chapitre 14
14 : la vérité, c'est parfois une sacrée emmerdeuse
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- Ton père ? Attends ... j'ai dû louper un épisode, dit Julian en fronçant les sourcils
- Crois-moi, je suis au même niveau que toi, admet Madeline avec un rire plein d'ironie. Je crois même que c'est une ou deux saisons qui me manquent au compteur
Une porte claque non loin d'eux, les faisant sursauter. Cette manifestation de la présence de quelqu'un leur rappelle qu'eux ne devraient pas se trouver ici, dans un couloir dont l'accès reste limité, surtout aux alentours d'une heure du matin.
- Viens, on ferait mieux d'y aller. Je n'aimerais pas qu'on se fasse coincer en plein délit d'escapade nocturne, surtout par ma mère, lui glisse le lunaire
Il lui fait signe de le suivre, les deux amis remontent le couloir quasi-interdit dans la discrétion la plus totale. Avec une lenteur calculée afin que les cliquetements métalliques de la serrure soient les plus silencieux possibles, Julian referme la fameuse porte de plusieurs tours de clef.
Après un tel largage de bombe, Madeline ne peut évidemment pas laisser Julian sur la touche comme ça. Impossible de s'installer tranquillement dans le salon commun pour papoter sans pression, un professeur ou un membre de la direction pourrait débarquer à tout moment et les envoyer se coucher illico. Alors la blonde prend l'option qui lui paraît la plus adaptée, elle mène le lunaire jusqu'à sa chambre. Au diable les consignes d'un autre temps et cette histoire moyenâgeuse de dortoirs séparés !
- Tu te rends compte du risque que je prends pour toi ? On pourrait me mettre au pilori pour ça, plaisante-t-elle
- Quelle délinquante tu fais, rit-il. Ta mère ne va pas me couper la tête parce que je vais découvrir ton pyjama secret et ton tiroir à chaussettes, si ?
Un éclat de rire s'échappe des lèvres de l'immaculée, elle secoue la tête en coulant un regard vers son ami. Ce dernier ne la quitte pas des yeux, appréciant la voir et l'entendre rire même lorsqu'ils s'apprêtent à avoir une discussion bien moins amusante.
- Pas du tout, ça serait franchement la poêle qui se fout du chaudron sinon ! Quand elle était ado, c'était bien la première à désobéir aux ordres de ses parents pour inviter son petit copain du moment dans sa chambre
- Harvey, dévergondée de mère en fille, plaisante Julian
Tous deux rient alors qu'ils arrivent au bout du couloir réservé aux dortoirs des filles, là où se trouve la porte n°8. Deux secondes plus tard, ils entrent ensemble dans le petit cocon privé de Madeline. Elle allume la lumière et révèle aux yeux de son ami les aménagements qu'elle a effectué et les touches personnelles qu'elle a apporté petit à petit, depuis son arrivée.
Il y a deux semaines, les élèves ont eu l'autorisation de quitter le domaine Dawson dans le but de se rendre dans la ville la plus proche. Là, ils ont pu faire les boutiques, s'échapper quelques heures de leur cadre habituel et se faire plaisir autant sur les occupations que sur les achats. Si certains ont passé un temps certain dans des boutiques de vêtements - coucou Zadig -, d'autres ont pu acheter de quoi égayer leur dortoir. Accompagnée de Phoebe et d'Arnie, Madeline a mis la main sur de belles petites choses pour que cet espace devienne vraiment le sien.
En plus des petits bibelots qu'elle a ramené de chez elle - une boule à neige rapportée après deux semaines de vacances à Glasgow, le petit piano miniature fait de bric et de broc que Jefferson lui avait fabriqué pour leur sept ans, ou bien encore une figurine en forme de fraise -, elle a pu mettre toutes ses affaires personnelles. Les vêtements sont venus faire déborder le placard, les livres font ployer les étagères de la bibliothèque. À ça, elle a ajouté un petit fauteuil rose poudré bien confortable qu'elle a placé près de son lit, un tapis blanc à poils longs pour réchauffer le sol et de la petite décoration - bougeoirs, pots de fleurs séchées, coussins ornés de motifs colorés. Pour égayer les murs, elle a placé une guirlande lumineuse à boules dans un camaïeu de rose et de violet, des affiches de films ou d'artistes qu'elle apprécie, un tableau où un motif de fraises se répète et des photos d'endroits qu'elle aimerait visiter.
- C'est très chouette ce que tu as fait de ta chambre, la complimente Julian avec un sourire. On a l'impression d'être à l'intérieur de ta personnalité
- Merci, c'était le but recherché, sourit-elle. Il me fallait un endroit qui me semblait familier où je puisse me sentir ... chez moi, j'imagine
Le lunaire prend place dans le fauteuil rose à côté de son lit, il s'accoude à ses genoux en plantant ses yeux dans les siens. Le bleu rencontre le vert intense, les liant un instant.
- Bon ... c'est le moment où tu me parles de ton cher papa, Deli', déclare Julian, retrouvant subitement tout son sérieux
- Je crois bien oui ..., soupire-t-elle
La jeune femme se laisse tomber sur le bord de son lit, la couette moelleuse entourée d'une parure prune s'affaissant sous son fessier.
- Qu'on soit d'accord, c'est bien de William dont il s'agit, pas de Peter ?
- Je ne sais pas si j'admire le fait que tu te souviennes des prénoms de mes pères ou si je trouve ça plutôt flippant, raille-t-elle en plissant les yeux
- Tu peux m'admirer pour ça, c'est toujours flatteur, plaisante-t-il
Avec cette réponse faussement pleine d'assurance et ce sourire en coin désinvolte, une once de Zadig se reflète dans les traits de Julian. Comme un air de famille, tiens donc. Amusée par ce constat, l'immaculée se dit que les deux frères ont plus en commun qu'ils ne le croient.
- Et puis, c'est difficile d'oublier une histoire comme la tienne, ajoute-t-il, avec sincérité
- Même quand on vient d'une famille comme la tienne ? réplique Madeline en haussant un sourcil
- Même pour moi oui, acquiesce le lunaire. Tu sais ce qu'on dit : toutes les familles ont des histoires. La mienne a juste fait couler beaucoup d'encre quand j'arrivais à un âge où les ragots se propagent dans les cours de récré plus rapidement que la grippe
- Pourtant, toi aussi tu as eu un vécu particulier avec la figure paternelle ...
- C'est vrai. Mais moi, je sais ce qu'il s'est passé ... toi non. Enfin, aux dernières nouvelles
Ses pensées commencent à tournoyer dans son esprit, Madeline glisse machinalement ses doigts dans son carré blond - plus si carré que ça depuis que ses cheveux ont bien poussé - en se mordillant l'intérieur de la joue.
- La place de mon père a toujours été une part d'ombre pour moi, avoue-t-elle. Il a disparu avant que je n'aie pu forger le moindre souvenir de lui et même si je sais que c'est impossible, ça m'est arrivé de douter qu'il ait réellement existé. Je n'avais rien pour me rattacher à sa vie, à la personne qu'il était ou qu'il est toujours. D'une certaine manière, c'est comme si je n'avais jamais été sa fille ... jusqu'à ce que Kai me livre la convocation. Là, je tenais enfin quelque chose ... un truc qui nous réunissait en fin de compte. C'était comme une part de lui qu'il m'avait transmis, une preuve concrète de son existence. À ce moment là, j'ignorais encore à quel point ...
La bienveillance régnant dans le doux bleu des yeux de Julian apaise Madeline, ouvrir la porte sur ses pensées enfouies et ses émotions les plus profondes se révèle soudain très facile, presque naturel.
- Juste avant notre départ pour l'Académie, j'ai retrouvé des affaires qui lui appartenaient. Et il y a de quoi être surpris
- Qu'est-ce que tu as trouvé ? lui demande le lunaire
- Mon père a été directeur de l'Académie Dawson
La déclaration brutale de la blonde prend complètement au dépourvu son ami. Sa surprise est telle que l'un de ses coudes glisse de son genou, faisant pencher son corps en avant. Il cligne plusieurs fois des yeux, les sourcils arqués.
- Et il a commencé à diriger cette école en 1996, complète-t-elle
Cet ajout termine de stupéfier Julian, qui a un léger mouvement de recul. Il pose ses mains sur ses genoux en inspirant profondément, son regard plongé dans le brouillard de ses réflexions.
- Si je m'attendais à ça ..., souffle-t-il
- Tu n'es pas le seul que cette découverte a mis sur le cul, je te l'assure, admet l'immaculée dans un rire sarcastique
Prenant plusieurs secondes pour procéder à la digestion de cette information, il finit par redresser son regard sur la jeune femme, un peu abasourdi.
- Ma mère ne m'a jamais parlé de ça ...
- C'est sûrement parce qu'elle n'est pas au courant. Mon père n'a été directeur que pendant un an et c'est comme si cette année n'avait jamais existé. Aucun portrait de mon père ne fait partie de la galerie des directeurs du troisième étage, une bonne partie des registres que j'ai fouillé ne fait même pas mention que les cours se sont déroulés à cette époque. J'ignore pour quelle raison mais, quoi qu'il se soit passé, on s'est donné beaucoup de mal pour effacer toutes traces de cette année
Julian se lève d'un bond et se met à faire les cent pas près du lit de la blonde, en passant et en repassant ses doigts dans ses cheveux au-dessus de son oreille droite. Une habitude répétitive qui fait partie de lui depuis bien des années.
- Quel truc de dingue ... et si en plus, on ajoute à ça cette histoire de réforme de 96 ... merde, mon cerveau ne va pas tarder à surchauffer
- Tu crois que mon père aurait pu vouloir faire passer une réforme ? Changer des lois ou je ne sais quoi ? s'interroge Madeline, aussi perplexe que perdue
- La réforme de 96 fait partie des nombreux mystères que je n'ai pas réussi à percer. Merci maman qui prend soin de cacher sous le tapis les choses qu'elle ne veut pas partager ..., ironise-t-il
- J'ai bien compris que le secret a l'air d'être une sacrée manie chez ta mère mais si ça concerne mon père ..., commence la blonde avec une pointe de hargne
Nul besoin de finir cette phrase, Julian a saisi : si ça concerne son père, Grace lui doit cette explication. Malheureusement, tous les deux savent que les choses sont rarement aussi simples que ça. Le lunaire cesse de creuser un sillon dans le parquet pour s'asseoir sur le lit, aux côtés de son amie.
- Il y a des trucs que j'ai quand même compris, même si ma mère a toujours voulu éviter de parler du passé de l'Académie Dawson. Sur la fin, l'école a connu pas mal de périodes plus sombres et mouvementées. Les conflits, les désaccords et les mésententes se sont succédés et ça a créé un beau bordel au sein de l'Académie. Les personnes qui s'occupaient de la direction ont essayé de trouver des solutions, avec la réforme de 96 notamment mais ça n'a pas été concluant du tout. Cette réforme n'a jamais été approuvée et dix ans plus tard, l'Académie Dawson fermait ses portes. Elle est restée inoccupée depuis, jusqu'à cette année
- Des conflits ? Quels genres de conflits ? demande Madeline
- Ça, c'est la question à un million de livre sterling
Submergée par tous les points d'interrogations qui clignotent de toutes parts, l'immaculée ferme les yeux un instant en expirant longuement. Plus que jamais, ses doigts font tourner instinctivement l'anneau à son pouce.
- Il faut que je sache, affirme-t-elle, la voix vibrante de détermination. Si ça touche de près ou de loin mon père, je dois savoir. J'en ai besoin ...
- Je comprends, murmure-t-il
Une bouffée de légèreté soulève le cœur de la blonde, être comprise, surtout lorsqu'il s'agit de son père, lui fait le plus grand bien.
- De quand date la disparition de ton père ? lui demande-t-il
- Il n'a plus donné signe de vie depuis le jour où Jeff et moi, on a eu un an
Au moment où elle prononce cette phrase, une pensée la percute de plein fouet avec tant de force qu'elle sent sa chambre tourner autour d'elle.
- Tu crois que l'Académie a un rapport avec sa disparition ?
Julian vient de formuler tout haut la révélation affreuse qui a assailli brutalement son cerveau. L'estomac de Madeline se compresse, son corps réagit aussitôt à l'effet que provoque en elle cette idée. Jusqu'ici, elle avait toujours pensé que l'Académie pouvait être la réponse à la disparition de son père mais ... et si c'en était plutôt la cause ?
- Je n'en sais rien, mais je compte bien le découvrir, affirme-t-elle avec détermination. Ta mère, tu crois qu'elle a connu mon père au moment où il était directeur ?
- Ça m'étonnerait, elle ne s'intéressait pas à l'Académie Dawson à cette époque là, nie-t-il. Zadig n'était pas vieux du tout et il fallait en plus qu'elle s'occupe de Blair et de moi, au moment où nos pouvoirs grandissaient à vue d'œil. Ça ne lui laissait pas beaucoup de temps libre
Le mince espoir qui avait gonflé son cœur s'essouffle aussi sec, les épaules de Madeline s'affaisse sans le vouloir.
- Hey ça ne fait rien, je t'aiderai moi, lui assure-t-il
- C'est vrai ? s'étonne-t-elle
- Évidemment. Je ne vais pas te laisser jouer les enquêtrices toute seule, partenaire, acquiesce-t-il avec un sourire
La main du lunaire trouve délicatement celle de la blonde. Le bleu rencontre à nouveau le vert, un échange de regard porteur d'une promesse essentielle. L'immaculée lui rend un sourire, touchée par la dévotion de son ami.
- Merci Julian. Tout ça n'était pas facile à porter seule, c'est rassurant de pouvoir compter sur quelqu'un
- Tu n'en parles pas avec ton frère ?
Tout à coup bien embêtée par cette question, la jeune femme se mordille la lèvre inférieure en détournant la tête. Son silence vient répondre à la question de Julian, qui comprend aussitôt ce qu'elle tait :
- Jefferson n'est pas au courant ?! réalise-t-il, ouvertement choqué
- Je connais mon frère aussi bien que je me connais moi-même, je sais très bien comment il réagit dès qu'on aborde le sujet du paternel ! se défend-elle. Je voulais éviter de créer une catastrophe
- Parfois, il vaut mieux faire face à une dispute en affrontant la vérité que taire les choses et risquer bien pire
Cette phrase effectue son petit chemin dans la tête de Madeline. Néanmoins, elle plisse les yeux en penchant la tête et dévisage étrangement son acolyte.
- Depuis quand Julian Lington est-il si sage ? le taquine-t-elle
- Depuis qu'il en connaît un rayon sur les relations conflictuelles entre frères, répond-il dans un rire amer. Crois-moi, je sais ce que c'est de préférer éviter le conflit. Mais un jour ou l'autre, ça finit toujours par ressortir
- Depuis qu'il est tout petit, Jeff est fermé à propos de notre père, confesse la jeune femme. Je ne me fais pas d'illusion sur sa réaction donc oui j'avoue, j'ai choisi la facilité en gardant le peu que je sais pour moi
- Mais il a le droit de savoir, c'est son père aussi après tout
Et encore une fois, Julian trouve les mots parfaits pour toucher la corde sensible de Madeline. Cette dernière fait la moue en se laissant tomber en arrière sur son lit.
- Tu es fier de toi ? Je culpabilise maintenant ! râle-t-elle
- Ça dépend : tu comptes parler de ce merdier à ton frère ?
- Oui ! soupire-t-elle
- Alors oui, je suis fier de moi, sourit-il
Bien qu'elle tienne à prétendre être agacée par l'honnêteté contagieuse de Julian, son sourire a raison d'elle. À son tour, elle sent son visage se fendre d'un sourire.
Mais quoi de mieux pour briser ce moment qu'une manifestation évidente de la fatigue accumulée par cette drôle de journée ? Madeline se met à bailler en plaquant sa main sur sa bouche, sous les rires amusés du lunaire.
- Il est tard, tu risques d'avoir du mal à sortir du lit demain matin
- Je dirais que c'est de ta faute, la directrice ne pourra pas m'engueuler, plaisante-t-elle
- Non mais elle va plutôt nous écarteler sur place publique, je ne sais pas si c'est mieux !
Tout en disant ça, Julian se lève du lit de la jeune femme et commence doucement son chemin vers la porte. Madeline se met sur ses pieds pour le raccompagner.
- Tant pis, tu ne verras pas mon pyjama finalement, raille-t-elle
- Je ne sais pas si je vais pouvoir me remettre de cette déception, s'amuse-t-il
D'une main, il actionne la poignée de la porte et l'entrouvre, avant de se tourner vers la blonde.
- Essaye de te reposer ...
- Si je pouvais mettre mon cerveau sur pause, ça serait plus simple mais promis, je vais faire de mon mieux
Un fin sourire, quelque chose d'un peu triste et de compatissant, soulève les traits de Julian.
- Bonne nuit Deli', lui souhaite-t-il dans un murmure
- Bonne nuit Julian
Ce dernier s'engouffre à travers l'obscurité du couloir, laissant Madeline seule dans sa chambre. Les bribes de la conversation surprise entre Grace et Finn flottent encore dans son esprit et à ça s'ajoute maintenant la discussion qu'elle vient de partager avec Julian. Épuisée, autant physiquement que mentalement, la blonde fixe son lit avec envie.
- Tu ne m'as jamais paru aussi accueillant toi
Elle passe rapidement dans la salle de bain faire un brin de toilette avant de pouvoir se glisser sous la couette. Cette journée a été éreintante, mais bien trop de choses se tournent et se retournent dans son esprit pour la laisser en paix aussi facilement. S'efforçant de faire le vide et de relayer tout ça dans un coin de sa tête, l'immaculée resserre les pans de sa couette autour d'elle, comme pour créer un cocon pouvant la protéger de tous les dangers et les mystères qui sont entrés dans sa vie par la même porte que le monde des lunaires. Au bout d'un long moment, la fatigue accumulée par cette journée finit par avoir raison d'elle, si bien qu'elle sent ses paupières s'alourdir enfin. Avant de plonger dans un profond sommeil, une pensée unique se matérialise et flotte dans l'esprit de la jeune femme et vient donner raison à Julian : demain, il faut qu'elle parle sérieusement à Jefferson.
☽⁂☾
- Le café de ce matin m'a déjà étonné, mais celui de ce midi va me terminer ... qui êtes-vous et qu'avez-vous fait de cette chouette fille qu'est Madeline Harvey ? interroge Andrea
La blonde étouffe un rire dans sa tasse, elle déglutit sa gorgée avant de faire face aux regards curieux de sa bande d'amis.
- On a plus l'habitude de te voir avec un thé ou ton précieux lait à la fraise qu'avec un café, qu'est-ce qu'il t'arrive ? demande Phoebe en plissant des yeux suspicieux
- Je n'ai pas le droit de changer mes habitudes ? se défend-elle
- Non, lâchent Arnie et la métisse
Surprise que ce petit accroc dans sa routine alimentaire ait éveillé la suspicion de ses amis, Madeline repose sa tasse et cherche le soutien de Zadig, en train de terminer sa mousse au chocolat.
- Ne me regarde pas comme ça, je ne prendrais pas ta défense pour ça
- Mais ! proteste l'immaculée
- Votre attitude est plus que louche, mademoiselle Harvey ... j'ai des doutes sur le contenu de votre tasse, déclare-t-il en prenant un air d'investigateur et en la pointant de sa petite cuillère
- Du café, juste du café et rien de plus. Tout le monde ne cache pas une dose de boisson illicite dans sa tasse, raille-t-elle
De manière très mâture, elle lui tire la langue et déclenche une guerre de réactions enfantines.
- Ne les écoute pas, tu as bien le droit d'essayer de nouvelles choses si tu en as envie, lui assure Kleo
- Merci bien Kleo !
- Même si on se demande tous d'où vient cet intérêt soudain pour la caféine, reprend Phoebe
- Et pourquoi ce besoin se réveille maintenant, poursuit l'irlandais
Pourquoi ? Peut-être parce que j'ai eu un début de nuit agitée : j'ai filé Finn Colao, espionné une discussion entre lui et la directrice et discuté de l'implication potentielle de l'Académie Dawson dans la disparition de mon père, pense-t-elle.
- J'ai juste passé un peu trop de temps plongée dans un bouquin, je n'ai pas vu l'heure tourner, ment-elle
C'est une explication comme une autre, elle ne sait pas si elle paraît suffisamment crédible mais ses amis devront s'en contenter. La blonde finit de boire sa tasse, rassemble ses affaires sur son plateau et se lève de sa chaise.
- Vous pouvez continuer de mener l'enquête dans mon dos si ça vous amuse, rit-elle
- Par derrière ? Ce n'est pas beau de ne pas être honnête, on préfère le faire devant toi, ricane Zadig
- Dommage pour vous, il faut que je trouve mon frère avant la reprise et l'entraînement de la mort du professeure Dofrost
- À toute alors ! s'exclame Andrea
Elle débarrasse son plateau et quitte le réfectoire. Au moment où elle referme la porte dans son dos, elle prend une profonde inspiration pour se donner du courage. C'est décidé : le moment est venu d'avoir une petite discussion entre frère et sœur.
Enfilant son manteau et une grosse écharpe en laine, la blonde traverse les couloirs afin d'atteindre un accès vers l'extérieur. Si son jumeau n'était pas à la cafétéria avec eux ce midi, c'est qu'il a certainement décidé de passer du temps dehors ou sur le terrain multi-sport. Ni une ni deux, la voilà dans les jardins du château, recouverts par une épaisse couche de neige. Les flocons sont tombés en abondance ces derniers jours, enveloppant tout le domaine dans un manteau blanc enchanteur.
Les yeux verts de Madeline s'attardent sur ce paysage somptueux quelques temps avant de tomber sur la silhouette de son frère. Occupé à faire des jongles avec un ballon de football, Jefferson est en compagnie de Jesse Cassidy, assis sur un banc en pierre grise. La blonde s'étonne toujours de voir ces deux hommes se côtoyer, bien que ça devienne de plus en plus fréquent depuis quelques semaines. Jefferson n'a jamais eu de mal à se faire des amis, sa nature extravertie et sa gentillesse y sont pour beaucoup. Ce qui est plus surprenant, c'est de le voir se lier d'amitié avec Jesse, le garçon ayant toujours tenu à être solitaire.
La neige crisse sous ses bottes - oui, les Vans ne sont pas tellement adaptées à cette météo - tandis qu'elle arrive à hauteur des deux jeunes hommes.
- Tiens Made ! sourit son jumeau en interrompant sa série de jongles
- Pardon de venir vous embêter, s'excuse-t-elle. Je voulais te parler d'une chose ...
- Oui, quoi ?
Le regard de l'immaculée glisse brièvement sur Jesse, comme pour intimer à son frère qu'elle espérait lui parler en privé. Ce qu'elle a à lui dire est bien assez dur à expliquer comme ça, le faire devant quelqu'un d'autre devient impossible. Si Jefferson ne semble pas saisir le message sublimal de sa sœur, ce n'est pas le cas de Jesse.
- Je dérange, c'est ça ?
- C'est juste une discussion de famille, rien de plus, s'explique-t-elle en espérant ne pas le froisser
- Ah la famille ... pour ce que ça m'a réussi ...
Jesse se lève en sortant une cigarette de sa poche, il l'allume avec son briquet d'un geste mécanique.
- Je vous laisse avec ça, je n'y connais rien de toute façon
Sans rien ajouter de plus que ces tristes mots, Jesse part en direction du château, laissant flotter une légère fumée derrière lui. Bientôt, sa tête teinte en blond disparaît entre les flocons de neige. Madeline reporte son attention sur son frère, qui a repris ses jongles. Un remous étrange traverse son ventre, elle tente de calmer son appréhension avec une profonde respiration en s'asseyant à la place qu'occupait Jesse.
- J'ai eu des nouvelles d'Andrew et Oliver au fait, lui annonce-t-il
- Ah oui ? Comment vont-ils ?
Si parler des coéquipiers footballeurs de Jeff peut lui faire gagner quelques secondes, Madeline est preneuse. Elle ne fait que reculer l'inévitable mais c'est déjà mieux que se jeter de suite dans la gueule du loup.
- Ils vont bien, Brestham est toujours premier du championnat donc c'est cool, répond son jumeau avec un sourire à la fois sincèrement heureux et imperceptiblement triste. Ils m'ont même demandé comment tu allais !
- C'est vrai ? rit la blonde
- Oui ... enfin, Oliver a été particulièrement insistant mais ça ne devrait pas m'étonner, se marre son frère
Le petit béguin d'Oliver pour la blonde ne passe pas inaperçu, surtout pas aux yeux des jumeaux. Repenser à lui, à Andrew, les ramènent à tout ce qu'ils ont laissé à Cherryton en partant pour l'Académie. Un sentiment étrange enfle dans la poitrine de Madeline, elle décide de prendre son courage à deux mains maintenant par peur de se dégonfler sinon.
- Jeff, je voulais qu'on parle
- Bien sûr, vas-y dis-moi tout
- C'est à propos de papa ... de William
Cette phrase, elle s'y attendait, a le même effet sur Jefferson qu'une chute brutale des températures qui les gelerait sur place. Son ballon retombe sur le sol et roule tristement jusqu'aux pieds de la blonde. Son expression se froisse l'espace d'une seconde, telle une feuille de papier mise en boule et gardant les traces de cette chiffonnade. Le footballeur fait son possible pour ne pas montrer sa saute d'humeur, mais la raideur de son cou, la crispation de sa mâchoire et la tension dans ses épaules le trahissent aisément.
Un souffle de vent intensifie le silence, pénétrant sournoisement dans ce moment.
- Pourquoi ?
Le ton employé par son jumeau espère rester neutre, dénué d'émotions. Mais une pointe acérée vient alourdir ce simple mot, suffisant pour exprimer bien plus qu'une petite question anodine.
- Il y a ... des choses que tu devrais savoir sur lui, commence la blonde en se frictionnant les mains
- Ah vraiment ? lance Jefferson avec un désintérêt minutieusement calculé
- S'il te plaît, ne rends pas les choses encore plus compliquées qu'elles ne le sont déjà, soupire-t-elle
- Ce n'est pas compliqué, c'est même tout le contraire, réplique Jefferson. Cet homme nous a abandonné, je ne vois pas pourquoi-
- Il a été directeur de l'Académie, l'interrompt-elle avec fermeté
Le nuage de buée s'échappant de sa bouche a le temps de flotter pendant que Jefferson encaisse le choc de cette déclaration. Un bref mouvement de recul le fait chanceler, des plis se forment entre ses sourcils.
- Quoi ? Cette Académie ? L'Académie Dawson tu veux dire ?! s'emporte-t-il
- Oui l'Académie Dawson, acquiesce sa sœur. Il a dirigé cette école pendant un an, de 1996 à 1997
- Bordel de bordel ...
Entendre jurer Jefferson n'est pas fréquent, tout comme le voir perdre son sourire innocent et sa joie de vivre. Ce n'est pas la première fois que Madeline observe que le sujet de leur père fait changer radicalement son frère, c'est même ce qui le transforme le plus.
Il tourne la tête dans tous les sens, fuyant le regard de sa sœur et tentant de mettre de l'ordre dans ses idées.
- Comment ... comment ça se fait que personne ne nous en ait parlé ?
- Apparemment, il a dû se passer quelque chose cette année. Un truc suffisamment grave pour que le passage de papa ait été effacée de l'Académie
- Alors comment tu peux le savoir ? Qui me dit que tu ne me racontes pas des bobards ?
Le voici, le moment le plus compliqué à passer. L'immaculée inspire une grande goulée d'air, bien que l'air froid s'insinue douloureusement jusqu'à ses poumons.
- Maman et moi, on a fouillé dans des vieilles photos de papa et on en a trouvé une de toute l'équipe de direction de l'Académie à cette époque là. Papa était au milieu de la photo, il avait noté tous les noms des personnes présentes au dos et c'est comme ça que j'ai découvert qu'il était directeur pendant cette année
- Depuis combien de temps ? demande-t-il sur un ton de reproche
- Jeff-
- Depuis combien de temps ? répète-t-il en perdant patience
Il affronte enfin le regard de sa sœur, pour la toiser d'un affreux mélange de déception, de trahison et de colère. Elle avale sa salive avec peine, tant sa gorge sèche s'est resserrée à son insu.
- Depuis le jour de Noël
- Quoi ? dit Jefferson dans un souffle
De toutes les émotions qui l'assaillent, c'est bien la pire qui domine toutes les autres : un sentiment de blessure.
- Tu savais- ... tu savais tout ça avant de venir et à aucun moment, tu t'es dit que ça serait sympa de m'en parler ?! s'énerve-t-il
- Je sais très bien comment tu réagis quand il s'agit de papa, se justifie-t-elle. Si j'avais voulu aborder le sujet, tu m'aurais envoyé balader, comme à chaque fois qu'on parle de lui. Tu vas me blâmer d'avoir tenu à éviter une guerre civile ?
- Ce n'était pas à toi que revenais cette décision, Madeline
L'utilisation complète de son prénom la giffle aussi fortement que le ton dégoulinant de reproches de son frère. Un brouillard sombre s'agite dans ses prunelles bleues, la blonde assiste à ce spectacle en se sentant bien impuissante.
- De toutes les personnes que je connais, je crois que tu étais la seule dont j'étais sûr qu'elle ne me cacherait jamais rien. Il faut croire que j'ai eu tort
- Parce que tu aurais préféré qu'on en discute autour d'un verre de lait peut-être ? s'agace-t-elle
- Ça aurait été sans doute plus honnête oui
Sans lui permettre de répliquer, Jefferson s'empare de sa balle d'un geste rapide. Blessé, il tourne le dos à sa jumelle et s'éloigne en direction du château. Il laisse Madeline seule, dont la seule compagnie se résume à l'horrible poids installé dans son estomac au doux nom de « culpabilité ». Elle ferme les yeux, laissant les flocons de neige s'emmêler dans ses cheveux et se déposer sur son manteau. Ses doigts tournent l'anneau à son pouce, geste dans lequel elle espère trouver un peu de réconfort. Mais tout ce qu'il lui reste, c'est un sentiment d'échec et une sensation glaçante de froid, qui n'est pas seulement dû à la température.
☽⁂☾
Se tournant, se retournant et se retournant à nouveau dans son lit, Madeline pousse un soupir las qui fend le calme de sa chambre. Elle a tout essayé afin de se vider la tête pour mieux trouver le sommeil, mais rien n'y fait. Livre, film, musique, même un peu d'exercice ... aucune occupation n'est parvenue à mettre un terme au bourbier s'étant formé dans son crâne. Encore et encore, sans parvenir à penser à autre chose, elle ressasse la dispute survenue avec Jefferson ce midi.
- Bon ... c'est inutile de ruminer sous ta couette, Made ..., se murmure-t-elle
Elle écarte ses couvertures, enfile un pull par dessus son pyjama et quitte sa chambre. À travers la nuit et la pénombre du château, elle prend la direction de la cuisine et descend donc jusqu'au rez-de-chaussée. Là, elle se prépare son remède efficace contre tous ses maux : un verre de lait fraise. Après avoir fait chauffer le lait, elle ajoute une dose de coulis de fraise et profite de sa précieuse boisson.
Enfant, sa mère lui concoctait ce breuvage dans le but de lui faire boire du lait sans qu'elle ne s'en rende compte. La blonde l'a tellement apprécié que cette recette est devenue une habitude qu'elle n'a jamais perdu. Encore aujourd'hui, elle aime trouver du réconfort et une pointe de nostalgie dans un verre de lait à la fraise. Même si ce soir, ça risque de ne pas être suffisant ...
Par la grande fenêtre de la cuisine, Madeline contemple le clair de lune et sa pâle lueur. Les jardins du château semblent piégés par la neige, engourdis par le froid et pétrifiés par un immobilisme curieux. C'est comme si une flamme de vie manquait à ce tableau ... un miroir troublant de l'état d'esprit de la blonde.
- J'avais bien entendu le bruit de ta porte ...
L'immaculée se retourne vers cette voix pour voir sa voisine de palier entrer dans la cuisine. Phoebe contourne l'îlot et marche dans sa direction en jouant avec le lacet de son pantalon de pyjama à carreaux.
- Tu m'as mise sur écoute ? plaisante Madeline
- Pas besoin, la tête que tu as tiré toute la soirée a suffit à m'alerter, réplique son amie avec un coup de coude complice. Tu ne ferais pas une bonne joueuse de poker
- C'est pour ça que je n'y joue jamais, plaisante la blonde dans un rire sans joie
Elle baisse le nez, regardant fixement le contenu de son verre sans le voir vraiment.
- Je n'ai pas très bien réussi à cacher mes émotions alors ?
- Ça ne fait peut-être qu'un mois qu'on se connaît mais j'ai attrapé deux trois trucs à ton sujet. Le café m'a étonné mais encore, ça pouvait passer. Mettons ça sur un moment de folie, rit la lunaire. Mais je ne t'ai jamais vu prononcer aussi peu de phrases que ce soir, sans parler du fait que tu n'as même pas répondu quand j'ai évoqué Henry Cavill ... ça, ça m'a vraiment mis la puce à l'oreille
Bien que son moral soit très bas, les plaisanteries plein de complicité de Phoebe parviennent à arracher un sourire à Madeline. Rassurée de cette réponse positive, la métisse se penche vers son amie avec plus de sérieux.
- Qu'est-ce qui ne va pas ? lui demande-t-elle
L'immaculée inspire profondément et prend la mesure de ce qu'elle croit pouvoir révéler à Phoebe. Elle pèse le pour et le contre, tiraillée entre ce qu'elle a envie de confier à son amie et ce qui lui semble plus sûr de faire. Après le fiasco de sa discussion avec Jefferson, elle a pris conscience de combien le sujet de son père biologique pouvait être délicat à aborder et à appréhender.
Sa dispute avec son frère étant encore trop fraîche, Madeline préfère choisir l'option la plus sage.
- Jeff et moi, on s'est pris le bec à propos de quelque chose de très personnel et ... ça a pas mal dégénéré. C'est un sujet qui nous a toujours opposé et je savais très bien qu'il y avait peu de chance pour que ça se passe bien. On s'est déjà disputé à propos de ça mais jamais aussi fort ... bordel, jamais aussi fort non, soupire la blonde
Espérant dénouer la boule qui s'est formée dans sa gorge, Madeline boit une gorgée de son lait fraise. Phoebe l'écoute en silence et hoche la tête, d'une manière compatissante.
- Je ne peux peut-être pas comprendre ce que tu ressens, mais tu as besoin d'une épaule en guise de soutien ... et bien, je ferai en sorte que la mienne soit confortable, lui promet-elle en lui passant un bras derrière le dos
La blonde apprécie ce geste empreint de réconfort tandis qu'elle dépose son verre sur la surface en marbre de l'îlot central.
- Je ne suis sûrement pas la meilleure personne pour te réconforter sachant que je suis fille unique, ajoute la lunaire avec un sourire penaud. Je n'aurais jamais dans ma vie ce lien et je ne connaîtrais jamais ce qu'il implique. Par contre, j'ai vu combien toi et Jeff, vous êtes les deux faces d'une même pièce. Vous vous complétez si bien, alors ce n'est pas étonnant que certains sujets vous opposent complètement. On ne peut jamais être à cent pour cent sur la même longueur d'onde avec quelqu'un, ça serait beaucoup trop ennuyeux si personne ne s'engueulait de temps en temps !
Une fois encore, sa manière bien à elle de dire les choses suffit à faire rire l'immaculée.
- Ce que je veux dire, c'est que les conflits, c'est parfaitement normal dans une relation humaine ordinairement constituée. Jeff est ton frère, ton jumeau en plus de ça. C'est quelque chose que rien ne pourra briser, pas même la plus grosse des disputes. Il faut juste parfois savoir laisser passer du temps ... c'est souvent le seul remède efficace
- Ta sagesse m'impressionne, sourit Madeline
- Je sais, je m'impressionne aussi, plaisante la métisse
Les deux amies se mettent à rire, faisant vivre la cuisine endormie par la nuit.
- Peut-être que ton frère finira par venir t'aborder à ce sujet, peut-être que ça sera à toi de le faire. Mais au bout du compte, le mieux c'est de se laisser respirer. Tu sais combien de temps ça prend de mettre au point la recette parfaite du soufflé ? C'est un truc de malade !
- Tu es en train de comparer ma relation avec mon frère à un soufflé ? raille la blonde
- Ça veut juste dire que les meilleures choses prennent du temps, alors respire un bon coup et prends ton mal en patience, lui conseille Phoebe avec un clin d'œil
Madeline acquiesce, méditant les propos de son amie avec plus de sérieux qu'il n'y paraît. En discuter avec sa voisine de palier lui a fait du bien, même si un léger poids reste bloqué dans son estomac. Une lueur distraite embrume le vert de ses yeux, Phoebe s'en rend bien compte.
- J'ai une idée pour te faire penser à autre chose
- Tu veux qu'on se téléporte chez Henry Cavill ? Ne me tente pas, plaisante l'immaculée
La lunaire penche la tête sur le côté en plissant les yeux, comme si elle y réfléchissait réellement.
- Peut-être une autre fois, lui promet-elle avec un clin d'œil
La main de la métisse saisit celle de la blonde, le marron profond plonge dans le vert émeraude avec complicité.
Des étincelles vertes se mettent à pétiller autour de la main de Phoebe, se muant en filaments lumineux qui s'enroulent autour de son bras et de celui de Madeline. Pendant une seconde, la blonde s'attend à ce que son amie les fassent voyager grâce à ses pouvoirs en ressentant la brise qu'elle a déjà ressenti la dernière fois que Phoebe a accompli cette prouesse. Pourtant, ce courant d'air ne se manifeste pas, pas immédiatement du moins. Cette fois, il ne l'enveloppe pas mais souffle simplement avec douceur sur son visage. Des étoiles vertes apparaissent dans les airs et forment un cercle presque parfait, tel une fenêtre ouverte sur une vue très familière.
- Oh mon dieu ..., souffle Madeline, à la fois émerveillée et sincèrement heureuse
- C'est chez toi, n'est-ce pas ? l'interroge Phoebe
- C'est chez moi ... Cherryton, acquiesce-t-elle
Le cercle s'apparente à un hublot, où la blonde peut admirer le centre ville bien connu de sa terre natale. Ce paysage est bien différent de celui auquel elle s'est acclimaté depuis plus d'un mois et offre une vision toute autre. Bien loin de l'épaisse forêt figée par la neige de la propriété Dawson, Madeline peut admirer le bourg typiquement anglais de Cherryton qu'elle connaît comme sa poche. En guise de pièce maîtresse, l'abbaye Sainte Johanna, dont le clocher taillée dans du granit rouge foncé aux fines sculptures florales lui fait ressembler à un bouquet de roses, renvoie la blonde à des souvenirs rassurants.
Elle reconnaît chaque arbre, chaque boutique, chaque parterre de fleurs, chaque rue. Un rien suffirait pour qu'elle franchisse ce portail et foule le sol de sa ville natale, pourtant elle sent que ce simple aperçu suffit à souffler un vent de fraîcheur autour de son cœur.
- Comment ... comment arrives-tu à faire ça ? demande-t-elle
- La réponse est très courte : Julian, avoue Phoebe
Le sourire de Madeline s'intensifie, véritablement subjuguée par la prouesse de son amie.
- Ses cours portent leurs fruits, j'ai fait beaucoup de progrès grâce à lui. Il y a des jours où c'est plus facile que d'autres mais je peux me servir de mes pouvoirs de plus en plus facilement. J'arrive même à ouvrir des petites fenêtres de ce style là maintenant et c'est pas mal du tout quand on a envie de changer de paysage. Et je dois avouer que je ne suis pas mécontente de moi, rit la brune café au lait
- Tu as bien raison, tu peux être très fière de toi, la complimente l'immaculée
Cette dernière presse la main de sa partenaire, renforçant l'éclat verdoyant des étincelles autour de leurs bras. Elle jette un dernier coup d'œil au tableau éphémère que son amie lui offre et sourit, le cœur plus léger.
- Merci ..., murmure-t-elle
- Rien de tel qu'un peu de réconfort, pas vrai ? sourit Phoebe
Les deux amies s'échangent un regard tandis que les étincelles s'évanouissent, refermant la fenêtre sur la ville endormie de Cherryton.
- Bon, on ferait bien de retourner au lit si je ne veux pas avoir à adopter définitivement la tasse de café dans ma routine du matin, raille Madeline
- Je crois que je vais avoir du mal à fermer l'œil
- Ah oui ?
Une lueur malicieuse s'invite dans les yeux marrons de Phoebe tandis qu'elle se mordille la lèvre inférieure, une vaine tentative pour réprimer son rictus espiègle. Quelque chose trotte dans sa tête, l'immaculée le constate avec amusement.
- Accouche, à quoi tu penses ?
- Maintenant que tu as parlé d'apparaître chez Henry Cavill, je vais avoir du mal à penser à autre chose, admet la métisse
Madeline éclate de rire, ce qui lui fait le plus grand bien. Elle enroule son bras autour de celui de Phoebe et se saisit de son verre de lait fraise.
- Alors viens, on va préparer un plan d'attaque, se marre-t-elle
- C'est une idée qui me plaît !
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