𝟏. 𝐔𝐧𝐞 𝐚𝐮𝐭𝐫𝐞 𝐧𝐮𝐢𝐭.
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Tic, tac.
Tic, tac.
Tic, Tac.
Les aiguilles pivotaient lentement dans le cadran de l'imposante horloge trônant dans le salon de l'habitation. C'était le seul et unique bruit que parvenait à entendre Taehyung depuis sa chambre. En temps normal, le silence l'apaisait. Il lui permettait de vaquer à ses occupations tranquillement, d'être efficace dans sa rédaction face à son laptop, de se ressourcer sans être gêné par le moindre bruit. C'était cette raison qui l'avait amené à acheter cette maison moderne retirée de la ville, perdue en pleine forêt qui ressemblait fortement à ces villas trop coûteuses, qui frôlait l'irréel et respirait la sérénité.
Mais alors qu'il était allongé sur son flanc droit, désespérément à la recherche de Morphée, cette absence de bruits ne l'aida point à clore les paupières. Pire : elle l'affolait. Elle éveillait en lui des craintes effleurant l'inexplicable, qui lui refilaient des sueurs froides alors qu'il était emmitouflé dans ses draps douillets et chauds. Même la beauté naturelle du paysage forestier au travers des fins rideaux transparents – qu'il avait changés avec soin un peu plus tôt dans la journée – ne changeait strictement rien à son état. Rien n'arrivait à le conforter, ni à faire disparaître cette boule naissante au creux de son ventre. Pas même la lecture d'un bon roman feel-good. Le regard vitreux, le jeune homme resta là, immobile tel un mort, dans l'espoir que le sommeil vienne l'assommer d'un grand coup de massue.
Il se mit à gesticuler avant de se redresser tout en soupirant, éreinté par ce qu'il traversait. Une fois défait de ses couvertures qu'il aimait tant, Tae attrapa d'un geste délicat son gilet en laine et l'enfila tandis que la douceur du parquet caressait la plante de ses pieds. Il se leva et n'oublia pas d'attraper au passage son cellulaire, qui reposait sur sa table de chevet, avant de se diriger vers la large porte-fenêtre de la pièce puis de l'ouvrir en enclenchant la poignée.
L'air frais vint aussitôt flatter son faciès tiraillé par la fatigue. La température s'était considérablement rafraîchie comparé aux précédentes heures où le soleil avait tapé haut et fort, en plein zénith. La brise se réveillait peu à peu, faisait virevolter quelques mèches blondes recouvrant son front et frissonner ses jambes halées recouvertes partiellement par un short. Il s'avança quelque peu, tout en frottant l'une de ses paupières de cette main qui n'était jamais séparée de son anneau en acier qui entourait son majeur. Puis, il s'assit sur le perron après avoir resserré sa fidèle veste tout contre lui et expira faiblement. De la vapeur s'échappa d'entre ses lèvres sèches.
Ce soir-là, le ciel était dégagé. Un magnifique bleu nuit s'étalait à l'infini. Parfois, de gros morceaux de ouates noires toutes duveteuses allaient et venaient au rythme qu'imposait la bise, par-delà la cime des frênes. Il y avait quelque chose de très relaxant dans le simple fait de les regarder. Un on-ne-sait-quoi consolateur, qui invitait presque à ne plus penser, à juste se laisser aller à leur beauté. Les yeux azurés du jeune écrivain contemplaient avec attention les cieux avant de s'attarder sur des petites taches lumineuses qui faisaient peu à peu leur apparition. Un sourire discret se forma sur son visage et ses iris se mirent à pétiller de mille feux, tant ce moment le rendait nostalgique.
Lui et son frère aîné avaient toujours pour habitude d'attendre que les conditions météorologiques permettent d'obtenir une vue d'ensemble sur les étoiles et ce, très tard le soir. Le plus grand avait veillé à transmettre sa passion pour les astres à son cadet, quelque temps après sa venue au domicile familial. Tae s'en souvenait comme si c'était hier. Une poigne délicate caressant sa chevelure sans jamais s'arrêter, Jungkook lui expliquait avec cette éternelle bienveillance discernable dans sa voix la position des planètes, des constellations et leurs spécificités propres. « Tu vois ces traits qui forment une sorte de sablier ? C'est Orion. Elle brillera durant tout l'hiver. Là-bas, c'est Sirius. C'est l'étoile la plus grande et la plus étincelante de toutes. ». Voilà ce que lui contait Jungkook, lors de nuits étoilées. Ses explications coulaient de source, partaient d'un point A pour arriver à un point B avec clarté. Il connaissait tout de ces astres, même le plus infime des détails les concernant. Comme s'il les avait engendrés. Comme si l'espace était sien. Le plus jeune l'écoutait chaque fois d'une oreille attentive, sans rompre une seule fois le contact visuel avec cet horizon obscur parsemé de perles lumineuses. Cela arrivait encore de temps à autre, même adulte.
Son index fit tournoyer la bague décorant son doigt à l'évocation de cette souvenance qu'il chérissait plus que tout au monde.
Les souvenirs...
C'étaient tout ce qu'il restait de son aîné.
— Tu me manques, Jungkook.
Sa présence lui manquait terriblement. Ce n'était plus pareil sans lui, à la maison. Tout paraissait différent sans sa chaleur, ni l'entente de sa voix. Cela se faisait ressentir dans sa famille aussi, depuis quelque temps déjà. Tout était devenu si compliqué, encore plus complexe que les scénarios qu'il s'imaginait et concoctait sur son ordinateur quand l'inspiration le piquait. La rutilance dans ses bourgeons cobalt disparut peu à peu pour finalement se tarir, se faire avaler tout entier par les ténèbres. Et la rumination revint, au même titre que les multiples questions pullulant son crâne jusque-là sans réponses. Encore ce malaise, cette crainte diffuse qui s'éparpillait dans chaque cellule de son corps.
Cela faisait deux mois maintenant que son grand frère adoptif avait disparu.
Deux mois que Taehyung se torturait l'esprit jusqu'à saturation et se faisait un sang d'encre pour lui. Soit soixante jours qu'il était considéré mort aux yeux des forces de l'ordre locales. Après plusieurs jours de battue à travers cette sylve qui furent sans succès, la police avait abandonné ses recherches et était vite passée à autre chose. Kook était passé du statut de « disparu » à celui de « cold case » comme tant d'autres affaires non-élucidées en très peu de temps, entraînant le désespoir de son cadet ainsi que celui de leurs parents. Et Tae brûlait un peu plus chaque jour de remords, à mesure que la culpabilité gonflait en lui et que les chances de retrouver Jungkook s'amenuisaient.
Par une étouffante nuit tempétueuse, le noir de jais s'était sauvé de la maison à toute allure après une énorme dispute qui avait dégénéré entre eux. Depuis qu'ils avaient décidé de faire une colocation ensemble en attendant que l'un d'entre eux décide de voler de ses propres ailes. Malgré leurs quatre années de différence d'âge, le fait qu'ils ne possédaient aucun lien par le sang et leurs personnalités opposées, ils partageaient néanmoins un point commun : un entêtement obstiné. Une dispute pouvait s'étaler sur de longues minutes, voire des heures avec eux, comme toutes relations fraternelles quelque part. Mais les querelles des frères Jeon étaient différentes et ce, de bien des manières.
Impulsif sur les bords, Kook s'était aventuré alors à travers les bois encerclant le logement, incapable de faire taire cet amas d'émotions qui l'avait submergé après un énième accrochage, sous les cris suppliants de son petit frère qui l'avait coursé jusqu'à perdre haleine avant de finalement le perdre de vue. Par la suite, ce fut silence radio. Un long silence qui avait alors aboutit à de l'incompréhension, à des larmes ruisselant à flot.
Tae ne pouvait s'empêcher de s'en vouloir à force de repenser à tout cela. S'il n'y avait pas eu du tout de conflit, Jungkook serait peut-être toujours présent. Si le jeune auteur avait instauré une distance entre eux, comme l'avait suggéré leurs parents, peut-être que rien de tout cela ne se serait produit. Leurs liens familiaux ne se seraient pas dégradés aussi dangereusement et il n'y aurait pas eu autant de désaccords entre eux sur tout ce qui le reliait à l'ébène.
Parce que le cœur du problème se trouvait là, ancré depuis des années déjà et n'avait fait que creuser davantage le fossé entre les parents et leurs progénitures à mesure que le temps s'effilochait, en plus de froisser la relation entre les deux frères.
Son nœud à l'estomac se resserra douloureusement. La sensation était insupportable. Il ferma quelques secondes les paupières, comme si cette simple action permettrait de balayer cette douleur ainsi que les pensées négatives qui affluaient beaucoup trop vite dans son esprit. Tae refusait de croire que son aîné n'était plus, contrairement à sa famille qui agissait déjà comme s'il était six pieds sous terre depuis longtemps. Mais la terrible réalité le rattrapait à chaque fois et ce, peu importe ce qu'il faisait. Cela le plongeait dans une tristesse telle que même la légèreté de son matelas n'arrivait pas à faire sécher les pleurs ravageant son visage.
— Pardonne-moi... murmura-t-il, au bord des larmes.
Tout d'un coup, son smartphone vibra tout contre lui. La vive vibration le sortit de son égarement et c'est aussi à cet instant qu'il se rendit compte que des gouttelettes d'eau s'échappaient du coin de ses mirettes, qu'il retira véhément du revers de la main.
Avec précipitation, il prit l'objet électronique entre ses mains, tout en se demandant qui pouvait bien lui envoyer un message à presque trois heures du matin. Impossible que ce soit son ami de longue distance Jimin, il devait certainement faire jour de son côté et donc être au travail. Encore moins ses parents qui étaient plutôt du genre à aller se coucher aux alentours de vingt-deux heures.
Son cœur loupa plusieurs pulsations à la suite, tandis que ses entrailles le tiraillèrent à la vue de son écran. Ses mains se mirent à trembloter et l'oxygène commençait à lui manquer.
— Non... Non, pas encore...
L'homme à la chevelure dorée sentit peu à peu la nausée monter, comme chacune des fois que cela arrivait. Dans ces instants, il ne savait pas quoi faire ni quoi ressentir, en plus d'éprouver cette impression d'halluciner, de devenir fou. Il n'arrivait plus à quitter des yeux ce qu'il voyait sur son écran.
C'était impossible. Trop étrange et si blessant à la fois. Cela sonnait presque comme une mauvaise blague. Le numéro de son frère n'avait pas encore été attribué depuis son décès supposé et cela commençait à bien l'embêter.
Ses tremblements redoublèrent d'intensité. Quant à son pauvre cœur, il battait si fort qu'il crut qu'il bondirait hors de sa poitrine d'une seconde à l'autre. Il avala de travers sa salive, tout en lisant avec difficulté les mots inscrits dans les bulles de conversation.
✉️ Jungkook
>> Taehyung, tu m'as manqué. Tellement manqué, si tu savais...
>> Je t'ai vu hier te prélasser en compagnie de Namjoon au bar où nous avions pour habitude d'aller rien que tous les deux. J'étais si mal, si peiné... Mais tu vas te faire pardonner, n'est-ce pas ?
>> Dis-le-moi, sweetheart... Dis-moi que tu es perdu et n'arrives pas à avancer sans moi...
Le plus étrange dans cette histoire était que la veille, le jeune homme avait cru entrapercevoir la silhouette élancée et familière du plus âgé parmi les nombreux consommateurs présents qui s'étaient amusés. Tae avait mis ça sur le compte du nombre inconnu de verres d'alcool qu'il avait ingurgité et sur le fait qu'il n'arrivait pas encore à se familiariser avec l'absence de l'ébène...
À moins que ce qu'il avait pensé être le fruit de son imagination était bel et bien réel.
✉️ Jungkook
>> Tu ne réponds pas à ton grand frère adoré ?
>> N'ai pas peur, Tae. Ce n'est que moi, Jungkook. Je ne vais te faire aucun mal.
Ni une ni deux, les doigts de Taehyung se mirent à pianoter d'eux-mêmes une réponse, sa raison ayant repris le dessus sur lui, avant de taper sur l'option d'envoi. Cependant, ses intestins s'étaient ligués pour lui offrir les pires douleurs qui puissent exister sur Terre.
✉️ Taehyung
>> Fichez-moi la paix, bon sang ! Ce n'est pas drôle du tout... Quel âge avez-vous pour jouer avec le deuil d'autrui ?
Quelques secondes plus tard, un énième sms lui parvint.
✉️ Jungkook
>> Es-tu bien sûr que c'est que tout ce qui se passe est faux ? Cesse de te voiler la face, je t'ai vu et tu m'as vu en retour. Que te faut-il de plus pour te convaincre ?
Taehyung avait le cœur au bord des lèvres. Sa respiration devenait laborieuse et sa panique ne faisait que s'accroître indéfiniment.
✉️ Jungkook
>> Veux-tu que je te rende visite ? Je viendrai toujours à toi, peu importe la raison dont il s'agit. Tu le sais, hein ? Je ferai tout pour toi... Même donner ma propre vie.
Le blondinet posa son cellulaire contre ses cuisses jointes puis se massa les tempes. Ce serait mentir s'il disait qu'il ne ressentait aucunement l'envie de se réfugier dans les bras de ses parents, même si ce n'était pas tout beau tout rose entre eux ces derniers jours.
Son instinct lui hurlait de ne pas faire confiance à cette personne qui se grimait sous l'identité de son frère adoptif. Ce ne pouvait pas être lui. C'était inconcevable, complètement absurde ! Kook était mort, il fallait que ça rentre dans son crâne une bonne fois pour toute. Plus jamais il ne le reverrait.
Sauf dans ses rêves, même les plus sombres.
✉️ Taehyung
>> Je vais vous signaler à la police, espèce de grand malade !
Comment pouvait-on lui faire autant de mal ? C'était inhumain de jouer avec la mort d'un être cher et de faire espérer ses proches en se faisant passer pour ce dernier. Bercer les cœurs meurtris de fausse joie, d'euphoriques illusions étaient l'un des pires actes que l'on pouvait commettre pour blesser et réduire tout espoir à néant.
Rapidement, il retrouva son cocon après avoir jeté un vif coup d'œil en direction de la forêt qui s'étendait à quelques mètres de lui. Ses jambes le ruèrent alors vers le téléphone fixe qui se trouvait dans le salon, tout proche de son meuble de télévision. Encore une fois, son mobile résonna dans sa main, à trois reprises.
✉️ Jungkook
>> Ne fais surtout pas ça.
>> Taehyung. Repose ce fixe tout de suite, si tu ne veux pas que je me fâche.
>> Ne compose pas le numéro. C'est un ordre et tu vas y obéir tout de suite.
Il le fit tout de même, empoignant alors le téléphone et s'empressa d'appuyer sur les numéros un à un. La tonalité sonna puis quelqu'un décrocha. Il en avait assez qu'on le dupe, que l'on se moque de ses émotions et du décès de son aîné qu'il chérissait plus que tout en dépit des nombreux désaccords qu'ils avaient pu rencontrer. Il fallait que tout ça cesse pour de bon. Sa tranquillité lui manquait, il voulait juste qu'on lui fiche la paix, qu'il puisse reprendre le cours de sa vie. Qu'il puisse poursuivre l'écriture de ce fichu roman, se reposer et effectuer enfin son deuil dans de bonnes conditions.
— Police municipale, j'écoute.
— Bonsoir, je vous appelle pour signaler une imposture, répondit de bout en blanc l'homme de vingt-quatre ans avec nervosité.
— Pouvez-vous nous m'en dire plus, s'il vous plaît ? Que se passe-t-il ? demanda la voix féminine à l'autre bout du fil.
— Depuis quelques temps, je reçois des messages provenant du numéro de Jeon Jungkook sauf que celui-ci est m–
Taehyung crut mourir sur l'instant. Paralysé, il était incapable de tout mouvement, de prononcer une seule phrase ou même d'inspirer par le nez. Hurler, il le voulait de toute son âme. Sauf que rien ne parvint. La peur lui tenaillait la gorge. Tout en lui venait de cesser de fonctionner. Pour cause, les seuls sons qui venaient de parvenir à son oreille furent :
— La ligne téléphonique vient d'être coupée. Veuillez vérifier votre réseau auprès de votre opérateur. La ligne téléphonique vient d'être coupée. Veuillez vérifier votre réseau auprès de votre opérateur. Veuillez vérifier...
L'inexplicable s'était une nouvelle fois reproduit et ce n'était pas maintenant que Tae dormirait à poings fermés.
Un autre message arriva sur son téléphone qu'il lut.
✉️ Jungkook
>> Ne joue pas sur ce terrain-là avec moi, petite étoile. Je finis toujours par l'emporter et obtenir ce que je veux. Et tu le sais très bien.
Les paroles de la voix robotique au bout du fil qui se répétant en boucle dans le vide, Tae considéra ce message avec horreur.
Non, ce n'était définitivement pas maintenant qu'il irait se coucher.
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