𝐂𝐡𝐚𝐩𝐢𝐭𝐫𝐞 𝟐𝟐
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Conseil de l'auteure : Une petite musique à écouter au moment opportun se trouve juste au-dessus. On se retrouve en bas, as always ! Bonne et agréable lecture, sweethearts ! Accrochez-vous bien ! ❤️
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🚨 𝙏𝙧𝙞𝙜𝙜𝙚𝙧 𝙬𝙖𝙧𝙣𝙞𝙣𝙜𝙨 🚨 : reviviscence de traumatisme(s) | violence psychologique | tentative de viol.
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Je suis tétanisé.
La terreur me met sens dessus-dessous et me rend incapable de réfléchir avec un semblant de logique face à la situation qui se présente à moi. Il n'y a rien de plus terrifiant que l'expression que m'échange actuellement Taehyung et je regrette très vite mon geste en voyant à quel point il a l'air remonté, un affreux sentiment de déjà-vu s'emparant peu à peu de moi. Je ne sais pas si « remonté » est le bon adjectif pour le qualifier mais... Il n'est définitivement plus dans son état normal. C'est de la folie pure qui dégouline sur son visage béni par Mère Nature. J'ai l'impression d'avoir face à moi un démon provenant tout droit des limbes, venu pour voler mon âme et me mettre en lambeaux. Son visage est hideux. Il est d'une laideur monstrueuse et m'inspire les pires scénarios qui puissent se produire.
—Tae... ? tenté-je faiblement.
Son regard est empreint de malice et d'une autre chose qui me refile des frissons le long de mon échine. Je n'obtiens aucune réponse de sa part. Il me contemple longuement, se délecte de la peur qu'il m'inspire, le bout de sa langue caressant le coin de ses lèvres.
Pourquoi... Pourquoi est-ce que c'est une autre crise qui prend vie que j'aperçois dans tes yeux ?
Taehyung, si tu es encore avec moi, je t'en conjure... Ne me fais pas de mal. Je t'en supplie... Pas une autre fois. Je ne le supporterai pas.
Il se rapproche à nouveau de moi et je me sens comme écrasé. L'oxygène s'amoindrit au rythme de ses pas puis il agrippe mon visage, sans aucune délicatesse. Je sens que je vais me remettre à pleurer et tremblote sous ses iris assombris par ce je-ne-sais-quoi qui est juste glauque... Très glauque. Je peine à le regarder. Je ne veux pas, mais Tae maintient notre eye-contact.
— Je te fais peur ?
Son ton est glacial comme le vent hivernal et cette poigne sévère, qui se transforme en caresse contre ma joue, me fait horreur. L'intensité de son œillade ne diminue point. J'ai même l'impression qu'elle prend de l'ampleur et de me faire tripoter de partout par celle-ci, même à l'intérieur de moi.
— Pleure. Pleure pour moi, Jeongguk. Tu sais à quel point tes larmes m'émoustillent... Elles te vont si bien. J'aime m'en délecter. J'aime cet état sur toi. J'aime te voir me supplier et j'adore cette façon que tu as de ramper vers moi sur tes genoux. J'aime te voir si brisé et docile rien que pour moi. Ta détresse me galvanise.
Je veux me barrer d'ici.
Sans que je ne puisse me contrôler, une perle translucide dévale sur ma joue tant je me sens sous pression. Je dois faire absolument attention à tout ce que je dis et fais, sous peine de... Sous peine de quoi, au juste ?
Je clos les paupières, cherchant à calmer mes peurs. J'essaie de faire abstraction de ce qu'il se passe mais rien n'y fait. Les traumatismes sont toujours là, même les yeux fermés. Ils viennent nombreux, se rejouent devant moi comme s'il s'agissait d'un film et la vague d'émotions qui va et vient en mon for intérieur menace de m'emporter loin du rivage.
— Dois-je être plus cruel avec toi pour que tu m'obéisses et comprennes enfin ce que je veux ?
Pense à autre chose Jeongguk. Pense à quelque chose de joyeux. Pense à tes fous rires en classe avec Jimin, quand vous étiez gosses. Pense à Seokjin qui, en quelques mois, a su être un ami bien plus authentique et précieux que toutes tes amitiés de lycée qui se sont révélées n'être que de passage pour certaines.
— Réfléchis deux petites secondes. Regarde l'état misérable dans lequel tu te trouves. Tu ne pourras pas m'échapper, ni te cacher si je te libère. Je te rattraperai et qui sait ce que je te ferai. Mais je t'aime, tu sais ? Je t'aimerai toujours, par-delà la mort.
Pense à tout l'amour que Maman te donne depuis le jour où elle a su que tu étais dans son ventre. Pense positif.
— Je te briserai les jambes en deux s'il le faut et te traînerai dans toutes les pièces de l'appartement pour que ça rentre dans ton crâne, Jeongguk. Est-ce qu'il faut qu'on en arrive là ? Hein ?
Pense aux jours heureux durant ton enfance. Pense à ces moments de sérénité lorsque tu dessinais pour fuir les aléas du quotidien. Pense à l'avant. Pense. Pense encore, Gguk. N'ouvre surtout pas les yeux. Ne te soumets pas. Ne–
Sa caresse n'est plus. Il m'attrape la jugulaire et la presse, provoquant l'ouverture de mes yeux et la suffocation. Je panique à nouveau, mon cœur bat la chamade et cette fois-ci, les larmes glissent d'elles-mêmes sur mes joues.
— Je crois que tu n'as pas très bien compris l'enjeu de la situation, me crache-t-il froidement au visage.
— T– Taehyung, je t'en prie !
— Jeongguk, je pourrais te broyer le larynx dans la minute qui suit. Ne me cherche pas parce que tu vas finir par me trouver et ni toi, ni moi ne voulons de ça.
Ses mirettes noircies par la furie me sondent lentement de haut en bas et je ne saurais dire s'il m'envie ou m'exècre. La force exercée autour de ma gorge diminue et d'infimes sanglots sortent de ma bouche, malgré tout mon acharnement pour ne pas m'effondrer.
Tu me dis « je t'aime », en veux-tu en voilà, mais la triste vérité est que tu me hais. J'ai bien voulu croire en la douceur de tes mots. J'ai essayé de toutes mes forces puis j'y ai cru. Mais tes « je t'aime » qui se veulent sincères n'ont pas de valeurs. Ils ne possèdent plus aucun carat. Ils ne signifient plus rien, venant de ta bouche. Ce n'est pas de l'amour que tu me transmets là, Taehyung. Tes airs d'ange ne sont que tromperies. Ne le vois-tu pas ?
Je peux lire la signature de Satan sur ton visage, au travers des expressions perverses que tu me renvoies.
— Je pourrais t'offrir l'espace et toutes ses constellations réunis, Jeongguk... commence-t-il. Je pourrais te donner tant de choses...
Plusieurs secondes passent et j'ai comme l'impression qu'il est pris d'un temps d'absence. Je l'appelle doucement malgré mes pleurs, observe avec attention chacune de ses réactions aussi infimes soient-elles. Il est statique. Mais ses yeux, quant à eux, sont en mouvement. Puis, il darde subitement ses deux bourgeons sombres vers mon visage. Mon cœur loupe un battement.
— Mais quel échec, tu es. Un déchet humain que ni l'Eden, ni le Feu Éternel ne pourront accepter en leur sein. Que devrions-nous faire de toi ?
J'ai envie de mourir.
Je veux vraiment mourir.
Ce n'est pas possible que ce soit Taehyung qui me parle de manière aussi peu respectueuse envers moi. Pourtant... C'est bien lui qui se tient devant moi. Des flashs de mes recherches avant ma venue ici reviennent d'un coup dans mon esprit. Des bribes d'explications sur les troubles mentaux que j'avais trouvé sur Google. Est-il réellement possible que... Qu'un cerveau humain puisse loger des pensées appartenant à d'autres personnes détenant des facultés propres ? Qu'un être unique puisse abriter de multiples alters en son âme ? L'Homme ne cessera jamais de me surprendre. Au même moment, je vois l'air sadique de Taehyung se dissiper quelque peu et ses pupilles partir vers la droite. Il semble en conflit interne et plisse parfois des yeux, comme si un être invisible lui chuchotait des choses à l'oreille lui provoquant cette réaction.
— Non... chuchote-t-il en coréen. Je t'ai dit « non ». Laisse-les tranquilles tous les deux.
C'est à mon tour de plisser mon regard. La situation me paraît surréaliste.
Il est vraiment en train de... Discuter avec lui-même ?
Un autre temps d'absence plus tard et les événements s'enchaînent bien trop rapidement pour moi. Je suis détaché de ma croix, sans aucune délicatesse de la part de Taehyung. Mes poignets souffrent le martyre tant ils sont écarlates. J'ai à peine le temps de le contester que je finis par-dessus l'une de ses épaules. Il entame alors le pas vers sa chambre, au tempo de mes plaintes qui sortent de ma bouche les unes après les autres. Je tente de le frapper comme je peux pour qu'il me lâche, sans succès. Taehyung est putain d'imperturbable et mon angoisse grandit au fur et à mesure que l'on se rapproche de cette pièce que je maudis depuis cette nuit-là. On passe l'entrebâillement de la porte et je me retrouve projeté sur son grand lit double, sans ménagement. Je peine à bouger tant mes membres me tirent de partout et Tae en profite pour me surplomber. Mes cinq sens sont éveillés et en alerte, respirer devient laborieux pour moi et mes mauvais souvenirs me poussent à me débattre encore plus. Sauf que mon vis-à-vis, comme toujours, est très coriace et me bloque les bras par-dessus la tête. J'entends le bruit d'une braguette que l'on dézippe et l'œillade que m'échange Taehyung m'horrifie. Je vais te faire du mal, Jeongguk. Je vais te démolir de la plus violente des façons. Voilà ce que je lis dans ses cercles assombris et je ne donne pas cher de ma peau pour les prochaines minutes qui succéderont. Je tente de l'appeler en vain, écorchant la prononciation de son prénom tant j'ai peur. J'ai la sensation d'être un agneau sur le point de se faire gober tout entier par un loup affamé et sans pitié pour ses proies.
Tu as faim, Taehyung. Tu te languis de mes prochains pleurs, des cris de douleur qui éclateront d'entre mes lippes, de mes gestes désespérés et remplis d'agonie que mon corps exécutera par instinct de survie. Le démon sommeillant en toi est réveillé et veut m'humilier. Il désire me voir morfler comme jamais et mettre en charpie mon âme. Il me veut mort. C'est la Mort elle-même que j'entrecroise dans ton regard perçant et je m'imagine ce soir, dans ce lit abondant de stigmates ineffaçables, souffler la veilleuse.
Mes pupilles se braquent d'un coup sur son entrejambe délivrée de sa couche de vêtements. Il s'élève fièrement, impatient d'être libéré de cette attente si longue. Cette vision, qui m'aurait autrefois tordu le ventre d'excitation, ne fait que m'affoler encore plus. Ce qui est en train de se passer n'est pas du tout normal. Je ne vois aucune once d'amour dans ses actions, ni même dans ses prunelles. Je me revois étendu sur ce matelas à endurer la barbarie de ses va-et-vient alors qu'il essayait de m'étrangler jusqu'à ce que je crève. Je me revois mourir à petit feu. Je revois toutes ces images épouvantables en boucle et je me mets à suffoquer, trembler fort, sur le point de pleurer des litres de sceaux d'eau. Et lorsque je sens Taehyung baisser mon boxer brutalement et approcher la source de mon angoisse croissante près de mon antre...
C'est une détonation qui fend l'air. C'est un hurlement éperdu en cette nuit humide qui passe la barrière de mes lèvres. C'est un hurlement de désespoir réveillant le monde qui éclate. Chacune de mes molécules se transforment en lamentation, en peur viscérale. Car je suis cette peur désormais et ne suis pas prêt à subir un troisième trépas mental. Définitivement pas.
Je ne veux plus jamais revivre ça.
Je ne veux plus qu'on me fasse du mal.
— Rouge ! hurlé-je tout en lui attrapant le poignet tenant son chibre. Rouge – bordel ! – Rouge, Taehyung ! Je ne veux pas ! Pas comme ça ! Je t'en prie !
Je n'ai jamais autant haï ma couleur préférée qu'en cet instant. Moi qui aime d'habitude son intensité, déteste la dangerosité qu'elle inspire, cette même dangerosité qui gangrène ce que lui et moi sommes et représentons l'un pour l'autre.
Mes spasmes s'intensifient au même titre que ma panique et mes sanglots m'empêchent de respirer. Voir son membre tendu ainsi et sans protection ne fait qu'inviter ma psyché à repenser à ces deux fois où contre mon gré, il m'a...
Je me sens vraiment mal. Je déraille tant j'angoisse et j'ai l'impression de ressentir à nouveau ses allers-retours intrusifs alors qu'il n'est même pas en moi. Mon bas-ventre me brûle, brûle, brûle un peu plus chaque seconde, sans que je ne puisse calmer cette sensation.
— J– je ne veux pas être une nouvelle fois détruit de cette manière, je... ! Si tu veux te venger, tout ce que tu voudras, mais pas ça. Pas ça, Tae ! Ce que tu fais là est mauvais ! Ce n'est pas de l'amour que tu me montres ! Un acte aussi intime entre deux personnes n'est pas censé bousiller l'équilibre de quelqu'un ! Une fois, c'était déjà dur à encaisser... Deux suivies d'une presque troisième fois ?! C'est de trop, putain !
Ma paume est chevrotante autour de son poignet. Je tremble tellement que je sens mes muscles s'engourdir. Un pieux s'enfonce en plein centre de mon estomac et la nausée me monte à la gorge. Ma poitrine est compressée, mon souffle est court comme si j'avais parcouru un marathon et ce sentiment irraisonné que je vais rendre l'âme d'ici peu refuse de me laisser en paix. Je dois sans doute dégouliner de sueur en ce moment même mais, moi qui n'aime pas ça d'habitude, je n'y prête pas attention. Je suis trop occupé à tenter de calmer la terreur qui se propage en moi... Et la crise de panique que je sens imminente. Je vais réellement mourir étouffé par mes propres peurs, par ces séquences traumatisantes refusant de sortir de mon crâne ! Je lâche son poignet et apporte mes mains contre mon faciès, cachant celui-ci, ruiné par mes émois. Je me remets à crier, encore et encore, ne trouvant guère le repos et roule sur le côté avant de me mettre à pleurer à chaudes larmes tout en me recroquevillant sur moi-même comme un animal apeuré. Les images se répètent dans mes songes et je ne parviens pas à me les ôter du crâne. C'est sans fin. Elles vont finir par me tuer, c'est certain. Je suis encore profondément marqué par mes cauchemars nocturnes et ceux devenus réalité. Les rayer pour de bon de mes pensées me paraît insurmontable. Je ne peux pas. Les traumas sont et seront toujours là, quoi qu'il puisse advenir de mon futur, peu importe combien j'essaierai de les effacer. La vie est cruelle et le temps ne guérit rien. Le temps est interminable et n'est là que pour rallonger votre souffrance, vous rappeler en continu celle-ci à chaque instant, histoire que vous la ressentez assez et que vous la trouvez pénible... Assez pour que l'idée d'en finir vous vienne à l'esprit, à un moment ou un autre. C'est une complication de plus qui s'enchevêtre dans mon existence et je fais le deuil de ma vie d'antan où tout était plus joyeux et facile à vivre. L'avant Taehyung. Je ne pourrai jamais retrouver cette vie-là. Jamais.
Je sens alors une paire de mains remonter mon boxer puis me redresser avant de m'échouer contre un torse et de sentir deux bras me serrer tout contre. Je suis bercé lentement, comme on le ferait pour calmer un nourrisson et sens des lèvres embrasser le sommet de mon crâne. J'ouïe alors un mantra ayant pour seule et unique parole « désolé », prononcée d'une voix grave que je reconnais bien. Doucement je me recule, les yeux embués par mes pleurs. Je les frotte tout en reniflant et je peux contempler enfin le visage de mon beau châtain. Il n'y a plus aucune trace de malveillance trônant dessus. Je ne vois que de l'inquiétude, énormément d'inquiétude à mon égard et de la culpabilité rongeant ses courbes.
— Pardon, Jeongguk. Pardon, pardon, je suis vraiment désolé, pardonne-moi, s'excuse Taehyung tout en attrapant en douceur mon visage en coupe.
J'entends les tremblements dans sa voix et sens ceux secouant ses mains. Il semble tout aussi terrorisé par ce qu'il vient de se passer ; la catastrophe qui a failli se reproduire pour la troisième fois. Taehyung prend peu à peu conscience de l'horreur qu'il s'apprêtait à me faire vivre à nouveau. Il est bouleversé. Il colle son front contre le mien, les paupières closes et souffle :
— J'ai encore merdé, hein ?
Je le repousse lentement et prends une grande inspiration. Avec une certaine méfiance, je lui demande :
— Pourquoi ? Pourquoi tu te montres adorable avec moi alors qu'il y a même pas une minute, tu allais me...
Je ferme les yeux, la gorge serrée. Je ne complète pas ma phrase car je n'en ai pas la force.
— Qui es-tu, Taehyung ? Qu'est-ce que tu es ? Qu'est-ce que je suis censé représenter à tes yeux ?
Tu es vraiment difficile à cerner, Tae. Une minute je te connais et l'instant d'après, tu m'es parfaitement inconnu. Je peux baigner dans un bonheur merveilleux et basculer d'un coup dans l'épouvante totale à tes côtés. De la sécurité, l'on passe à la menace. Quel est le juste milieu dans tout ça ? Lequel de ces deux extrêmes te correspond le plus ?
Ses mains attrapent délicatement l'une des miennes avant de la caresser doucement.
— Regarde-moi, s'il-te-plaît.
Je ne perçois aucune hostilité dans sa voix. Juste cette éternelle bienveillance qu'il m'accorde dans ses moments de lucidité. J'ouvre les paupières et le contemple alors droit dans les yeux.
— Tu es un véritable paradoxe, Jeongguk. Tu animes beaucoup de choses en moi, positives comme négatives...
Il humidifie ses lèvres tout en cherchant ses mots puis reprend la parole :
— J'ai l'impression que tu es né pour me faire ressentir tout ça. Pour que j'évacue tout ce que je garde en moi depuis toutes ces années. Parfois, quand je te regarde... Je sens cette pulsion en moi qui m'ordonne de te faire du mal mais je ne veux pas de ça. Je ne veux pas te détruire, parce que tu comptes énormément pour moi et te détruire reviendrait à m'amputer une partie de moi. Tu es l'une de ces rares personnes qui n'a pas peur d'affronter la part sombre qui sommeille en moi. Ce que tu as vu là, ce n'est pas moi. Je t'assure que je ne voulais pas, vraiment pas...
Je suis attentif à chacun de ses mots, bien que je ne sache point où me donner de la tête. J'ai l'impression d'être en plein délire et pourtant, lui et moi sommes bien dans la réalité.
— En dire plus n'excusera pas ce que j'étais sur le point de commettre. Sache juste que je suis affreusement et sincèrement désolé pour ces dernières minutes effroyables qui se sont écoulées, Jeongguk.
J'enregistre chacune de ses paroles et réfléchis à leur teneur en silence tout en reniflant une fois sur deux. Les gouttelettes de pluie s'écrasant contre les carreaux de l'unique fenêtre de la chambre comble ce mutisme pesant qui s'est installé entre nous et cadence mes pensées allant et venant à la vitesse de l'éclair.
— Parle-moi, s'inquiète Taehyung. Insulte-moi, crie-moi dessus si c'est ce que tu désires, mais je t'en supplie. Ne m'ignore pas comme ça.
Il entre peu à peu en panique, en voyant mon absence de réponses. Je mets en pratique encore un peu ma réflexion et finis par lui dire, un sourire ornant tristement mes lèvres :
—Tu as juste envie de m'en faire baver, en fin de compte.
— Non, ce n'est pas ce que j'ai dit. Tu te méprends.
— C'est exactement ce que tu viens de dire. Est-ce que tu as conscience des propos que tu peux tenir parfois, quand il s'agit de moi ?
Aucune réponse venant de sa part. Je poursuis alors, à fleur de peau.
Je ne compte plus me soumettre à la bassesse de tes mots envers ma personne, Tae. C'est terminé.
— Chaque mot que tu prononces reste là, Taehyung, dis-je tout en pointant mon crâne. Chaque chose que tu fais, que tu prononces ne sont pas sans conséquences. Tout me reste en mémoire et je peux te dire que certains faits dont tu es l'auteur me rendent encore malade, rien que d'y repenser. Si je devais traduire ce que tu viens de me dire, ça donnerait « je t'aime, mais dans le fond, je désire te tuer. ». Tu ne vois pas qu'il y a un énorme problème ? Comment peux-tu prétendre m'aimer, si ce que tu veux c'est me nuire ? Je ne sais pas ce que j'ai pu te faire pour que tu penses ça de moi, mais... Je suis désolé si j'ai fait quelque chose de mal et que je n'ai pas fait gaffe.
Je l'observe longuement, dans l'attente d'une réaction de sa part. Mon cœur bat toujours aussi fort et j'ai la sensation que la nuit est loin d'être finie. Que les choses ne font que commencer. Un grondement au loin. Je sursaute, un hoquet de surprise trouvant la sortie et jette un vif regard vers la fenêtre.
— Je t'en veux...
Mes pulsations cardiaques se calment, d'un coup. Ma tête pivote de quelques degrés pour confronter de nouveau mon vis-à-vis, nullement prêt à cet énième reproche venant de nulle part. Je remarque alors que son expression faciale n'est plus la même. Il paraît abattu. Profondément abattu, comme si tous les malheurs de cette planète reposaient sur ses larges épaules. Il ressemble à un enfant après avoir été grondé sévèrement par ses parents parce qu'il a commis une grosse bêtise. Cependant, c'est bien un adulte de presque trente ans qui se trouve assis en tailleur face à moi. C'en est déroutant.
— Je t'en veux d'être parti... Ça n'aurait pas dû se passer comme ça. Tu as tout chamboulé, Jeongguk.
Je suis perplexe. Que veut-il dire par-là ?
— Où est-ce que tu veux en venir ?
Je le vois commencer à se frotter le bras nerveusement, le regard déviant vers la fenêtre sur notre droite comme s'il cherchait à me fuir. Ce n'est pas la première fois que je le vois agir de la sorte mais c'est toujours aussi troublant de le voir adopter ce comportement. Il renifle faiblement, déboussolé.
— Quand tu es parti, j'ai eu la sensation de perdre le contrôle de tout. En t'ayant à mes côtés... J'avais le sentiment d'avoir une vie un temps soit peu normale, de savoir où j'allais. De me maîtriser, de dominer tout ce que j'entreprends. Ton départ m'a rappelé que je n'ai rien de tout cela, que je me voile la face et...
Il se tait quelque secondes, sa main faisant des aller-retour lents le long de son membre bandé puis il confesse en un murmure :
— Ça m'aurait fait beaucoup moins mal si c'était moi qui avais mis un terme à notre relation. C'est une énorme claque que tu m'as foutu en pleine face en me rejetant deux fois et ça me fait toujours autant de peine.
J'entrouvre la bouche puis la referme aussitôt. Je ne réponds rien finalement. Car je ne sais même pas quoi répondre face à ça tant je suis pris de court par sa confession. La seule réflexion que je trouve à faire découle alors de mes lèvres :
— C'est la peur d'être abandonné qui te pousse à tout contrôler ? À me blesser continuellement pour mieux me garder ? Tu reproduis ce que tu as enduré par le passé ?
En effet, je me rappelle de toutes ces fois où il me disait être effrayé à l'idée que je prenne un jour mes cliques et mes claques et m'en aille à tout jamais. De tous ses regards remplis de désarroi qu'il me renvoyait quand nous faisions l'amour ou lors d'une baisse de moral. C'était de la hantise pure et dure, une phobie proche de la paranoïa tellement il avait l'air certain que je m'en irai sans me retourner. J'étais si naïf dans ces instants-là. Je lui avais juré de ne jamais partir et voilà où nous en sommes : un énorme fossé nous sépare et nos âmes souffrent le martyre. Taehyung espérait retrouver un quotidien banal en ma personne pendant que moi, je pensais avoir enfin trouvé le grand amour. Le vrai, l'authentique, celui qui vous baigne de bonheur et vous fait croire que cela durera. Au final, on en ressort tous les deux grands perdants, inconnus l'un pour l'autre, victimes d'illusions que l'on se projetait mutuellement, le mental et le cœur atteints. Tout ça est digne d'une tragédie à l'allure cornélienne.
Ma comparaison houleuse de notre histoire à un genre littéraire où le pessimisme règne me donne un goût amer en bouche. Je dois être masochiste pour m'accabler encore plus ainsi de pensées négatives alors que j'en mène pas large présentement. La stupidité rime bien avec mon prénom, pour sûr. Tae ne me donne aucune réponse. La fenêtre semble avoir plus d'intérêt que ma personne. Je ne suis même pas sûr qu'il m'ait écouté et je note que les frottements qu'il effectue de façon mécanique contre son bras meurtri se métamorphosent en pincements brutaux. Subitement, j'attrape cette main qui s'acharne à pincer son membre avant de la reculer puis de la lâcher.
— Arrête ça, Taehyung. Ça ne m'a fait aucunement plaisir de te délaisser après cette nuit-là. Si je l'ai fait, c'est parce que je n'avais plus d'autres options. Je devais le faire. Ce n'est pas toi qui as dit que tu ne savais pas ce qui nous attendrait le lendemain ? Que l'on devrait prendre les choses au jour le jour dans notre relation ? Eh bien voilà, j'ai agi sur l'instant T sans préméditer la suite des événements.
Je marque une courte pause tandis qu'il mordille sa lèvre inférieure, nerveux.
— J'ai une part de tort dans tout ça, je le reconnais... Mais qu'en est-il de toi ? Si je ne peux ni trouver le repos en Enfer, ni au Paradis pour ce que j'ai pu te faire, qu'en est-il pour tes actes commis contre moi-même et Jimin ?
Ses pupilles s'écarquillent en grand, comme s'il avait une illumination soudaine.
Est-ce que je viens de lui provoquer un déclic ?
— Tu m'as bien dit que dans toute religion, lors de notre mort, il y a un jugement orchestré par Dieu lui-même et qu'ensuite, il choisit si l'on reposera en Enfer ou au Paradis en fonction de notre attitude tout au long de notre existence. Alors je te pose cette question : où penses-tu que tu finirais, au moment venu ?
Tu es loin d'être irréprochable. Très très loin et nous en avons tous les deux conscience, toi le premier. Il est temps que tu réalises la teneur de tes actes passés, de tes mots plus tranchants que le verre que tu déblatères parfois. Pour moi. Pour Jimin. Pour toutes ces personnes qui ont croisé ton chemin et auxquelles tu as refusé d'attraper leurs mains tendues, que tu as fait fuir comme la peste... Auxquelles tu as laissé des séquelles psychiques et physiques tenaces.
Fais pénitence*, Tae.
— Dans les limbes... J'ai fauté trop de fois, lâche celui-ci, semblant réaliser peu à peu l'ampleur de la chose.
Ses mains se cramponnent à ses draps, prises d'une vague d'angoisse.
— J'ai fauté, j'ai fauté, j'ai fauté, j'ai fauté... Je suis impardonnable.
Plus les secondes passent et plus j'ai la sensation qu'il s'enferme à nouveau dans sa bulle, dans sa psychose. Qu'il quitte notre monde pour rejoindre un autre bien plus torturé et complexe où lui seul peut le comprendre : son esprit.
— Taehyung, tu ne peux pas continuer comme ça. Aussi bien pour toi-même que pour les autres. Tu as besoin d'aide, tu dois consult–
— Non ! rugit-il subitement.
Je sursaute et manque de tomber à la renverse du lit. C'est un hurlement qui vient du cœur qui éclate d'entre ses lèvres et je suis choqué de le voir agir ainsi.
— Je ne veux pas ! Je ne veux plus ! Si j'y retourne, je vais finir chez les fous et je vais le devenir pour de bon !
Je reste interdit face à son comportement. Au fond de moi, j'ai l'intime conviction qu'être placé entre les mains de professionnels ne peut qu'améliorer le processus de guérison. Simplement parce que c'est leur job. Écouter, comprendre et guider les patients font partie de leur vocation et je ne vois pas trop comment ils pourraient faire pire que mieux. Quand mon père fut placé derrière les barreaux, ma mère et moi avions disposés d'une cellule psychologique afin de nous reconstruire, de reprendre le cours de notre vie en main. Je me rappelle encore de mes séances avec monsieur Beneviento et de son cabinet parfumé au jasmin... C'était un gentil monsieur aux cheveux grisonnants, proche de la retraite et qui était très impliqué dans son travail. Il était très doux et patient avec moi, tout comme avec maman et c'est l'un des meilleurs praticiens que j'ai pu consulter ces dernières années. Je me souviens encore de son petit accent chantant. Il m'avait confié être originaire de Toscane, soit l'une des plus belles régions constituant ce magnifique pays qu'est l'Italie. Il y a aussi ses blagues qu'il lançait pour me mettre à l'aise. Mes vrais fous rires qu'il provoquait grâce à cela, alors que durant les jours précédant ces rendez-vous ils étaient faux, surjoués et il n'y avait que ma souffrance qui sonnait vrai. Cependant, en voyant la réaction de Taehyung... J'ai l'étrange sentiment que c'est son vécu qui parle et que son agitation soudaine n'est pas anodine. Que c'est même mauvais signe et je remets lentement en question mes propres convictions.
— Tu as déjà été suivi par des psy' par le passé ? demandé-je doucement.
Tae enfonce un peu plus la tête dans ses épaules, le regard braqué vers le bas, comme s'il voulait fuir la conversation ou ne semblait pas prêt à y être confronté. Il se crispe sur lui-même, cherchant à se faire tout petit, à devenir invisible. Je ne comprends absolument plus rien à la tournure de la situation tant on enchaîne imprévisibilité sur imprévisibilité. Qu'est-ce que nous sommes en train de faire ? Pourquoi j'ai cette impression que nous sommes en train d'inverser les rôles, encore une fois ? Qui de nous deux a le plus besoin d'être rassuré dans tout ça ?
— Tae... Je ne vais pas te juger. Je ne suis personne pour prétendre pouvoir faire ça et jamais, je n'oserai porter un jugement de valeur par rapport à ce que tu as vécu.
Un ange passe, le clapotement de la pluie contre le carreau rythmant ce silence. Je répète ma question, toujours en douceur pour éviter de le brusquer. Toujours privilégier la délicatesse avec Taehyung et prendre des pincettes avec lui. C'est la première règle que je me suis fixé en apprenant à le connaître et en observant chacune de ses réactions. Je ne tiens pas à ce qu'il se renferme encore plus sur lui-même. Je le vois hocher la tête timidement, sans oser croiser mon regard.
— Tu en as vu combien, au total ?
Une œillade en coin destinée à la fenêtre puis il souffle d'une voix à peine perceptible :
— Trois...
Je sens que ça ne lui fait pas franchement plaisir d'évoquer ce sujet. Discuter de ses souffrances n'est une partie de plaisir pour personne. Partager ses faiblesses à quiconque l'est encore moins. Je le sais bien car, la preuve : quand Jimin et moi étions au téléphone dernièrement et qu'il m'a juste demandé si je vais mieux, j'ai à peine dit que mon état n'a peu voire pas du tout évolué que je me suis remis à pleurnicher, à me vider larme après larme. Montrer la part de nous que l'on réfrène, c'est quelque part donner un accès à son jardin secret. On entrouvre la porte menant à des pensées inavouables, à des événements reclus dans les méandres de notre mémoire que l'on préfère laisser là, que l'on cherche à oublier mais qui peuvent à tout moment ressurgir. Confier cette partie-là de nous, plus largement encore : c'est aussi donner sa confiance à l'autre. C'est chercher à se libérer de ses chaînes et à aller de l'avant pour les plus courageux, pour ceux et celles qui ont soif d'une vie meilleure. Et je vois que Taehyung semble prêt à s'ouvrir un peu plus à moi, à me dévoiler des faits le concernant qui me sont encore inconnus. Intérieurement, ça me fait plaisir. Les battements qu'émet mon petit cœur et la quiétude qui s'empare de moi me le prouvent bien.
— Est-ce que les séances avec eux t'ont été utiles ?
Il plisse des yeux et semble réfléchir, comme si cela remontait loin.
— Pas vraiment... J'avais l'impression de faire du surplace à chaque séance.
— Tu avais l'impression de ne pas progresser ?
Tae souffle profondément, le regard perdu en direction des draps.
— C'est ça. J'ai démarré ces séances avec mon premier psychologue peu après mon arrivée au foyer de l'enfance, parce qu'on a vite remarqué que ça n'allait pas chez moi. J'étais très turbulent et violent avec le reste des enfants et du coup, on m'a imposé ces séances... C'était le même rituel chaque mercredi après-midi.
Je l'écoute attentivement tandis que l'image de son « lui » âgé de seize ans figé sur papier glacé me revient parfaitement en mémoire. Je me rappelle encore de cette très courte conversation que nous avions eu le soir de son anniversaire, peu après avoir découvert la photographie dans l'un des cartons qui étaient posés dans cet étrange débarras ; débarras où j'en ai vu de toutes les couleurs quelques minutes plus tôt. Je revois son air détaché, sa distance par rapport au reste du groupe de mômes sur ce cliché. Imaginer Taehyung aussi jeune et en pleine détresse me brise le cœur. La violence devait être le seul moyen pour traduire son désespoir, de communiquer dans l'espoir d'être secouru, d'évacuer toutes les émotions anxiogènes qu'il conservait au fond de lui.
— Toujours les mêmes questions. Toujours ce même bla-bla interminable et fatigant au possible... « Comment te sens-tu aujourd'hui, sur une échelle de un à dix ? », « Tu peux me dire ce que tu vois sur cette image ? », « Est-ce que tu veux en parler, Taehyung ? », « Ça te fait ressentir quoi ? », « Et ton poignet ? Tu ne t'es pas fait de mal cette fois-ci ? », « Tu as sauté des repas récemment ? », « On va tenter quelque chose de nouveau à partir de maintenant » ...
Il rit brièvement avant de commenter avec détachement :
— S'il espérait obtenir des confessions de ma part, c'était mal barré. J'étais aussi muet qu'une tombe et voulais juste qu'on me laisse dans ma merde.
Je l'observe tristement.
J'aurais tellement aimé te rencontrer durant cette époque pour te sortir de là, si tu savais... J'aurais aimé pouvoir être là pour te rassurer, te guider, t'apprendre à être heureux et t'écouter quand personne ne pouvait le faire. J'aurais tellement adoré faire toutes ces petites choses, Tae... J'aurais aimé pouvoir stopper à temps ce mal se répandant en toi et qui te rend plus mauvais que tu ne l'es.
— Avec mon premier psy', je me terrais dans le silence. Je refusais d'entretenir tout dialogue avec lui, même s'il se montrait plutôt cool avec moi. Avec le second, quelque temps plus tard, j'ai tenté de faire de mon mieux. Mais il m'a plus stigmatisé qu'autre chose en me reprochant, justement, que je ne cherchais pas à faire des efforts, que je le faisais exprès. Il était très méprisant avec moi et quand j'ai pointé du doigt son incompétence à comprendre ses patients, j'ai pris la porte et n'ai jamais remis le pied dans son cabinet... Puis, il y a la troisième...
Une grimace de dégoût torsionne son visage puis il murmure :
— C'était une femme et... J'ai coupé mes consultations avec elle au bout de quelques semaines p– parce que...
Il humecte ses lèvres puis ses pupilles se remettent à bouger à toute vitesse alors que la peur s'empare de lui comme s'il revivait ce moment dans ses songes. Comme s'il était spectateur de cette scène, d'un point de vue externe, à l'instant présent. Ma main galope le long des draps pour venir lui attraper le poignet et le presser délicatement entre mes doigts.
Je suis là, Taehyung. Tout va bien. Il n'y a que toi et moi dans cette chambre. Cette femme n'est plus là, elle n'est plus qu'un lointain et mauvais souvenir.
— Elle me faisait des avances presque chaque fois et i– il y a eu cette fois où elle m'a vraiment faite p– peur puis j'ai pris mes jambes à mon cou...
Un énième bourdonnement au-dessus de nous plus tard, il balbutie d'une minuscule voix :
— Je l'ai revu en elle... Je revoyais son visage à chaque sourire qu'elle me rendait, ses mains manucurées sur moi quand elle caressait ma main sur son bureau, je– ! Je voulais juste de l'aide... Pas être perçu comme un vulgaire bout de viande et finir allongé sur son canapé de consultation...
Il renifle à deux reprises, tremblote dans de légers spasmes. Même ces professionnels de la santé mentale n'ont pas été aptes à s'occuper du cas de Taehyung. Ils l'ont même enfoncé dans son malheur et pire, ravivé de très mauvais souvenirs en lui. Ce que m'a dit Jimin à propos de son histoire avec Maria me revient en tête. Entre ce qu'il s'est passé avec sa dernière psychologue et sa rupture soudaine avec cette jeune fille, il n'y a qu'un seul point d'origine : celle qui a saccagé sa vie alors qu'il avait à peine seize ans. Je déglutis en repensant à cela ainsi qu'à son aveu, peu avant que je ne le quitte ce soir-là... Taehyung n'a pas eu de chance. Personne ne mérite ça. Je n'ose même pas imaginer la terreur qu'il doit ressentir lorsqu'une femme l'aborde de trop près. C'est une vie pour personne, ça...
— Mais ils ont pu poser chacun un diagnostic, malgré tout ? interrogé-je, confus.
Il secoue positivement de la tête avant de se gratter l'arrière du crâne.
— O– oui, ils m'ont identifié des troubles qui nécessitent des thérapies et des traitements, mais... Prendre autant de médicaments à la fois m'angoisse. J'ai peur de me tromper dans les doses, de prendre goût à ces machins et de tomber dans l'excès à nouveau ; comme ça a été le cas avec les antidépresseurs, de développer des effets secondaires... Je hais la médecine de manière générale, de toute façon. Les médecins sont censés nous guérir mais j'ai l'impression qu'ils cherchent à nous tuer en nous refourguant leurs médocs aux noms imprononçables...
— Il y a encore de bons médecins qui pratiquent, tu sais ? Certains ont encore un sens moral et ont cette envie de venir en aide à chaque patient venant à leur rencontre, dans un cadre bienveillant. Tu as des médecins qui prennent le temps nécessaire pour écouter et aiguiller au mieux toute personne malade.
Il m'écoute sans me quitter du regard cette fois-ci et se permet parfois quelques commentaires montrant qu'il va, me semble-t-il, dans mon sens, dans des hochements de tête frénétiques. Je veux lui démontrer que le monde n'est pas si malveillant que ça, que l'on peut encore compter sur des personnes ayant un sens inné de l'éthique et qui savent faire preuve d'empathie envers autrui. Notre société est peut-être bouffée par le vice mais il y a encore du bon parmi nous.
— Ils t'ont trouvé quoi ? Enfin, si ce n'est pas indiscret bien évidemment.
En posant cette question, j'ai la sensation de braver l'interdit. De briser un tabou car j'aborde le problème central de Tae directement. Un sujet extrêmement sensible, entre autres et je ne pense pas que ce soit quelque chose dont l'on parle dans une conversation de la vie de tous les jours. Je doute qu'il soit capable de m'en parler. À chaque opportunité où je pouvais en apprendre davantage sur lui, il se rétractait et esquivait mes questionnements. Comme toujours, j'avais l'intime conviction qu'il essayait de gagner du temps. Je ressens toujours ce besoin avide d'en savoir plus sur lui. Ce que je sais déjà n'est pas assez et mes recherches menées plus tôt n'ont fait qu'attiser ma curiosité à son égard. Je veux savoir quels troubles le malmènent. Quels sombres démons corrompent la pureté de son âme.
Dis-moi tout, hyung. Confesse-moi tout ce qui te ronge depuis tout ce temps. Fais que tes problèmes deviennent les miens. Raconte-moi tous tes petits secrets, des plus anecdotiques aux plus délicats. Est-ce que j'ai raison ou suis-je en train de faire fausse route ?
Taehyung réfléchit quelques secondes comme s'il posait le pour et le contre, tout en se frottant les mains l'une contre l'autre avant de me répondre doucement :
— Des tendances dépressives...
L'une de ses poignes remonte vers son bras recouvert par une bande médicale avant de refermer sa prise autour. Je guette le moindre de ses gestes.
— Et borderlines, dans le sens où je m'enferme dans des comportements auto-destructeurs pour garder un certain self-contrôle et gère très mal ce que je ressens. D'après eux, mes tendances dépressives se sont déclarées bien après celles-ci. Je peux t'assurer que les deux ensemble font de sacrés ravages. Par contre, je suis certain qu'il n'y a pas que ça... Il y a autre chose à cette addition complexe mais... Mais...
Sa phrase ne trouve pas de point final. Elle n'en trouve même jamais car je le perds une nouvelle fois, après un long bâillement qu'il essaie de cacher avec sa main. Il rêvasse, son corps tanguant d'un côté puis doucement d'un autre, ses yeux papillonnent une fois sur deux accompagné d'un léger mouvement de tête proche d'un tressaillement. Son visage devient peu à peu livide, son expression, quant à elle, morne... C'est comme si son âme l'avait quitté et qu'à présent, je faisais face à une coquille vide. Il regarde un coup à droite puis à gauche tout en passant une main dans ses cheveux désordonnés, sans me porter attention. Je n'existe plus, soudainement. Je suis devenu transparent, inexistant à ses yeux. Il a l'air perdu, presque éteint, examine chaque objet constituant sa chambre avec suspicion comme si cet endroit ne lui appartenait pas, qu'il se trouvait dans un lieu lui étant inconnu. Nous sommes bel et bien dans sa demeure et pourtant, il agit comme un étranger. Un étranger qui ne reconnaît plus son propre chez lui, égaré dans ses pensées... Étranger à lui-même. Il ressemble à une épave humaine et cette vision me brise de l'intérieur.
L'atmosphère s'alourdit. Le silence devient grave et pénible, ponctué par cette pluie qui continue de déverser son chagrin. Je ne quitte pas des yeux Tae. J'inspecte avec minutie chaque détail de son apparence avant de m'attarder encore et toujours sur cette même zone : son bras enveloppé dans son bandage médical. La vue de celui-ci couvert de scarifications me heurte toujours autant. Je sais que l'on est capable de se faire mal pour se punir, pour des milliers et des milliers de raisons. Mais se faire mal à ce point... Je m'approche de lui, réduisant la distance que nous avions établi. J'empoigne cet endroit meurtri de son corps et ce simple contact sort mon beau châtain de ses songes. Il paraît affolé et braque illico ses pupilles sur ma main tenant son avant-bras.
— Je peux ? soufflé-je d'une petite voix tout en effectuant une légère pression sur celui-ci. Dis-moi si tu ne veux pas. Si c'est le cas, je retire ma main tout de suite.
Je ne bouge pas et attends un signe de consentement de sa part. De son autre main, il vient presser la mienne et y effectue de légers mouvements de droite à gauche de son pouce puis me lance un regard. Je le sens... Vulnérable. Il y a un gouffre qui sépare ce Taehyung-ci du Taehyung qui a tenté de me faire encore du mal tout à l'heure. C'est le jour et la nuit entre ces deux-là et ces deux extrêmes logent en lui, ne forment qu'un. Je peux voir dans ses prunelles que je ne risque rien. Toute trace de danger s'est dissoute. Il retire son pull marron avant de me tendre le bras, sans protester. Son derme hâlé est toujours aussi attrayant à l'œil. Rien que de le revoir, j'ai envie de laisser mes mains voyager dessus pour le couvrir d'amour, de douces caresses, de dessins imaginaires tracés de mon index. De redécouvrir cette douceur qui me rendait dingue autrefois avant d'y appliquer quelques chatouilles, la sachant sensible. Ses bras ont conservé leur musculature d'antan, tout comme ses pectoraux et ce serait mentir de dire que cette vision me laisse indifférent. J'aperçois quelques griffures au niveau de sa clavicule droite, prolongée par cette longue bande blanche cachant ses stigmates juste en dessous.
— Je vais la défaire, Taehyung, annoncé-je tout en prenant en main son bras. À tout moment, tu me stoppes si tu sens que c'est trop pour toi. D'accord ?
Il acquiesce puis je me lance. Je dénoue son pansement, faisant attention à ce que la friction entre celui-ci et sa peau ne lui fasse pas de mal, tout en lui demandant entre deux si tout va bien. Peu à peu, ses cicatrices se révèlent à moi et je retiens mon souffle. Je peux désormais les voir de plus près, dans un contexte beaucoup moins macabre. Je tente de garder mon sang-froid face à l'état désastreux dans lequel se trouve son bras, mais la réalité est tout autre... Je suis terrorisé.
J'ai peur de découvrir jusqu'où s'étend la souffrance de Taehyung.
Je pose le bandage à côté de nous et reprends ma contemplation. Je n'ai jamais vu autant de marques sur quelqu'un. Elles sont multiples, vieilles et récentes, petites et moyennes à la fois, de teintes différentes. Elles dévorent l'intégralité de son épiderme et rien ne certifie qu'elles partiront un jour ou l'autre. Derrière chacune d'entre elles, il y a une histoire. Une raison qui a fait qu'elles éclosent sur ce terrain au départ vierge de tout mal, un facteur ayant accru le martyre ancré en lui. Je ne dis rien, la gorge serrée. J'ose aventurer la paume de ma main sur cette chair écorchée vive. Taehyung se crispe légèrement sous mon toucher et je le rassure, en lui intimant que tout est okay. L'effet est étrange sous ma main. Sa peau est rugueuse. Je sens le relief de ses scarifications du bout de mes doigts. Elles ont l'air vraiment profondes... C'est...
Taehyung... Mon amour...
Je me mords la lèvre inférieure, sentant mes yeux s'embuer peu à peu. J'ai mal. Très mal.
Pardon d'avoir sous-estimé ton malheur pendant tout ce temps, Taehyung...
J'étais aveugle quand nous étions ensemble. Maintenant que nous avons rompu, je suis clairvoyant. Ta douleur est plus réelle que je ne le pensais. Je la sens battre sous ta peau. Elle est vivante, respire difficilement là-dessous et veut obstruer cette prison faite de chair pour enfin trouver la liberté. Être entendue et validée de vive voix par quelqu'un. Tous ces instants à prétendre que ça irait avec le temps, qu'en te donnant de l'amour tu avancerais... Je suis vraiment le dernier des abrutis. Ma seule présence ne peut pas te permettre d'être soigné. Tu as besoin de bien plus, beaucoup plus...
— Ça ne te dégoûte pas ?
La prise de parole soudaine de Tae m'extirpe de mes pensées et je le vois alors fixer mes poignes entourant son bras meurtri.
— Pourquoi ? Ça devrait ?
Ses pupilles se posent alors sur moi puis il me dit d'une intonation douce :
— Selon toi, pourquoi je le couvre toujours d'un bandage ?
Oh...
Je comprends rapidement que si Taehyung s'évertue à les camoufler, c'est pour éviter le jugement des autres. Leurs lorgnades curieuses, leurs questions envahissantes et leurs remarques déplacées.
— Je suis obligé de le cacher en permanence, surtout au travail. Forcément, au vu de sa longueur, ça attire les regards et les gens peuvent se révéler être de vraies mêles-tout. Quand c'est comme ça, j'invente des excuses bidons pour qu'on me foute la paix et ça marche plutôt bien.
— Mais... Tu dois en avoir marre de devoir faire ça, non ?
— De quoi ?
— Dissimuler une partie de toi par peur de l'avis des autres.
— J'ai l'air un peu plus normal aux yeux d'autrui quand je porte mon bandage. Si je me montrais tel que je suis, on m'aurait pointé du doigt comme si j'étais un extra-terrestre et craché les pires réflexions qui soient à la figure. On aurait pensé que je suis une mode, que je suis en recherche d'attention et d'autres saloperies de cet acabit. Et je pense que tu es bien mieux placé que moi pour savoir à quel point les gens peuvent être si fermés d'esprit quand il s'agit de « différence »... Pas vrai, mon ange ?
Je n'ai pas besoin que Taehyung approfondisse son idée car je vois de suite où il veut en venir. Un mince sourire fend mes lèvres.
—Touché.
Il me retourne un sourire compatissant et je peux lire de l'empathie dans ses iris épuisés. Bien que ce soit derrière moi depuis un bon moment, il m'arrive encore de repenser au harcèlement que j'ai pu subir au collège. C'est une étape de mon parcours qui a abouti à qui je suis aujourd'hui. Ma sexualité dérangeait. Ma façon d'être emmerdait les mecs de ma classe d'époque. À croire que ma présence les empêchait de vivre alors que je restais dans mon coin avec Jimin. J'étais un gamin normal et l'on cherchait à persuader du contraire. On essayait de me convaincre que j'étais trop différent. Une erreur de la nature qui méritait de se suicider. C'est horrible à entendre et pourtant, c'est ce qui m'est arrivé chaque jour que j'allais en cours. Je n'étais qu'un pédé mal-éduqué par ses parents qui devait se pendre. Un garage à bites, une immondice, un être déviant. Ma différence, qui n'en est pas une au final, les divertissait, nourrissait ce côté malsain et malveillant qui sommeillait en eux. Parmi eux, c'était surtout Edward que cela amusait. Insultes, brimades, humiliations, rien n'était de trop pour me voir à bout et le supplier de me laisser tranquille. Ils attendaient qu'un bouc émissaire pointe le bout du nez pour se défouler et c'est sur moi qu'est retombée toute leur haine. J'avais très souvent de la peine quand j'entendais tout ce qu'ils disaient dans mon dos. Ce n'étaient pas leurs bousculades ou leurs coups qui me dévastaient le plus, non. C'étaient leurs mots. Encaisser des paroles remplies de venin font bien plus de mal que la douleur physique. Ma confiance envers moi-même en a énormément pâti, mais je suis toujours debout. J'ai l'amour de maman ainsi que de mes amis et c'est tout ce qui compte à mes yeux.
Un autre silence se faufile entre nous deux. Je jette un coup d'œil rapide à la fenêtre et constate qu'il pleut toujours autant. Je crois qu'il va pleuvoir jusque très tard dans la nuit, si ce n'est jusqu'au lever du soleil.
— Comment tu te sens ces derniers jours ? m'interroge alors Taehyung.
Je réfléchis un instant, voulant trouver des mots justes sur ce que je ressens depuis plusieurs semaines.
— Éparpillé... Déphasé... Je pense que tu vois la vibe.
Ouais... Ça caractérise bien mon humeur du moment. Je suis toujours aussi perdu par le cours des événements, par rapport à ce que je veux, à toi, à nous et j'ignore de quoi sera fait demain. L'amour que je te porte n'est pas parti. Mais mon inquiétude à ton égard s'est accrue considérablement. Je te veux toujours... Mais je ne veux plus de tournures tordues entre nous. Je ne veux plus d'incertitudes. Je ne veux plus de violence. Je ne veux plus de blessures. Je ne veux plus rien de tout cela. Tu sais, parfois j'aimerais que tu reprennes ta place dans mon quotidien, que tu te rétrécisses dans l'un de mes rêves et que l'on construise une nouvelle réalité. Que de nos mains nous dessinons l'image d'une autre vie que nous aurions pu avoir où tout serait plus idyllique, sans défaut, sans que rien ne puisse ternir cela. J'y songe à l'heure du coucher. J'adorerais que ce souhait se concrétise mais je sais très bien que mes espoirs restent imaginaires et surtout irréalisables. Parce que j'ai manqué l'opportunité d'être un meilleur homme ce soir-là et ta hurlée éperdue me le rappelle lorsque j'ose fermer les yeux le soir. Si nous nous donnons une seconde chance, nous serons les témoins de nos âmes fondant au soleil et de nos corps se désintégrant juste en dessous. Ce soleil, c'est la ligne invisible qui nous relie l'un à l'autre. C'est cette adoration étouffante, caniculaire qui nous aveugle lorsqu'on la regarde trop longtemps tant elle semble captivante. Elle nous abîme, nous consume à petit feu, mais nous en avons besoin pour subsister. C'est dangereux et paradoxalement, nous adorions ça. Nous sommes mortels l'un pour l'autre. Nos petites morts nombreuses nous conduisent lentement mais sûrement vers notre perte, si ce n'est pas déjà le cas. Notre relation n'avait pas de sens et pourtant, j'y trouvais un certain point d'ancrage. Je ne sais pas vers quelle direction aller. Mon cœur et ma raison livrent un combat sans merci et j'ignore qui en ressortira grand gagnant au milieu de ce champ de bataille qu'est mon âme.
— Et toi ? À quoi ressemblent tes journées ?
Je peine à articuler correctement. En posant cette question, je m'auto-remue le couteau dans la plaie bien comme il faut. Il s'enfonce davantage lorsque Tae répond :
— Un désir de mort constant.
Je détourne le regard pour le scruter et je sens la culpabilité revenir. Mes pupilles fixent avec insistance cette chair mutilée et je ne trouve pas le moyen de m'en détacher. Je suis la raison de toutes ces blessures récentes ornant celle-ci. Nul doute là-dessus. Je n'ai jamais voulu me rallier aux multiples mal-êtres de Taehyung et les aggraver. Être source de sa misère n'a jamais été mon souhait. Je voulais simplement bien faire... Aussi bien pour lui que pour moi.
C'est injuste.
—Gguk...
Je sens la main de hyung effleurer la mienne avant de la presser doucement.
— Ce n'est pas ta faute.
Je renifle et reste statique.
— Ce que tu vois là ne date pas d'aujourd'hui. C'est une très mauvaise manie dont je n'arrive pas à me défaire depuis moult années et même si tu serais resté, rien n'aurait changé. Le seul responsable de ces entailles, c'est moi.
— Mais e– elles doivent tellement te faire m– mal... lâché-je, la voix cassée.
— Peut-être que c'est ce que je recherche, en me les faisant.
Mes yeux s'ouvrent en grand, tant je suis abasourdi par ce qu'il vient de dire.
— Mais... Pourquoi ?
Un court silence nous enveloppe puis hyung tend sa main vers le sommet de mon crâne et y applique de douces caresses avant de caresser l'une de mes joues pour essuyer les quelques larmes qui s'étaient évadées de mes sclères entre deux. Il me sourit tendrement et dit :
— Ne ruinons pas ce moment avec ça. Je te le redis encore une fois, mes cicatrices ne sont en aucun cas de ta faute. Je t'assure. Tu n'as pas à endosser mes conneries, surtout que tu n'y es pour rien. Ne pleure plus, s'il-te-plaît.
Je sèche une partie de mes larmes tout en passant le plat de ma main sous l'un de mes yeux tandis que Taehyung me retire celles de l'autre côté de mon visage, tout en douceur. En regardant par-dessus l'une de ses épaules, j'aperçois sur son bureau un pot contenant des stylos Bic et Stabilo. Un autre coup d'œil en direction de son bras : une idée émerge dans mon esprit. Cela ne pourra que plaire à Tae et pourquoi pas, lui redonner le sourire. Sans qu'il comprenne mes mouvements soudains, je me lève du lit et va m'emparer d'un Stabilo noir dont je retire le capuchon.
— Qu'est-ce que tu fais ? me demande Tae tout en ne me quittant pas des yeux.
— Tu n'as pas d'allergies à l'encre ?
— Pas à ma connaissance, non.
— Super !
Avec empressement, je remonte sur le lit, non sans ressentir quelques tiraillements dans mes guiboles, et reprends ma place initiale face à mon beau châtain avant de prendre à une nouvelle reprise son avant-bras.
— C'est quoi ta fleur préférée ?
— Je dirais la rose. Pour quelle raison ?
Je pose la pointe du crayon contre sa peau et commence à mettre la main à la patte.
Ça fait si longtemps que je n'ai pas dessiné, bon Dieu !
— Te décomplexer et égayer tout ça. Je veux que chaque matin quand tu te lèves, tu te dises « Mais il est très beau ce bras, en fait ».
Je trace lentement de premiers traits en commençant par le cœur de la fleur avant d'ajouter tout autour des pétales. J'en esquisse une, puis deux, autant de fois qu'il le faut pour recouvrir les scarifications les plus voyantes tout en veillant à ce que le résultat soit parfait. Mes coups de crayon sont précis et nets. Je suis très concentré dans ma tâche et la symphonie de gouttelettes claquant contre la fenêtre m'aide beaucoup à cela. Je me sens bien. Je renoue avec ma passion pour l'art, tout en aidant Taehyung. Je ne peux pas rêver mieux.
— Depuis quand tu me caches un talent pareil ? questionne Tae, amusé par ce qu'il voit. C'est super joli.
— Merci ! À vrai dire, ça fait un petit moment que je n'ai pas dessiné. Depuis ma dernière année de lycée, je crois... C'était l'un de mes moyens principaux pour m'évader de la réalité, de ne penser à rien. Juste moi, mes crayons, une feuille vierge et un peu de musique en fond.
—Tu as eu des cours ou bien... ?
— Non, j'ai appris à dessiner seul. Enfin...
Je marque une courte pause et confie dans un souffle :
— Mon père m'a montré quelques bases quand il était encore dans ses bons jours, quand j'étais gosse. J'ai désiré travailler dans l'art au départ, comme lui, avant de me tourner vers les langues. Puis, tu connais la suite...
Taehyung acquiesce et je poursuis mes coups de crayon, m'assurant que la mine du feutre n'irrite pas son derme.
Aussi loin que je m'en souvienne, tout était au beau fixe au départ avec papa. Il essayait d'être présent pour moi en dépit de son planning chargé et effectuait son rôle de père et de mari modèle à la perfection. Oui, aussi dingue que cela puisse paraître, j'ai su apprécier mon géniteur quelques rares instants. Même si j'ai toujours préféré, et de loin, la compagnie de celle qui m'a mise au monde. Ça a commencé à tourner au vinaigre quand il a appris que les recettes de la galerie où il bossait étaient en plein déclin. Les temps se faisaient rudes et la galerie était en faillite, faute de visiteurs. Papa s'est retrouvé sans emploi comme la plupart des employés tandis que ma mère rayonnait dans la vente de prêt-à-porter, gagnant parfois une prime pour ses records de chiffre d'affaires à la fin du mois. Je crois que c'est ça qui l'a fait vriller complètement, du jour au lendemain. Voir maman réussir qu'importe les obstacles encourus pendant qu'aucun employeur ne le voulait, la voir entreprendre à la perfection le moindre de ses faits et gestes, porter la culotte dans leur couple ; toutes ces choses l'ont rendus jaloux, aigri et violent. Tout justifiait sa violence, son comportement détestable, ses remarques vexantes. À trois comme lors des repas de famille : il ne ratait jamais une occasion pour se donner en spectacle et nous humilier verbalement. La personne qu'il est devenu a brisé ma famille. Je doute fort que moi et ma mère puissions recoller les pots cassés et renouer le dialogue avec le reste de la lignée Jeon, tant mon père a semé la discorde par le passé. Mais j'espère de tout mon être les revoir un jour. Je me demande ce qu'ils deviennent depuis tout ce temps... Je me questionne encore des fois qu'est-ce qu'il se serait passé si je ne n'avais pas attrapé le téléphone fixe pour appeler les flics, cette nuit-là... Si ma mère serait encore là pour m'éduquer et me relever quand je suis au plus bas. Si moi-même, je serais en train de faire la conversation en ce moment même avec Taehyung.
Je deviens silencieux quelques instants sous ce flot d'interrogations, peaufine les traits de certaines fleurs en rendant leurs pétales un peu plus épaisses et en surveillant que le feutre ne bave pas. Durant cet instant de concentration, je sens l'une des mains de Tae toucher mes mèches de cheveux encore quelque peu mouillées avant de me dire :
— Tes cheveux sont devenus si longs... Un petit manbun t'irait super bien, j'en suis sûr ! Tu ressemblerais à un guerrier comme ça.
— Tourne ton bras au lieu de raconter des bêtises, ordonné-je avec une autorité peu crédible.
Je tente de couvrir mon embarras comme je le peux tandis que le sourire que me renvoie Tae s'agrandit un peu plus et son regard se fait plus attendrissant. Mon cœur rate un battement et j'évite son visage en m'attardant sur l'extérieur de son bras. Par tous les saints, cet homme me rend faible.
Maudis sois-tu, toi et ta gueule d'ange déchu.
— Quand j'étais petit, je voulais écrire des livres. Ça n'a pas vraiment changé depuis, avoua Tae.
— Jimin m'en a parlé, il y a peu. C'est ambitieux comme projet.
Le sourire de Taehyung se fane telle une fleur en plein hiver, perd doucement de son intensité.
— On peut dire ça, oui... Il y a un peu plus de deux ans, j'avais commencé à bosser sur la rédaction d'un roman policier dans un carnet sur un coup de tête. Je préfère procéder de cette façon, comme les auteurs de l'époque avant que les technologies n'aient débarqué. Ça rend la chose plus vraie et j'arrive à mieux me concentrer que si j'étais devant mon ordinateur portable. Je travaillais dessus chaque soir, quand le sommeil ne venait pas. Je l'avais bouclé au bout de plusieurs semaines. J'étais assez content de moi d'abord et puis...
Je me stoppe dans mon geste et relève la tête, attendant qu'il continue son récit. Ses lippes se retroussent en une expression maussade qui me fait peine à voir.
— J'ai brûlé le carnet. Il y avait plus de quatre-cent pages manuscrites dedans.
... Quoi ? Comment ça, t'as fait ça ?
— Hyung, ce sont des heures de travail qui sont parties en fumée ! m'exclamé-je, choqué. Tu as bossé d'arrache-pied dessus ! Pourquoi avoir fait ça ?!
— Oh crois-moi, c'était vraiment médiocre à la relecture. Le cramer a été l'un des meilleurs choix que j'ai entrepris à ce jour. Puis, faut dire...
Un ricanement amer de sa part s'ensuit puis il dit :
— Qui voudrait lire un torchon pareil ? Il y a dans ce pays des gens qui ont une dextérité des mots bien plus impressionnante que la mienne et qui méritent pleinement leurs places en maison d'édition. Ça ne sert à rien que je me lance là-dedans car quoi que je fasse, tout se fracasse la gueule à un moment ou un autre. J'imagine qu'il y a quelqu'un sur cette terre qui devait supporter ce fardeau... Et il a fallu que ce soit moi.
Le revoilà, le Tae pessimiste que je connais bien. Je le regarde un instant tout en cherchant mes mots pour tenter de le motiver à nouveau.
— Rien ne t'empêche d'essayer une nouvelle fois. Ton prochain jet sera peut-être meilleur que le précédent. Rien ne te prédit que ça se passera mal si tu entames les démarches pour envoyer ton manuscrit chez un éditeur et en plus, je sais que t'écris bi–
— Jeongguk.
Je me tais aussitôt face à son ton tranchant. Son regard se durcit peu à peu et je peux y lire une certaine douleur qui me comprime la poitrine.
— Peu importe ce que je fais, rien n'ira, maintient-il. Je fais absolument tout de travers. Tout, sans exception...
Ses pupilles divaguent sur le côté alors qu'il se pince les lèvres avec force avant de murmurer :
— Y compris t'aimer comme tu devrais l'être.
Il expire ouvertement, comme s'il était lassé par la situation et moi... Et moi... Je retiens mon souffle. Je ne respire même plus. A-t-il compris ce que j'ai dit plus tôt ? Je n'ai pas le temps d'y songer avec plus de réflexion car Taehyung semble bien parti pour déballer son sac. Il a l'air d'en avoir gros sur le cœur.
— Je pense que tu l'as bien compris, après tout ce temps. La religion a toujours eu une place primordiale dans ma vie. Dieu a toujours été présent, dans mes courts instants de joie comme dans mes moments les plus sombres. Il a été mon seul appui, mon unique confident et j'ai grandi avec l'idée que si on le prie, il exécute nos souhaits ; même ceux qui relèvent de l'impossible. Parce que Dieu est d'une profonde bonté alors il vient en aide à tous ses fidèles, qu'ils soient de fervents croyants ou des pécheurs. Si tu es prêt à payer pour toutes tes fautes commises alors oui, il viendra et te guidera pour éviter que tu ne tombes en Enfer. Je veux avancer. Je veux être lavé de toutes les erreurs que j'ai pu commettre en vingt-sept ans d'existence. Je ne veux plus vivre avec des regrets, ni avec de la culpabilité et toute cette merde qui me bouffe depuis je-ne-sais-combien de temps. Je veux être digne de sa grandeur et accéder au Paradis quand je mourrai et ce, en paix. Tout ce que je cherche, c'est être en paix avec moi-même pour de bon. Juste ça. Je le prie depuis mon enfance, vais chaque semaine à l'église, je fais exactement tout ce que mes parents m'ont appris sans même me forcer alors... Alors pourquoi n'entend-t-il pas mes appels à l'aide désespérés ? Pourquoi rien ne bouge ? Pourquoi je reste coincé à la putain de case départ, peu importe combien j'essaie d'aller de l'avant ?
Je le sens sincère et éreinté par ce qu'il endure. Il doit se sentir tellement perdu...
— Je suis en train de perdre ma foi envers Dieu, parce j'ai l'impression qu'il n'y a rien qui puisse me sauver. Je me suis tellement donné, ça me sape le moral de ne rien avoir en échange. Je suis face à une impasse terrible et je ne sais absolument pas quoi faire de plus.
Moi aussi j'étais déboussolé entre ce qu'il se passait à la maison et ce que je vivais au collège. J'avais la sensation d'être condamné, de marcher à reculons et que je ne pourrais jamais entrevoir la lumière dans cette obscurité oppressante. Mais j'ai appris par moi-même qu'il ne faut pas attendre après les autres pour pouvoir espérer obtenir des résultats en retour. Si l'on veut des résultats réels : on doit bouger soi-même. Je remets le capuchon sur la mine du feutre, mes iris braqués sur celui-ci.
— Taehyung... Peut-être que Dieu t'a laissé un message justement en n'intervenant pas.
Je relève doucement la tête et vois celui-ci pencher la sienne sur le côté, comme si un élément lui échappait.
— Que veux-tu dire par-là ?
— La solution est peut-être sous tes yeux depuis le début.
Dans un sourire conciliant, je lui dis :
— La clé pouvant te donner l'accès au bonheur, c'est toi. C'est toi le maître de ta propre vie, hyung. Si tu veux vraiment atteindre ce bonheur, tu peux y parvenir en croyant suffisamment en toi. Une décision prise, aussi minime soit-elle, peut engendrer de grands bouleversements. Si tu t'en donnes les moyens, la vie te paraîtra beaucoup moins difficile. Tu peux te reprendre en main, Taehyung. Tu te fais croire que tu ne peux pas y arriver mais... Être encore parmi les vivants après tout ce que tu as traversé est une grande preuve de force. Tu es loin d'être faible. Tu n'as juste pas encore conscience de cette persévérance, de tout ce courage qui brûle en toi.
La douceur de la pluie accompagne mes propos alors que je ressens une vive émotion se propager en moi. Elle est forte et électrisante à la fois, au point de me refourguer quelques palpitations.
Je veux que tu comprennes que toi aussi, même si tu es persuadé du contraire, tu as le droit d'être heureux. Tout peut encore changer, même lorsque tu penses que c'est la fin et qu'il n'y a plus d'échappatoires envisageables.
Toi aussi, tu as le droit de vivre.
— Elle est quelque part, ici, dis-je tout en pointant le centre de sa poitrine avec le bout du Stabilo. Elle est cachée parmi tes stigmates, tes peurs, tes doutes, mais elle est là. Elle lutte en permanence et j'ai l'intime conviction qu'elle l'emportera, un jour. Je crois en toi, Tae. Plus que quiconque. Ne laisse pas tes mauvaises expériences avec la vie tuer ton humanité. Tu en as encore et il faut que tu la préserves coûte que coûte.
— Jeongguk...
— Oui ? réponds-je doucement.
Son visage s'illumine et quant à ses yeux... Ils brillent. Ils étincellent de mille feux et je me demande même s'ils ne seraient pas larmoyants.
— Est-ce que... Est-ce que je t'ai déjà dit que tu es un gamin incroyable ? Tu me confirmes encore une fois que tu es un être fabuleux et si précieux dont j'ai osé salir la pureté. Je mérite même pas le quart de tes encouragements, après toutes les abominations que j'ai pu te dire et te faire... Et tu es là, à essayer de cicatriser mes maux et à me pousser vers le haut, comme toujours depuis que nous nous connaissons. Tu es extraordinaire, mon ange.
Il m'attrape délicatement les mains et je sens mon cœur faire cette merde bizarre dans ma poitrine.
— Ne laisse personne abîmer cette facette-là de toi. Que ce soit un homme, une femme ou moi-même... Ne laisse absolument personne détruire ce côté optimiste et bon chez toi. Compris ?
— Taehyung, je–
— Je suis plus que sérieux. Si par malheur un jour, j'en viens à perdre la raison pour de bon sous tes yeux... Tiens-moi tête jusqu'au bout. S'il faut que tu utilises ta force pour me maîtriser comme cette nuit-là : ne tergiverse pas, fais-le. Même si ça ne fait pas partie de tes principes. Je... Je ne veux plus te faire vivre ça, plus jamais. Pardonne-moi encore une fois pour mes nombreux dérapages, pour ce que je semblais prêt à commettre plus tôt. Tu n'es pas obligé d'accepter mes excuses, Jeongguk. Je voulais... Je veux juste que tu saches que je regrette mes agissements amèrement.
Je reste sans voix. Je ne sais même par où commencer, quoi lui dire ni que faire. Mes pupilles zigzaguent sur son expression mi-émue, mi-grave et quant à moi, je ne sais comment réagir. Je suis très touché par ce qu'il vient de me dire. Je peux le sentir à mes sclères qui picotent, à ma gorge nouée et à mes pulsations cardiaques frénétiques. Il est sincère, je le ressens de par ses mots choisis, son intonation empreinte de sérieux et à son regard braqué dans le mien. Mais... Il est encore trop tôt. Trop tôt pour pouvoir le pardonner, trop tôt pour lui laisser une seconde chance. J'en ai envie. Terriblement envie même tant il me manque, tant je l'aime.
C'est ce Taehyung-là que j'aime. Celui qui réfléchit et prend conscience de ses erreurs, qui s'ouvre à moi, rit, pleure, qui s'exprime posément et avec respect, qui se montre attentionné. C'est lui que je veux retrouver. Mais c'est impossible. Pour que ce fragment-là de lui rayonne, il faut qu'il soit en harmonie avec les autres qui constituent son âme. Et ce n'est pas le cas. L'âme de hyung est divisée, dispersée et chaque partie la reconstituant se querelle avec les autres.
— Entendu, assuré-je tout en hochant la tête.
C'est tout ce que je trouve à lui dire dans cet instant compliqué et lui échange un sourire désolé, preuve de mon désarroi qu'il ne relève cependant pas.
— Je... Il se fait tard, je pense que je devrais rentrer.
Alors que je songe à retrouver ma voiture après tout ce qu'il vient de se passer entre nous, je vois que Tae ne réagit pas. Il a l'air en train de réfléchir. À quoi en particulier ? Je n'en ai pas la moindre idée.
— Taehyung ?
À peine son prénom prononcé, il relève rapidement de la tête, son mouvement accompagné par un « hm ? ».
— Je vais partir, répète-je.
De manière un peu maladroite, il me dit tout à fait comprendre ma demande et qu'il n'y a aucun souci à cela. Il me redonne d'abord mon téléphone, qui m'était jusqu'à présent confisqué dans la poche arrière de son pantalon, avant de bondir hors de sa chambre pour me ramener mes vêtements qui traînent toujours dans le débarras où se trouve cette fameuse croix, après avoir revêtu son pull et remercié pour les roses fleurissant sur son bras. Je m'en souviendrai pendant un bon moment, voire pour le restant de mes jours, de ce que nous avions fait avec cette crux decussata. Un truc pareil ne peut se faire oublier aussi facilement, c'est indéniable.
Par contre, je suis moins sûr à propos d'une tout autre chose. Lorsque je quitterai l'appartement de hyung... Qu'est-ce qui se passera ensuite ? Agirons-nous comme de parfaits inconnus ? Est-ce que l'on gardera encore contact ? Est-ce que je me lamenterai à nouveau de son absence ? C'est très angoissant, de ne pas savoir.
Je prends en main mon cellulaire, histoire de me changer les idées et de vérifier quelque chose pendant que Taehyung a le dos tourné. Je vérifie d'abord mes contacts et ensuite, je vais dans mes messages. Il n'a touché à rien. Pas même à la conversation avec Baptistin, malgré la jalousie assassine qu'il ressentait envers lui. Je suis surpris. Agréablement surpris, même.
Des bruits de pas familiers me ramènent à la réalité et je vois au bas de la porte mon aîné avec mes rangers et mes vêtements aux bras. Il entre dans la pièce et me tend ceux-ci que j'attrape tandis qu'il dépose mes chaussures au sol tout près de moi. Je le remercie et m'empresse de me rhabiller alors qu'un bien étrange silence se met à envahir subitement la chambre. Taehyung semble vouloir me donner un peu d'intimité, mais je remarque les œillades en coin qu'il me lance avant de détourner le regard, comme par peur que je le surprenne. L'ambiance est si bizarre tout d'un coup. Je me sens mal à l'aise et je suis quasi certain que ça doit être le cas aussi pour Taehyung qui paraît légèrement agité.
On le sent tous les deux. Cette nuit est bien différente de celles que nous avions déjà pu partager et l'un comme l'autre, nous sommes déroutés par la tournure de cette soirée. Le hasard peut vraiment nous faire faire des choses insolites parfois.
Alors que je noue mes bottines après m'être vêtu, un autre objet entre dans mon champ de vision. Objet que je reconnais aussitôt car il s'agit de ma veste en cuir noire que j'ai oubliée cette nuit-là... Le soir où je suis parti de cet appartement en trombe, mettant un terme à notre relation.
— Tu avais laissé ceci, la dernière fois... commente Tae.
— Ah... Oui...
Le malaise est plus que manifeste. Je dois quitter ces lieux avant qu'il ne me dévore tout entier. Je prends mon blouson et le mets, après m'être relevé. Je jette un regard de biais vers la fenêtre. Il n'y a plus d'orage mais il pleut toujours aussi fort. Je peux le voir grâce à la lumière du lampadaire dans la rue. Je vais encore bien m'amuser pour rentrer chez moi au volant. Je grimace à l'idée de rouler aussi tard sous la flotte. Mais je n'ai pas vraiment le choix, si je veux retrouver mon chez moi et essayer de dormir pour être en forme demain. J'ai encore du pain sur la planche en termes de révision pour les rattrapages et il faut impérativement que j'obtienne mon année. Redoubler ne me met pas en joie du tout. Je n'ai jamais raté une seule année de cours et je n'ai pas envie que cela commence. Je veux ma réussite et rattraper mes dernières semaines de décadence grâce à l'aide précieuse de Seokjin. Je souffle discrètement à mes pensées car les prochains jours risquent d'être longs, fastidieux et incertains.
— Ça va aller ? m'interroge Taehyung.
— Ça devrait.
Je quitte la chambre et m'avance dans le couloir, suivi de près par Tae, sans que nous ne parlions. Au fur et à mesure que je me rapproche de la porte d'entrée, je ressens une sensation indescriptible. Je devrais me sentir soulagé de partir et pourtant, ce n'est pas le cas. Mes pas se font lents, peu pressés de trouver la sortie. On dirait que j'ai du plomb dans les jambes.
Est-ce que c'est mieux que ça se finisse ainsi entre nous ? Qu'en penses-tu de ton côté, Taehyung ? Qu'est-ce qui se passera une fois que je serai parti ? Qu'est-ce que l'on va devenir tous les deux ?
La distance se réduit de plus en plus entre moi et la porte d'entrée, mes pupilles vadrouillant avec crainte sur le décor intemporel composé de meubles en vieux bois massif qui m'entourent. Au bout de quelques secondes, je m'arrête au pied de celle-ci, une boule coincée dans la gorge et les lèvres pincées d'appréhension. Taehyung est non-loin derrière moi et je peux sentir ses pupilles carboniser mon dos. Je déglutis difficilement. C'est juste une simple porte en chêne qui me fait face et pourtant, elle ne fait qu'attiser mon trouble et germer d'autres questions qui se fracassent entre elles dans mon esprit. C'est un instant décisif et mon choix risque de bouleverser nos quotidiens respectifs. Je soupire profondément, me disant que je ne peux plus reculer et approche ma main de la poignée gelée...
Qu'est-ce que je suis en train de faire ?
— Ggukie...
Je me fige instantanément à l'entente de cette voix brisée, le cœur à l'arrêt. Ma main reste en suspension dans l'air tandis que je pivote la tête vers l'origine de celle-ci, en alerte. Ma poitrine flanche à la vision particulièrement douloureuse qui s'offre à moi, encore plus lorsque je finis par me noyer dans cette paire d'obsidiennes anéantie par le chagrin. Ses mains sont refermées et forment des poings, comme s'il tentait de se contenir. De retenir cet amont d'émotions qui le submerge. Je la repère dans ses yeux... La peur de l'abandon.
— Je t'en supplie, ne pars pas... m'implore-t-il, en sanglots.
Je suis tiraillé entre ce que je suis censé faire et l'envie de le serrer contre moi. Je ne peux pas le laisser dans cet état, ce n'est pas possible. L'urgence de le prendre dans mes bras et de lâcher tout l'amour que je lui porte, que j'ai essayé de refouler ce soir, tambourinent comme jamais dans mon for intérieur. Le voir ainsi, défait de son inséparable masque d'impénétrabilité pour la énième fois, me fait chaud au cœur comme il me fait souffrir.
J'aimerais tellement être capable de souffrir aussi loin que toi et porter tous tes supplices sur mes épaules, Taehyung. J'aimerais tant être fort quand tu oses exposer toute ta fragilité rien qu'à moi.
Il renifle avant de tirer sur l'une de ses manches pour la passer sous ses yeux.
— Je veux pas que tu partes... Pas après ce doux moment partagé ensemble, non...
Un autre reniflement puis son regard rencontre à nouveau le mien. Je peine à respirer convenablement, tant la tristesse qui l'habite m'atteint, se propage en moi telle la maladie. Ses yeux me hurlent de rester à ses côtés et de ne pas l'abîmer. Ils me réclament, me supplient de ne pas franchir cette porte et de le couvrir d'amour tout en le tenant par le creux de ses hanches. Il est en pleine détresse et les nouvelles larmes qui s'échouent le long de ses joues me prouvent qu'il a besoin de moi plus que tout au monde.
— Une dernière fois... Rien qu'une unique fois, Jeongguk. Je t'en conjure.
Je ne tiens plus en place à la vue de son désespoir, de sa mine dévastée par l'éplorement, la pulsion devenant de plus en plus indomptable.
J'éclate.
Je laisse ce besoin prendre le dessus, mes émotions ensevelir ma raison puis me retourne vers Tae, la cadence rapide de mes pas me rejoignant vers lui. Je l'emporte alors avec moi dans un baiser passionné, mes mains en coupe sur son visage béni par le Ciel et sentir ses lèvres, après autant de temps séparés l'un de l'autre, a un effet comparable à celui d'un quatorze juillet. C'est puissant, magique et assourdissant, ma poitrine cogne au point de me faire mal, mais je ne veux pas que cela s'arrête. J'ai l'impression de renaître au contact de ses lippes et lui aussi me transmet toute son euphorie de me retrouver en mettant bien plus de pression à notre échange buccal, ses doigts partant à la redécouverte de ma chevelure.
Dans le feu de l'action, son dos entre en collision avec le mur le plus proche. C'est si bon de pouvoir sentir à nouveau Taehyung, de caresser ses demi-lunes carminées de ma langue, de parcourir sa chute de reins de la paume de mes mains, de presser son corps tout contre le mien. Je pourrais chialer, tant cette sensation m'avait manqué. Nos langues entament un ballet déchaîné contre cette cloison, témoignant de notre manque mutuel, du désir naissant qui déchire nos entrailles, de cette joie commune de se retrouver. Taehyung ose enrouler l'une de ses jambes autour de ma taille, que j'attrape volontiers par dessous la cuisse, avant que je ne colle mon torse au sien, provoquant la rencontre de nos entrejambes et par la même occasion, un soupir de contentement qui s'écrase sur nos visages. Il capture mes lèvres à nouveau et chaque baiser échangé me redonne une bouffée d'oxygène. Mon existence, devenue si terne il y a encore peu, reprend ses couleurs grâce à cette passion que hyung me transmet dans ses embrassades. Je pourrais passer des heures à l'embrasser ainsi, tant le goût qu'ont ses croissants de chair m'électrise...
« Si criminel la façon dont j'envie le goût de tes lèvres ». La beauté de ce vers que tu m'as dédié est tout aussi adéquate pour toi que pour moi.
Je redécouvre ce que c'est d'embrasser, d'aimer très fort quelqu'un comme s'il s'agissait de la toute première fois et vivre ça avec Taehyung, putain ; c'est comme mettre le pied au beau milieu de l'Eden et d'être transcendé par la beauté du lieu. Ce sont des milliers de frissons qui parcourent l'entièreté de mon corps sous les pulsations monstres de mon organe vital et je compte bien à mon tour faire frissonner mon beau châtain de la plus belle des façons. J'explore sa nuque en y déposant des baisers, chose qui semble beaucoup lui plaire au vu des petits couinements adorables qu'il tente de retenir en vain. Entendre sa voix partir dans des octaves sensuelles m'encourage, m'excite davantage et sonne comme l'une des plus magnifiques musiques qui m'ait été permis d'écouter. À bout de souffle, nous mettons un terme à ce moment fiévreux. La respiration anarchique et la frénésie battant dans mes veines, je cale mon front contre le sien, tout en caressant dans des gestes lents sa cuisse, mes pupilles rencontrant son regard à la fois larmoyant et alourdi par le désir. Je me décale doucement de lui et lui tend la main, mon regard toujours braqué sur lui.
Ainsi, j'attends son accord. S'il veut toujours de moi, s'il me désire encore, si lui aussi en a tout autant envie que moi. Je ne veux ni le brusquer, ni mal interpréter ses actions ou ses paroles. Je veux que nous soyons sur la même longueur d'ondes, que tout se déroule à merveille entre nous, que l'osmose soit présente dans les deux camps. Je veux juste lui démontrer tout l'amour que je lui voue, que j'ai mis sur « pause » le jour pour mieux l'entretenir la nuit en le revoyant en boucle dans mes rêves.
Il respire profondément, les paupières mi-closes et vient dans un geste tendre me prendre la main avant de la porter jusqu'à ses lèvres pour y déposer un baiser délicat. Il joint ensuite nos mains entre elles, apporte la mienne tout près de son cœur et souffle à voix basse des mots qui me font chavirer, qui quadruplent les battements de mon organe vital.
— Je te veux, mon amour... De la plus douce comme de la plus brutale des façons. Je suis à toi... Tout entier. Pour toujours.
Ni une ni deux, je le ramène près de moi et l'attrape par dessous les cuisses sans problème, malgré les longues journées passées sans faire de sport. Il lâche un léger hoquet de surprise face à l'imprévisibilité de mon action et passe de suite ses bras autour de mon cou. Je ne peux rester impassible face à de tels mots, à ses propres paroles. Tout ce que j'avais prévu est désormais repoussé à plus tard car j'ai une tout autre priorité dont je dois m'occuper, qui me couvre en ce moment même de bisous dans le cou.
Nous retournons dans sa chambre et je le pose pour que ses pieds touchent le sol. Il s'attèle à retirer ma veste en cuir qui rejoint rapidement la moquette. Quant à moi, je lui ôte son haut. Nous nous déshabillons mutuellement, avec empressement. C'est plus qu'une simple envie qui nous envahit. C'est un besoin urgent de se ressentir l'un l'autre, de relâcher tout ce que nous avions contenu en nous ces derniers jours. C'est un manque à compléter, des sentiments gigantesques atténués qui doivent perdurer et qui reprennent de leur superbe. Je l'allonge sur le lit double en douceur, comme s'il était fait de verre. À aucun moment je ne détourne le regard de son doux visage. Je ne veux rater aucune des expressions qui le déformeront dans les prochaines minutes. Nous avançons jusqu'aux oreillers, le tout ponctué de baisers tendres et chauds à la fois. Je me niche au creux de sa nuque, couvrant d'attentions celle-ci et automatiquement, Taehyung réagit. Il se cambre, bascule la tête vers l'arrière pour me laisser le couvrir davantage de baisers et s'agrippe encore et un peu plus à moi. Je remonte doucement mes lèvres vers sa jugulaire puis embrasse son menton, sa joue puis son front.
Je recule un peu pour mieux l'observer.
Il est divin, ainsi. Je me sens extrêmement chanceux d'être le seul à pouvoir l'admirer dans cet état. Du rouge colore ses joues, ses cheveux sont en bataille, ses demi-lunes ont pris du volume suite à nos échanges buccaux et d'entre elles ressort un souffle tiède. Ses paupières sont closes et pianissimo, elles s'ouvrent tel le déploiement d'ailes d'un papillon. Ses yeux miroitent de perles salées n'attendant que de dévaler ses joues rougies. L'une de mes mains vient dorloter l'une d'entre elles et Taehyung s'y frotte de suite, appréciant ce contact. On dirait un chat, c'est beaucoup trop mignon.
— Tu– Tu ne vas pas me laisser, hein ? me demande-t-il à nouveau, d'une intonation suppliante. J'ai tellement peur de ce qui adviendra après, J– Jeongguk... Je ne veux plus être seul, je ne veux plus que l'on soit aussi loin l'un de l'autre, je–
— Chut, chut, chut, fais-je doucement, tout en continuant de caresser sa pommette. Je suis là. Tout va bien.
— Mais pour combien de temps encore ?
Moi-même, je n'ai pas de réponse à cette interrogation. Moi aussi je suis dans le flou, encore plus maintenant que j'ai choisi le chemin des retrouvailles.
Néanmoins, je suis confiant à propos d'une chose en voyant ta petite mine implorante et distordue par l'angoisse de me voir disparaître, à l'entente de tes sanglots douloureux...
— Jusqu'à la lumière du jour, je t'inonderai d'amour. Jusqu'à ce que le matin vienne, je suis tien. Demande-le moi et je reste. Je resterai autant que tu le veuilles, mon cœur.
Un mince sourire orne ses lèvres avant qu'il ne baisse les yeux, tout en jouant avec ses doigts.
— Tu sais... Je t'aime beaucoup. Beaucoup, beaucoup même et...
Un soupçon d'embarras s'empare de ses traits faciaux et je remarque que ses rougeurs s'intensifient à ses joues. Il relève la tête et croise durant un très court laps de temps mes pupilles. Il les évite, gêné.
— J'aimerais un jour que tu puisses porter mon nom et qu'on ait chacun ce petit truc au doigt qui nous relie et aussi notre maison – pas celle-là parce qu'il y a trop de monstres qui rodent et ‒
— Hein ?
C'est à mon tour de piquer un énorme fard. Je ne m'attendais pas du tout à un tel aveu de sa part, loin de la même et c'est la toute première fois qu'un garçon me dit qu'il rêve de se marier et de vivre avec moi.
Pincez-moi, est-ce que je suis en train de devenir fou ?!
— C'est pas ce que font deux amoureux quand ils s'aiment vraiment beaucoup ? me demande-t-il, tout en me regardant à une nouvelle reprise, la tête légèrement penchée sur le côté.
Je ne suis donc pas en train de divaguer. J'ai envie de hurler, il est beaucoup trop adorable. Il y a quelque chose de très attendrissant et de très innocent dans ce qu'il me dit là, tout comme dans la lueur de son regard et ça ne fait qu'accroître mon envie de lui clamer mes sentiments à son égard, le désir que j'éprouve de vouloir le garder à mes côtés aussi longtemps que je le peux.
Il n'y a que toi que je veux et que je vois. Tu es l'homme que j'aime. Que j'ai aimé, que j'aime et continuerai d'aimer. Je veux tellement te chérir... J'aimerais tellement qu'un avenir à deux soit possible, Taehyung. Que l'on poursuive ce que nous avions commencé et que notre chemin soit tout tracé... J'aimerais tant que l'on soit heureux, seuls ensemble.
— Putain, que je t'aime ! m'étranglé-je, secoué par les émotions qui me frappent violemment.
Celles-ci me brûlent vivant comme si j'étais au centre d'un incendie, s'échouent toutes contre moi telles des vagues puis glissent comme un ouragan. Ce qui en résulte est cataclysmique, cuisant et pourtant, je ressens un bien fou. Exprimer de vive voix à mon beau châtain que toutes mes pensées à son égard sont restées intactes pendant tout ce temps, pouvoir lui dire que je l'aime me rend plus vivant que vivant. Et lorsque l'une de ses mains vient trouver refuge contre l'une de mes joues, l'œillade désireuse, adulte et amoureuse sur ma personne... J'ai l'impression d'avoisiner une sensation bien plus prononcée. Une sensation suprême, délirante, mais si délectable qui aiguise mes sens. Je touche l'éternel, dans ce lit où reposent nos deux corps, l'un au-dessus de l'autre. Car en dépit de l'enfer qu'il m'a fait traverser, Taehyung est et reste mon havre de paix. La personne en laquelle je trouve le repos le plus quiet. Un paradis terrestre dont je veux conserver la floraison. Je veux être le gardien de son portail, le préserver de tout mal, de toute infraction pouvant lui porter atteinte.
— Je t'aime tout autant, trésor.
Il vient cueillir mes lèvres dans un doux baiser qui, de fil en aiguille, devient de plus en plus éperdu, torride et j'entame une première excursion sur son épiderme hâlé, ma main pressant sa hanche contre mon bassin. Ma langue sillonne sa peau, à la redécouverte de cette contrée qui m'a tant de fois charmée. Je n'omets aucune partie de son corps. Doucement, je descends de plus en plus bas, baiser après baiser et après avoir cajolé son petit ventre que j'adore, j'arrive entre ses cuisses. Je jette un œil et le voit se mordiller la lèvre inférieure presque à sang, toujours avec cette étincelle luxurieuse dans ses prunelles.
Oui mon ange, je sais que le creux de tes cuisses est très sensible à mes touchers et je sais d'autant plus que tu adores quand je prends soin de cette zone-là de ton anatomie... Alors fais-moi ouïr ta si jolie voix. Je veux te voir être englouti par le plaisir que je vais te procurer.
Une première série de baisers contre ses cuisses, que je dorlote avec le plus grand soin, et Taehyung se cambre, gémissant faiblement, une main se raccrochant au drap et l'autre dans mes cheveux.
— G–Gguk... soupire-t-il.
Mon ego se réchauffe en l'entendant prononcer mon prénom de manière aussi érotique. Je veux l'entendre encore et encore, je ne veux pas que cela cesse, tant les sons qu'il émet sont si plaisants à l'oreille. Je lui arrache un gémissement bien plus fort que les précédents lorsque je mordille sa chair. Les secondes passent et de minuscules ecchymoses violets décorent le haut de ses jambes. Le résultat me plaît. Après tout, ce sont mes marques qu'il porte. Les seules que je veux apposer sur sa peau ; celles d'un amour inépuisable envers lui, d'une attirance qui va au-delà de tout. Je ne compte pas m'arrêter en si bon chemin. Je remonte un peu, frôlant de mes lippes son membre gonflé encore prisonnier de son tissu de bas en haut. Un regard en direction de Tae et je le vois haletant, légèrement redressé pour avoir une meilleure vue sur ce que je suis en train de faire.
Je vais la rendre encore plus incroyable, ne t'en fais pas.
Je glisse ma langue le long de son chibre par-dessus son boxer lascivement, mes pupilles dirigées sur lui et pouf ! Le visage de Tae disparaît de mon champ de vision aussi vite qu'il est apparu, un énième son empreint de plaisir résonnant dans l'espace. Ses jambes s'agitent sous mon action impure et les choses qui sortent de sa bouche sont bien plus obscènes que ce que je suis en train de faire. Le bord de son boxer entre mes doigts, il soulève ses hanches pour que je puisse l'abaisser. J'y vais doucement, ne voulant point brusquer le moment.
Mon aîné est désormais complètement nu, sous moi. J'ai la plus belle des œuvres d'art devant moi, juste pour moi. Si j'avais tout mon matos à dessins avec moi – malheureusement stocké chez ma mère – j'aurais redessiné chacune de ses courbes sur papier afin de les magnifier, de les graver dans ma mémoire pour ne jamais les oublier. Qu'importe l'état et la position dans laquelle se trouve Taehyung, il reste magnifique en toutes circonstances. Ce soir, il paraît encore plus beau que jamais. Peut-être parce que cette nuit n'a rien à voir avec les autres que nous avions passés. Dans cette pénombre illuminée par le faible éclairage provenant du lampadaire en face de l'appartement, Taehyung resplendit. Et ses rayons m'atteignent, me donnent l'impression de briller à mon tour, après des jours entiers passés dans les ténèbres. Et putain de merde, qu'est-ce que c'est vivifiant !
J'arrive au niveau de son visage, mes bras de part et d'autre de celui-ci, après m'être faufilé entre ses jambes. J'ajuste quelques-unes de ses mèches désordonnées derrière son oreille dans des gestes tendres tandis qu'il me regarde toujours avec cette œillade éprise sur moi, un infime sourire aux lèvres.
— Je vais te préparer. Si jamais je m'y prends mal ou que quelque chose te dérange, dis-le moi tout de suite. Okay ?
J'accompagne mes paroles de caresses sur son bras où verdoient les roses que j'ai planté de la pointe du Stabilo utilisé tout à l'heure. Elles lui vont à ravir. L'image d'un Taehyung couvert de tatouages au bras perfore sans prévenir mon esprit tout chamboulé et je sens mes neurones griller. Oui, le voir tatoué ne me rebuterait absolument pas, bien au contraire. Mais ça, ça reste secret. Tae hoche doucement de la tête puis me dit, tout en passant sa main sur ma joue :
— Je te fais confiance, Gguk. Je sais que tu ne feras rien qui puisse me déplaire.
Je lui adresse un sourire puis lui décoche un baiser chaste auquel il répond de suite. J'approche deux de mes doigts près de son faciès et il comprend en un clin d'œil ce que je lui demande implicitement. Il les prend alors en bouche et les humidifie, nos regards accrochés l'un à l'autre, magnétisés par la force de nos pupilles. Subitement, le souvenir de ce moment à la cantine de Lille 3 où il m'avait lorgné au point de me pénétrer l'âme sans même me toucher, sa langue léchant sa cuillère de la manière la plus impudique qui soit, refait surface. Nous n'étions pas encore ensemble et pourtant, il me faisait déjà de l'effet et éveillait en moi des fantasmes insoupçonnés. Mon bas-ventre reçoit une décharge électrique à ce souvenir qui m'émoustille un peu plus que je ne le suis déjà et Tae libère mes doigts, désormais enduits de sa salive. Je les porte alors jusqu'à son antre et effectue de légers cercles autour dans le but de le détendre, en plus des bisous que je parsème dans sa nuque. Lorsque j'entre un premier doigt graduellement, Tae se contracte et affermit son étreinte autour de ma nuque. Je me stoppe illico, le laissant reprendre son souffle et s'habituer à l'intrusion.
— Est-ce que ça va ?
— Oui...
— Sûr ?
— C'est le temps que je me familiarise à nouveau, confie-t-il.
— À tout moment tu peux me stopper, Taehyung. Si je fais quelque chose de travers, fais-le moi savoir.
— Promis, trésor.
J'exécute de premiers aller-retour à l'aide de mon index avant que mon majeur ne le rejoigne. Rebelote, mon vis-à-vis se cramponne à moi jusqu'à ce qu'un soupir de soulagement ne s'enfuit d'entre ses demi-lunes écarlates. Je débute une série de va-et-vient indolents et prends possession de ses lèvres qui m'embrassent avec ferveur. La température grimpe, mon esprit bouillonne et l'adrénaline pulse dans mes vaisseaux sanguins. Taehyung me fait part également de son empressement dans des baisers avides de plus et suivant ses envies, j'accélère le rythme de mes manœuvres qui devient plus vif, impitoyable, sans merci. Tae n'est plus qu'extase et moi-même, je croule en le voyant sens dessus-dessous, sentant ses ongles planter mes omoplates, tant il semble en transe. Dans cette danse effrénée, je finis par toucher LE point sensible qui le fait perdre pied et c'est un véritable concerto qu'émettent ses cordes vocales à ce contact inopiné. Il se tortille, pousse inconsciemment son bassin vers mes doigts pour que je continue, chante un merveilleux mantra portant mon nom et lentement, je sens l'une de ses mains frôler mon entrejambe toujours contenue dans mon boxer.
— Je... Veux... Te sentir... Plus près...
Cette même main glisse à l'intérieur tout en douceur, taquinant mon érection et je dois me faire violence pour ne pas déborder dans sa paume. Cet homme me rend dingue. Si un jour je meurs, on pourra lire sur mon acte de décès « Cause de la mort du défunt : Kim Taehyung. ». Et quelle mort délectable ce serait-là... La plus délicieuse que la Faucheuse puisse m'accorder.
Je cesse mes mouvements et retire sans être brusque mes doigts, ainsi que sa main dans mon sous-vêtement. Je me penche alors vers la gauche, tendant mon bras vers sa table de chevet pour tirer le tiroir du haut. Une fois cela fait, dedans je vois l'objet que je recherche entreposé entre un petit livre en cuir noir, une version de poche du roman La Fille du Train et le carnet que je lui ai offert lors de son anniversaire. Il est toujours là, comme neuf et au chaud. Le voir me ramène le temps d'un clignement d'yeux à ce soir-là, à ce moment particulier au Sacré-Cœur avant ma dispute avec Jimin. Je chasse ce souvenir de ma tête car c'est à partir de là que j'ai commencé à me laisser aller dans mes études, à tourner en bourrique mon entourage... À glisser sur la mauvaise pente, en somme. J'espère ne plus retraverser une période aussi... Aussi... Ce n'était pas moi. Je ne veux plus me perdre et devenir quelqu'un d'autre. Je veux m'appartenir et ne plus laisser le moindre petit truc me changer.
Je plonge ma main dans la boîte violette et extirpe un petit paquet de même teinte. Je referme le tiroir et retrouve ma position initiale. Je m'assieds face à lui, les jambes écartées et pose le contraceptif pas trop loin de moi. J'attrape ses poignes avant que nous ne les joignons entre elles et lentement je me couche sur le dos alors qu'il se retrouve à califourchon sur moi. Nous repartons pour une longue série de baisers, ses mains tenant délicatement en coupe mon visage. Quant aux miennes, elles viennent épouser sa chute de reins puis ses fesses rebondies.
—Taehyung... prononcé-je entre deux baisers.
Je le sens onduler du bassin tout contre moi et mettre bien plus de passion dans nos embrassades. Sa bouche me rend chèvre. Cette bouche qui a déclaré tant de choses odieuses à mon égard, m'a amené tant de fois dans le monde des plaisirs charnels et m'a dit des paroles que l'on ne m'a jamais déclamé auparavant... Je veux goûter sa volupté jusqu'à ce que je n'en puisse plus. Je veux voler vers le Septième Ciel en sa compagnie jusqu'à ce que la fin des temps ne sonne de sa cloche.
Nous nous arrêtons un court instant et ce qui se passe devient intensif. Extrêmement intense, pour une raison qui m'échappe. Peut-être à la façon dont nous nous perdions dans le regard de l'autre. Peut-être parce que Taehyung commence à se frotter sur mon entrejambe, dans une lenteur pénible mais tellement agréable... À le voir ainsi, me chevaucher sans aucune pudeur, j'imagine des milliers de façons dont je pourrais lui faire l'amour dans ce lit et la ferveur m'envahit à mon tour. Nos muscles rosés se cherchent, tournoient, se caressent aux sons de nos grognements. La friction entre nos deux virilités me foudroie, crible mon bas-ventre de tas de picotis ; j'ai l'impression de planer, tant c'est renversant. Nous mimons le péché de chair dans des actions désespérées, affamées et très rapidement, ces gestes ne suffisent plus. J'ai besoin de le sentir plus proche de moi. Je veux le ressentir pleinement. Je veux être en lui et le ravager de plaisirs, le voir s'effondrer par la force de mes coups de reins au point d'en oublier son propre prénom. Un ixième gémissement quitte nos lippes respectives et nos souffles fusionnent ensemble. Nous cessons tout geste et nous nous contemplons durant quelques secondes, en silence. La pointe de nos nez se touchent et tendrement, elles se caressent, transmettent toute l'affection que nous vouons l'un envers l'autre. Taehyung attrape d'un geste habile le préservatif posé juste à côté de ma tête et l'ouvre pour moi. Une fois la protection sortie, il le glisse le long de mon membre, sans que je n'ai besoin de faire quoi que ce soit, dans un geste douillet.
Il empoigne alors mon membre, lève légèrement son bassin, le dirige vers son anneau de chair et peu à peu, j'entre en lui. Taehyung fait plusieurs pauses dans le processus de la pénétration, tout en refrénant de légers grognements. Quant à moi, je cherche à le faire décompresser, tout en caressant ses hanches et lui chuchotant des encouragements. Une fois pleinement en lui, il souffle de satisfaction alors qu'un sentiment de plénitude s'accapare de moi et je dois me contenir aussi fort que possible, le temps qu'il s'accoutume à ma présence.
— J'avais oublié que tu es imposant en bas... admet Tae.
— Comment ça, « imposant » ? dis-je, tout en arquant l'un de mes sourcils, un sourire en coin. Sois plus précis.
— Fais pas semblant de pas avoir compris, tu sais très bien de quoi je– Ah ! Hé !
Je ris après lui avoir donné un faible coup de reins à sa réaction puis il tape mon épaule. Sa remarque me fait rire et m'amuse, tout comme elle flatte mon ego.
— J'ai pas pu m'en empêcher, pardon.
Il lève les yeux au ciel, ses lippes étirées en un doux sourire, avant de reporter son regard sur moi.
— Après, rien ne t'empêche de me rafraîchir la mémoire...
Ça tombe bien, c'est ce que je comptais faire.
Il entoure mon cou de ses bras, m'examine attentivement puis l'un de ses doigts vient enrouler et dérouler l'une de mes mèches de cheveux.
— Puis-je te confier quelque chose ? me demande-t-il.
— Bien sûr. Dis-moi, hyung.
Mes paumes ne le quittent pas. Je continue de lui octroyer de douces caresses de bas en haut pour le détendre et le mettre en confiance, aux sons de cette pluie interminable qui claque contre la fenêtre.
— Ça va peut-être paraître idiot mais... J'ai l'impression de revivre ma première fois à tes côtés. Pas seulement en ce moment-même mais durant toutes ces autres fois nous avions... Où tu as...
Ses lèvres restent entrouvertes. Il y a un très court silence où mon aîné cherche ses mots pour pouvoir mieux s'expliquer puis il se reprend :
— Ce que je veux dire, c'est que tous ces moments passés avec toi me ramènent à ma toute première fois. J'ai eu bon nombre de partenaires avant ta rencontre. Certains étaient déjà en couple quand il m'ont côtoyé. D'autres ne m'ont vu que comme une sorte d'amusement avant de partir quand ils avaient fini leur affaire. Certains se sont révélés nocifs et j'ai mis un temps faramineux à m'en défaire parce que je croyais que c'était normal et que je méritais ça... Puis il y a ceux qui ont essayé et qui ont fini par déguerpir parce que je suis devenu tout ce je déteste, année après année. Et... Il n'y a qu'avec toi que je me sens aussi à l'aise, aussi bien, aussi... Ta douceur me rappelle celle de mon tout premier partenaire, quand j'étais lycéen. Elle me rappelle ces rares moments de liberté dont je disposais avant ma descente aux enfers. Peut-être même l'unique fois où quelqu'un d'autre a su m'apporter un minimum d'amour, à part mon père. Je t'en suis très reconnaissant, Jeongguk. Te remercier n'est pas assez pour te dire à quel point tout ça vaut de l'or pour moi, mais... Mille mercis pour ta délicatesse à mon égard et de me considérer comme ton égal. Ça fait du bien d'être contemplé par un regard aimant et de recevoir de l'affection véritable.
Taehyung se dénude une nouvelle fois à moi, lève le voile sur son passé qui m'est encore obscur. Il est vrai que, de par son âge, il a bien plus d'expérience sexuelle et amoureuse – si je peux nommer ça comme ça – que moi. Il a pu découvrir sous toutes les coutures ce qu'est une relation à deux, dans des situations stables comme d'autres plus extrêmes. Ce genre de mésaventures forgent notre personne, laissent des traces indélébiles et indécelables en nous. Et les partenaires avec qui Tae a pu partager un lit ont possiblement influé leurs ondes malfaisantes sur lui et il n'a pu qu'accepter ce triste sort car c'était la seule chose qu'il connaissait et dont il se contentait.
Je suis heureux, infiniment heureux de savoir que je ne fais pas partie de ces gens-là et que je lui rappelle de bons souvenirs. Je veux lui en faire vivre d''autres, aussi longtemps que le hasard puisse me le permettre. Je veux être à l'origine des petites fossettes creusant ses joues à force de rire et de sourire. Je veux être la cause de ses larmes de joie et de l'affolement de son cœur. Je veux qu'il trouve l'épanouissement qu'il recherche depuis tant de temps avec moi. Parce que je ne me vois avec aucun autre que lui, tout comme j'ai du mal à l'imaginer avec un autre homme. Je veux être le bon.
Tu es le soleil en moi, je suis la lune en toi et à nous deux, nous formons une éclipse radiant de lumière et de sombreur une fois parfaitement alignés. Nous sommes indispensables l'un pour l'autre. Laisse-moi te faire encore rêver aussi haut que possible si tu me le permets, mon cœur.
— Ai-je la permission d'enfouir d'autres beaux souvenirs dans tes songes ? demandé-je, mon regard s'attardant sur ses lèvres avant de le reporter à ses yeux.
— La question ne se pose même pas, rétorque-t-il. Fais donc.
Sa voix se tait peu à peu, ne devenant plus qu'une respiration lourde et son front vient se coller contre le mien tandis que ses paupières se ferment. Son étreinte autour de ma nuque devient plus forte et doucement, il s'élève et s'abaisse sur mon membre palpitant. J'entends son souffle devenir irrégulier au creux de mon oreille et d'une intonation rocailleuse, embrasée telle le feu de l'Enfer, il me murmure :
— Toi et moi... Nos corps, nos esprits, nos cœurs et nos âmes... Ad vitam æternam. Pour le meilleur comme pour le pire. Dans la tragédie comme dans la bonne fortune. Béni-moi de tous ces précieux souvenirs...
Un autre va-et-vient sur moi plus tard et il conclut ses mots sur une note tendre, saisissante et entrecoupée parfois de soupirs qui fait aussitôt danser mon organe vital et je peux sentir la température monter entre ces quatre murs par l'union croissante de nos peaux.
— Aime-moi. Adore-moi, mon ange ! Tu me manques, tu me manques cruellement et je pense sans cesse à toi. Je peux ne pas t'oublier... T'oublier serait te laisser mourir dans mes pensées et je refuse que cela arrive. Je refuse parce que tu es l'homme de ma vie. Je t'aime à la folie et l'amour que je te porte est l'unique démence dont je souhaite souffrir !
Je referme ma prise autour sur l'une de ses hanches après l'avoir conduit à un autre baiser débordant de sentiments, d'impétuosité, sa nuque retenue captive dans ma main. Dans chacun de mes gestes, je lui transmets tout ce qu'il m'inspire, tout ce qu'il me fait ressentir. Il impose sa cadence qui, au départ, se veut langoureuse, avant de devenir de plus en plus énergique et éperdue. Les lattes du lit grincent sous notre ébat, nous nous perdons un peu plus chaque seconde dans l'intensité de ce moment. J'éprouve un bien-être fou de le sentir si proche, autour de moi et les cris que Taehyung pousse me conforte à l'idée que lui aussi prend son pied. Je couvre mes propres gémissements dans sa nuque tout en l'embrassant, contracte les abdominaux pour tenter d'aller encore plus loin en lui et de toucher LE point qui lui fera perdre définitivement la tête. Il fait chaud, encore et toujours un peu plus dans cette chambre auparavant si glaciale, Tae ne s'arrête point de s'agiter d'avant en arrière sur mes cuisses.
Arrive le moment où les siennes commencent à le tirailler sous l'effort donné. Alors je nous fais basculer sur le côté et me retrouve à nouveau au-dessus de lui. Mon excitation se décuple et ma cage thoracique peut éclater à n'importe quel moment, tant je sens mon organe vital devenir hors de contrôle. Taehyung m'implore, me soutient dans mes manœuvres, se contorsionne sous mes touchers, lâche prise, s'accroche à moi comme jamais telle une bouée de sauvetage, prie de ne pas m'arrêter d'une voix cassée et pétulante de concupiscence ; le tout avec des perles de joie arpentant ses pommettes. Dans l'emportement, l'une de mes poignes s'accroche à l'un des barreaux du lit et sans vraiment m'en rendre compte, j'exerce une pression dingue dessus tout en poursuivant inlassablement mes coups de reins en mon amant, l'envie forcenée de le faire atteindre son paroxysme.
— Il y a quelque chose d'atrocement excitant quand tu prends le contrôle, souffle ce dernier, d'une voix éraillée.
Une quérimonie bien plus audible que les précédentes jaillit du tréfonds de son œsophage, un ancrage plus profond de ses ongles dans mon épiderme dorsal et je comprends que j'ai touché sa boule de nerfs.
Victoire.
— Alors montre-moi à quel point tu aimes ça, chéri.
Ainsi, je la martèle, la malmène sans relâche dans l'attente d'un orgasme tellement grandiose qu'il le terrassera.
Le temps de quelques secondes, nos yeux se heurtent. Je suis totalement absorbé par cette œillade accablée de désir qui semble me faire des louanges silencieuses, qui m'admire et me prodigue généreusement de l'amour, malgré la noirceur de ses iris. Ceux-ci, à eux seuls, sont un appel à l'interdit, à l'éros. Un péché succulent dont l'on est d'humeur à chérir pour une existence entière, que l'on a envie de déguster comme un bon vin, coupe après coupe, jusqu'à devenir totalement saoul.
Putain...
Que l'on me garde une place en Enfer. Taehyung est une transgression à laquelle je veux me plier chaque jour que Dieu fait et pour qui je fonderai de bon cœur là-bas !
— Jeongguk...
— Taehyung...
— Tes prunelles, toujours sur moi.
— À jamais.
— Je suis tout proche... dit-il tout bas alors que je le sens se resserrer autour de mon entrejambe.
— Moi aussi...
Je redouble d'efforts pour conclure en beauté ce moment magique dans mes va-et-vient, m'empare de ses lèvres voluptueuses dans de dernières embrassades torrides et mouillées puis, haletant de plus belle, je chuchote tout près de son oreille :
— Jouis très fort pour moi, mon amour. Viens, fais-moi entendre le son de ta voix une ultime fois. Vas-y !
À cette dernière supplique, nous atteignons notre apogée ensemble, dans les bras de l'autre et nos organes vitaux battant à tout rompre.
La nuit se prolonge, avance à son rythme tandis que nos corps-à-corps se perpétuent dans cette obscurité pluvieuse. Les draps s'embrasent sous le poids de nos ardeurs, nous nous donnons corps et âmes ; nous nous explorons et retrouvons à chaque ébat le goût du premier baiser sur la bouche, déclarons notre flamme à chaque soupir lâché, à chaque gémissement à gorge déployée, à plat ventre comme sur le dos... Ce sont des jours interminables l'un sans l'autre que nous rattrapons dans l'allégresse la plus absolue.
Puis arrive ce moment où Taehyung me surplombe, ses bras de part et d'autre de mon visage, le désir de faire voir à mon tour les étoiles se lisant sur son visage. Il est rutilant de sueur – ce qui fait ressortir un peu plus la pigmentation de sa peau hâlée – et ses mèches retombant contre son front densifient son regard sombre et excité à la fois sur ma personne. Une aura impressionnante émane de lui, dominante à souhait. Je me sens minuscule sous lui. Mon cœur cogne à mille à l'heure et une légère angoisse s'immisce en moi. Maintenant que je suis allongé sous lui, je ne peux me retenir de repenser à ce qu'il s'est passé plus tôt. À ce que j'ai failli revivre dans ce lit où nous nous abandonnons d'un commun accord. Intimement, je prie pour que ces minutes fabuleuses ne se transforment pas en carnage. Cependant, rien ne m'indique que mon beau châtain est dans un état second. Il a l'air d'être en pleine maîtrise de ses actes et mon angoisse redescend à chacune de mes expirations, à chacun de ses affleurements légers sur ma peau. Je crois qu'il a senti que je ne suis pas serein et cherche à me rassurer, à me prouver qu'il ne représente pas un danger pour moi à l'heure actuelle et qu'il ne me veut aucun mal. L'une de ses grandes mains vient tout en douceur flatter mon visage.
— Jeongguk...
Je retiens mon souffle en sentant cette main caresser ma joue.
— Mon ange...
Son pouce se met à retracer lentement le contour de mes lèvres et ce contact, aussi minime soit-il, me rend fébrile.
— Le premier qui a su me conquérir, m'adorer et me confronter...
Il poursuit son mouvement rotatif autour de mes lippes. Je le regarde, il me regarde et aucun de nous deux voulons couper court à cet échange visuel qui est étrangement érotique. J'entrouvre ma bouche de quelques centimètres.
— Mon âme-sœur... Ma moitié...
Je coince son pouce entre mes lèvres et ma langue vient cajoler celui-ci.
— Celui pour qui je serai prêt à tout... Celui dont le nom rime avec « félicité ».
Ma poitrine gonfle sous cette avalanche d'appellations. Mes entrailles ne cessent de se retourner, mes joues chauffent et je m'enfonce encore plus contre le matelas.
— Le garçon au regard jade... Le plus beau regard que je n'ai jamais vu et que je pourrais admirer des heures entières, qui me ramène d'entre les morts une fois posé sur moi...
Son pouce se retire de ma cavité buccale et cette même main continue ses caresses tendres contre ma joue. Quant à moi, je l'écoute aveuglément.
— Mien... Celui que j'ai attendu et espéré. Je n'arrive toujours pas à croire que tu es là avec moi... Que tu veuilles de moi.
Il se penche un peu plus vers mon faciès, une distance ridicule nous séparant. Il redore comme toujours cette imperturbabilité qui lui est propre mais l'étincelle logeant ses rétines le trahit. Elle est éblouissante et traduit une vive émotion qui s'accapare de lui.
— Il n'y a que toi que je veux, hyung, prononcé-je, ma main reposant tout contre la naissance de son cou. Seulement toi. Et ce sera toujours toi.
Je ne devrais peut-être pas dire ça au vu de tout ce que lui et moi avions traversé, au vu de tous ces débordements qui ont déchiré notre relation... Mais les émotions ne se contrôlent pas. L'amour est indomptable. Il est complexe. Rude, brutal, violent ; fait peut-être plus de mal que de bien et nous écorche comme l'épine d'une rose. Parfois, l'amour nous tire vers le haut. Il nous apaise, nous pousse à devenir meilleur. Peut-être qu'encore une fois, je fais le mauvais choix.
Mais sous les allées et venues passionnées de Taehyung, sous la cascade de baisers et de touchers auxquels il soumet mon corps et mon esprit, au contact de nos épidermes qui se confondent et s'épousent dans ce clair-obscur, à l'entente de sa voix qui me rend fou, à ces sensations dévastatrices qui s'infestent en moi et me donnent l'impression que la pièce tourbillonne, à ce regard énamouré sur chaque parcelle de mon corps et qui me pénètre jusqu'aux recoins inexplorés de mon âme... Je lévite sur ce matelas, me rapproche un peu plus des cieux et j'ai l'intime conviction qu'ensemble, nos mains jointes entre elles dans l'onctuosité des oreillers, on pourrait détruire le monde, que rien ni personne ne pourrait nous atteindre.
Un dernier cri à l'unisson après un je-ne-sais-combientième adultère et nos corps lâchent, le fruit de nos efforts nous tachant, la suée nous enveloppant, le calme qui revient après une longue symphonie libidineuse où il n'y avait que les cloisons pour uniques témoins. Je sens mes forces partir, mes articulations en souffrance. Je jette un faible regard en direction de la fenêtre tout en essayant de reprendre mon souffle... Le ciel est coloré d'un magnifique bleu nuit et il n'y a plus un seul nuage à l'horizon. J'inspire encore une fois et je sombre dans les ténèbres, le bas-ventre réduit à l'état de brasier, le corps quelque peu frissonnant...
Anéanti par une petite mort** sonnant comme une entrée au Paradis, dans les bras de Taehyung.
______________
Note de l'auteure :
* Faire pénitence : Se repentir, reconnaître ses fautes lors d'une confession dans la religion catholique.
** Petite mort : Expression érotique datant du XVIème siècle pour désigner un orgasme, de par l'évanouissement ou les courts frissons qu'il peut provoquer.
Comme je suis si heureuse de vous retrouver avec ce chapitre, mes amours ! 🥺❤️
J'espère que depuis tout ce temps vous vous portez toutes et tous bien et que vous profitez bien de vos vacances pour vous ressourcer (courage à celles et ceux qui travaillent !) 😁
Je tiens à m'excuser tout d'abord pour la longue attente autour de ce chapitre. Je ne pensais pas qu'il serait aussi long et finalement... Il fait plus de 20 100 mots ;-;
J'ai travaillé dessus depuis le mois de mars jusqu'à aujourdui, à savoir le 11/08/2021. Il m'a donné pas mal de fil à retordre dans son élaboration et j'ai préféré prendre tout mon temps pour sa rédaction, histoire qu'il soit le plus parfait possible aussi bien pour vous que pour moi. Mais je suis très contente du résultat, surtout que je n'ai pas pour habitude d'écrire à la première personne du singulier. Ce chapitre et le précédent ont été un véritable défi, un parcours du combattant pour moi mais j'ai fini par m'en sortir. Je voulais qu'on suive étape par étape le raisonnement de Jk, l'évolution des deux loulous le temps d'une nuit et j'ai essayé de faire en sorte que ça n'aille pas trop vite. J'ai essayé également de multiplier les images, les métaphores et autres figures de style tout du long. Je voue un véritable péché-mignon pour ça alors je m'en suis donnée à cœur joie.
Pour le court "lemon" qui conclue ce chapitre, j'ai voulu casser l'image traditionnelle du lemon où les personnages se contentent de pratiquer la chose sans dialoguer. J'ai voulu transmettre un peu de réalisme à ce moment, surtout qu'il s'agit l'un des rares instants tendres que partagent nos deux tourtereaux où ils ont pas mal communiqué... Du coup voilà 🥺
J'ai très hâte de découvrir vos avis dessus, d'avoir vos réactions ! J'espère que ce gros bébé vous aura plu et si c'est le cas, comme toujours : vous faites de miss Ciriice une petite âme comblée ! ❤️
Impressions ?
Avis sur Jk ?
Sur Tae ?
Est-ce que cette histoire vous plaît toujours ?
Quelles sont vos attentes pour la suite ?
Comment voyez-vous les prochains jours de Jk et Tae ? Seront-ils amenés à se côtoyer à nouveau ?
Vous en saurez plus dans les prochains chapitres !
À quelle sauce vais-je vous manger pour le chapitre suivant, encore ? 🙃
Ce sera un chapitre un peu à part, assez abstrait mais qui va servir d'introduction à un "nouveau" thème (ou du moins à un prolongement de celui-ci) qui sera un peu plus détaillé dans les chapitres suivants. Je vous préviens d'avance : le visuel des scènes du prochain chapitre va maybe vous faire griller quelques neurones 😇
Ce sera une courte pause, une transition à quelque chose d'assez mouvementé pour les 3-4 chapitres qui le succéderont avant de rebasculer à quelque chose de plus calme mais qui aura néanmoins son petit lot de rebondissements. C'est entièrement voulu de ma part que j'instaure un "arc" un peu plus calme, ça permet à mes personnages de souffler, à moi-même de souffler également, de même pour vous, puis mes persos (même s'ils sont fictifs) restent des êtres humains avant tout. Je ne peux pas les faire souffrir indéfiniment, ils ont besoin de leur moment de tranquillité et cette tranquillité me permettra de toucher à d'autres thèmes, d'approfondir ceux déjà abordés et de poursuivre la représentation, l'exploration de la psychologie humaine. Je réfléchie pas mal à comment incorporer cet arc en ce moment, histoire de ne pas faire de boulettes et qu'il y ait des incohérences dans l'intrigue 😭
On se retrouve très vite pour la suite de cette intrigue fol-dingue, merci encore mille fois pour votre attente, votre soutien, votre intérêt autour de So Close et de So Far Away ! Vous m'êtes très précieux et je suis très contente de vous avoir à mes côtés. Vous êtes les bests, les amis ! Je vous couvre d'amour, je vous love fort ! Prenez bien soin de vous surtout, gros bisous ! 💜
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