𝐂𝐡𝐚𝐩𝐢𝐭𝐫𝐞 𝟑𝟏
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Conseil de l'auteure : pour être immergé dans l'atmosphère de ce chapitre, je vous recommande de le lire avec la chanson ajoutée juste au-dessus. On se retrouve en bas, as always ! Bonne et agréable lecture, mes ciriiciens ! ❤️
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— Ouais, c'est moi ! J'suis en bas de ton appart' !
— Je t'ouvre la porte.
Jeongguk appuya sur le bouton juste à côté du téléphone relié à l'interphone de son immeuble puis raccrocha avant de se ruer dans sa salle de bain. Une fois posté devant son grand miroir – toujours en évitant ce reflet qui lui faisait honte de jour en jour –, il attacha ses cheveux à l'aide d'un petit élastique en deux temps trois mouvements puis une dernière couche de déodorant, histoire d'être sûr qu'il ne suerait pas comme un porc dans les prochaines minutes qui viennent. Il faisait extrêmement chaud. Gguk avait beau avoir fermé ses volets et aérer les pièces de son logement, rien n'y faisait. La chaleur écrasante de l'été était bien là, plus tôt que prévu même, et le jeune homme se demandait s'il ne fonderait pas d'ici les prochaines heures qui se succéderaient. Finalement, il en remit une autre cargaison sous ses bras, manquant au passage de s'étouffer avec la fumée provoquée par la longue pression de son index sur l'aérosol. Mieux valait être prévenant avec cette canicule qui sortait de nulle part, comme un magicien sortirait un lapin de son chapeau magique.
Aussi étonnant que cela puisse paraître, l'étudiant recevait Baptistin chez lui. Vous, qui lisez ces lignes, devez certainement être en train de froncer les sourcils. Surtout au vu de la tournure catastrophique qu'avait prise cette soirée au restaurant avec les amis du rouquin. En effet, le noir de jais avait ignoré pendant un court moment Baptistin. Ce dernier n'avait cessé d'envoyer des messages dans l'espoir de gagner son pardon, dans le but d'exprimer à quel point il se sentait embarrassé par la boulette qu'il avait commise. Jeongguk s'était contenté de regarder chacun de ses messages du coin de l'œil, préférant le laisser dans le silence plutôt que de lui répondre. Ce n'était pas correct d'agir ainsi, il le savait, mais c'était la solution qui lui avait convenu le mieux durant les premiers instants. Jusqu'à ce que Baptistin lui propose une partie de gaming. Gguk à la vue de ce sms avait levé un sourcil, intrigué. Puis au bout de quelques secondes d'hésitation, il lui avait répondu quelque chose ressemblant à ça : « Viens chez moi demain après-midi, que je te mette la raclée de ta vie ! ». Oui, il avait hâte de lui foutre une dérouillée pour la connerie qu'il avait faite à sa manière. Cela restait bon enfant mais détrompez-vous : Jeongguk était un véritable compétiteur dans l'âme dans ce domaine et il comptait bien montrer à Baptistin que s'il voulait rester son ami, il ne fallait pas franchir ses limites. Sa rancœur envers lui s'était peut-être quelque peu dissipée mais elle était toujours là, dans ses tripes.
Un dernier ajustement des quelques mèches noires qui retombaient contre son front – mêlées à ces vilains cheveux blancs qui devenaient plus nombreux à mesure que le temps passait – puis on toqua à sa porte. Il quitta alors le petit espace pour se ruer vers le salon et se dirigea ensuite vers la porte d'entrée. D'un geste vif et maîtrisé, il l'ouvrit. Apparut alors sous ses iris jades un Baptistin tout souriant, ses bouclettes rousses aussi rutilantes qu'un feu de cheminée, un unique anneau en argent pendouillant à l'un de ses lobes d'oreilles, un sac à dos noir tenu par l'une de ses épaules larges. Le t-shirt blanc qu'il arborait, en accord avec ses baskets à grosses semelles et son cargo de couleur beige, soulignait sa musculature proéminente, moulait à damner son torse sculpté par des heures et des heures passées à la salle de sport. Jeongguk qui avait toujours connu le rouquin vêtu de vêtements oversize, manqua de s'étrangler avec sa propre salive à cette vue.
Plus haut, Gguk ! Tes yeux, plus haut !
— Salut, Jeongguk !
— Sa... Lut, salua ce dernier d'une voix minuscule.
Plus haut on a dit, bon sang de bonsoir !
— Tu me laisses entrer ?
L'ébène secoua vivement la tête alors qu'il pouvait sentir ses joues virer au cramoisi.
— Ouais, ouais, vas-y entre !
Le plus jeune entra tandis que le propriétaire des lieux se gifla mentalement tout en se donnant de petites tapes sur l'une de ses joues de sa main plâtrée, décontenancé par son propre comportement avant de refermer sa porte. Cela devait être la chaleur ambiante dans son appartement qui lui montait à la tête. Bien sûr, ça ne pouvait être que ça ! Il ne devait pas oublier sa priorité absolue : faire payer à ce sale gosse sa bêtise au Palais du Dragon.
— Il est grave sympa ton appart', sérieux !
— Tu trouves ? demanda Jeongguk en le rejoignant.
— Trop ! J'aimerais bien en avoir un comme ça, à l'avenir !
— Il est comment le tien ?
— Je manque cruellement de place, j'ai pu embarquer qu'une partie de mes affaires quand j'ai quitté la baraque de mes darons ! Sans parler des pannes d'électricité que je me mange.
— C'est un vieil appart' ? interrogea Gguk.
— Oh oui, vieux comme le monde ! J'espère pouvoir en trouver un mieux quand j'aurais assez de sous !
Jeongguk acquiesça, comprenant tout à fait les envies du rouquin. S'il avait pu se dégoter ce logement bien situé et refait à neuf, c'était en partie grâce à l'œil affuté de sa mère. Quand son fils avait pris la décision de voler de son nid, elle l'avait aidé dans toutes ses démarches administratives et ses recherches. Elle voulait un toit parfait pour son enfant, pas une de ces arnaques que refilaient certains agents immobiliers peu scrupuleux. Sachant le jeune homme novice et ayant encore besoin d'être aiguillé dans sa nouvelle vie d'adulte autonome – même à presque vingt-et-un ans, Jeongguk nécessitait encore des précieux conseils de sa chère maman – madame Jeon avait veillé à ce qu'aucun d'entre eux n'escroquent son enfant. Après moult recherches sur divers sites d'hébergement puis en agence, ils étaient tous les deux tombés sur le saint Graal. Une perle rare comme on en a rarement vu et qui convenait tout à fait à Jeongguk. Il ne manquait plus qu'à trouver la personne qui accepterait de partager le lieu avec lui. Seul, on fait vite le tour entre les quatre murs de son propre logement. Les activités dont on trouve le plaisir à réaliser par soi-même finissent par nous lasser, nous donner l'impression qu'il manque quelque chose à notre quotidien. Puis vient le besoin de nouveauté. De basculements dans nos habitudes pour rendre notre train de vie moins répétitif, moins plat.
Taehyung avait su combler le vide et la monotonie instaurée dans son appartement. En l'espace de quelques semaines, l'étudiant avait pu avoir un avant-goût d'une vie à deux sous le même toit, chaque fois que le châtain avait passé le seuil de sa porte pour ne serait-ce que quelques heures. Durant ces instants, Gguk s'était dit qu'à la minute où il sentirait que c'est le bon moment pour, il offrirait un doublon de ses clés à ce dernier. Parce que son appartement serait également son foyer. Parce qu'il désirait que Tae se reconstruise petit à petit dans un espace sain en sa compagnie, loin des souvenirs cafardeux de son ancienne vie, qu'ils passent encore plus de temps ensemble comme un véritable couple ; comme la plupart des couples de son âge. Jeongguk voulait le meilleur pour son aîné. Il l'avait toujours voulu, depuis que son cœur et son âme réunis s'étaient entichés de lui. Même encore maintenant, il le voulait, séparé de lui. D'où le fait qu'il n'osait pas se prononcer quant à sa demande émise par téléphone lorsqu'il était au restaurant asiatique avec Baptistin et ses amis.
En parlant du blond vénitien, celui-ci venait d'extraire de son sac à dos deux bouteilles de Passoa aux motifs colorés qu'il montra au noir de jais.
— Je t'ai amené ça, « saveur tropical cocktail », dit-il tout en vérifiant l'étiquette du produit.
— Oh !
Jeongguk se rua dessus, avec des étoiles plein les yeux et prit l'une des deux bouteilles en verre entre ses mains.
— Comment tu sais que c'est mon alcool préféré ? interrogea-t-il, le regard rivé sur l'objet entre ses mains.
— Moi au moins, je t'écoute quand tu me parles.
L'ébène releva aussitôt la tête, surpris par la remarque soudaine du rouquin. Il ne saurait dire s'il s'agissait d'une taquinerie ou d'une vraie réflexion, encore moins avec ce ton neutre qui était inhabituel chez lui. Qu'est-ce que c'était que ça ?
— Tu crois que je te vois pas quand on bouffe ensemble à la cantoche, à avoir les yeux collés à ton portable ou sur l'autre qui est aussi aimable qu'une porte de prison quand on lui dit bonjour ? Je te fais chier à ce point-là ?
— Bapt'... soupira Jeongguk.
— Mets-y un peu du tien si tu veux t'en sortir. Je fais tout pour que tu te sentes bien, là encore j'essaie de réparer les conneries que j'ai faites au resto, tu vois ? Si je m'en foutais de toi, je t'aurais rien proposé du tout. Je serai même pas sous tes yeux, à l'heure actuelle. Sois-en reconnaissant.
Le plus âgé prit sur lui, déconcerté par les paroles du jeune homme. Il était vrai que Jeongguk ne pouvait s'empêcher de se laisser distraire que de s'impliquer dans les conversations échangées avec son cadet, physiques comme virtuelles. Même par sms, cela se voyait parfois qu'il y répondait sans envie, ni enthousiasme, selon son humeur. Du je-m'en-foutisme total. En repensant à chacun de ces instants, Gguk se dit qu'en effet, ce n'était vraiment pas cool de sa part d'agir ainsi et qu'il devrait s'investir un peu plus vis-à-vis de Baptistin que dans ses ressassements d'une idylle qui ne fleurirait jamais. Ça ne servait à rien de continuer de se mettre des barrières pour Taehyung. Surtout que celui-ci lui avait supplié de choisir la conclusion de leur histoire, peu importe si cela se finirait de manière déchirante ou non. Dans tous les cas, il était foutu. Il fallait qu'il lâche un peu du lest pour ainsi se reconstruire petit à petit et ainsi, oublier l'épisode Taehyung progressivement. Un infime sourire se dessina sur les lippes du gamin à la bouille de lapin.
— Tu as raison. Je ferai plus attention à partir de maintenant. Désolé pour toutes ces fois où j'ai été distrait ou désintéressé, c'était pas contre toi.
Baptistin acquiesça doucement de la tête, comblé par sa réponse.
— Ça roule, chou.
La tension inopinée qui s'était instaurée entre eux s'évapora aussi vite qu'elle était survenue.
— Je mets les bouteilles où ?
— Alors j'ai une réponse qui me vient en tête, mais elle va pas te plaire.
Le roux contempla Jeongguk tout en plissant des yeux. Il fronça davantage les sourcils en voyant la mine fière de son aîné de quelques mois.
— Espèce de gamin, pouffa-t-il.
— Tu peux les poser sur la table, je vais ramener de quoi grignoter.
Aussitôt dit, aussitôt fait. Après avoir retourné une bonne partie des placards dans sa cuisine, Gguk revint dans le salon avec différents paquets de gâteaux dans les bras ainsi qu'un décapsuleur. Il y avait largement de quoi tenir l'après-midi avec la quantité qu'il détenait sur lui. Une fois qu'ils jugèrent qu'ils avaient tout ce qu'il fallait à disposition, le maître des lieux alluma sa console, l'une des seules qu'il avait embarquée avec lui peu de temps après son emménagement dans son appartement. Une petite Playstation 2 rose bonbon, encore parfaitement intacte, que sa mère lui avait offert pour ses résultats de fin d'année lors de sa dernière année de primaire. Jeongguk s'en souvenait encore comme si c'était hier, son géniteur avait grimacé à la vue de la couleur de la console et n'avait cessé de faire des remarques à ce propos. Trop fifille pour un garçon, d'après lui. Teinte destinée aux femmes ou non, Jeongguk n'en avait eu cure des réflexions stéréotypées de son paternel et avait chéri cet objet comme s'il s'agissait de son propre enfant.
Il passa une manette à son ami et s'assit juste à côté de lui sur le canapé avec la sienne dans les mains. Le temps que le jeu qu'il venait de lancer se mette en route, un classique de la course automobile, le noir de jais décapsula une première bouteille de Passoa tandis que Baptistin se leva pour aller chercher deux verres.
— Premier placard du haut, tout à gauche, précisa Gguk tout en mettant sa force sur la bouteille.
En deux temps trois mouvements, la boisson fut servie et ils trinquèrent ensemble.
— À ma victoire qui sera triomphale.
— Je m'avancerai pas trop vite à ta place.
— C'est ce qu'on verra, Spirou !
Ils burent une première longue gorgée, comme pour se donner des forces avant le début de la longue bataille dans laquelle ils s'affronteraient. L'écran principal s'afficha sur la télévision et ils purent procéder à la sélection du bolide qu'ils conduiraient puis du circuit. Il y en avait de toutes sortes, pour tous les goûts, tous plus beaux les uns que les autres. Ils donnaient presque l'envie d'en être l'heureux propriétaire, malgré le prix exorbitant qu'ils devaient coûter, et de tester leurs capacités de vitesse pour de vrai sur la route. Gguk opta pour une Ford Mustang, qu'il personnalisa en rouge foncé pour lui donner du caractère et simplement parce qu'il s'agissait de sa couleur préférée. Le choix de Baptistin pencha pour une Chevrolet Corvette blanche. Lors de la sélection du circuit, Jeongguk fit exprès de prendre un bien compliqué, juste pour le plaisir de compliquer les choses. Ils se cramponnèrent tous deux à leurs manettes puis la course démarra, en même temps que le noir de jais lâcha la bête.
Il ne laissa absolument aucun répit au rouquin, n'ayant visiblement perdu aucun de ses réflexes acquis durant sa jeunesse. Il lui rentrait dedans dès qu'il en avait l'occasion, le poussait pour ensuite le dépasser, le collait à l'arrière de sa voiture.
— Mais laisse-moi tranquille, putain ! cria Baptistin tout en riant.
— Jamais !
Jeongguk lui rentra une énième fois dedans par la gauche. Cette fois-ci, il appuya sur l'accélérateur et sur la flèche droite de sa manette dans le but de pousser le véhicule de son cadet, de le faire se retrouver à contre-sens de la route. L'ébène jubilait de voir Baptistin autant galérer à reprendre le contrôle de la situation, s'esclaffait d'un rire qui se voulait machiavélique...
Sauf que son camarade avait plus d'un tour dans son sac et reprit le dessus sur Gguk, dont la voiture partit rejoindre le bas-côté de la route tandis que le plus jeune franchissait la ligne d'arrivée.
— Mais c'est un scandale ! hurla à son tour celui-ci, outré par ce retournement de situation inattendu.
— Tel est pris qui croyait prendre, petit lapin ! Ah, ah !
— T'avais pas le droit !
— Tu te fous de moi, t'essayes d'encastrer ma bagnole depuis le début de la course et j'ai pas le droit de te faire ça ?
— Exactement !
— Pourquoi t'aurais le droit et pas moi ?
— Parce que, grogna Gguk.
— C'est pas une réponse, ça.
— Si et je peux te donner une explication tout à fait logique à cela.
Le roux contempla Jeongguk d'un regard joueur puis croisa ses bras.
— Vas-y, enrichis mon cerveau de ton précieux savoir, Ô grand maître caramboleur Jeon.
Ledit maître caramboleur Jeon prit un air suffisant après avoir manqué de rigoler à l'entente de ce nom, bomba un peu le torse pour se donner contenance et d'un ton faussement supérieur, dit :
— Vois-tu, mon grand, c'est très simple. Cette explication va tellement te choquer qu'à la fin tu te diras « Il a trop raison, ce con ! Pourquoi n'y ai-je pas pensé avant ? ».
— Je suis tout ouïe.
— Mon explication va défier toutes les croyances de notre monde, es-tu prêt à entendre cela ?
— Avoue plutôt que t'en as pas, au lieu de sortir des conneries !
Ils se défièrent quelques secondes du regard, en véritables chiens de faïence, puis Jeongguk brisa le silence :
— Je veux ma revanche, dit-il sur un ton déterminé.
Bien sûr qu'il la désirait, ardemment même ! Il voulait montrer à son cadet que c'était lui le plus fort et lui mettre la dérouillée de sa vie. Peu importe le nombre de parties qu'il y aurait, peu importe s'il enchaînerait les défaites ou non, Jeongguk ne voulait pas se laisser faire. Il ne voulait pas essuyer un autre échec. Il en traînait déjà assez comme ça, accrochés à ses chevilles tels des boulets de forçat. Cette partie qui se voulait bon enfant ne l'était pas tant que ça en fin de compte. C'était quasiment une question de vie ou de mort, qui le liait à son ego. L'étudiant voulait au moins triompher dans ce domaine-là, à défaut d'avoir échoué en amour et sur le plan scolaire. S'il perdait là aussi, ce serait la lose totale.
Il appuya alors sur la touche « start », permettant ainsi de relancer la partie, puis but une lichée plus longue de l'alcool sous ses yeux. Même véhicules, même circuit, le même scénario se répéta. À la seule différence où cette fois-ci, Jeongguk ne rigolait plus. Son poignet plâtré commençait à le lancer, une douleur diffuse irradiant à travers ses os, à force de trop le solliciter. Le noir de jais n'en avait que faire, même si cette dernière était pénible. Tout ce qui comptait, c'était la gagne. Avoir la preuve qu'il n'était pas un raté fini. Les récents événements se rembobinèrent dans son cerveau épuisé comme un vieux VHS, s'imposèrent et Jeongguk ne pensa plus qu'à cela encore, ses iris jades rivés sur son téléviseur, ses mains cramponnées à sa manette.
Bon dieu, qu'est-ce qu'il aurait aimé pouvoir sortir de cette prison étouffante qu'est devenu son esprit pour enfin prendre l'air. Quitter ce microcosme obscur pour un autre bien plus lumineux. De la lumière, c'était tout ce qu'il voulait en ces jours enténébrés par le deuil d'un amour qui venait à peine de bourgeonner.
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Une douce accalmie régnait dans l'appartement de Jeongguk. Depuis la fenêtre du salon on pouvait voir de premières traînées orangées parsemer le ciel, rayons qui s'étendaient sur le parquet du logement. Plongés dans une semi-pénombre agréable, Gguk et Baptistin grignotaient. La séance de jeu avait dû être écourtée car l'ébène commençait à avoir mal à son poignet. Son obstination avait fini par avoir raison de lui. Il ne pouvait plus faire quoi que ce soit. Même bouger les doigts était un supplice. Frustré. Jeongguk était tout simplement frustré, mangeait avec agacement ses cookies. Une mastication rapide, les sourcils froncés au point de faire naître une ride en plein milieu du front, une moue boudeuse, de grandes expirations aussi bruyantes qu'une locomotive à vapeur ; il était l'incarnation même de l'irritation. Ou d'un enfant que l'on aurait privé de dessert.
— Tu boudes ?
— Et comment que je boude, j'ai la rage ! pesta Gguk, insatisfait, le dernier morceau de gâteau dans sa bouche. C'est pas juste.
Ce dernier soupira longuement avant de caler sa tête contre son canapé, les pupilles dirigées vers son plafond et l'air songeur.
— Le karma l'a décidé ainsi, manifestement. Il faut que je sois mauvais dans tous les domaines possibles et fasse avec.
Ça devait être ça. Toutes les lois de l'univers convergeaient à ce qu'il vivait une existence mouvementée et sous le signe de l'échec. Il n'y avait pas d'autres explications plus plausibles que celle-ci. Jeongguk s'était toujours accroché à l'espoir et ce, de toutes ses forces, peu importe la gravité des mésaventures qu'il traversait. Même dans ses moments les plus sombres, il y avait cru. Parce que l'espoir fait vivre. Lutter est encore un signe d'espoir, même lorsque l'on espère plus, que l'on est au plus bas. Tôt ou tard, le cours des événements finit par se rétablir et s'alléger. Cependant, au vu des derniers jours écoulés, Jeongguk ne voyait pas comment remonter la pente. Retrouver un semblant de vie normale et paisible, loin de tout tracas, lui paraissait hors d'atteinte. Il avait la sensation de faire du surplace, voire d'avancer à reculons. C'était toujours les mêmes pensées qui finissaient par infester son esprit après un court laps de répit. Les mêmes qui repassaient en boucle jusqu'à ce que saturation advienne. Et il en avait assez de ne trouver aucune solution face à ses maux qui prenaient de plus en plus de place dans son quotidien. L'espoir était surfait, à ses yeux. Tout comme Dieu l'était, à ceux de Taehyung.
Un sourire discret, presque résigné, fendit les lèvres du noirs de jais. C'était fou à quel point tout les reliait, même éloigné l'un de l'autre.
— Elle était comment, votre relation ?
La voix de Baptistin rompit ce bref moment de silence instauré. Jeongguk releva la tête, sortant doucement des quelques secondes d'égarement dans lesquelles il venait de plonger, et croisa le regard de ce dernier braqué sur lui.
— Hein ?
— Votre relation, à toi et ton copain. C'était comment ? répéta le rouquin. Tu ne m'en as jamais parlé jusqu'à ma connerie au Palais du Dragon.
La première action que fit l'ébène était de se redresser correctement tout contre le sofa. Ensuite, il empoigna la deuxième bouteille de Passoa et s'en versa un grand verre. Troisième étape : en boire la moitié, d'un coup. Il en avait bien besoin. La conversation serait longue et il n'avait aucune idée de par où la démarrer.
Une fois cela fait, Gguk garda son verre dans les mains et chercha ses mots. Comment raconter une histoire d'amour aussi belle que destructrice ?
— Pardon, c'était indiscret de ma p–
— Elle a duré presque trois mois, le coupa Jeongguk. Elle a commencé sur les chapeaux de roue mais c'est ce qui la rend irremplaçable et chère à mon cœur, même si elle fut écourtée. Il m'a changé. Je ne suis plus le même depuis sa rencontre. C'est un homme ni acide, ni alcalin ; pris entre le noir et le blanc. Ni tout à fait le jour, ni la nuit. Il est parfaitement mal aligné. La stabilité n'était pas de mise avec nous, surtout avec lui et je me suis pris de passion pour la disharmonie qu'il inspirait. Il possède ce truc inexplicable qui te happe, te donne envie de l'approcher encore et encore, jusqu'à te noyer dans l'abîme de son regard. Son déséquilibre a fait écho en moi et a éveillé des émotions inédites, que je n'avais jamais pensé éprouver avant qu'il n'entre dans ma vie. Je n'ai jamais connu pareille attraction pour quelqu'un et cette attirance m'a ouvert au monde. J'ai pris vie sous chacune de ses œillades posées sur moi, chacun de ses gestes tendres contre ma peau, chacune de ses paroles douces susurrées à mon oreille. J'étais persuadé qu'il serait le bon, celui avec qui j'accomplirai mon existence et concrétiserai mes rêves. Malheureusement, j'ai fini par le voir sous son vrai visage et me revoilà au point de départ : célibataire pour une durée indéterminée, en perdition et le crâne rempli d'angoisses inutiles.
Il reprit vite une gorgée d'alcool, comme on reprend vite de l'oxygène après de longues minutes d'apnée sous l'eau, devant l'expression soucieuse de son cadet. À chaque déglutition, un souvenir remontait à la surface. Leurs abondantes nuits d'éros, les mots doux du châtain, leur amertume, la violence dans son amour, son amour dans la violence, leurs nombreuses promesses jurées, ... Jeongguk se remémorait absolument tout. Lorsqu'il s'arrêta dans son geste, un frisson le parcourut. Puis il lâcha sur le ton de la confidence, tout en regardant le contenu de son récipient :
— Durant les premiers jours, l'amour te fait voler des ailes. C'est beau, c'est magique, tu te dis que rien ne peut t'arriver maintenant que tu le possèdes. Puis tu finis par chuter face contre terre, brutalement. La réalité te rattrape et tu te rends compte que l'amour apporte plus de douleur que de bonheur. Tout ce dont tu te persuadais s'effondre. Tout devient plus fade à tes yeux.
— Tu ne crois donc plus en l'amour ? demanda Baptistin.
J'aimerais encore ne jurer que par ça. Mais je n'en ai plus le courage, maintenant.
Jeongguk pivota la tête en direction de son camarade et dit platement :
— Je croyais au prince charmant quand j'étais gosse. Je ne crois plus qu'en ce que je vois, désormais.
Baptistin acquiesça en silence la réponse de son aîné avant d'ouvrir en grand ses bras.
— Viens-là.
Lentement, le gamin à la bouille de lapin se rapprocha et accepta l'étreinte du roux en posant sa tête contre son épaule. Il se laissa aller à celle-ci tout en fermant les paupières et sentant la grande main de son ami lui caresser de bas en haut le bras.
— Ça va aller. C'est une mauvaise passe. Tu vas t'en sortir.
— C'est ce que mes potes me disent, prononça Jeongguk, sans conviction. Mais j'y crois pas des masses.
— T'es un chouette gars, tu vas finir par trouver mieux. N'empêche, je l'envie ce mec. J'suis limite jaloux qu'il ait réussi à conquérir un ange comme toi.
Jeongguk lui donna une frappe dans le ventre, à cet aveu.
— Arrête de dire des conneries.
— Mais je suis plus que sérieux !
— Qui voudrait d'une déception comme moi ?
— Plus de personnes que tu ne le penses.
— Comment le voir quand mon univers ne se résume qu'à lui ?
— En t'ouvrant à de nouveaux horizons. Y'a que comme ça que tu pourras l'oublier et réparer ton cœur brisé.
Baptistin le serra un peu plus fort contre lui, comme pour appuyer son propos.
— Je suis tellement épuisé par tout ça, Bapt', j'arrive à saturation, soupira Jeongguk.
— Est-ce que tu veux que je parte et te laisse tranquille ? Est-ce que tu as besoin d'espace ?
Justement : si Gguk se retrouvait à nouveau seul, maintenant que la brèche dans son âme venait de se rouvrir à l'évocation du châtain, il ne savait pas comment se passerait le reste de la journée. Il pouvait prendre sur lui ses émois, tout comme il pouvait laisser son désespoir éclater. Il pouvait agir comme si tout allait dans le meilleur des mondes – et donc se mentir à lui-même –, tout comme il pouvait se comporter comme il le devrait et laisser choir quelques larmes contre son oreiller à l'heure du coucher. Jeongguk pouvait être les deux à la fois et ne pouvait préméditer ses futures réactions.
— Je sais pas... Je veux pas te jeter comme un malpropre non plus hors de mon appartement, ça ne se fait pas.
— Je comprendrai, t'inquiète.
Jeongguk hocha doucement de la tête puis le rouquin se défit peu à peu de lui.
— Désolé, s'excusa l'ébène, gêné.
— Je t'ai dit que je comprenais. Pas besoin de t'excuser, chou.
Malgré les propos rassurants du benjamin, Gguk ne pouvait s'empêcher de penser le contraire et de culpabiliser. Encore une fois, il ruinait tout en ruminant sa relation passée, relation qu'il devait vraiment jeter aux oubliettes, rayer de sa mémoire une bonne fois pour toute avant qu'elle ne le vide du peu d'énergie qu'il lui restait. C'était un cercle vicieux sans fin, une « accoutumance » étrange et nocive dont il devait se détacher. Il devait arrêter, mais c'était plus facile à dire qu'à appliquer.
Baptistin prit son sac et s'avança vers la sortie, suivi de près par Jeongguk qui réfléchissait, ses doigts jouant avec le pendentif émeraude autour de sa nuque.
— Tu veux pas rester dormir ici ? demanda-t-il avec hésitation.
— C'est gentil de proposer, Gguk. Mais je préfère te laisser et je dois voir quelqu'un dans la soirée de toute façon.
— Okay.
À contrecœur, l'ébène ouvrit la porte et son ami passa le seuil.
— C'était chouette, j'ai passé un bon moment avec toi.
— Même si t'as pas eu ta victoire ? taquina le rouquin.
— Ne parlons pas des sujets qui fâchent.
Baptistin rit à la remarque de Jeongguk.
— On aura d'autres occasions, t'en fais pas.
— Cool !
Un ange passa. Tous deux se fixèrent en silence, dans l'attente que l'un fasse le premier pas. Lentement, Baptistin se pencha pour déposer un tendre baiser sur la joue de Jeongguk. Ce dernier manqua de peu de sursauter à ce geste inattendu. Ni son mental, ni son corps n'étaient prêts à recevoir une telle marque d'affection. Lorsque le roux s'éloigna, Gguk put sentir ses pommettes chauffer d'un coup. La température de son corps augmenta davantage quand l'une des mains de son vis-à-vis vint jouer avec l'une de ses mèches de cheveux, ses pupilles toutes concentrées sur lui qui le contemplaient avec minutie ; avec une attention toute particulière. Jeongguk s'en retrouva confus, presque désarmé face à ce regard qui étincelait malgré sa nuance vert sombre, à ce toucher frictionnant sa chevelure abîmée.
— Bapt'... ? interrogea-t-il, troublé.
— Une teinte plus claire illuminera ton visage et te rendra moins l'air triste. Tu es spécial, Jeongguk. Laisse quelqu'un d'autre se frayer un chemin jusqu'à la porte de ton cœur et je peux te jurer que ton échec amoureux ne sera plus qu'un mauvais souvenir.
Un clin d'œil en guise de conclusion à cette potentielle ouverture qu'il venait de lui tendre et le plus jeune recula sans quitter des yeux le plus vieux, ses lippes retroussées en un sourire en coin, avant de partir.
Jeongguk quitta enfin son état léthargique et jeta une vive œillade dans le couloir, en direction de l'ascenseur. Baptistin, ses sous-entendus nombreux et son expression de tombeur, avaient disparu de son champ de vision. Il rentra donc dans son appartement puis referma avec douceur la porte à clé, sa lèvre inférieure pincée et la poitrine palpitante. L'esprit en vrac et sautant d'un songe à un autre, il s'adossa contre la surface dure, une main posée contre là où les cognements perpétuaient leurs tintamarres infernaux, l'autre vagabondant dans sa crinière charbonneuse. Les dernières minutes écoulées passaient et repassaient en boucle dans sa tête, sous ses yeux tel un film projeté sur grand écran.
Perturbé, Jeongguk se sentait très perturbé par tout ce qui venait de se produire, surtout par la soudaine proximité de Baptistin avant qu'il ne parte de son appartement. Un sentiment inexplicable fleurissait petit à petit en lui, se répandait dans ses veines. C'était déroutant de voir un autre homme que Taehyung témoigner un intérêt pour lui, presque inhabituel. Cet instant, aussi court fut-il, venait de chambouler quelque chose en son sein. Gguk était flatté. Sa bouche s'étira en un sourire béat. Ce qu'il ressentait à cette minute même, cette confusion qui le mettait en pagaille, lui plaisait et l'enivrait. Cette vague d'émotions contradictoires le fit omettre le tracas dans lequel la conversation à propos de l'employé de cantine l'avait enfoncé. La paume de sa main, reposant contre son torse, remonta vers son visage puis caressa cette joue. Il pouvait encore sentir la volupté des croissants de chair de son cadet apposée contre son épiderme laiteux, impression qui le fit cramoisir à nouveau. Était-ce ce baiser qui lui faisait perdre toute lucidité ou bien l'alcool sillonnant ses vaisseaux sanguins ? Ce bisou chaud et agréable, on ne l'accorde pas à n'importe qui ni à n'importe quel moment. Pas vrai ? Qu'est-ce que cela signifiait ? Qu'est-ce que le benjamin attendait de lui ? C'était certain, ses prochaines nuits seraient préoccupées par cet épisode qui n'était absolument pas prévu.
Ce serait lui, mon sauveur... ?
Un changement opérait. Sa vision des derniers jours de sa propre vie bascula, prit de la couleur. Ce qui était en train de se tramer là lui rappelait ces tranches de vie sentimentales qu'il avait dévoré durant ses heures perdues, lu religieusement dans l'espoir que la fiction devienne réalité. Que son train-train quotidien soit cette réalité édulcorée, rose cotonneuse dépeinte dans ses récits favoris qu'il prenait comme romans d'apprentissage. S'il y a bien une leçon qu'avait retenu le noir de jais à leur lecture, c'était qu'après la pluie venait le beau temps. Baptistin avait tout l'air d'être cette éclaircie qu'il attendait, qu'il aspirait voir pourfendre le ciel nuageux qu'était devenu son existence, sans Tae à ses côtés, en dépit d'un début difficile entre eux. Et pour confirmer si ses suppositions étaient exactes, Jeongguk savait ce qu'il lui restait à faire. C'était l'occasion pour repartir de zéro et faire table rase de tout ce qui le liait encore à son beau châtain.
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Note de l'auteure :
Bien le bonjour, mes amours ! Ça fait longtemps ! J'espère que vous vous portez toutes et tous bien et que tout va pour le mieux pour vous ! 🥺❤️
Avant tout :
BONNE ANNÉE ET BONNE SANTÉ À VOUS ! 2023 est votre année et je l'espère pleine de réussites et de bonheur pour vous ! ❤️
Je m'excuse pour la très longue attente vis-à-vis de ce chapitre. Le boulot me vole toute mon énergie ces derniers mois, je supporte notamment moins qu'avant de rester longtemps sur un écran d'ordinateur et plein d'autres petites choses qui ont faits que ce chapitre m'a pris du temps au niveau de la rédaction. J'essaierai de faire en sorte pour les chapitres suivants que l'attente entre la publication de chacun d'entre eux soit moins longue ! Encore pardon !
Je vous avoue que ces derniers mois ont été très rythmé (en bien et en mal, sinon c'est pas drôle) et que récemment encore, on m'a proposé quelque chose de fou, incroyable, qui me fait cogiter encore à l'heure actuelle et c'est directement lié à mon activité ici. Je me questionne beaucoup, pose le pour et le contre, anticipe mes choix futurs. C'est un peu le bordel mais je veux vraiment prendre mon temps là-dessus et être sûre de n'avoir aucun regret. J'en ai un peu parlé récemment via Instagram, si j'en viens à accepter la proposition que l'on m'a faite et que tout ce qui s'ensuit se concrétise : tout le monde sera gagnant là-dedans, vous y compris. Je n'en dis pas plus l'instant, mais je reviens très vite vers vous pour vous rapporter des news à propos de ça !
J'espère que ce chapitre, même s'il est très calme (ça ne va pas durer longtemps, je vous rassure 😇), vous aura plu ! Comme toujours si c'est le cas, vous faites une heureuse ! ❤️
Vos impressions ?
Sur Jeongguk ?
Sur Baptistin ?
Est-ce que vous voyez d'un bon œil leur rapprochement ?
Dites-moi tout ce qui vous passe par la tête !
Prochain chapitre : pdv de Tae ! Ça fait un bon moment que je me suis pas retrouvée en tête à tête avec mon âme torturée préférée et j'ai très hâte de bosser sur ce futur chapitre qui, je pense, va vous plaire !
Je vous fais pleins de gros bisous et vous remercie encore mille fois pour tout ! Vous êtes les bests, le Yin de mon Yang, la cerise sur le gâteau, la crème des crèmes des lecteurs ! Prenez bien soin de vous et de vos proches, à très vite ! ❤️
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