Pdv de Naela

Mamie Soo a voulu se rendre au marché de bon matin. Alors je lui tiens compagnie et la suis à travers la foule. Elle consulte plusieurs stands pour acheter une grande variété de fruits et légumes. Favorisant le bio et soutenant les producteurs locaux, elle ne s'approvisionne qu'au marché. Je ne connais personne d'aussi bienveillante et engagée que Mamie Soo, et c'est pour cela que je l'ai toujours admirée. Si j'ai repris la passion pour les études de marketing de ma mère, je n'ai sans aucun doute repris toutes les valeurs de ma grand-mère. C'est elle qui m'a élevée et appris tout ce que je connais. Et même si j'aurais voulu que ma mère soit plus présente dans ma vie, je ne regretterai jamais d'avoir baigné dans son éducation et son amour.

Quand nous passons devant un stand où sont dressées une vingtaine de pâtisseries, ma cadence ralentit automatiquement alors que Mamie Soo continue son chemin. Le vendeur - âgé d'une quarantaine d'années - remarque mon intérêt soudain pour ses produits sucrés et m'aborde.

Vendeur : Bonjour mademoiselle, quelque chose vous fait envie ?

Naela : Oui, et pas qu'un peu...

Mon ventre gargouille au même moment et le vendeur l'a bien entendu. Il rigole puis attrape une pince et une boîte en carton blanc. Je l'observe curieusement piocher une portion de chaque pâtisserie avant de tout mettre dans le contenant. Il le referme avec soin puis me le tend. Prise d'une hésitation et d'une incompréhension, je hausse un sourcil puis lui lance un regard interrogateur.

Vendeur : Prenez, c'est pour vous. Il ne faut pas rester le ventre vide de si bon matin.

Naela : Je vous dois combien ?

Je commence à sortir mon porte-monnaie mais l'homme m'arrête.

Vendeur : Ça ira, je vous l'offre.

Bien que son offre me touche, je ne peux pas me permettre d'accepter sans le récompenser pour son travail. En plus, il m'a donnée plus qu'il ne m'en faut.

Naela : J'insiste, je veux vous payer.

Vendeur : Moi aussi j'insiste. Je ne vends pas ces gâteaux pour l'argent, je les vends pour partager les douceurs de ma femme.

Mes yeux s'arrondissent à l'énonciation de sa femme et le vendeur éclaircit ses propos.

Vendeur : Ma femme est partie de ce monde depuis bientôt deux ans et elle a laissé derrière elle un rêve. Son unique rêve : ouvrir une pâtisserie. Je n'ai pas les moyens de construire un tel endroit, alors je me contente de vendre sur ce marché une fois par semaine. Ses recettes sont si délicieuses que ce serait du gâchis de ne pas les partager.

Pendant son récit, un sourire ornait ses lèvres. L'amour qu'il ressent pour sa femme défunte saute aux yeux et il le prouve en réalisant son rêve. Je n'ai plus le cœur à refuser son offre.

Naela : Je serai ravie de goûter à ses gâteaux. Je suis sûre qu'ils sont aussi bons qu'ils sont beaux.

Le vendeur me remercie et me donne la boîte cartonnée. J'aperçois un logo accompagné d'une dénomination : la pâtisserie de Saejin. Le logo représente un dessin minimaliste d'une femme à la longue chevelure noire qui tient des gâteaux dans ses mains. J'imagine que c'est sa femme qui est représentée et que Saejin est son prénom. Je suis sûre que de là-haut, elle observe son mari avec fierté.

Alors que je m'apprête à partir retrouver Mamie Soo qui semble discuter avec le marchand de poisson, un homme sort de la camionnette derrière le vendeur.

?? : Papa, est-ce que tu aurais vu mes écouteurs ?

Lorsqu'il relève la tête de son téléphone, son regard croise le mien. Ma respiration se bloque et la sienne a l'air de faire la même chose.

Le monde est petit...

Vendeur : Ah ! Suho, tu les perds tout le temps ! Je t'avais dit que ce n'était pas une bonne idée les écouteurs sans fil !

Suho n'écoute déjà plus le quarantenaire car son attention est fixée sur ma personne.

Suho : Salut Naela, ça faisait longtemps.

Vendeur : Vous vous connaissez ?

Suho : Oui, on était dans la même classe au lycée.

Son père nous regarde à tour de rôle mais avant qu'il ne puisse dire quoi que ce soit, une cliente vient faire son apparition. Il va alors l'accueillir, nous laissant ainsi Suho et moi. Le garçon continue de me regarder, attendant sûrement que je dise quelque chose. Cependant, je n'oublie pas ce que Jungkook m'a racontée sur lui. Sa face cachée me répugne.

Je tourne alors les talons sans un mot. En quelques enjambées, il atteint ma hauteur et me retient par le poignet. Son corps me bloque ensuite le passage, alors je croise les bras.

Naela : Qu'est-ce que tu veux Suho ?

Suho : Pourquoi tu me fuis ?

Naela : Je ne veux rien à voir avec toi. Je sais ce qui s'est vraiment passé à la soirée. Je suis au courant pour le pari que tu as fait avec ton ami.

Suho a l'air désemparé, ce qui se comprend puisque la vérité a éclaté. Maintenant, reste à voir s'il va me dévoiler sa vraie personnalité.

Suho : Ce n'est pas ce que tu crois.

Je roule aussitôt des yeux. Cette phrase est tellement clichée. Je n'ajoute rien pour lui faire comprendre que ça ne marche pas avec moi. Il soupire et dégage sa mèche d'un mouvement de tête.

Suho : Laisse-moi t'expliquer s'il te plaît. Laisse-moi te donner ma version.

Je fouille dans son regard et j'y vois du désespoir. Toutefois, je ne suis pas assez naïve pour perdre du temps à l'écouter raconter des mensonges.

Quand la foule commence à diminuer autour de nous, j'en profite pour m'échapper et à ma grande surprise, Suho ne tente pas de m'en empêcher. Je rejoins Mamie Soo qui dépose son poisson proprement emballé dans son panier en osier. Lorsqu'elle me voit, elle me sourit puis repère la petite boîte que je tiens dans ma main.

Mamie Soo : Qu'as-tu acheté de bon ma puce ?

Naela : Quelques pâtisseries mais on me les a offertes. Apparemment, mon estomac a décidé qu'il devait intervenir alors le vendeur a eu pitié de moi.

Mamie Soo rigole puis vient me prendre le bras pour que nous rentrons à la maison. Sur le chemin du retour, nous croisons une amie à elle. D'ailleurs, je la connais car c'était chez elle que je me rendais quand mes grands-parents étaient absents. Pour moi, c'est comme une deuxième mamie alors je l'ai toujours surnommée Mamie Na.

Mamie Na : Mince alors ! Naela, c'est bien toi ?

Sa réaction me fait rire et j'acquiesce en guise de réponse. Elle m'attrape aussitôt les joues pour me les pincer. C'est bien une habitude chez elle qui n'a pas changé mais que je déteste toujours autant. Je souffre le martyre encore quelques secondes avant qu'elle ne me relâche. Sans attendre, je me frotte le visage avec les mains comme si cela allait atténuer la douleur.

Mamie Na : Tu es devenue si jolie ! Tu dois faire tourner des têtes à Séoul !

Je souris poliment et la remercie pour son compliment.

Mamie Na : Tu as peut-être même déjà quelqu'un dans ta vie...

Son ton suggestif veut tout dire. Je secoue la tête et lui réponds avec un air amusé sur le visage.

Naela : Non, je n'ai personne et même si c'était le cas, je ne t'aurais rien dit. Tu es une vraie commère et tout le quartier serait au courant avant minuit !

D'une façon exagérée, elle me montre qu'elle est offensée par mes accusations - pourtant véridiques. Elle tourne alors la tête vers Mamie Soo pour l'interroger.

Mamie Soo : Je n'en sais pas plus que toi Na. Quoique, je me rappelle d'un seul prénom. Ça me faisait penser à un nom de gâteau, attends, je l'ai sur le bout de la langue...

Un nom de gâteau ?

Mamie Na reste scotchée à ses lèvres, attendant patiemment qu'elle révèle le nom. Moi-même, je me demande ce qu'elle va dire.

Mamie Soo : C'était quelque chose comme Kookie... Ah oui, c'est Jungkook !

Impossible de me retenir plus longtemps, j'éclate de rire. Associer Jungkook à un cookie pour se rappeler de son prénom est vraiment typique de ma mamie.

Naela : Mamie Soo ! Ne raconte pas n'importe quoi, elle va se faire des idées !

Elle se contente de rire puis me frotte le bras pour me rassurer. Je vérifie du côté de Mamie Na qui a les yeux qui pétillent.

Oh non.

J'ai dû faire un argumentaire de cinq minutes pour la convaincre qu'il ne se passe absolument rien avec Jungkook. Même si elle garde son air sceptique, je vais m'en contenter. Nous nous séparons ensuite pour regagner nos maisons respectives.

Pour ce midi, le repas sera consacré aux poissons que Papi Gi a ramenés de la pêche. Ce dernier s'est surpassé cette fois d'après ses dires. En effet, à chaque fois qu'il va à la pêche avec ses amis, ils s'amusent à faire un concours de celui qui attrapera le plus de poissons. Et cette fois, c'est lui qui a gagné. C'est alors avec fierté que nous dégustons l'objet de sa victoire.

Comme nous sommes dimanche, nous passons l'après-midi à regarder la télévision, tout en nous occupant les mains avec soit une grille de mots-croisés pour Papi Gi, soit de la broderie pour Mamie Soo et moi. Lorsque j'achève enfin mon motif, je le lève devant moi pour l'observer. Il est assez bien réussi et on devine facilement ce que c'est.

Mamie Soo : Elle est adorable ta tête de lapin Naela ! Mais pourquoi il a un sourcil levé ?

Naela : Je me suis un peu emballée à un moment et ce n'était pas très fructueux, alors j'ai rattrapé comme j'ai pu.

Je regarde ensuite la broderie de ma mamie où une jolie palette de couleurs constitue son chef-d'œuvre. Elle a brodé plusieurs fleurs qui me rappellent que nous arrivons bientôt au printemps. Avec le froid qu'il a fait ces jours-ci, on oublie vite que le changement de saison approche.

Sentant la fatigue arriver à grand pas, Papi Gi et Mamie Soo remontent dans leur chambre. Cependant, Mamie Soo s'arrête en plein milieu de l'escalier. Toujours installée sur le canapé du salon, je la regarde se diriger dans son atelier qui est à côté de l'entrée. Cette pièce contient tout son matériel artistique, une vraie mine d'or. Quand je la vois y entrer à toute vitesse et en ressortir avec un sac en plastique, je la questionne.

Mamie Soo : J'ai oublié que je devais apporté ce sac de laines à Na. Il est seize heures passées, elle doit sûrement attendre que j'arrive.

Je m'approche d'elle dans le hall d'entrée et attrape le sac en plastique.

Naela : Je m'en occupe, tu devrais rester te reposer.

Quand je la vois hésiter, j'insiste davantage et la pousse même vers les escaliers pour la persuader de me laisser faire. Elle capitule alors et me remercie avant d'aller rejoindre Papi Gi. J'enfile ensuite mes chaussures puis mon long manteau. Pour aller chez Mamie Na, je dois remonter la rue puis tourner à gauche. Sa maison n'est pas difficile à trouver, on ne voit qu'elle dans la rue. Sa couleur rouge la démarque bien des habitations blanches autour.

Une fois devant la porte principale, j'appuie sur la sonnette qui joue une mélodie que je ne connais que trop bien. Après avoir entendu un oiseau gazouiller, Mamie Na m'accueille avec un air surpris. Je lève le sac de laines à hauteur de ses yeux pour lui faire comprendre la raison de ma visite. Elle récupère le sac puis m'invite à entrer. J'accepte volontiers et nous nous rendons dans le salon. Nous discutons ensuite de tout et de rien, nous souvenant ainsi des moments que nous avons passés ensemble. Un pincement de joue plus tard, je quitte enfin la maison rouge.

Le temps s'est rafraîchi dehors puisque le soleil entame doucement sa descente. Je resserre les pans de mon manteau et baisse le cou pour limiter le contact entre ma peau et l'extérieur. Les mains dans les poches, j'avance dans la rue vide. Le quartier est majoritairement habitée par des personnes âgées qui désirent vivre dans le calme. Pour un dimanche, il est normal de voir les lieux déserts.

Seuls mes pas résonnent dans l'air parce que j'ai tout simplement mis mes bottines. Inconsciemment, je marche lentement et ne repose pas tout mon poids sur mes jambes pour éviter de faire trop de bruit dans le quartier silencieux. En tournant à droite pour prendre la rue adjacente, je commence à entendre des échos de pas. Le changement de rue ne devrait pas créer un tel phénomène. Je ralentis alors mes pas pour vérifier ce que je soupçonne. Le bruit des pas ne sont pas en concordance avec les miens.

Quelqu'un me suit.