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𝐂𝐡𝐚𝐩𝐢𝐭𝐫𝐞 𝟐𝟒

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Conseil de l'auteure : Une petite musique est jointe en média pour ce chapitre... « spécial ». N'hésitez pas à la jouer en fond au moment propice de ce chapitre ! On se retrouve en bas, comme toujours ! Bonne lecture à vous, mes amours ! ❤


🚨 𝙏𝙧𝙞𝙜𝙜𝙚𝙧 𝙬𝙖𝙧𝙣𝙞𝙣𝙜𝙨 🚨 : pensées auto-destructrices | violence physique | hallucinations.

Une odeur toxique flottant dans l'air et facilement identifiable ; celle de la nicotine.

Un fond de vodka reposant dans un verre à côté d'une bouteille du même contenant, quasi vide.

Et une faible lumière éclairant ces quelques mots griffonnés sur une feuille blanche d'une écriture déstructurée et peu soigneuse :

Ma douleur est vive et constante. Je ne souhaite le bonheur à personne.

En fait ce que je veux, dans l'absolu, c'est infliger cette douleur à tous ceux que je croiserai sur ma route. Ce truc est incontrôlable. Je veux que personne n'y échappe.

Même après l'avoir admis, rien ne change en moi.

Cette confession ne rime à rien.

Voilà par quoi traversait Kim Taehyung. Une semaine venait de s'écouler, sept jours depuis son altercation avec l'ami de Jeongguk au beau milieu de l'université et il bouillonnait sur place, assis sur sa chaise, l'une de ses jambes martelant le sol tel un marteau-piqueur. Il avait l'air d'une bombe à retardement tant il était sur les nerfs. Tout l'énervait. Lui-même, la situation avec l'ébène, les mots tranchants employés par son camarade de classe, la pression du boulot ; tout. Même cette putain de lettre dans laquelle il tentait de mettre toute sa bonne volonté pour regagner de la valeur aux yeux de Gguk. Rien n'allait dans son sens et cela le dépassait, bien plus que cela ne le devrait. Le monde, Dieu ; tous semblaient comploter contre lui pour lui rappeler sa condition. À savoir un homme devenu exécrable et bouffé de l'intérieur par une rage trop longtemps contenue, de nombreux démons refusant de trouver la paix, qui souffre tout en faisant souffrir les gens autour de lui.

Cela faisait une semaine que les propos corrosifs de Seokjin tournaient comme un disque rayé dans sa tête et plus il y pensait, plus l'envie de tout saccager grimpait en lui. Les violons du mal entamaient une symphonie macabre dans sa tête ; leurs cordes émettaient un son dissonant et disgracieux, une chanson portant pour titre « Malheur à tous ». Il maudissait quiconque croisait son chemin. Taehyung était arrivé à une telle saturation qu'il en venait à détester l'être humain, à détester le simple fait d'aimer. Ses soirées, après des journées à récurer la vaisselle entassée dans la cantine dans des gestes agressifs, se résumaient à marcher en rond dans son appartement tel un lion en cage, à tenter d'apaiser ses émois en écrivant et lisant, mais rien n'y faisait. Non, l'incroyable poème La Mort Des Amants de Baudelaire ne l'apaiserait pas ce soir. Tae se sentait profondément blessé et le seul moyen qu'il avait trouvé pour tempérer un temps soit peu sa colère grandissante était de noyer celle-ci dans l'alcool, une cigarette fumante à la main.

Pas moins d'une dizaine de verres alcoolisés sillonnaient ses veines. L'adulte commençait à sentir son corps flotter, à se sentir étourdi, mais il savait très bien dans le fond que ce n'était pas assez pour le mettre minable, pour le foutre mal au point de plus être capable de se redresser ensuite. Après des années à enchaîner addiction sur addiction, à se relever pour encore mieux se vautrer, boire n'était plus suffisant pour faire taire le martyre qui l'ébranlait depuis bien trop longtemps et ne faisait que s'étendre en lui.

Son regard vitreux et fatigué parcourut ce qu'il venait d'annoter sur le document. Il fut pris d'un fou rire atroce et désespéré avant d'envoyer valser ladite feuille de papier sur son bureau, jugeant ses propres mots pathétiques. C'était le bon adjectif pour le désigner, selon lui. Il essaya de contenir son rire soudain, des larmes s'échappant du coin de ses mirettes. Étaient-ce des larmes d'hilarité ou de tristesse ? Taehyung n'en savait rien. Réfléchir lui demandait bien trop d'énergie pour l'instant. Cependant, malgré son état second, l'employé de cantine avait encore en mémoire les derniers événements le reliant à Jeongguk. Plus précisément cette longue nuit qu'ils avaient passé ensemble dont les premières heures avaient failli virer au cauchemar. À force d'y songer, le châtain s'était rendu à l'évidence : créer cette foutue croix décussée était une sacrée connerie.

Pourquoi diable avait-il monté cette chose ? Certes, cela faisait partie de ses nombreux fantasmes qu'il souhaitait mettre en pratique – oui, restreindre Jeongguk de tout mouvement et pouvoir lui faire ce que bon lui chantait l'excitait comme un dingue – mais l'utiliser dans un contexte aussi tendu et compliqué alors qu'ils étaient supposés être séparés... C'était très moyen. Encore plus avec cette mise en scène bizarre avec toutes ces bougies allumées autour, spectatrices de ces longues minutes de débauche, de nocivité déguisée en jeu sexuelle. Taehyung avait juste envie de se donner une énorme gifle pour avoir soumis le gamin à la bouille de lapin à un tel châtiment. Dans un tout autre contexte, il lui aurait au préalable parler pour connaître ses limites et savoir s'il était tout à fait partant pour ce genre de pratiques, sur fond de bienveillance. Il avait sévèrement déconné sur ce point-là et espérait ne pas avoir laissé des séquelles supplémentaires chez son cadet. Un goût amer envahit son palais et lentement, ses traits faciaux se durcirent. Ce souvenir lui avait coupé toute envie de rigoler. Pire encore, ça lui remémorait pourquoi il était énervé ou du moins l'une des raisons de son énervement.

Son doigté gracile approcha ses lèvres puis il aspira une grande bouffée de tabac avant de l'expirer. C'était sa quatrième cigarette de la journée. Ça faisait un bon moment qu'il n'avait pas retouché à ce petit bâton mais il avait ressenti le besoin d'en consommer à nouveau pour se canaliser. Il trouvait qu'il y avait quelque chose de paradoxalement relaxant dans le fait de fumer, même s'il avait conscience que ce minuscule objet pouvait tuer des vies.

Ses pupilles fixèrent durant un court instant un point invisible avant qu'il ne s'affale à moitié contre son bureau, son visage reposant contre sa main libre, et que ses yeux ne lorgnent sa cigarette. Doucement, il se mit à fredonner une chanson. Une musique que Jeongguk lui avait fait découvrir un soir bien avant leur séparation, dans la chaleur consolatrice du lit conjugal, et qui l'avait comme qui dirait bouleversé à l'écoute. D'une voix cassée, il chanta, l'air abattu :

The world was on fire and no one could save me but you...

Il est vrai, le monde tout autour de lui était en proie aux flammes. Lui-même brûlait en permanence et il n'y avait que la présence de Gguk qui pouvait éteindre ce feu qui le consumait.

It's strange what desire will make foolish people do...

Taehyung était un imbécile totalement épris pour ce petit être de sept ans son cadet. Le désir s'était mêlé à la seconde même où il l'avait aperçu pour la première fois et ce même désir ne cessait de l'écorcher vif. Car Jeongguk détenait le pouvoir d'affecter ses sens, de mettre ses pensées en vrac, de le faire basculer tantôt dans la lumière, tantôt dans les ténèbres. Tout près comme loin de lui, Gguk exerçait une emprise phénoménale sur lui indépendamment de sa volonté. Chacun de ses sourires échangés, chacun de ses regards attendris posés sur lui, chacune de ses paroles consolantes à son égard ; la moindre chose que le jeune garçon effectuait, même la plus infime, l'avait ensorcelé.

I never dreamed that I'd meet somebody like you...

Non, à aucun instant, Tae n'avait pensé mettre la main sur la perle rare un jour. Ses précédentes relations se résumaient à des échecs cuisants, des erreurs incalculables, des abus monstrueux aussi bien de sa part que de celles de ses anciens partenaires dans lesquels il trouvait un certain contrôle car la nouveauté, le fait de pouvoir être réellement aimé et heureux, l'effrayait. Un environnement sain lui était étranger. Il n'avait connu que la toxicité avant même d'atteindre l'adolescence. D'après lui, il ne méritait que des déboires, des choses mauvaises parce qu'il était lui-même mauvais. Il n'était rien de plus qu'un porte-malheur attirant la misère à lui.

Jeongguk était l'exception à la règle. En dépit du mal qu'il lui avait causé, verbalement et physiquement, l'étudiant revenait sans cesse vers lui. Il était l'une de ces rares personnes qui cherchait à le pousser vers le haut, à le comprendre et l'aider. Qui lui faisait oublier qu'il était Kim Taehyung, éternel gamin brisé par les aléas de la vie et encore fortement marqué par ses traumas de fin d'adolescence et d'enfance. L'ébène était une sorte de miracle à échelle humaine à ses yeux. Un petit bout de paradis contenu dans un corps qu'il estimait fort magnifique, bien qu'il remuât ses propres enfers sans le vouloir. Et lorsque cette nuit-là – après une longue série de corps-à-corps passionnés qu'il avait tout simplement adoré – Taehyung l'avait raccompagné à son appartement au volant du véhicule du plus jeune, mis au lit tandis que celui-ci s'était endormi... Avant de faire tout le trajet inverse à pied. En observant son visage paisible, Tae s'était dit qu'il était très chanceux de connaître un garçon comme lui, surtout qu'il était arrivé pile au moment où il avait besoin d'un nouveau départ.

And I never dreamed that I'd lose somebody like you...

Comme le salarié pensait dur comme fer ne jamais rencontrer quelqu'un de son envergure, il n'avait, de ce fait, jamais songé qu'il perdrait quelqu'un comme Jeongguk. Et ça faisait mal. Terriblement mal. Parce qu'il avait besoin de sa chaleur pour ne pas prendre froid, de ses mots tendres pour être rassuré, de sa joie de vivre contagieuse pour ne pas embrasser de nouveau ses démons. Et le voilà qu'il sombrait à une énième reprise, loin de la douce clarté que lui apportait le plus jeune, animé par une haine sans nom envers sa propre personne et le hasard qui lui compliquait encore plus la vie. Jeongguk agissait sur lui à double tranchant, révélait le pire et le meilleur qui sommeillait en lui mais il ne pouvait ignorer les sentiments qu'il lui portait. Il l'aimait sans compter, de tout son cœur émietté, de toute son âme meurtrie. Il l'aimait d'une façon que ni les mots, ni les poèmes rédigés de sa plume dans son carnet pouvaient décrire.

Ses lèvres s'étirèrent en un mince sourire aux souvenirs des moments partagés avec son cadet et il put sentir son organe vital se réchauffer sous ce flux d'images joyeuses. Mais il devait arrêter de s'accrocher à cela, il n'y aurait plus jamais droit. Parce qu'il était destiné à souffrir, faire souffrir et il ne désirait aucunement que celui pour qui son cœur battait ne souffre de sa faute. Quand bien même songer à cette idée le déchirait de l'intérieur, c'était la seule option possible. Jeongguk méritait le bonheur dans les bras d'un autre et non avec lui. Peut-être qu'il mettrait la main dessus avec cet étudiant répondant au nom de Baptistin ? Ce mec avec qui Gguk échangeait depuis peu par sms et qu'il rencontrait une fois sur deux à la cantine, sous son œil jaloux et assassin ? Peut-être avec son meilleur ami Jimin avec qui il avait vécu une histoire éphémère et chaotique ?

Qu'importe, Taehyung commençait à émettre cette supposition qu'il haïssait du plus profond de son être car elle semblait très plausible et un rire discret, sans envie, franchit la fine barrière de ses lippes. Ses yeux miroitaient dans cette demi-pénombre, des larmes retenues n'attendant que d'être versées. Il ferma un instant les paupières et dit :

— Je suis vraiment le roi des imbéciles.

Tout en s'adossant contre le dos de sa chaise, l'adulte rouvrit les yeux et les leva vers le plafond.

Je suis foutu. Ma foi envers Dieu diminue de jour en jour. C'est la merde complète avec Jeongguk. Et Yoongi finira tôt ou tard par me lâcher tant je suis encombrant. J'ai tout gagné.

Le pessimisme envahissait encore son esprit épuisé, lui refourguait de fausses idées puis il passa ses mains sous ses mirettes pour ôter les gouttelettes qui commençaient à perler au coin de celles-ci. Min Yoongi, cet acolyte de trois ans de moins que lui qui ne l'avait jamais lâché en l'espace d'onze ans, aux antipodes de sa personne et qui avait su rebondir quand la vie lui cherchait des ennuis, qui lui avait toujours prêté main forte dans ses moments les plus obscurs malgré leurs nombreuses prises de bec, qui l'avait toujours secouru pour nettoyer ses bêtises irréparables... Si lui aussi venait à partir de son quotidien, Taehyung serait au fond du trou. Il serait pour le coup réellement perdu, sans repère pour le guider et n'osait imaginer ce qu'il deviendrait.

— Faut que je bouge.

S'il restait une minute de plus entre ces quatre murs, il éclaterait. Il devait vite sortir d'ici et se changer les idées, surtout qu'il pouvait sentir sa peau encore couverte des dessins du benjamin réclamer sa dose de supplices quotidienne. La tentation était forte, comme à chacun de ces instants où Tae broyait du noir, mais il ne désirait aucunement entailler ces jolis roses noires que Jeongguk lui avait dessiné.

Alors il écrasa sa cigarette dans le cendrier face à lui et se leva de sa chaise. Il éteignit la lampe de son bureau et se dirigea dans son salon, sans prendre la peine de ranger le bordel qu'il avait engendré sur son pupitre. Il était vingt-deux heures quarante-et-une, le week-end approchait. Dans moins d'une quinzaine de minutes, il y serait en voiture. Il attrapa ses clés de maison ainsi que celle de son véhicule posées sur la table basse, choppa au vol sa petite sacoche dans laquelle il les glissa après avoir fermé la porte d'entrée derrière lui. Au pas de course, Taehyung descendit les escaliers et une fois arrivé à l'extérieur de son appartement, une douce brise vint l'accueillir et fit virevolter sa chevelure bouclée. Il faisait plutôt doux et le ciel avait redoré une jolie teinte bleu nuit. Il inspira un grand coup et s'avança vers sa voiture garée non-loin, flamboyant d'un orange vif.

Une fois à l'intérieur, l'homme s'adossa confortablement contre le siège, mit sa ceinture et positionna ses mains sur son volant. Il prit une grande goulée d'air avant de jeter un regard de biais et anxieux en direction de sa boîte à gants. Devait-il l'utiliser ce soir ? N'était-ce pas trop dangereux ? Est-ce que tomber dans l'excès une nouvelle fois ce soir valait le coup ?

Le moteur gronda et lentement, sans musique pour le coup, le véhicule entama sa route en direction de cette discothèque qu'il connaissait comme sa poche : le Magazine Club. Taehyung n'avait aucune idée de comment se déroulerait la soirée mais il était convaincu d'une chose : il serait très difficile pour lui d'oublier le gamin à la bouille de lapin et d'agir comme s'il ne s'était rien passé entre eux pendant tout ce temps.

Des néons incrustés dans le plafond projetant des rayons violets et rosés de partout. Des corps bourrés d'adrénaline s'échauffant au tempo monstre des beats électro qui dégoulinaient des immenses enceintes. Un brouhaha cauchemardesque émis par les gens tentant de dialoguer comme ils le pouvaient par-dessus la musique ambiante du lieu. L'alcool, l'interdit, la chaleur qui affluaient et contaminaient chaque personne qui se trouvait là, à se trémousser jusqu'à pas d'heure. C'était à ça que ressemblait l'ambiance du Magazine Club, elle possédait tout ce qu'il y a de plus commun à l'univers de la nuit et doux Jésus, qu'est-ce que Taehyung pouvait détester ce genre d'endroits. Il ne trouvait rien de transcendant dans cet établissement et ne comprenait pas comment autant de personnes pouvait aimer ce genre d'activités. Vraiment, c'était incompréhensible pour lui. Peut-être que ces conneries n'étaient plus de son âge, peut-être qu'il n'était simplement pas fait pour ce type d'environnement.

Il y avait beaucoup trop de monde qui affluait et la musique, si l'on pouvait nommer cela ainsi, lui labourait le crâne. L'électro house n'était définitivement pas sa tasse de thé, lui qui avait juré fidélité à la culture Rock et Métal. C'était bien pire que ces soirées qu'organisait Yoongi et pourtant, il n'avait pas d'autre choix que se changer l'esprit de cette façon, attablé au bar avec un second verre de whisky commandé à la main. S'il était resté cloîtré quelques secondes de plus dans sa demeure, Tae aurait sans doute succombé à une nouvelle reprise à ses pulsions destructrices et qui sait dans quel état aurait encore fini son appartement, une fois la tempête levée. Il roula des yeux, avant de souffler avec dépit :

— Je suis tombé bien bas, dis donc.

Alors qu'il reprit une gorgée de son verre de Jack Daniel's, Taehyung sentit un léger tapotement sur son épaule. Se demandant qui pouvait bien vouloir s'adresser à lui, il se tourna et tomba sur un visage aux traits doux et maquillé à l'excès, une cascade de cheveux rouges s'arrêtant jusqu'à la poitrine, une combinaison en similicuir soulignant ses courbes. Elle ne semblait pas tenir droit, ses iris rappelant l'éclat de la mer Méditerrané étaient explosés et embrumés, agrémentés d'un mascara coulant en dessous. Elle ressemblait à une poupée grandeur nature souffrant d'un problème de fabrication, déchirée de l'intérieur. Quand Taehyung fut complètement tourné vers elle, le regard de celle-ci s'assombrit, sans que l'adulte ne comprenne pour quelle raison.

— Je peux vous aider ? demanda-t-il, tout en fronçant les sourcils.

Elle se rapprocha encore et encore dans une démarche mécanique, ne paraissant pas dans son état normal alors que Tae, lui, se raidissait à vue d'œil. Elle était proche, trop proche de lui. C'était de vieilles craintes qui refaisaient surface, des peurs tirant leur origine de sa défunte mère et la distance les séparant l'importait plus que ce maudit mix électro qui tambourinaient dans ses pauvres oreilles. On venait de franchir son périmètre de sécurité, la limite qu'il s'était fixé depuis que sa mère lui avait brisé son existence tout entière. Cette jeune femme l'approchait de trop près, elle devait reculer cette main avec laquelle elle pressait son bras.

— Est-ce que je suis jolie ?

Le salarié, malgré le volume élevé de la musique, put discerner le timbre semi-brisé de la jeune fille. Elle paraissait au bord de l'implosion, assaillie par un mal la dévorant. Une peine de cœur, sans doute. C'est ce qui devait être le plus probable, selon lui. Même s'il n'était pas très à l'aise sur l'instant, Tae contempla avec pudeur la demoiselle juste devant lui. Il examina son faciès ravagé par des larmes naissantes, passant de son regard à ses lèvres à la forme d'arc de Cupidon en V recouvertes de rouge à lèvres. Taehyung ne laissa rien transparaître et lorsque ses mirettes rencontrèrent à nouveau celles de l'inconnue, il prononça avec toute la sincérité du monde :

— Je ne suis pas de ce bord-là, mais je dois avouer que vous êtes sublime. N'en doutez pas une seule seconde. Ceux qui vous ont fait croire le contraire ne savent pas ce qu'ils ratent.

À peine avait-il prononcé cette phrase qu'elle éclata en sanglots, plongea sa tête dans le creux de sa nuque, sa poigne se resserrant autour de son bras. L'adulte se crispa aussitôt à ce contact soudain, les bras en l'air et ne sachant trop quoi faire ; décontenancé par la situation et l'organe vital cognant à vive allure. Il n'osa plus bouger ni même respirer, paralysé par la proximité de cette jeune femme qui pleurait à s'en déshydrater l'âme tout contre lui. Il ressentait même cette impression étrange de brûler aux endroits où la femme le touchait.

— Merci...

Elle pleura, pleura encore, pendant que Taehyung semblait détaché de ce qu'il se tramait. Ses pensées s'étaient mises momentanément en pause. Il était là sans l'être, prenait part aux états d'âme du petit bout de femme entre ses bras sans vraiment le faire. Coincé dans un entre-deux, la musique et les lumières du lieu le traversant comme s'il était un fantôme. Elle recula puis frotta ses petits yeux tout en lâchant avec déception :

— Un jour, vous devenez le monde de quelqu'un et le jour suivant, vous n'êtes plus rien. La vie vient vous la foutre à l'envers et vous rappeler que vous n'êtes qu'une merde...

À ces mots, le châtain revint sur terre et sentit son cœur se serrer sur lui-même bien comme il le fallait. Et l'image d'un brun à la bouille de lapin, au sourire étincelant et au regard aussi précieux que tous les joyaux de cette planète lui vint à l'esprit telle une apparition divine. Jeongguk lui manquait. Terriblement.

Non seulement il y avait cela, mais en plus, il y avait ses erreurs passées. Des erreurs dont il s'était dédouané de toute responsabilité mais dont il savait pertinemment, dans le fond, qu'il était en faute. Et que pour cette raison, quelque part, il méritait sa sentence. L'allure fantomatique de Maria, utilisée à l'époque pour ses intérêts, harcela ses songes et décupla sa culpabilité déjà accrue, encore plus à la vue de cette jeune fille anéantie. Elle revint tel un mort-vivant à la vie, après cinq années de sommeil dans les recoins ténébreux de son crâne. Il connaissait maintenant la saveur de la perte de son monde. Elle était infecte.

Je ne peux que vous comprendre.

Une expression maussade fit lentement irruption sur son visage et il acquiesça, partageant la peine de sa vis-à-vis.

— J'entends votre douleur et je la comprends, mademoiselle.

En signe de compréhension et de compassion à son égard, l'homme de vingt-sept ans posa une main au creux de sa poitrine, là où logeait son cœur meurtrie. Personne ne méritait un tel châtiment. Tout le monde devrait avoir accès au bonheur ultime mais c'était sans compter sur la mesquinerie dont pouvait faire preuve le hasard. Il peut vous élever haut, très haut dans le ciel au point d'atteindre le zénith, mais peut aussi réduire vos espoirs, vos perspectives d'avenir et votre mental au plus bas, tout proche des entrailles magmatiques de la Terre. Et Taehyung ne connaissait que trop bien cette sensation.

Un sourire à peine perceptible fendit les lippes de l'inconnue à la chevelure de feu tandis qu'elle reniflait puis deux filles accoururent vers elle, en panique. Tae comprit vite qu'il s'agissait de ses amies et qu'elles devaient la chercher depuis un moment dans cette horde d'oiseaux de nuit venue s'éclater jusqu'à l'aube. Au moment où elles s'apprêtaient toutes les trois à partir, celle aux yeux bleus se retourna une dernière fois en sa direction et dit :

— Quel est votre nom ?

—Taehyung, répondit celui-ci, sans hésitation.

Le visage de son interlocutrice s'illumina durant quelques instants, ses traits se radoucirent puis elle poursuivie, d'une intonation aussi douce que du coton :

— Soyez heureux, Taehyung. Vous le méritez. Ne laissez pas la tristesse poisser votre regard.

Elle reproduisit le même geste que lui, la paume de sa main reposant contre sa poitrine, une lueur conciliante dans ses pupilles. L'employé de cantine resta sans voix, ému par la conduite de la demoiselle envers sa personne. Ils ne se connaissaient pas du tout et pourtant, la douleur les avait amené à entretenir un échange, certes éphémère, mais sincère et empli de bonne volonté. Cela lui fit chaud au cœur que l'on lui témoigne ce genre de soutien et il crut même sentir ses sclères picoter. D'un geste de la tête, Tae la remercia, sans mot dire, et elle disparut avec ses camarades dans la foule déchaînée.

Il reprit donc son emplacement initial, sous une œillade masculine qu'il ne remarqua pas, et papillonna des yeux à plusieurs reprises comme pour se remettre les idées en place. Il avait beau retourner chaque recoin de son esprit stigmatisé en quête de réminiscence similaire à ce qu'il venait de vivre, il ne trouva rien. C'était la première fois qu'il partageait un instant comme celui-ci et pour sûr, cela resterait gravé dans sa mémoire.

Bien que ces quelques minutes lui fissent un minimum de bien, il repensa aux dires de la jeune fille qui se mirent à danser autour de lui, entamant un rituel macabre. Sa poigne autour de son verre à moitié vide se précisa et il le termina, cul sec. Jeongguk représentait bien plus qu'une simple amourette à ses yeux. Il était son tout, l'oxygène qui lui permettait de respirer, le phare qui le guidait quand la mer s'agitait. Celui en qui, en de rares occasions, il trouvait la purgation de ses passions. Sans ça... Sans ça, Taehyung prolongerait sa dérive et se perdrait pour de bon.

Le côté persécuteur qui s'était tu entre-temps dans son for intérieur revint au galop. Le tohu-bohu ne devint plus qu'un écho lointain, étouffé, remplacé par des murmures nocifs, des sollicitations mauvaises pour qu'il se fasse enfin mal. Sa psyché et son corps entier commandaient de nouvelles plaies physiques et mentales, quémandaient son quart d'heure de frénésie borderline. Ils en avaient besoin pour subsister, passer outre cette énième difficulté qui venait pourrir l'existence de leur hôte. Surtout qu'un objet fort intéressant, pouvant le ruiner considérablement, se dissimulait dans la sacoche en bandoulière qu'il portait. Il observa depuis le comptoir du bar où il était accoudé le décor qui l'entourait, les pensées turbinant à plein régime tout en mordillant sa lèvre inférieure avec nervosité.

La dernière fois qu'il s'était rendu dans un endroit comme celui-ci, c'était au Sunset pour voir Yoongi lors de l'une de ses fameuses soirées underground organisées. Cette soirée avait viré au fiasco total. Car non seulement, il s'était sévèrement embrouillé avec lui au point de finir avec un gros hématome à la joue, mais en plus de cela, il s'était montré très violent avec Jeongguk. Ce dernier point l'accabla encore un peu plus, renforça ses songes mortels. Lever la main sur celui-ci était la dernière chose qu'il souhaitait. Il avait merdé sur toute la ligne avec lui. L'adulte baissa donc sa garde, sa soif de souffrance étant intenable, obéissant à ce mauvais côté de lui telle une marionnette car, après tout : c'était lui le réel maître de son existence, de ses faits et gestes.

Alors qu'il allait partir vers les toilettes du bâtiment, il entrecroisa une silhouette statique vêtue de vêtements sombres le lorgnant d'une intensité anormale, totalement apathique face à l'effervescence qui affluait autour de lui. Leurs mirettes se heurtèrent le temps d'une microseconde et Taehyung n'en tint pas rigueur, pressant le pas loin de la masse humaine.

La lumière aveuglante des WC l'atteignit puis il alla d'une traite dans le premier cabinet vide qui passait avant de s'enfermer à double tours. Il ouvrit sa sacoche, une boule désagréable se formant dans la gorge, les mains légèrement tremblotantes. Il en ressortit alors l'objet qui le ferait accéder au pic le plus extrême de bien-être avant de le noyer dans le mal-être le plus épouvantable qui soit. Il s'agissait d'une seringue, au contenu blanchâtre, qu'il avait réclamé de force auprès de Yoongi trois jours auparavant. Leur entrevue au domicile de celui-ci, planté en plein quartier huppé de Lille, s'était soldée comme d'habitude par une énième dispute où son cadet avait tenté de le raisonner et lui-même qui le contredisait à chaque parole énoncée. Te morfondre ne t'apportera rien de bon, disait-il. Recentre-toi sur toi-même et lâche prise pour de bon avec ce gamin. Tu le détruis en plus de t'auto-détruire, il faut que ça cesse. Taehyung était sorti de ses gonds, son poing était parti s'encastrer dans le mur pas loin de son ami sous la vérité qui sortait de sa fine bouche. Il ne voulait absolument rien entendre. Rien. Face à l'intensité de sa colère et à son insistance pressante, Yoongi avait abdiqué à sa demande par dépit. Il lui avait alors remis cette drogue que Tae possédait désormais entre ses mains, puis a lâché cette mise en garde qui lui avait fait froid dans le dos :

Ce truc va te faire planer jusqu'au septième ciel pour un temps très restreint.

Une fois l'euphorie retombée... Je ne donnerai pas cher de ta peau.

C'est pour ça que je te le répète encore une fois, Taehyung.

Soit tu coules, soit tu te relèves.

Fais ton choix.

Parce qu'il n'y a que toi qui puisses décider de ce qui adviendra de ton futur.

Il n'avait pas donné plus d'informations que cela à propos des effets que pouvait provoquer la consommation de cette drogue, mais c'était assez pour faire travailler les méninges de l'employé de cantine. Maintenant qu'il était seul avec ce machin, seul face à son pire ennemi – à savoir lui-même –, seul contre ses démons, Taehyung hésita quelques secondes. Il connaissait ses limites à force d'avoir mis le nez partout, dans divers stupéfiants avant de se stabiliser à peu près en se rapprochant de la trentaine. Mais serait-il capable de se contrôler encore une fois, après cette consommation supplémentaire, cette addiction de plus mise à exécution ? Quelles seraient les retombées ensuite ?

Taehyung était dans le brouillard complet face à ses questions sans réponses mais cela ne l'empêcha guère de relever la manche de sa chemise et d'apposer la pointe au creux de son coude. L'envie était bien trop tentante pour être manquée et puis... Traverser l'enfer quelques heures lui ouvrirait peut-être les yeux pour le restant de ses jours.

Il s'administra donc le produit, non sans grimacer à la pénétration de l'aiguille dans sa chair. Plusieurs secondes s'écoulèrent et Tae ressortit des cabinets, jeta la seringue dans la poubelle à l'entrée des toilettes et retrouva la cacophonie du Magazine Club, sa chaleur ambiante et ses clients débridés hurlant et dansant avec désinvolture. Pour le moment, rien d'alarmant. Il ne se sentait pas aussi « différent » qu'à l'accoutumée. Seul le creux de son bras immaculé de toute barbarie chauffait petit à petit. Il retrouva le comptoir du bar, un soupir las sortant d'entre ses demi-lunes et commanda un autre verre dans l'attente que le liquide qui coulait dans ses veines ainsi que la drogue administrée agissent sur son organisme. Dépenser son salaire dans ses excès ne le dérangeait absolument pas. Au contraire, cela compensait le vide, tous ces moments où il avait offert des cadeaux à valeurs sentimentales au noir de jais. Il y avait plutôt un bon compromis là-dedans. Enfin, c'était ce qu'il se faisait croire pour assagir le manque ressenti vis-à-vis de son amant.

Il sortit de sa sacoche son téléphone et la première chose qu'il fit fut d'aller dans la conversation sms avec Jeongguk. Ce n'était clairement pas une bonne idée de faire ça dans les conditions actuelles et au vu de l'état lamentable dans lequel il se trouvait. C'était purement masochiste de sa part mais c'était le peu qu'il possédait et qui le reliait encore à l'étudiant. Tout avait été conservé. Les longs pavés où ils clamaient combien ils s'aimaient, les taquineries, ces moments où ils discutaient de tout comme de rien, leurs sextos imagés et textuels, les instants de faiblesse de Taehyung, ses colères, ses doutes, l'éternelle bienveillance de Gguk à son égard... Tout était là, stocké dans son appareil. D'une discussion à deux, il ne restait dorénavant que des bulles de sa part. Des bulles sans réponse en retour bien qu'elles aient été reçues, un espace où il entretenait leur lien, seul, très tard le soir. La dernière datant de la veille...

✉️ Taehyung

02h31 >> Je voulais me retrouver mais je n'y arrive pas. Je n'y arriverai jamais car t'as pris le contrôle de mon cœur et de mon âme, m'as rendu dépendant de ta personne. J'ai tenté de t'appeler mais je suis tombé sur ton répondeur. Je ne t'en veux pas. Tu dois te reposer et tu as tes rattrapages qui t'attendent. Tu es légitime d'être égoïste et de penser à toi en priorité. Je crois que tu dois t'en douter mais j'accepte pas ce qu'il se passe entre nous. Je suis coincé dans ma tête, l'image de toi me hantant pendant que tu es allongé dans ton lit, tentant certainement de dormir pour oublier mon nom. Cette nuit me scie de l'intérieur... Je tourne en rond dans l'espoir que l'on se retrouve. Je prends conscience que rien de bon ne viendra de tout ce que nous avons construit ensemble, de cette corde invisible qui nous lie mais... Tu restes l'unique étoile qui a su illuminer ce ciel noir qu'est mon existence. Je t'attends sagement, comme un enfant guetterait le passage d'une comète, un soir d'été. Quoi qu'il puisse se passer, je patienterai. Je serai toujours tien et ce, jusqu'à mon dernier souffle. Tu es indubitablement la meilleure chose qui me soit arrivé et qui m'a rendu heureux, même si c'était très court. Ce sera toi, toujours toi et aucun autre. Je conclus ce message en jurant sur la vie que j'aurais donné la mienne pour mieux t'aimer et t'accorder le bonheur que tu mérites. Que les Cieux te préservent, mon ange.

Une vive émotion s'empara de Taehyung à la lecture de ses propres messages. La distance entre eux depuis ce jour-là à la fac le remettait en question sur pas mal de points le concernant. Déboussolé, tant l'état des choses était d'une complication à s'arracher les cheveux, l'adulte veillerait néanmoins à l'une d'entre elles : ne plus jamais faire de mal à Jeongguk. Que ce soit par la rudesse de ses gestes ou par la mesquinerie de ses mots. Qu'ils continuent de se côtoyer ou non, peu importe le statut final de l'histoire qu'ils avaient commencé à écrire ensemble de leurs mains. Même s'il le pressentait et que cela le mènerait à sa perte, même si cet amour le tuerait, Taehyung aimerait Jeongguk à en mourir.

— Pourquoi t'attarder sur lui alors que tu pourrais très bien te taper tous les mâles que tu veux ici même ?

Une voix masculine proche le sortit de ses pensées toutes dédiées envers son ébène favori. Il pivota la tête de quelques degrés sur la gauche et remarqua un jeune homme. Celui tout habillé de noir qu'il avait aperçu juste avant d'aller aux toilettes. Il était accoudé à quelques centimètres de lui, commandant une bière pression auprès de l'un des serveurs avant de tendre sa monnaie. Pendant ce temps, Tae l'observa, l'un de ses sourcils arqués et le regard empreint d'agacement. Pour qui se prenait-il ? Et surtout, de quoi se mêlait-il ? L'inconnu était doté d'une chevelure aussi sombre que son accoutrement, la mèche rebelle cachant presque ses yeux, un chignon relevé d'une fine baguette. Au coin de sa lèvre inférieure brillait un anneau et lorsque le salarié laissa vagabonder plus longtemps ses prunelles sur son nouvel interlocuteur, il remarqua que la main de celui-ci était tatoué d'un effrayant papillon de nuit.

— Je t'ai causé, peut-être ? demanda Tae.

— Nan mais tu te morfonds alors que tu devrais t'amuser. Les boîtes sont faites pour ça, pas pour chialer sur le passé.

Le jeune homme prit son verre en main et souffla :

— Ce qu'il s'est passé dans le passé reste dans le passé. Faut aller de l'avant et pas s'accabler sur son sort. C'est pas si compliqué.

Puis il but une première gorgée de sa bière sous l'air éberlué du châtain. Son irritation se métamorphosa en intérêt étrange pour lui.

— Ce que tu dis là transpire le vécu, je me trompe ?

— Le passé mélangé au présent, ça peut que présager d'la merde pour le futur. J'peux te l'assurer, attesta le jeune homme.

En guise d'appui à son propos, celui-ci adressa un regard lourd et teinté de sérieux à Taehyung qui put noter que ses prunelles étaient vertes. Un vert plutôt sombre pouvant rappeler la nature en plein hiver, sa clarté enquiquinée par de gros nuages menaçant dans le ciel. Tae l'avait entraperçu malgré son taux d'alcool dans le sang : la flamme d'envie et d'imprudence au fond de ses pupilles.

— Je vois...

Un long silence s'instaura entre eux, qui fut presto rempli par les beats massifs de la musique jouée en fond, donnant l'illusion que l'édifice pourrait s'écrouler d'une seconde à l'autre. Tae ressentit le besoin précipité de connaître le nom de cet inconnu percé et tatoué. De parler avec cette nouvelle connaissance qu'il ne reverrait certainement plus jamais après cette nuit nullarde, de s'ouvrir aux autres, de laisser le monde entier entrer dans le sien et qu'ils voient tous à quel point sa vie n'était qu'une succession de tragédies. Ne serait-ce qu'une unique fois, quitte à se voir envoyer boulet, il aurait aimé avoir un confident auprès de lui et être entendu. Que sa douleur soit validée par autrui, que l'on écoute jusqu'au bout l'histoire – sa propre histoire – qu'il avait à conter, sans se dérober au moment critique. Celle qui l'a fait devenir tout ce qu'il haïssait du plus profond de lui-même, celle qui l'a fortifié, brisé, qui a donné naissance aux diables multiples qui détérioraient son âme et son corps, qui a fait de lui Kim Taehyung. Tae voulait enfin exister aux yeux de tous, qu'on le regarde ou du moins, ce qu'il restait de lui. Que l'on parle de lui, aux amours des uns comme aux amis des autres. Qu'on ait une conversation prenante sur ce garçon aux yeux ternes dont le seul rêve était d'être joyeux pour toujours, entouré de recueils dont certains seraient peut-être écrit de sa plume ; aux côtés de sa flamme jumelle, celle qui embellirait la sienne crépitant d'un feu ardent et indocile. Pour cela, il fallait que personne ne l'oublie et qu'il surpasse son goût obstiné pour la solitude. Et peut-être qu'en ce moment même la personne qu'il chérissait le plus, qu'il admirait autant qu'il vénérait le Seigneur il y a encore quelque temps, était en train d'enterrer tous leurs souvenirs dans les bras d'un autre.

— Comment tu t'appelles ? lança-t-il alors.

— Eden. Mais mes proches me surnomment Ed. À qui ai-je l'honneur ?

— Taehyung.

— « Tout ira bien à la fin »... Jolie signification.

En effet, il s'agissait-là du réel sens de ce prénom choisi d'un commun accord par ses parents lors de sa naissance. À croire que c'était le seul cadeau que lui avait légué sa mère avant que les choses ne se corsent dans leur relation et qu'elle se mette à vouloir le dégoûter le plus crûment qu'elle pouvait du simple fait de cohabiter dans cette société. À la fois déconcerté et mal à l'aise, Taehyung se racla la gorge, désirant chasser cette pensée rebutante.

— Comment tu sais ça ?

— Quand j'étais ado, j'étais passionné par la culture coréenne. La bouffe, la langue... La Kpop... Tu vois où je veux en venir ?

Taehyung était étonné. En grandissant, il avait pu constater que les filles avaient plus tendance à s'intéresser à cela que les garçons. C'était d'autant plus flagrant à l'heure actuelle. Des centaines et milliers d'étudiantes passaient à la cantine se remplir l'estomac et certaines arboraient des tenues dites « excentriques », proches de celles du moment dans son pays d'origine, de minuscules photocards d'idoles coincées derrière leur coque de téléphone transparente comme porte-bonheur et montrant un signe d'appartenance ; sans parler de ces petites peluches accrochés au zip de leurs sacs, avatars à l'effigie de chaque membre du dernier boysband coréen à la mode. Il n'aurait jamais cru que des hommes se passionneraient pour ce genre de faits et c'était plutôt très bien. Preuve que ces passions n'ont pas de genre et sont accessibles à tous.

— C'est rare que des garçons aiment ces trucs, commenta Tae.

Un sourire narquois fendit les fines lèvres d'Eden puis il lâcha :

— Tu serais surpris de savoir que pendant ma jeunesse, je n'étais pas tel que tu me vois aujourd'hui.

Le châtain bascula la tête sur le côté, ne voyant pas ce que sous-entendait son vis-à-vis. Ce qui amusa celui-ci qui se mit à rire doucement.

— Vois-tu, commença-t-il tout en se rapprochant un peu plus de Tae, il m'a fallu des années pour parvenir à qui je suis aujourd'hui. J'ai dû braver de nombreux obstacles et passer par certaines transformations afin de devenir l'homme que je désirais être. J'ai enfin trouvé ma place dans cette société et surtout mon identité. Je suis devenu le « moi » que j'ai toujours voulu être. C'est tellement putain de bon de se sentir bien dans son corps, t'imagines pas à quel point !

Taehyung finit par saisir son message. Un doux sourire, discret et honnête à la fois, orna son visage. Ce gamin était un exemple à suivre...

— Content que tu sois heureux, Ed.

Et lui aussi adorerait plus que tout que sa psyché et son corps scandent en chœur un Ôm* pur et profond, capable d'éveiller les forces bienfaitrices de l'Univers. Ses espérances étaient folles mais elles étaient bien là, se battant pour ne pas finir entièrement noyées par les nombreux verres amassés et le stupéfiant serpentant ses veines. Il y eut un blanc tonitruant. Lentement, le regard du plus âgé des deux devint trouble puis se perdit dans le vide. L'éclat de son sourire s'abîma, se fana telle une fleur en plein décor hiémal. La douleur revint sournoisement, ses réflexions grimpèrent en flèche et le bourdonnement du lieu ne devint plus qu'un bruit distant. Un son brouillon et inaudible. Taehyung pouvait sentir son for intérieur s'évaporer, ne plus être. Le temps de quelques secondes qui parurent un centenaire, Tae n'existait plus et parut aussi transparent qu'un spectre.

— Je veux être heureux, moi aussi...

Je veux que le moi d'aujourd'hui et d'autrefois soyons en accord. Et par-dessus tout...

— Je veux le rendre heureux...

Parce qu'il mérite le meilleur, sans l'ombre d'une hésitation.

Son rire... Ses lèvres... Son innocence... Sa gentillesse... Sa sensualité... Son odeur... Ses prunelles...

— Gguk me manque... prononça-t-il, l'air détaché, le timbre rauque. Profondément.

Je me sens encore plus seul, loin de lui. Sans lui, je deviens invisible, inexistant. Réduit à l'enténèbrement. Je...

Un toucher brusque le délogea de sa spirale de pensées négatives, empoigna son menton pour le ramener parmi les vivants. La musique n'était plus la même, tout comme les spots lumineux aux nuances magenta échangées contre du rouge alizarine. Une teinte puissante, qui métamorphosa du tout au tout l'atmosphère du Magazine Club. Puis, il y avait cette paire d'yeux verts qui le sondait en silence, les pupilles ancrées aux siennes. Eden semblait concentré dans sa tâche, cherchant à passer entre les brèches de la carapace momentanément brisée du châtain qui, lui, ne comprenait point du tout pourquoi ils étaient tous les deux dans cette position.

— Quoi ?

Les doigts manucurés de noir du plus jeune raffermirent leur prise sur le menton du plus vieux, ses mirettes toujours braquées sur celui-ci, d'une intensité si forte qu'elle pourrait vous pousser à baisser les yeux vers le sol. Cependant, Tae n'abdiqua pas, prolongeant cet échange visuel pour le moins déroutant.

— Tu as l'air si fragile... commenta Ed.

Il marqua une courte pause avant de reprendre :

— Pourtant quand je contemple tes yeux, j'ai l'impression que tu pourrais m'étriper dans la minute qui suit. C'est incroyable.

Taehyung déglutit avec difficulté tandis que son cerveau sortit de sa dormition et que sa poitrine palpitait. Il ne pouvait pas rester de marbre face à ce constat plus qu'alarmant. Ce n'était peut-être qu'une impression pour son vis-à-vis, mais pour lui, c'était bien plus que ça. Quand le salarié était en proie à des « absences », à son réveil ses mains étaient souillées par le péché et l'odeur de la mort oscillait autour de lui. Mieux encore : un cadavre fraîchement abattu, étranglé – veuillez insérer ici tout autre acte bafouant la morale – reposait à ses pieds comme un cadeau macabre offert, dans un état qui révulserait même la personne la plus insensible qui puisse exister. Pour couronner le tout, Taehyung ne possédait aucune explication à pourquoi de temps à autre cela se produisait. Il n'y avait aucun indice qui pouvait le guider vers la voie de la vérité mais du plus profond de lui-même, il le sentait. Ces meurtres d'une ignominie sans nom, faisant la une des médias des Hauts-de-France : il en était bien l'auteur. Un auteur anonyme, pas encore démasqué, que l'on connaîtrait éventuellement un jour non pas pour la versatilité de son écriture, mais pour les crimes infâmes qu'il aurait commis sous l'impulsivité de cette folie gangrenant en lui.

Le presque trentenaire ne laissa rien transparaître mais intérieurement, c'était la panique à bord. Panique qui se transforma en incompréhension quand il crut discerner un rictus sur les demi-lunes de son cadet.

J'adore les paradoxes. Ça rend le cours des choses tellement plus trépidant...

De l'excitation. C'était ce qui se dégageait du garçon, à en croire l'illumination dans ses pupilles et l'intonation vive qui ponctuait chaque syllabe qui s'enfuyait de sa bouche. Il arqua l'un de ses sourcils puis souffla, l'air amusé :

— J'arriverai p't'être à stimuler la bête qui dort en toi, beauté. Si tu me le permets, bien sûr.

Taehyung n'eut pas le temps de répliquer qu'Eden l'attrapa par le poignet et l'emmena avec lui sur la piste de danse à plusieurs mètres de là. Ils slalomèrent dans la foule survoltée, esquivèrent une ou deux grosses colonnes qui soutenaient le toit puis, peu à peu, Tae se laissa aller à la cacophonie, suivant le rythme des mix qui défilaient et ayant pour partenaire de danse son nouvel interlocuteur. Au grand jamais, Tae n'aurait dansé en public. Encore moins à la vue de tous ses oiseaux de nuit remplis d'adrénaline et d'autres composants pas très légaux dans le sang. Néanmoins, Tae était comme eux sur l'instant : contaminé par cet état mi-vaseux mi-extasié causé par le mélange tassant son ventre. Il n'y avait plus personne pour qui il devait préserver ces pas de danses dont lui seul en avait le secret.

Les minutes passèrent et Taehyung commença à avoir chaud. L'air s'alourdit tandis qu'Eden ne cessait de graviter autour de lui dans des pas maîtrisés et jouait de ses charmes. Tout paraissait plus facile, d'un coup. Ses problèmes étaient loin, enfermés à double tours dans l'un des placards de son esprit. Ses épaules avaient l'air plus légères et il se sentait bien. Il ne pensait plus à rien, rien qui puisse le mettre à mal. Il n'y avait plus que lui, le brouhaha ambiant, ce mix envoûtant tentant de se faire ouïr par-dessus et deux émeraudes luisantes gravitant autour de lui tel des lucioles. Les ombres se confondaient dans cette horde de gens qui dansait, buvait, criait jusqu'à perdre haleine sous les stroboscopes agités. Parmi eux, des spectres du passé venaient se mêler. Ils venaient se jouer de l'état de Tae pour le tourmenter, lui rappeler que l'amusement ne dure qu'un temps. Que la dure réalité finit toujours par revenir à un moment ou un autre, qu'on le veuille ou non. Son environnement passant de netteté à flou total, le châtain crut entrevoir à tour de rôle le visage de Jeongguk – dont ses traits inspiraient quelque chose de très lugubre ‒ puis de sa défunte mère, dont les lèvres rutilaient d'un beau bordeaux, comme dans ses souvenirs les plus profonds. Un vif papillonnement d'yeux plus tard et c'est l'expression espiègle de son nouvel ami qui lui fit face, alors que celui-ci s'était permis de l'embarquer dans un collé-serré. Ed approcha ses lèvres de l'une de ses oreilles et susurra :

— Oublie-le. Oublie tes tracas. Lâche prise rien que pour ce soir. On est vendredi et comme le dit le dicton : tout est permis.

Il n'y avait rien de vilain à ça, n'est-ce pas ? Le lien était rompu avec son noir de jais favori, il n'y avait plus rien qui pouvait dire qu'ils formaient un couple et leur communication était au point mort. Rien ne prouvait qu'en ce moment même, le gamin à la bouille de lapin avait une petite pensée pour lui, qu'il ne ne l'oubliait pas. Rien ne pouvait le retenir d'un excès de plus. Mais... Est-ce que s'amuser avec quelqu'un d'autre, ce serait le trahir ? Mettre un point final à tout ce qu'ils avaient vécu ensemble ? Est-ce qu'il désirait vraiment que cela se passe ainsi ? L'oublier une bonne fois pour toute, ce serait comme tenter de gravir les Alpes sans bouteilles d'oxygène à disposition ; c'est-à-dire, impossible. Récupérer cette vie semi-tranquille avant qu'il ne rencontre Jeongguk serait infaisable. Chaque microfibre de son être lui manquait. Il se sentait incomplet et seul Gguk le complétait. C'était son match parfait, son âme-sœur et par extension, l'homme de sa vie. Tae le savait. Il n'aimerait aucun autre aussi fort qu'il n'a aimé l'étudiant. Sa vie prenait sens grâce à lui et celle-ci devenait bien plus rythmée, tumultueuse et vraie à ses côtés, faite de hauts et de bas. Jeongguk contrebalançait tout cela, même si parfois avoir des sentiments à son égard rendait les choses plus difficiles. Comme c'était le cas, présentement. La dernière longue nuit passée ensemble jusqu'à l'aurore l'avait marquée. Les gémissements éperdus de Jeongguk, la tiédeur de son épiderme, ses mots transpirant d'amour et ses caresses d'une tendresse incomparable, ses contours dans sa tenue d'Adam aussi alléchants que prenants ; tout ça, il y songeait encore. Des souvenirs pareils ne pouvaient être jetés dans les méandres de l'oubli. Et ces souvenirs parasitaient le bon fonctionnement de ses pensées, de jour comme de nuit, en solitaire comme en public... Et ils créaient un manque insupportable, un manque si grand qu'il ne pouvait le combler par lui-même. Le Sexe avec Jeongguk était grandiose. Chacune de leur étreinte enflammée possédait cette impression de première fois, ce petit truc qui rendait chaque instant intime extarodinaire et leur orgasme divin. Tous ces moments magiques étaient ponctués par la passion, par le désespoir – un pressentiment aliéné que tout s'arrêtait d'un coup s'ils ne s'abandonnaient pas l'un à l'autre – et par cette dévotion mutuelle. Taehyung était devenu véritablement accro à ces longues minutes de plaisir en compagnie de son cadet, aux symphonies obscènes qu'ils jouaient de leurs corps unifiés. Alors peut-être qu'enfouir tous ses ressentis, toutes ses pulsions lui défonçant le bas-ventre, tout ce bordel qui le bouffait à petit feu de l'intérieur en Eden modifierait la donne pour les prochains jours et modérerait ses états d'âme.

— Alors montre-moi ce que tu vaux, Ed, répondit Taehyung, la main cramponnée sur la hanche du nommé tout en le regardant droit dans les yeux.

Prenant cela comme une réponse à son invitation, le plus jeune sourit malicieusement et souffla, tout proche des lippes du plus âgé :

— Allons dans ma voiture. On va bien s'amuser, toi et moi... Je vais t'offrir une nuit que tu n'es pas prêt d'oublier.

Minuit. Minuit, l'heure du crime. La lune brillait haut dans l'éther vierge de tout nuage. Elle étincelait dans cette étendue bleue marine apaisante. En contrebas, les rues lilloises commençaient à devenir désertes. Il se faisait très tard et certains n'avaient point le courage de rester éveillés jusqu'au petit matin. Sans doute voulaient-ils se requinquer grâce à une bonne nuit avec un supplément grasse matinée, après une dure semaine de travail ou de cours pour d'autres.

Puis il y avait cette rue, celle de Trévise. Le volume émis depuis le Magazine Club avait atteint son paroxysme, secouant la rue dans laquelle il était implanté. À l'extérieur, tout était silencieux. Il n'y avait pas un seul bruit de pas, ni même le ronronnement du moteur d'un véhicule pouvant fendre ce silence digne d'un monastère... À moins que l'on ne collait l'oreille contre la fenêtre de l'une des voitures garées dans cette allée.

À l'intérieur, la banquette arrière chauffait. Elle se réchauffait grâce aux manœuvres pressées des deux hommes se trouvant dessus. L'un semblait totalement en transe, ravi que ce moment arrive. Tandis que l'autre se forçait, tentait de se convaincre qu'il s'agissait-là de la solution qui pourrait éteindre les émois ébranlant son cœur et son âme réunis. Tae redoubla d'efforts tout en mettant plus de pression dans ses baisers entre mordillements et suçotements car il fallait qu'ils soient authentiques, un minimum du moins. Il pouvait sentir qu'Ed, cependant, avait véritablement envie de lui. De ses caresses buccales mouillées, en passant par ses frottements intempestifs tout contre son entrejambe. C'était comme s'il avait attendu ce moment pendant tout ce temps, à partir du moment même où il l'avait accosté au bar. Sauf que Tae ne voulait pas de ça. Ce n'était qu'un simple subterfuge pour faire taire cette merde en lui qui faisait beaucoup trop boucan. Ce qu'il désirait était tout autre. Ce qu'il enviait ardemment, du plus profond de ses tripes, c'était de pouvoir faire ce qu'il était en train de faire avec Jeongguk. Le faire hurler de joie, le mettre sens dessus-dessous, l'entendre l'implorer de cette voix semi-brisée et aiguë qu'il reconnaîtrait d'entre mille, le ruiner de la façon la plus exquise permise. Mais ça, Taehyung n'en aurait plus jamais le droit. Plus jamais.

Celui-ci refoula sa frustration et essaya de se convaincre que le jeune homme à califourchon sur ses cuisses n'était pas son bien-aimé, passant à l'étape supérieure. Il défit la braguette de son pantalon pendant qu'Eden retira la baguette de ses cheveux pour la poser à côté d'eux, sur le siège passager vide. Une cascade aux couleurs de l'obsidienne s'échoua sur ses épaules tandis qu'il se pencha vers l'arrière, attrapant au vol un préservatif enfoncé dans la poche arrière du siège conducteur. Il se hâta dans l'ouverture du minuscule paquet et une fois celui-ci enfilé par Taehyung, ils entrèrent en union. Une fois en lui, Tae s'agrippa au creux de ses hanches et expira lourdement, un soupir de complaisance du côté son partenaire, un râle audible s'arrachant du fond de son gosier du sien. Ils se contemplèrent une dernière fois droit dans les yeux et l'appel du péché de chair revint, frappant leurs pubis avec force, faisant battre la chamade le centre de leurs poitrines. Les baisers reprirent de plus belle. Chacun d'entre eux devenait un peu plus sauvage et les va-et-vient d'Eden sur la virilité de Tae ne faisaient qu'aller de plus en plus vite ; provoquant des secousses qui, depuis l'extérieur de l'automobile, donnaient l'illusion qu'elle était vivante. Le mercure du thermomètre chauffait à vue d'œil pendant que la vision du châtain s'embruma à nouveau, sans le prévenir.

Un certain malaise s'empara de lui et il eut comme une impression de mal de mer. Le décor tanguait, tanguait encore un peu plus sur la droite et Taehyung ferma les yeux, espérait que cette sensation disparaîtrait sous peu tout en calant sa tête contre l'appui-tête. Tandis que le plus jeune continuait ses manœuvres, enivré par l'extase, celui-ci osa faire courir ses lippes le long du cou du plus âgé, appuyant celles-ci de-ci de-là cette zone sensible. Taehyung faisait tout pour se concentrer sur le toucher buccal de son cadet. Il faisait du mieux qu'il pouvait pour faire passer ce moment désagréable et faire redescendre cette canicule contraignante qui le compressait de l'intérieur, l'étouffait de ses mains invisibles.

Mais c'était sans compter sur la partie tordue de lui qui s'éveilla à coups de flashs infernaux qui abondèrent. Traumas non cicatrisés et souvenirs lubriques se superposèrent, les apparitions de celui à qui son cœur était destiné et de celle qui avait fait volé son existence en éclats alternèrent. Rêve, cauchemar, rêve, cauchemar, caresses impures et dégoûtantes, touchers divins et prévenants, haine, amour, viols, consentement ; perte totale de lucidité, saturation, folie retentissante.

Des larmes incontrôlées roulèrent le long des joues d'un Tae haletant, immergé dans un état paradoxal entre plaisir et terreur, de légers soubresauts saisissant son corps. Celui-ci ne lui répondait plus, il était devenu hors de contrôle et les images du gamin à la bouille de lapin furent vite balayer d'un revers de la main par celles de la matriarche, dont l'aura émanait de la pure malsanité. Elle semblait plus forte que jamais et l'éclat dans ses iris jades n'annonçaient rien de bon. Ce n'était plus Eden qui avait l'ascendant sur lui, dans ce quatre roues. Ce n'était plus lui qui apparaissait dans son champ de vision. Elle était là, juste sous ses yeux, la démence se lisant sur son beau visage enlaidi par la perversion.

Eh bien, qu'attends-tu ?

Ma douleur est vive et constante.

Je suis devant toi, c'est le bon moment non ?!

Je ne souhaite le bonheur à personne.

T'avoir dans mon ventre fut ma première mort. La seconde, quand tu m'as poussé des escaliers.

Ce que je veux, c'est infliger cette douleur à tous ceux que je croiserai sur ma route.

Jamais deux sans trois, n'est-ce pas ?

Ce truc est incontrôlable.

Alors vas-y, Taehyung ! Tue-moi !

Je veux que personne n'y échappe.

Les traits faciaux du salarié se durcirent progressivement. Les larmes avaient cessé de rouler le long de ses joues, ses pupilles n'étaient plus que deux gouffres sombres et sans fond, dépourvues de toute émotion et le rendant méconnaissable. Il ne bougea point durant quelques instants et les cris d'Eden parvinrent à ses oreilles. Celui-ci avait entre-temps enroulé ses bras autour de sa nuque, la tête plongée contre son épaule, pour avoir un meilleur appui et par conséquent, approfondir ses allées et venues sur le membre semi-palpitant de son aîné. Pendant tout ce temps, Ed n'avait aucunement remarqué l'état extrême dans lequel Tae s'était retrouvé, trop concentré sur sa tâche. Celui-ci jeta un regard de biais en sa direction, regard qui était noir, aussi noir que les ténèbres eux-mêmes, dangereux.

Sa main libre rampa tel un serpent le long du siège passager pour attraper discrètement l'épingle à cheveux qui reposait dessus. Il l'empoigna, sentit alors sa matière métallique et jugea l'objet très pointu après avoir passé son index sur son extrémité. Sa prise se referma sur cette longue tige et la compression qu'il exerçait dessus témoignait de sa détermination, annonçait les prochaines secondes de monstruosité qui s'ensuivraient.

— T'aimes ça, hein ? dit-il, d'une intonation monocorde.

Le jeune tatoué s'emballa davantage à cette phrase, baragouinant des onomatopées à peine compréhensibles.

Voilà quelque chose que tu devrais encore plus apprécier.

De sa main libre, Taehyung tira les cheveux d'Eden par l'arrière qui hurla de douleur face à la soudaine brutalité de son geste et de son autre main... L'adulte accomplit sa lubie.

La baguette alla s'enfoncer dans l'oreille de sa victime du premier coup. Les yeux de celui-ci prirent la forme de soucoupe tout comme sa bouche qui forma un « o » bien rond. Taehyung ne s'arrêta pas là pour autant, la pulsion meurtrière tambourinant dans son esprit, envenimant son âme tel un poison. Il força un peu plus sur cet accessoire capillaire en le poussant une fois, puis deux, la tournoya sur elle-même dans un geste sec et sans pitié. C'était peut-être cette chose malveillante recluse dans ses songes qui l'avait encouragé à passer à l'acte... Ou bien cette colère graduelle envers le monde qui l'y avait poussé, dont il trouvait le point de départ en sa matriarche. Car la haine est un espace où un homme qui ne peut endurer la tristesse va et Tae restait un être inconsolable depuis des jours entiers.

Un liquide vermeil s'écoula de l'orifice du futur cadavre et celui-ci se mit à convulser dans de grands tremblements, un autre fluide tout aussi peu ragoûtant s'écoulant de sa bouche. Il tremblota, tremblota encore comme possédé tandis que l'assassin maintenait son corps, l'arme du crime toujours plantée dans sa cavité auditive. Ce spectacle violent et inqualifiable, d'une cruauté inouïe divertissait le plus vieux, l'émoustillait, nourrissait la part vicieuse et sadique qu'il tentait de dissimuler depuis trop de temps. Lorsque que le corps devint inerte sur ses cuisses, trouvant enfin la libération après ces longues minutes de torture, Tae parvint à la sienne, le souffle coupé. Il clôt durant quelques instants les paupières, la respiration lourde, le temps de se remettre de ce moment plus qu'intense et particulièrement foudroyant...

Puis il rouvrit les yeux avant de les cligner plusieurs fois puis de se les frotter comme s'il émergeait d'un profond sommeil. Une odeur nauséabonde et métallique se mit à lui caresser les narines et, par la même occasion, à lui refiler la nausée. Quand Taehyung se réveilla enfin, il remarqua alors qu'une masse était allongée à côté de lui. Puis, il se rappela de sa soirée en discothèque. Eden. Par de légères secousses, Tae chercha à le réveiller à plusieurs reprises tout en l'appelant après s'être nettoyé – par chance, une poubelle était dans les parages sur le trottoir – mais rien n'y faisait. Eden ne bougeait pas d'un millimètre. Il n'était même pas sûr de pouvoir l'entendre respirer.

Boum, boum... Boum, boum... Taehyung appréhendait. Quelque chose clochait. Quelque chose de grave – très grave, même – s'était produit. Ça sonnait presque comme un déjà-vu. L'angoisse le tenaillait maintenant par la gorge et mille scénarios aussi rocambolesques qu'effroyables éclatèrent dans son esprit, agitaient celui-ci qui était tout confus face à l'anormalité de la situation. Il le retourna donc en douceur, la peur au ventre...

Pitié, pas encore...

Puis il se figea. Paralysé, mortifié, ses iris rivés sur le cadavre du plus jeune. L'air ne passait plus dans ses poumons et ses mirettes commencèrent à miroiter à cette vue insoutenable. Il n'émit aucun cri, n'eut aucune réaction particulière. Il était là, statique telle une statue, tentant d'avaler ce qu'il avait commis et d'encaisser un énième trauma qu'il venait de créer de lui-même.

Pourquoi suis-je encore en vie ?

Dans une action lente, sans détacher son regard de la dépouille, il plongea sa main dans sa sacoche, sortit son cellulaire et composa le premier numéro qui lui vint en tête avant de le poser tout contre l'une de ses oreilles. Peut-être que cette personne l'enverrait paître mais c'était son ultime recours à chaque situation critique dans laquelle il se trouvait. Tendu. Taehyung se sentait extrêmement tendu et plus les microsecondes filaient, pire c'était.

Pourquoi je fais sans cesse du mal aux autres ?

Première sonnerie.

Pourquoi chaque chose que j'entreprends est un désastre complet ?

Seconde sonnerie.

Pourquoi moi ? Qui suis-je, en fin de compte... ?

Troisième sonnerie.

— Hmm, je t'ai déjà dit un milliard de fois de pas m'appeler aussi tard. Y'en a qui dorment, grommela une voix nasillarde ensommeillée.

— Yoongi... commença sombrement Tae, les pupilles toujours braquées sur le corps sans vie d'Eden.

Un certain laps de temps s'écoula où ils ne se dirent rien. Tae cherchait ses mots, comment formuler la confession qu'il s'apprêtait à faire à son ami, sans succomber à la panique, la lèvre inférieure mordillée presque à sang et les pulsations cardiaques à fleur de peau.

— Ça recommence...

Il y a un jeune homme mort juste face à moi...

Je l'ai tué.

Sur un ton faussement calme, le presque-trentenaire fit son aveu à son ami de longue date dans cette petite voiture neuve dégradée par le crime, une larme solitaire dévalant sa joue. L'avouer ne changerait peut-être pas le cours des événements, néanmoins, cela avait permis à Taehyung d'ouvrir les yeux sur une chose. Ça ne pouvait plus continuer ainsi. Il avait sérieusement besoin d'aide. Surtout qu'il savait que la nuit qui l'attendait serait très longue, mouvementée et imprévisible ; encore plus avec le Septième Ciel ruisselant dans ses veines.

__________
Note de l'auteure :

Joyeux Halloween, mes amours ! 🎃🧡 Je suis très heureuse de vous retrouver avec ce long chapitre ("gneugneu il devrait pas dépasser les 8000 mots" disait-elle 💀😭) qui m'a donné énormément de fil à retordre durant sa rédaction. Je sens que ma plume a un petit peu "rouillé" entre-deux, je m'excuse sincèrement si des passages paraissent impropres et également pour le temps d'attente ;-; ❤️

J'espère que vous vous portez bien depuis tout ce temps et que tout se passe bien pour vous ! 🥺 De mon côté, je suis enfin en vacances après moult péripéties aussi bien côté perso que scolaire. J'étais un peu "à vif" ces derniers jours notamment à cause de mes partiels mais aussi à cause de grosses déceptions amicales. J'étais très fatiguée à cause de mes problèmes de santé ces derniers mois et maintenant que je suis remise d'aplomb (je dois encore me battre contre les contre-coups de mes problèmes digestifs mais je vais bien mieux que les précédents mois), j'ai ouvert les yeux sur certaines choses qui ne me plaisaient pas avec ces personnes et c'est seulement depuis peu que j'apprends à dire "merde" aux gens. Vous savez, c'est un peu la période où vous vous rendez compte que ceux que vous considériez comme vos amis les plus proches ne vont vers vous que pour leurs propres intérêts, qu'ils s'en fichent un peu de votre bien-être et autre. Je me suis rendue compte que je me donnais trop à ces personnes et que c'est sans doute pour ça aussi que j'étais si épuisée mentalement durant les précédents mois.

N'ayez pas peur de penser parfois à vous avant de penser aux autres et de dire "non" quand il y a quelque chose que vous ne voulez pas faire, ne vous forcez surtout pas ! Ça peut devenir très vite anxiogène et poser problème ! 💪

J'espère que ça va de votre côté et que votre rentrée s'est bien passée et que vous profitez bien des vacances !

Pour en revenir au chapitre, il a été très fastidieux à écrire mais ça va, je suis plutôt contente du résultat dans l'ensemble ! Par ailleurs, c'est le premier chapitre où l'on voit réellement Taehyung commettre un crime, passer à l'acte. Qui sait, peut-être qu'il y aura d'autres chapitres comme celui-ci par la suite 👀 La drogue que celui-ci a ingurgité se prénomme "La drogue du Septième Ciel". C'est un produit qui peut se présenter sous plusieurs formes (sel de bain, poudre, liquide, autre) et qui a des effets revitalisants lorsqu'il est consommé sur l'instant. On va éprouver l'envie de s'ouvrir aux autres, un certain éveil, un appétit sexuel et d'autres symptômes en tout genre et une fois les 30 premières minutes après sa consommation passée, on entre dans un épisode psychotique, paranoïaque où l'on est victime d'hallucinations cauchemardesques. Je vous laisse imaginer quel genre de nuit notre Taehyungie chéri va passer 😭

Impressions ?

Pas trop secoué par la fin du chapitre ?

Votre avis sur Tae après ce chapitre ?

Que pensez-vous qu'il va se passer ensuite ?

Accrochez-vous pour les prochains chap's parce que je n'ai pas fini de vous en faire voir de toutes les couleurs ! 🙂🙃

Je tiens encore mille fois à vous remercier pour tout l'intérêt que vous portez à cette intrigue ! Ça me fait toujours aussi chaud au cœur de voir vos retours positifs concernant mon travail en commentaires. Même si je ne répondrais à pas tous, sachez que je vois chacun de vos petits messages et je les retiens ! Vraiment, merci à vous d'être présents et de m'encourager. Je vous couvre de milliers de bisous et vous dis à très vite ! Je vous love fort, prenez bien soin de vous et couvrez-vous bien ! ❤️💜

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