lui. Elle espérait seulement que sa sorcière de mère ne serait pas dans les parages. Ses aptitudes Bene Gesserit était un véritable obstacle à sa mission.
Arani sourit face au miroir devant lequel Jessica, vêtue d'une somptueuse tenue de cérémonie, était assise. Elle la complimenta d'un air sincère parce que c'était ce que Rani aurait fait. Le rôle de la domestique zélée n'était pas le plus difficile à jouer et sa performance avait été plus que convaincante pour le moment. Il fallait continuer sur cette voie.
— Avez-vous besoin de moi pour autre chose, ma Dame ? demanda-t-elle.
Jessica cligna des yeux, comme si la voix de la jeune femme l'avait sorti d'une profonde rêverie. Arani avait du mal à cerner la compagne du Duc, mais cela était certainement un résultat de son entrainement Bene Gesserit. Tout en elle était source de surprise. Cela tombait bien, Arani aimait le défi. Tromper ce redoutable adversaire rendrait sa victoire des plus satisfaisantes.
Jessica tourna la tête vers la fenêtre de sa suite. Le ciel s'était assombri. Arani avait été étonnée par le climat de Caladan qui passait du calme à la tempête en peu de temps qu'il en fallait pour le dire. D'un côté, elle appréciait cela. Elle se retrouvait dans ce caractère imprévisible. La réponse de la concubine fût longue à venir et cette dernière se tourna pour s'adresser à sa servante yeux dans les yeux.
— L'heure tourne, il ne faudrait pas que nous soyons en retard. Peux-tu aller chercher Paul, s'il te plaît ? Je connais mon fils, il a sûrement trouvé une distraction qui lui a fait oublié le temps qui passe.
Jessica parlait de son fils avec tant de tendresse. Cela faisait un peu mal au cœur d'Arani. Si elle savait qu'elle d'adresse à celle qui tuera son précieux enfant... Le monde est cruel, pensa la jeune femme. Oui, le monde était cruel. Et pour survivre, il fallait être aussi méchant que lui.
— J'y vais de ce pas, ma Dame, répondit-elle en souriant.
— Merci. Oh, et tu en profiteras pour changer ses draps une fois qu'il sera parti me rejoindre. Il dort mal en ce moment, peut-être qu'il se sentira mieux dans une literie propre ?
— Oui, je suppose que ça peut aider.
Elle lâcha un petit rire amusé, mais se reprit vite, jouant la servante qui se souvenait soudain de la place qui était la sienne. Jessica ne parut par relever cela et lui rappela seulement de se dépêcher un peu. Arani s'inclina devant la Dame avant de quitter la pièce. Il faisait frais dans le couloir. La brune laissa échapper un frisson. L'uniforme de service qu'elle devait porter lors de ses heures de travail ne protégeait pas du froid qui venait en même temps que la pluie sur Caladan.
Obéissant à l'ordre de Jessica, Arani se mit en marche de façon rapide, en direction de la chambre de Paul. Elle était située à l'autre bout des appartements ducaux, assez loin de la suite de sa mère pour préserver son intimité, mais assez proche pour qu'elle se sente rassurée de le savoir non loin d'elle. La jeune femme n'avait encore jamais mis les pieds dans cette pièce hautement privée. Et voilà que sans le savoir, Jessica lui avait donné accès au sanctuaire de son fils, elle avait formé une faille dangereuse dans le sanctuaire de son fils.
Arani s'immobilisa devant la porte de la pièce. Pendant une seconde, elle eut quelques appréhensions. Elle s'apprêtait à rencontrer seule à seul la personne qu'elle était destinée à assassiner. Ce n'était pas la première fois, mais ça avait toujours quelque chose de perturbant. Comment allait-il réagir en la voyant ? Comment devrait-elle adapter son comportement pour rester crédible dans son rôle ? C'était toujours un instant délicat. Elle se rappela alors les consignes de Jessica et frappa à la porte du jeune garçon. Pas de réponse.
Arani fronça les sourcils et se demanda un instant si Paul n'était pas déjà sorti. Elle posa son oreille contre la porte et un léger murmure lui parvint. Il y avait bien quelqu'un dans cette pièce. Le son était trop faible pour qu'elle parvienne à distinguer clairement le propriétaire de la voix chuchotante. Se pouvait-il que Paul ne soit pas seul ? Ou alors était-il du genre à parler tout seul ? Etant donné tout ce qu'elle avait entendu à son propos et les informations fournies par les Harkonnens, cela ne l'étonnerait pas. Paul était un garçon mystérieux et un peu spécial. Les bribes de conversations qu'elle avait capté lors du petit déjeuner confirmaient cela.
Après une courte hésitation, elle ouvrit lentement la porte. Rani se le permettrait poussée par l'urgence de l'ordre de Jessica. Elle passa timidement sa tête à l'intérieur, une expression gênée sur le visage. Les mots indistincts depuis l'extérieur devinrent enfin clairs à ses oreilles.
— ...les Fremens partagent le désert profond avec le ver des sables géant qu'ils appellent Shai-Hulud. Une exposition répétée à l'épice a donné aux membres de cette tribu leurs yeux bleus caractéristiques, les yeux de l'ibad. On ne sait pas grand chose d'autre au sujet des Fremens, si ce n'est qu'ils sont dangereux et qu'on ne peut pas leur faire confiance.
Une bobine projetait contre le mur du fond l'image d'une planète de couleur brune. L'objet continuait à déclamer des informations à propos du peuple Fremen, natif d'Arrakis. Assis sur les marches de l'escalier qui surélevait son lit, Arani reconnut Paul. Le jeune homme avait la tête plongée dans un livre. Alors que plus tôt, la brune l'avait vu débraillé en sortant du lit, il avait entre temps peigné ses boucles sombres, qui lui avait pourtant semblé indomptables. Une élégante veste d'uniforme était pliée de façon impeccable et déposée sur le lit.
Arani se rendit compte que ce lit était en réalité un des rares meuble à être encore debout dans la pièce. Les autres étaient rangés dans de grandes caisses ou démontés en attendant leur tour. Tous ces éléments firent prendre conscience à Arani d'une chose.
Le départ pour Arrakis était imminent. Avec tout ce qu'elle avait à faire en tant que servante, et l'effort qu'elle fournissait pour rester dans son rôle, Arani avait presque oublié jusqu'où sa mission allait l'amener. Dune, Arrakis, la planète des sables, l'unique source d'Epice de tout l'Imperium. L'endroit le plus hostile de l'univers connu. Elle n'était visiblement pas la seule à être inquiète à ce propos. Le jeune Atréides était concentré sur l'étude de cette planète qui deviendrait sa nouvelle demeure.
Et son tombeau.
— Qu'est-ce que tu veux ?
Elle sursauta. Le jeune homme ne la regardait pas, ce qui lui avait fait se demander s'il l'avait remarqué ou non. Elle ne feignit donc pas totalement sa confusion lorsqu'elle mit un pied à l'intérieur et bégaya :
— P-Pardonnez-moi de vous déranger, messire. Votre mère vous attend. Elle m'envoie vous dire que c'est bientôt l'heure...
Elle avait baissé la tête alors qu'elle parlait et lorsqu'elle la releva, elle se rendit compte que Paul Atréides la fixait intensément. Son regard croisa la sien pendant un instant. Les yeux de l'héritier étaient d'une couleur unique, un mélange complexe d'un gris d'orage et d'un vert forestier, l'âme même de Caladan, terre ancestrale de sa maison. Il y avait quelque chose de particulier dans ce regard. Quelque chose qui fit frémir la danseuse-visage, qui la fit se sentir comme seule au monde, sans défense. Elle rompit le contact visuel, déstabilisée. On ne lui avait pas menti lorsqu'on l'avait mis en garde contre lui. Grand Dieu ! Ce garçon était vraiment spécial.
— J'arrive, soupira-t-il après quelques secondes.
Arani s'était prise d'un soudain intérêt pour ses propres pieds. Elle entendit un livre se fermer et un bruissement de tissu. Puis des pas au rythme réguliers qui s'approchaient d'elle. Elle retint son souffle. Pourquoi suis-je aussi mal à l'aise ? Ce n'est qu'un garçon. Un garçon parmi tant d'autre. Ma cible. Son cœur rata un battement lorsqu'elle le vit s'arrêter à son niveau. Epaule contre épaule, elle ne distinguait qu'une portion de son profil du coin de l'œil. Elle lutta pour ne pas tourner la tête. Elle ne voulait pas se perdre de nouveau dans l'orage de ses yeux.
— Tu es la nouvelle servante de ma mère, dit-il. Comment t'appelles-tu ?
Pourquoi ce soudain intérêt pour elle ? Avait-il déjà compris ? Impossible ! Même Jessica était tombée dans le panneau. Il ne pouvait pas l'avoir démasqué d'un simple regard ! La voix d'Arani était tremblante lorsqu'elle répondit à la question laissée en suspens :
— Rani, messire.
— Rani, répéta-t-il.
Dans sa bouche, le court diminutif qu'elle avait choisi comme nom d'emprunt sonnait d'une façon différente. Elle déglutit, le moindre de ses muscles tendu à son maximum.
— Je dirai à ma mère que tu as accompli ton devoir. Il y a des draps de rechange dans l'armoire du fond.
Nouveau son de bottes régulier contre le sol puis celui d'une porte qui se ferme. La tension retomba lorsqu'elle eut la certitude d'être seule. C'était limite si elle ne laissait pas tomber au sol. Arani ne se comprenait pas, elle n'arrivait pas à savoir pourquoi. Pourquoi elle s'était comportée ainsi. La personne qu'on l'envoyait tuer n'était vraiment pas comme les autres. Ce court instant lui avait fait comprendre.
Mais elle ne faiblirait pas. Arani avait une mission à accomplir. La prochaine fois qu'elle croiserait le regard de Paul Atréides serait le monde où elle enfoncerait sa lame dans son cœur.
c'est bon, j'ai écrit une seule interaction et je ship déjà mes personnages ahaha
j'ai eu un peu de mal à commencer ce chapitre en réalité. et j'ai beaucoup écrit en consultant la page wiki des danseurs-visage pour ne pas écrire une bêtise. même si je me permets quelques libertés, je veux quand même rester cohérente à propos de l'univers de base.
avez-vous aimé ce chapitre ? j'espère que oui ! on continue du point de vue de notre protagoniste la prochaine fois !
a bientôt ❤️
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