Pensionnat Richmond, Nous Voilà ! 3/7
De par l'ouverture de la toile, Milléïs et Draval passèrent leur temps à admirer les différents paysages s'offrant à eux. Après avoir quitté Solécendre et ses facettes modernes et métalliques, Lumènia était une île à la verdure luxuriante, aux villages ruraux et pittoresques renfermant d'humbles travailleurs cultivant légumes, céréales et tabac. La nation beige était d'ailleurs connue pour être le siège de la plus grande production céréalière et tabagique de l'archipel.
Des champs de blé émergeaient de chaque côté du chemin de terre, cognés par le soleil. Le ciel dégagé se revêtait d'un bleu unique. Un oiseau de fer passait au loin, flirtant en rythme avec les courants de hautes altitudes. Milléïs et Draval reconnaissaient les courbes acérées d'un sublime Méca-Condor ; sa vitesse était subjuguante, la précision de ses détails également.
Les heures défilaient, tout au même point que les riches forêts de feuilles jaunes. À chaque éclat de joie, une grimace déformait le visage de Lascan, à l'avant. Pas moyen de se reposer avec de telles pipelettes ! songeait-il, alors qu'il tentait de rattraper un brin de sommeil. Cette attitude faisait doucement glousser la délicate Sielle.
— Milléïs, regarde ! montra Draval, le nez par la fenêtre.
Rapidement, l'appelée engouffra sa tête sous le bras de son meilleur ami, pour voir ce qu'il pointait si ardemment. À cet instant, ses yeux rencontrèrent une masse énorme peignant majestueusement le val à l'horizon ; un château. Un immense château de roches ocres, gardé par une barrière de lances pointues et sécuritaires. La divine égérie de l'île se dévoilait enfin.
Prise d'un bonheur incommensurable, Milléïs s'écria :
— C'est le pensionnat, Draval ! On est arrivés ! Tu as vu comme il est beau ?
Sous les claquements des sabots synchronisés des chevaux, les futurs élèves passèrent tous par delà les orifices, afin d'admirer l'endroit qui allait être leur fief d'adoption. Sielle sortit Lascan de sa transe d'un bon coup de coude dans l'épaule ; il ne devait pas manquer ça. Les navettes dépassèrent le portail de fer forgé, pénétrant dans l'auguste structure du jardin. L'allée de gravier blanc était magnifiquement décorée de deux haies de buissons taillés avec élégance. De majestueux saules pleureurs entouraient presque maternellement la bâtisse.
Au centre de cette cour faramineuse, une fontaine à l'eau limpide et à la margelle de galets y reposait. La bouche béante de fascination, les apprentis furent chahutés par une secousse. Le cocher venait d'immobiliser son véhicule devant l'entrée du monument.
— Terminus, les enfants !
Après avoir délogé son fessier du siège, l'homme au chapeau haut-de-forme déverrouilla la portière, permettant aux premiers adolescents de sortir pour s'imprégner de l'aura prestigieuse des lieux. Draval se leva et saisit la main d'une Milléïs pétillante et intenable. Or, Lascan lui coupa la route vers la sortie, avant de partir avec sa jumelle. Le fils de forgeron grommela, mais ne répliqua rien.
Lorsque leurs pieds foulèrent ce sol chargé d'histoires, sac sur l'épaule, Milléïs et Draval prirent une longue inspiration, gorgeant leurs poumons d'un air qui semblait étrangement plus pur qu'à Solécendre ; c'était une sensation renversante, revivifiante.
— Bienvenus à la grande guilde des Défenseurs, mes chers enfants !
Attirés par cette voix accueillante, les adolescents pivotèrent vers le sommet des marches menant à la grande porte d'entrée. Devant eux, deux hommes et une femme se tenaient là, fièrement. L'homme du milieu, les bras grandement écartés, était blond, les pommettes saillantes et portait un élégant complet beige doré. Il tenait une canne de bois noir, avec un pommeau en forme de tête d'aigle. Ses yeux clairs et globuleux étaient plissés par le sourire franc qu'il présentait aux jeunes arrivants.
Sitôt aperçurent-ils le flegmatique Guerlain Wynstead que tous se mirent en rang, saluant dignement le Vice-Gouverneur et directeur du pensionnat. Ne comprenant pas dans l'immédiat ce mouvement précipité, Milléïs et Draval restèrent immobiles quelques secondes, avant de suivre le rythme quasi militaire.
— Bien, repos à vous, dit le directeur, une paume en avant. Mes aïeux, en voilà de la belle jeunesse. De la chair fraîche et rigoureuse ! Le voyage s'est-il bien passé ?
— Pour le mieux, Sir Wynstead, assura l'un des conducteurs.
— Parfait. Vous pouvez y aller, mes braves. Merci encore.
Les deux hommes firent une révérence devant le Vice-Gouverneur en signe de respect, puis reprirent place sur leur navette. D'un geste de la hanse, les chevaux redémarrèrent, abandonnant derrière eux la cinquantaine d'adolescents en leur promettant de revenir d'ici l'an prochain. Aussitôt, claquant sa canne sur le sol, la sommité du pensionnat s'exclama :
— À nous ! Encore une fois, je vous souhaite la bienvenue en ces lieux, chers élus. Comme certains d'entre vous le savent, je suis Guerlain Wynstead, le Vice-Gouverneur de Lumènia et Directeur du Pensionnat Richmond. C'est moi qui m'occuperai de votre apprentissage, cette année. Derrière moi se tiennent deux de vos futurs enseignants : Miss Dahiri et Monsieur Cumberstone.
Miss Dahiri était une femme à l'air renfrogné. Grande et particulièrement musclée, son grain de peau était noir comme une nuit blanche. Elle était l'exact opposée de Monsieur Cumberstone ; un petit quadragénaire légèrement ventru et souriant, aux mèches d'un roux incendiaire.
— Je pense qu'après un tel voyage, vous devez avoir le ventre creux, n'est-ce pas ? lança Wynstead sous l'approbation des enfants. Un somptueux repas de bienvenue vous attend dans le mess, suivez-nous. Aujourd'hui sera pour vous une journée de visites et de préparations. Vous apprendrez à vous approprier ce nouvel environnement, à connaître son histoire, ses règles, ainsi que tous ses recoins, afin de vous familiariser au mieux avec lui. Après tout, le Pensionnat Richmond sera votre nouvelle maison, désormais. Néanmoins, dès demain, les vrais cours commenceront pour vous tous. Veillez à toujours offrir le meilleur de vous-même. Ceci est une maxime indiscutable à la guilde des Défenseurs.
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Les paupières grandes ouvertes, les apprentis pénétrèrent dans l'enceinte du Pensionnat Richmond. Fier de sa réputation, l'édifice ornait dignement les couleurs représentatives de son île. Un grand fanion arborant l'emblème de l'archipel veillait dans le sublimissime hall d'entrée. Entièrement marbré, les parois étaient agrémentées de dorures royales, également présentes sur l'étourdissant plafond d'ogives. Deux grands escaliers montaient à l'étage. En bas, entre les deux coulures de marches, une large et magnifique porte vitrée, couvrant le sol de la lumière du jour, menait à la cour arrière. Enfin, à son épicentre, une statue d'environ trois mètres du grand Quellin Richmond lorgnait les apprentis de tout son orgueil.
Une aura authentique, magnétique et protectrice se dégageait du père de la nation. Quellin Richmond avait l'air si noble avec sa barbe taillée en volute et son monocle. Milléïs et Draval étaient absorbés par la beauté des lieux. C'était un véritable palace comme ils n'en avaient jamais vu, tant et si bien que le binôme craignait de salir le sol miroitant avec leurs chaussures boueuses.
— Pour commencer la visite, je vous présente le puissant créateur du pensionnat du même nom, mais aussi l'un des fondateurs du MAJE, l'illustre Quellin Richmond, présenta Wynstead, en s'arrêtant un instant devant la statue. Cette sculpture a été l'objet de fantaisie de notre tout premier Gouverneur, lorsqu'il a transformé son propre château en guilde. En fin conservateur, elle était l'une de ses nombreuses richesses à laquelle il tenait plus que de raison. Il désirait marquer cette œuvre de sa patte personnelle, ce pourquoi juste ici, sur le piédestal, vous pouvez y voir sa signature officielle.
Il pointa le bas de la figure où une boucle d'antan avait trouvé sa place.
— Sachez que Quellin Richmond était un esthète extrêmement perfectionniste, un peu comme moi. Pour anecdote, il a fait refaire cette statue à son effigie plus de vingt fois, avant qu'elle ne soit parfaite à ses yeux.
Sa canne battant le sol, Wynstead entraîna ses accompagnateurs ébahis en direction d'un renfoncement vers la gauche, sans s'arrêter de parler :
— Chaque dorure présente dans le hall a été faite à la main. Tous les cinq ans, nous rénovons les peintures et les feuilles d'or, afin que tout reste en bon état pour accueillir les nouveaux binômes.
— Ça doit coûter une véritable fortune. Et dire que c'est nos parents qui payent tout ça, glissa l'un des adolescents du groupe.
— En effet, rien n'est donné, jeune homme. Les frais de votre inscription sont en majorité utilisés pour permettre à ce monument historique de rester debout. C'est une contribution honorable, selon moi. Mais c'est un travail commun parmi les nombreuses autres choses que nous faisons lorsque le Championnat des Nations approche et ce, depuis exactement cent soixante dix-sept ans. Nous devons subsister dans cette vision perfectionniste que nous a insufflé le premier Gouverneur Richmond. C'est une façon de faire vivre sa mémoire éternellement.
Les aspirants Défenseurs arrivèrent dans le couloir des trophées. Un long chemin où des bouches carrées et individuelles s'alignaient dans les murs. À l'intérieur, derrière une vitre, dormaient des coupes en forme d'engrenage arborant de fières ailes. Des noms de binômes étaient gravés sur chaque récompense, juste en-dessous de la date du triomphe. L'ancienneté de certaines ne se discutait plus. L'une d'elle portait le nom d'Ingwald Lockspear et d'une dénommée Victoria Cavendish ; Sielle et Lascan ne l'avaient pas loupée.
— Voici le Corridor des Trophées. C'est ici que nous entreposons les Coupes d'Enkkorag que nos braves Défenseurs lumèniens ont remportées durant les précédents championnats. Elles sont au nombre de neuf, dont une que j'ai moi-même remportée au cours de ma première année en tant que Défenseur. Mais... Les galdors nous devancent avec un nombre écœurant de douze victoires, apprit Wynstead, amer. Bref, je m'égare... Le mess se trouve par ici, suivez-moi.
Les adolescents chuchotaient entre eux en riant ; Milléïs et Draval ne manquaient pas à l'appel. À la fin du corridor, ils arrivèrent à un crochet avec deux possibilités de direction ; Wynstead leur apprit que le mess et le couloir des salles de cours s'y trouvaient.
En passant derrière lui avec Draval, Milléïs lui demanda :
— Et dans l'autre couloir à droite du hall, il y a quoi, Sir Wynstead ?
— Dans cette partie-là, il y a la bibliothèque, jeune fille. Un endroit où vous pourrez continuer d'apprendre durant vos heures de repos, si vous en avez l'envie. Mais il y a également le cercle des professeurs et la superbe salle de bal.
— Et à l'étage ?
— Les dortoirs, l'infirmerie et les donjons du pensionnat.
Butée sur ces mots, Milléïs continua :
— Les donjons ? Qu'est-ce qu'il y a, à l'intérieur ?
Wynstead obliqua un œil vers la curieuse blondinette qui le fixait en l'attente d'une réponse.
— Certaines ailes du pensionnat sont strictement interdites aux élèves ; les donjons en font partie, mademoiselle. Je ne peux que me taire sur le sujet.
Doucement bousculée par Draval, suite à sa demande quelque peu indiscrète, Milléïs se jura de ne plus poser de questions. Même si d'un côté, elle trouvait fort étrange que les donjons soient condamnés.
Que cachaient-ils pour que les élèves y soient formellement interdits ?
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