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chapitre 12

12 : saturday ... laissez le danser
sunday ... aller jusqu'au bout du monde

☽⁂☾

- Effectivement, ça ne fait pas « plouc » du tout, murmure Madeline

La blonde contemple la maison qui se dresse sous ses yeux ébahis. Enfin, maison ... on est bien loin de la petite maisonnette de quartier à peine assez grande pour accueillir toute la famille, le mot approprié est plutôt « demeure ».

Suite à l'invitation de Zadig, la jeune femme s'est éloignée de la bibliothèque sans se retourner et a suivi les instructions de son ami. Ce guidage l'a amené à renfiler son manteau et son écharpe afin de sortir du château pour suivre un énième sentier qu'elle n'avait jusque là pas remarqué. De cette façon, elle est remontée le long de ce chemin de terre jusqu'à atteindre une fourche où elle a dû emprunter la direction gauche, tout près d'un chêne au tronc noueux.

Voilà comment elle s'est retrouvée chez les Lington, une magnifique résidence au jardin arboré et taillé au millimètre près, nichée au cœur de la forêt. Cette grande maison sur deux niveaux est entièrement recouverte de pierres grises, des fenêtres noires arrondies en pieds perforent le rez-de-chaussée tandis que de petites fenêtres carrées plus intimistes laissent figurer la position des chambres à l'étage.

Madeline grimpe les quelques marches en pierres qui permettent d'accéder au perron de la maison et frappe à la porte. Elle patiente plusieurs secondes avant de voir apparaître un visage familier à travers les vitres de la porte.

- Tiens ... Madeline Harvey ? C'est bien toi ?

La blonde détaille la jeune femme qui vient de lui ouvrir la porte et est frappée par l'évidence en deux secondes. Âgée de quelques années de plus que Julian, elle ressemble tellement à sa mère Grace que la réponse est vite trouvée.

- Blair ?

Cette dernière acquiesce d'un hochement de tête accompagné d'un sourire, révélant la même fossette que celle de son frère cadet.

- Surprise de me voir ? J'espère que ce n'est pas en mal, rit-elle un peu nerveusement
- Oh non, rassure-toi. C'est simplement bizarre de voir autant de personnes qu'on connaît aussi loin de Cherryton quand on a grandi là-bas, répond Madeline
- Tu as bien grandi en tout cas, je vois que tu as laissé tomber les salopettes de toutes les couleurs, s'amuse Blair

Étant donné que Blair est l'aînée des Lington, quelques années la séparent de Julian et encore plus de Zadig. Donc de Madeline. Elles n'ont jamais réellement pu passer de temps ensemble pendant leurs études comme la blonde a pu le faire avec les deux frères, mais elles se sont bien sûr croisées à maintes reprises.

Et la dernière fois que Blair a pu apercevoir Madeline à Cherryton, l'aînée venait de terminer le lycée et s'apprêtait à quitter la ville. À cette époque, la blonde n'avait pas plus de onze ans et était dans sa phase « je mets des salopettes à toutes les sauces, tous les jours et de toutes les couleurs possibles ». Elle se souvient que sa mère Jodie avait fini par en avoir marre de devoir acheter une salopette chaque fois qu'une nouvelle couleur sortait en magasin.

Ce souvenir lui revient en mémoire et la fait sourire, la légèreté de cette époque d'innocence l'envahissant avec nostalgie.

- Ma période de petite fille est terminée, plein de choses ont changé depuis ce temps là, dit-elle
- Oui, c'est le moins qu'on puisse dire. Je t'en prie, entre ... il ne faudrait pas que tu prennes froid, l'invite Blair
- Ce qui n'est clairement pas ton cas

Madeline détaille la robe longue à bretelles, d'une jolie couleur lavande, que porte la trentenaire tandis qu'elles pénètrent dans le hall de la maison. Une tenue pleine de féminité, parfaite pour la saison estivale. À ceci près que le rude mois de Janvier fait grelotter tout le pays.

- Je crois que je vais mettre encore quelques temps pour m'habituer à vous voir vous balader en tenues légères, Julian et toi, alors qu'on se pèle dehors, raille la blonde
- Vivre entre lunaires aura au moins eu cet effet positif : on n'est plus obligés de se couvrir en hiver pour éviter de passer pour des vampires, s'amuse Blair

Suivant l'aînée Lington à travers le couloir attenant au hall d'entrée, Madeline ne peut s'empêcher de penser que l'intérieur de la maison est aussi joli que l'extérieur. Le carrelage en large damier noir et blanc apporte une impression classieuse de palace à l'atmosphère, la succession de miroirs ornant les murs tapissés du couloir est une décoration raffinée qui s'accorde avec goût aux moulures blanches.

- Tu vis ici avec tes frères et ta mère ? interroge-t-elle
- Ma mère a insisté pour que la famille se réunisse ici, dans le parc du château de Bilburton. Elle cherchait à nous protéger des personnes malveillantes qui sévissent dehors depuis quelques temps. Ça n'a été facile pour aucun d'entre nous d'abandonner sa vie pour emménager ici, c'était énormément de changements à encaisser

Madeline fronce les sourcils, étonnée d'apprendre que ceux qui représentent des dangers quant aux vies des immaculés sont également des menaces pour les autres lunaires. Avant qu'elle n'ait eu le temps d'interroger Blair à ce propos, cette dernière reprend la parole lorsqu'elles entrent toutes les deux dans le séjour de la maison. Une partie salon se trouve au fond de la pièce, avec plusieurs canapés confortables, tandis qu'elles arrivent tout près de la table à manger ovale en verre, aux piètements en ébène.

- Heureusement que certains d'entre nous ne sont pas trop perturbés par tous ces changements et restent eux-mêmes, soupire-t-elle en fixant un point dans la pièce

De la musique attire l'attention de la blonde, qui tourne la tête vers sa gauche. Elle étouffe avec difficulté un éclat de rire en observant Zadig en train de danser sur une musique française aux accents très rétro. Enfin, danser est un bien grand mot ... gesticuler en braillant quelques phrases françaises ici et là est une définition plus appropriée.

- Laissez-moi danser ... laissez-moi !
- Ou alors, déménager l'a tellement perturbé qu'il perd les pédales, se moque-t-elle
- Le problème, c'est que je suis convaincue depuis des années que ceci est l'état normal de mon frère

Blair désigne son cadet en camouflant difficilement son sourire rieur. Alors lorsque Zadig se met à tourner sur lui-même, les bras écartés, les deux femmes ont toutes les peines du monde à se contenir. La plus âgée doit plaquer sa main sur sa bouche pour étouffer ses rires mais s'en est trop pour Madeline, qui éclate de rire.

C'est suffisant pour interrompre le numéro de Zadig, il fait volte-face vers son public hilare, nullement honteux ou impressionné.

- J'aurais dû te filmer pour partager ça au monde entier, rit la blonde
- Comme ça, toute la planète aurait pu apprécier mon groove sur du Dalida, dit le cadet Lington en remuant ses hanches
- Je suis sûre qu'ils auraient aimé voir ton authenticité, sourit Blair
- C'est plutôt rassurant de te voir en pleine forme, ta punition ne te mine pas trop on dirait, réplique Madeline avec un sourire
- Tu plaisantes j'espère ? s'offusque le mannequin en attrapant un verre sur la table basse

Il s'avance vers les deux jeunes femmes de sa démarche très Zadig; un parfait équilibre d'élégance et de décontraction. Même simplement habillé d'un pull large en maille décoré de dizaines de pâquerettes et d'un jean bleu délavé, son charisme a de quoi rendre jaloux.

L'immaculé dépose son verre à demi rempli de thé glacé sur la grande table derrière Madeline et Blair.

- Je m'ennuyais déjà de toi, soupire-t-il dramatiquement en passant son bras sur les épaules de la blonde
- « Un seul être vous manque et tout est dépeuplé », cite sa grande sœur en s'asseyant sur l'une des chaises
- Exactement, confirme Zadig en jouant à merveille la tristesse
- Sympa pour ta sœur, réplique Madeline

Elle lance un regard désolé à Blair, qui joue doucement avec l'une des mèches de ses longs cheveux châtain foncé.

- Ma chère sœurette est bien trop occupée, à imiter notre maternelle en me passant un savon, pour être de bonne compagnie. Et puis, elle refuse de me rendre un tout petit service, rétorque narquoisement le mannequin

Dans ses souvenirs, Madeline se rappelle que Zadig s'est toujours mieux entendu avec sa grande sœur qu'avec son grand frère. Le ton malicieux qu'il utilise avec elle témoigne de l'affection évidente qu'il éprouve pour son aînée, et elle lui rend d'un fin sourire.

- J'ai simplement refusé de jouer les distributeurs de glaçons pour toi, rien de plus, lui dit-elle en haussant les épaules
- À quoi bon boire un thé glacé s'il n'a plus de glaçons ?! s'exclame Zadig. Tu le fais bien pour Eli, mais pour moi c'est trop demandé !
- Eli est mon fiancé, il a forcément quelques traitements de faveurs
- Fiancé ? Félicitations, sourit Madeline
- Merci, glisse Blair

L'évocation de son compagnon a apporté une couleur rosée aux joues de la trentenaire et c'est avec amour qu'elle jette un œil à sa bague de fiançailles.

Mais Zadig n'a pas l'intention de capituler aussi rapidement. Soudain boudeur, l'expatrié en France croise les bras et fait la moue. Blair s'amuse sans se cacher de l'attitude enfantine de son frère, Madeline en fait de même.

- Je me demande presque pourquoi je reste ici tiens, pique le mannequin
- Tu es là parce que maman te l'a demandé. Exactement comme Julian et moi, lui rappelle sa sœur
- Et où est-elle exactement ? Je veux dire, quand elle n'est pas occupée à me brûler vif sur un bûcher
- Tu sais très bien qu'elle a beaucoup à faire, ne joue pas à l'enfant vexé, exige Blair avec une douceur ferme presque maternelle

Zadig renifle avec dépit, il se tourne furtivement vers son amie comme pour quémander du soutien. Sauf que Madeline n'a pas tellement l'intention de se mêler aux histoires de la famille Lington, surtout si le cadet de celle-ci commence à exposer quelques réclamations.

- Et puis, ne joue pas non plus au martyr. Tu as commis une erreur en t'en prenant au fils Walcott, c'était parfaitement son droit de te corriger pour ça, reprend Blair
- Je n'aurais pas commis cette erreur si elle ne m'avait pas forcé à laisser tomber ma vie à Paris pour me boucler dans cette forêt et me traîner dans une école où je n'ai rien à apprendre, contre son frère

Bien qu'il prétende rétorquer ça avec nonchalance, Madeline voit bien qu'il en pense chaque mot. Le vert émeraude de ses yeux ne reflète rien d'autre que de la sincérité, créant une amertume dure sur ses traits.

- C'est faux, tu le sais très bien, contredit Blair en restant toujours aussi calme. Oui, c'était un sacrifice de ta part mais ça l'a été pour nous tous. Moi aussi, j'ai laissé de côté ma vie avec Eli et ça, pour le protéger des gens qui auraient pu lui faire du mal en voulant s'en prendre à moi. J'aurais très bien pu être égoïste et rester avec lui, mais je sais que maman ne m'aurait jamais demandé de venir ici si ce n'était pas absolument nécessaire. C'est pour notre sécurité à tous qu'elle nous veut auprès d'elle. Et puis, tu sais très bien que tu as ta place à l'Académie Dawson. On a toujours des choses à apprendre, tu es loin d'être en reste dans tous les domaines qui vous sont enseignés

L'argumentaire de Blair a été prononcé avec tant de sérénité que même Zadig hésite à répliquer de nouveau. Face à autant de sagesse et de vérité, il ne moufte pas tout de suite. L'aînée des Lington a remis proprement en place le cadet sans perdre son sang-froid ou même élever la voix, ce qui impressionne grandement Madeline.

- Donc selon toi, je n'aurais pas dû régler son compte à ce petit merdeux de Dashton Walcott après tout ce qu'il a dit ? Merveilleux ! J'aurais dû le laisser déshonorer la population mondiale en lunaires et lui faire une bise. Et cerise sur le gâteau, pour bien le remercier, j'aurais dû le remercier de m'avoir rappeler l'existence du daron
- Si tu avais voulu te montrer plus malin que lui, il aurait fallu ne pas répondre à ses provocations puériles. En perdant la maîtrise de tes émotions, tu lui as donné raison. Dashton est vil mais pas stupide, il connaît très bien la méthode pour te faire réagir. Il le sait autant que moi : papa est un sujet sensible pour toi
- Non, pas du tout, ment son petit frère. Ce n'est pas un sujet sensible, je n'aime juste pas en parler, c'est tout

L'aînée penche la tête sur le côté, le mannequin croise à nouveau les bras sur son pull à motifs pâquerettes.

- C'est exactement la définition de sujet sensible, intervient Madeline en coulant un regard vers Zadig

Les yeux verts de ce dernier pivotent à plusieurs reprises entre les deux jeunes femmes, avant de s'avouer finalement vaincu.

- Oui bon, peut-être ! admet-il en levant les bras. Pardon de ne pas vouloir penser à notre trompeur et lâcheur de père qui ne nous a plus donné signe de vie depuis plus de quinze ans

Si la raison de la séparation des parents Lington avait été le fruit d'énormement de rumeurs qui ont couru dans la moindre ruelle de la ville à l'époque des faits, Zadig vient aujourd'hui de prononcer le verdict. L'hypothèse la plus probable et la plus répandue était donc la bonne : leur père avait trompé Grace.

- On ne peut quand même pas m'en vouloir pour ça, si ? s'étonne le fils en lançant un regard interrogatif vers Madeline
- Je ne peux pas vraiment t'aider sur le sujet ..., avoue-t-elle en faisant la moue, mal à l'aise
- Pourquoi ça ?
- Zadig ! le réprimande Blair

Cette fois, l'aînée a haussé le ton à l'encontre de son frère et le bombarde d'un regard outré.

- Quoi ?
- Un peu de tact, je te prie, le commande-t-elle

Ses yeux sombres se posent sur la blonde et semblent s'excuser silencieusement. Avec le temps, Madeline s'est habituée à ce genre de regard désolé, parfois empli de pitié dès que le sujet « papa » était évoqué à proximité d'elle. Elle n'y prête plus attention, tout comme elle essaye de passer outre ceux qui marchent sur des œufs pour ne pas créer un malaise et qui, par conséquent, empirent les choses malgré eux.

Elle n'est donc pas surprise de la réaction de Blair. Tous les gamins de Cherryton qui ont côtoyé de près ou de loin les jumeaux Harvey connaissent la triste histoire de l'étrange disparition de William Altmann. À une époque, c'était même le sujet préféré des commères et des petits vieux qui ont suffisamment de temps à perdre pour s'improviser enquêteurs aux mille hypothèses incongrues.

- Je trouve qu'elle est très bien placée pour répondre à ma question, reprend Zadig en se tournant vers son amie. On n'est pas les seuls à avoir des problèmes de père, tu n'en as pas eu toi non plus
- J'ai eu un père, il ne m'a juste pas conçu, précise-t-elle
- Alors tu as une longueur d'avance sur nous, soupire le mannequin en s'emparant de son verre

Il boit une gorgée de thé glacé, grimace et repose immédiatement son verre là d'où il vient.

- Mais je comprends ce que tu veux dire, acquiesce l'immaculée. Si je découvrais que mon père avait trompé ma mère, que c'est pour cette raison qu'il a disparu et qu'un petit con se servait de ça pour me sortir de mes gonds, j'aurais du mal à rester calme. Autrement dit, je lui aurais sûrement mis mon poing dans la gueule
- Ah tu vois ! s'exclame Zadig en fixant sa sœur

Il entoure les épaules de Madeline de son bras et l'attire contre lui, soudain ragaillardi. Ce n'est certainement pas la réponse que Blair attendait, ça n'en reste pas moins la plus honnête que l'immaculée puisse lui offrir.

- Je savais que tu étais une personne mûre et réfléchie, lui glisse le mannequin
- Parce que je suis d'accord avec toi ? Je suis presque sûre que ça veut dire le contraire, réplique la blonde avec malice

Zadig secoue la tête en balayant sa suggestion d'un revers de main, il s'assoit à demi sur la table à manger en jouant à faire miroiter son thé glacé dans son verre.

- Ne dis pas de bêtises, voyons, ironise-t-il. Et puis, Julian partage notre avis puisqu'il m'a donné un coup de main pour refaire le portrait de Dash
- Pour une fois que vous êtes d'accord sur quelque chose, se lamente Blair en levant ses yeux bleus au ciel
- Qui a dit qu'on n'était pas capables de tisser des liens, en fin de compte ? s'amuse-t-il
- Je ne suis pas sûre que c'est le genre de liens entre frères que ta mère voulait voir se développer, observe Madeline

Le jeune homme lui jette un coup d'œil accusateur.

- Tu es de quel côté, toi ?! s'offusque-t-il
- Aucun, ne me mêlez pas à vos histoires ! se défend-elle
- Ceci dit, Madeline n'a pas tort, accorde Blair. On ne peut pas dire que maman se soit réjouie en voyant que c'est ce type d'activité qui permet de vous réunir ...
- Tu connais d'autres moyens de nouer des liens avec mon frère ? Je veux dire, d'autres moyens qui me procurent autant de plaisir que de voir l'œil au beurre noir de Dash évidemment, interroge Zadig, un sourire en coin un peu sadique aux lèvres
- J'imagine que jouer au foot ou regarder un film ensemble ne fonctionne pas aussi bien ? suggère Madeline avec ironie
- Si seulement ..., souffle Blair

Le mannequin perd subitement son sourire, ses yeux sont fixés sur son verre entamé mais son regard lui est perdu dans le vague. Un muscle tressaute au niveau de sa mâchoire, signe qu'une pensée sérieuse et un brin anxieuse s'agite dans son esprit. 

- C'est rassurant de voir qu'on est au moins sur la même longueur d'onde à propos de notre démiurge, dit-il
- Peut-être mais j'espère que ça vous aura servi de leçon et que vous ne vous jetterez plus dans la gueule du loup de cette manière, lui rappelle Blair d'un ton plus ferme
- Oui maman, raille le cadet

Le son de la porte d'entrée claquant contre le chambranle résonne dans la maison, suivi par des bruits de pas tintant sur le carrelage.

- Quand on parle du loup, dit Madeline
- Mais de quel loup il s'agit ? De la louve-mère, protectrice et gardienne de la meute ou alors, du louveteau devenu mâle alpha, rejeton tant apprécié ? raille Zadig

La réponse à sa question prend la direction du salon, une chevelure châtain foncé et une veste en jean émergent du couloir.

- Va pour le mâle alpha, pouffe l'immaculé

Julian redresse la tête en entendant les propos de son frère et lui jette un coup d'œil confus.

- Mâle alpha ? C'est quoi cette histoire, encore ?
- Ton frère qui se perd dans ses délires fantasques, s'amuse Blair
- Ou qui croit aux loup-garous, rit Madeline

À l'entente de sa voix, Julian se tourne vers la blonde. Un sourire soulève ses lèvres, il s'apprêtait à la saluer et à s'étonner de sa présence ici mais l'imagination de Zadig poursuit sa route :

- Attends voir ... en tant que lunaires, on est un peu les enfants de la lune, réalise-t-il en plissant les yeux, visiblement en pleine réflexion. En terme de lien avec l'astre tout puissant, on est carrément plus légitime que les loup-garous. Et surtout, beaucoup plus badass
- Tu t'égares, le met en garde l'immaculée
- Enfin, pour ceux qui ont été béni de la lune, naturellement, renchérit-il avec un air solennel un peu surjoué. Mais alors, la pleine lune a peut-être des effets sur nous aussi ? Certains se transforment peut-être en bête sauvage dans les bois

L'amusement de Zadig est de courte durée, c'est à nouveau Madeline qui met un terme à son moment de réflexion.

- Ça, tu le saurais si tu avais écouté en astronomie avec madame Bowmann. Elle en a parlé pas plus tard qu'hier, le nargue-t-elle
- Dashton t'a frappé si fort que tu as des trous de mémoires ? lui lance Julian, un sourire en coin

L'expatrié dans la capitale française pivote lentement vers son frère, prenant une posture outrée.

- Tu me fais marcher ? C'est moi qui l'ai frappé le premier, c'est plutôt lui qui va avoir du mal à se souvenir de ce qu'il a mangé hier soir
- Ce qui n'a pas la moindre importance puisque ce n'est pas une compétition, que vous avez pris conscience de votre erreur et que vous ne réagirez plus jamais de la sorte. N'est-ce pas ? insiste Blair en pianotant de ses ongles manucurés sur la table

D'un même mouvement, les deux frères se mordillent l'intérieur de la joue, excuse parfaite pour faire tarder leur réponse. Cet instant de silence forcé permet à Madeline d'observer la fratrie Lington, tous trois réunis au même endroit, comme elle n'a plus pu le voir depuis bien longtemps. Leur ressemblance apparaît plus nette, ils ont tous hérité des traits fins de leur mère. Si leur chevelure d'un marron sombre est une caractéristique qu'ils partagent également, elle ne peut en revanche pas leur venir de Grace, dont les cheveux sont plus noirs que l'ébène. Ce trait physique les relie donc à leur père, que Madeline n'a jamais vu mais qu'elle tente d'imaginer à partir d'une mèche châtain foncée.

- N'est-ce pas ? insiste l'aînée
- On a pigé, on ne se battra plus ! cède Zadig en levant les yeux au ciel
- Pas dans le château en tout cas, dit Julian en retirant sa veste en jean
- Là où il n'y aura pas de témoins, acquiesce son cadet
- Bon sang de bois, jure la plus âgée en se pinçant l'arête du nez

La pauvre Blair ne cache pas son désespoir quant à son envie de raisonner ses frères.

- Écoute Blair, je sors d'une entrevue avec maman donc je n'ai vraiment pas besoin de me faire assomer une nouvelle fois sur ma bonne conduite, merci bien, soupire Julian en s'asseyant à côté de Madeline
- Ah, c'était donc avec la matriarche que tu étais, petit veinard, se moque Zadig
- Au moins, elle ne t'a pas fait lever aux aurores, réplique la blonde
- Détrompe-toi, j'y ai eu droit aussi, lui assure-t-il. Elle voulait me voir cet après-midi pour parler de ma « punition ». De la façon dont il faut que je me rachète en gros
- Et donc ? interroge Blair
- Je dois trouver un moyen de me rendre utile au sein de l'Académie. Pour expier mes fautes certainement, annonce-t-il en arquant un sourcil perplexe

Madeline l'interroge du regard, cherchant à savoir ce que le jeune homme envisage.

- Quelles sont tes suggestions ? lui demande sa grande sœur
- Faire le ménage dans les couloirs ? Aider en cuisines ? propose Zadig, la fossette en pleine action. Mon dieu, qu'est-ce que j'aimerais voir ça !
- Je préférerais trouver quelque chose où je ne me transforme pas en larbin, si ça ne t'ennuie pas, réplique Julian

Le lunaire remarque le verre de thé glacé à moitié bu, posé sur la table près de son frère immaculé. Il se penche en avant, tapote le verre de l'index et du majeur. Deux petits glaçons se matérialisent aussitôt, flottant à la surface comme s'ils avaient toujours été là.

Toujours impressionnée de voir un lunaire démontrer son talent hors du commun, Madeline adresse un regard admiratif à Julian. Puis, la facilité avec laquelle il vient de faire le bonheur de son frère lui donne une idée. Une scène lui revient en mémoire, celle où Julian avait fait apparaître une sphère de glace sous ses yeux le jour de la rentrée. C'était la première fois qu'elle le voyait utiliser son don de lunaire et elle se rappelle bien avoir été épatée par son aisance.

- Je sais ce que tu pourrais faire ..., souffle-t-elle
- Faire un numéro de claquettes à l'heure du dîner ? suggère Zadig
- Tu pourrais donner des conseils à ceux qui ne maîtrisent pas bien leurs pouvoirs, propose la blonde

Le lunaire pivote la tête vers elle, ses yeux bleus rencontrant les siens verts. Silencieusement, il l'encourage à continuer tout en réfléchissant à sa suggestion.

- Je pense à Phoebe, elle peine à contrôler ses pouvoirs depuis toute petite. Peut-être que d'obtenir ton aide l'aiderait ? Tu peux faire énormément de choses avec tes pouvoirs et tu sais le faire si facilement qu'on dirait que c'est inné chez toi. Ça serait une approche différente de ce qu'ils apprennent en cours et peut-être que ça fonctionnerait mieux pour certains de recevoir les conseils de quelqu'un qui s'est lui-même entraîné pour en arriver là

Quelques secondes de silence suit sa proposition, signe d'une intense réflexion. Les yeux plissés, Julian envisage cette idée dans son esprit. C'est finalement sa sœur aînée qui prend la parole la première.

- C'est une excellente idée, acquiesce Blair avec enthousiasme. Le partage du savoir et de l'expérience, il n'y a rien de mieux pour atteindre un but
- Je ne sais pas si mon frérot ferait un professeur qui tient la route mais ... ça vaut peut-être le coup d'essayer, concède Zadig. Qui sait ? Ça sera sûrement marrant

Le seul qui tait son opinion est le principal intéressé. Madeline reporte son attention sur Julian, un sourcil arqué par son interrogation muette. Lentement, le lunaire s'accoude à la table et glisse son regard sur la blonde.

- Je crois que c'est l'idée parfaite, sourit-il
- C'est vrai ? demande-t-elle, soulagée
- Je ne vois pas de meilleur moyen pour me rendre utile. Ça pourra fonctionner ou pas, mais le plus important c'est que je vais faire mon possible. Si je peux les aider à mettre une pierre à leur édifice, c'est déjà beaucoup. Et je serai ravi de commencer avec Phoebe

☽⁂☾


- Oh la vache, pardon ! C'est de ma faute, j'ai cru que j'allais partir en vrille ! s'excuse Phoebe

L'affolement de la métisse ne passe pas inaperçu, bien qu'elle tente de le dissimuler d'un sourire qui sonne faux. Madeline et Julian échangent un rapide coup d'œil, qui en dit long.

- Ne t'en fais pas, c'est normal de ne pas réussir du premier coup, lui assure le lunaire
- Ni du dixième visiblement, raille Phoebe
- À quoi servirait la persévérance si ce n'était pas le cas ? lance Madeline

La blonde adresse un clin d'œil d'encouragement à son amie, dont le pseudo sourire qu'elle lui offre tient plutôt de la grimace maladroite.

Tous les trois réunis dans le gymnase en tenues confortables, seules leurs voix se répercutent sur les murs de cet espace désert. En ce dimanche matin, personne d'autre qu'eux n'occupent les lieux. C'est d'ailleurs la première fois que Madeline foule le sol matelassé sans le reste de sa classe, sans la présence rassurante du professeure Ginger Dofrost ainsi que l'assistance appréciée de Donovan Elder. En arrivant, elle s'est étonnée de trouver cette pièce bien plus vaste que d'ordinaire, dépourvue des sacs de sport s'entassant sur les bancs au fond de la pièce, dénuée des bruits de luttes et des respirations saccadées ou bien désertée de ses habituels occupants énergiques.

- On essaye que depuis une petite heure, il n'y a pas de raison de renoncer, affirme Julian
- À part peut-être le fait que je sois un cas désespéré ? réplique Phoebe dans un rire amer

Ce n'est pas l'unique fois que la jeune femme porte de tels propos à son sujet. Madeline se souvient l'avoir entendu dire la même chose deux jours plus tôt, le soir où elle perdait tout contrôle sur ses émotions et par conséquent, sur ses dons.

- Ne pars pas en étant aussi défaitiste ou tu risque vraiment de ne pas progresser, lui dit-elle
- Pardon mais je ne peux pas le formuler autrement, coupe la métisse d'un ton sec mal maîtrisé

Ses yeux marrons sont si assombris par ses tourments qu'ils paraissent aussi noirs que ses cheveux. Sa voix a délivré cette phrase de manière brutale mais involontaire, la pression s'accumulant et la déception qu'elle ressent en ne parvenant pas au résultat espéré font durcir ses traits, dans un mélange étourdissant de colère, de dépit et de vexation. Sa patience ne tient plus qu'à un fil, plus fin que tout ce qui peut exister.

- Je n'étais qu'une gosse, même pas sortie du jardin d'enfant, quand ces pouvoirs ont commencé à tout foutre en l'air dans ma vie ! Et depuis ce temps là, rien n'a été couronné de succès, rien n'a été facile ! Je ne sais pas ce qui cloche chez moi, je ne saurais dire pourquoi je suis incapable de maîtriser ces dons qui sont un véritable fléau pour moi ...

Après s'être tendu pour évacuer cette colère froide et douloureuse, les épaules de Phoebe s'affaissent. C'est tout son corps qui s'effondre sous le poids des échecs qu'elle traîne depuis des années. Accablée par cette déception massive, elle se laisse tomber sur le sol rembourré et se prend la tête dans les mains.

Voir son amie ainsi lui fait l'effet d'un couteau triturant par la pointe de la lame dans son cœur, Madeline s'accroupit pour la réconforter mais cherche les mots justes. Difficile pour elle de savoir comment compartir à ce problème qu'elle n'a jamais rencontré en tant qu'immaculée, elle pourrait aggraver la situation déjà tendue sans le vouloir.

C'est donc Julian qui s'en charge. Il se laisse glisser au niveau de Phoebe, un bras posé sur son genou relevé, l'autre genou à terre. D'une voix posée et d'un ton calme parfaitement dégagé, il prend la parole de manière douce, comme un grand frère épaulant sa petite sœur qui vient de tomber de vélo.

- Je n'ai jamais dit que ce serait facile, parce que ce n'est pas le cas. J'ai connu ça aussi, cette impression d'échec qui s'enraille dans le cerveau et qui fait disparaître tout le reste à tel point qu'on n'imagine plus pouvoir faire autre chose que tomber. Ça m'a pris des années pour pouvoir débloquer tout mon potentiel, il a fallu que je m'entraîne longtemps avec ma mère alors que je n'étais qu'un gosse. J'aurais préféré aller jouer au foot avec mes copains, comme n'importe quel garçon, mais qu'est-ce qui se serait passé si j'avais fait geler la pelouse en tombant par terre ou si mon pied transformait le ballon en boule de glace ? Alors je devais apprendre, comme tu dois le faire aujourd'hui

Les deux jeunes femmes écoutent attentivement les confidences du lunaire, dont les yeux bleus se sont perdus dans le vague, vers des souvenirs datés depuis plusieurs années. Phoebe redresse son regard bordé de larmes de frustration refusant de couler sur lui, sa mâchoire se desserrant petit à petit.

- Ça n'a pas été une partie de plaisir tous les jours, loin de là ! se rappelle-t-il. J'en voulais parfois à ma mère de m'infliger ça, surtout parce que j'avais l'impression de perdre mon temps. Mes pouvoirs semblaient incontrôlables, je n'arrivais pas à les mobiliser à ma guise ... il a fallu que ma mère soit ferme, qu'elle me force à préserver et qu'elle m'impose cet entraînement intensif. Ce n'était pas toujours agréable, ça l'était rarement d'ailleurs mais aujourd'hui, je lui en suis très reconnaissant. Il a aussi fallu que je trouve la clef pour débloquer la situation et que j'accepte les obstacles pour mieux y faire face, que je ne devais pas penser à prendre le contrôle de mes dons

La blonde croit comprendre ce que veut dire Julian, ce qui n'est pas le cas de la brune.

- Comment ça ? s'étonne Phoebe en fronçant les sourcils. Il faut bien que je mène la barraque si je veux m'en sortir un jour
- Ne vois pas les choses de cette manière là. Toute ta vie, tu as essayé de faire plier tes dons à ta volonté, sans succès. Tu ne dois pas les assimiler comme une chose qu'il faut dompter à tout prix. C'est une partie intégrante de toi, une extension de ta personne. À trop vouloir prendre le dessus sur tes dons, tu finis par les laisser te submerger. Embrasse cette part de toi, accepte-la et sers-t'en comme une égale
- C'est comme un travail d'équipe finalement, réalise Madeline. Tu dois avancer main dans la main avec tes pouvoirs, sans chercher à les dominer

Un éclat passe furtivement dans les yeux de Phoebe, les propos de Madeline et Julian ont eu un écho au fond d'elle. La brune y réfléchit activement, en atteste le pli se formant entre ses sourcils.

- Et nous, on est là pour t'accompagner, assure Julian
- Peu importe où tu nous mènes, on ira avec toi, promet l'immaculée
- Et si je n'arrête pas de me foirer ? demande Phoebe
- Les doutes nous renforcent, ils donnent de l'importance à la réussite, lui intime Madeline

Julian croise le regard de cette dernière, il hoche presque imperceptiblement la tête en lui souriant doucement. La blonde lui rend immédiatement la pareille avant de reporter son attention sur sa voisine de palier. Phoebe elle continue de penser à tout ce que ses amis viennent de lui dire. Au bout de quelques secondes, elle inspire profondément et les regarde tour à tour, une détermination évidente brillant dans ses prunelles.

- Bon, on s'y remet ou quoi ?

Les confidences de Julian, la confiance de Madeline et surtout, l'assurance de pouvoir compter sur eux ont eu un effet extraordinairement bénéfique sur Phoebe. Bien plus motivée qu'en arrivant ce matin dans le gymnase, la métisse déploie des efforts nourris par sa volonté de progresser. Un déclic s'est produit au fond d'elle, créant une persévérance nouvelle en train de s'affirmer.

Pendant encore un bon moment, ils poursuivent l'entraînement. Les tentatives s'enchaînent, les conseils sont formulés, l'heure frôle midi.

- Ne pense pas uniquement à la destination, représente toi dans ta tête la manière de t'y rendre, suggère Julian
- La manière ? Les seules fois où j'ai réussi à voyager, c'était complètement inconscient donc je ne sais pas grand chose de ce moyen de locomotion, raille Phoebe
- Alors fies-toi à tes sensations, renchérit Madeline. Ça va au-delà du contrôle intellectuel, c'est une impression physique qui dépasse la conscience. Pense à ce que tu as ressenti les fois où tu as traversé, ce que ton corps a senti pendant cette période de transition d'un point à un autre. Sinon, imagine ce que tes sens peuvent ressentir une fois arrivé à destination

Les paupières de la brune se ferment, afin d'amplifier sa concentration. La blonde se penche vers son amie, sous les prunelles attentives de Julian braquées sur elle. La jeune immaculée ne peut pas être sûre que les recommandations qu'elle prodigue puissent être couronné de succès et pourtant, elle ne recule pas et essaye tout ce qu'elle peut pour épauler la lunaire en difficulté. Volontaire, elle s'implique entièrement et tente tout ce qu'elle est en mesure d'apporter.

- Peu importe où tu te trouves, tes sens sont toujours sollicités activement. Le vent dans tes cheveux, une odeur d'iode ou de sous-bois, le chant des oiseaux ou d'une ville grouillante d'animations, le soleil sur ta peau, du sable sous tes pieds ou des gouttes d'eau qui trempent tes vêtements sous une averse ... tout ça compte, ça fait partie du voyage, lui dit Julian

Le visage de Phoebe est verrouillé à double-tour, tendu par la concentration. Une goutte de sueur perle sur son front et glisse le long de sa tempe. Un pli se forme à nouveau entre ses sourcils, sa respiration est si lente que l'ombre d'une seconde, Madeline se demande si son amie va bien.

- Laisse-toi porter ..., ajoute-t-il dans un murmure

Puis, tout se passe très vite. Aussi imprévisible qu'un éclair en plein orage ou qu'une bourrasque soudaine.

Des étincelles vertes, bien plus lumineuses que celles que Madeline a pu apercevoir deux jours auparavant, se mettent à scintiller autour des mains de Phoebe. Elles ondulent telles des filaments de lumières et s'enroulent autour de ses poignets, jusqu'à recouvrir ses avant-bras. Tout ça, en l'espace de deux secondes.

Surprise par cette apparition inattendue, la brune émet une inspiration d'étonnement. Dans sa panique, elle agrippe les mains de Madeline et Julian à l'instant où un flou verdoyant émane des étincelles vertes. Ce flou les enveloppe de la tête aux pieds d'une sensation de fraîcheur, semblable à une brise d'été. La lumière vert pâle s'intensifie pour cesser une seconde plus tard, faisant s'évanouir avec elle le courant d'air qui les a absorbé.

Lorsque Madeline redresse la tête et jette un coup d'œil alentour, ses yeux verts ne rencontrent plus les murs du gymnase. Ce qu'ils observent est une vue bien plus époustouflante.

Les trois amis sont sur une côte, constituée d'immenses rochers en granit blanc. Des zébrures gris clair marbrent la roche déjà constellée de petits grains si pâle et lumineux qu'ils s'apparentent à de la poudre d'or. Il n'y a aucune plage de sable, seulement des rochers de tailles et de formes en tous genres. La mer vient se jeter contre les parois grenues à intervalles réguliers, formant un ressac apaisant aux pointes salées. Son bleu cristallin est d'une pureté magnifique, une teinte qui n'est pas sans rappeler à Madeline celle des yeux de Julian.

C'est un cadre splendide, chatoyant de clarté et où le seul soleil parvenant à percer les nuages suffit pour créer une sensation de plénitude.

- Tu as réussi Phoebe ..., souffle Madeline, ébahie par le paysage
- Je ne connais pas cet endroit mais ... c'est superbe, confirme Julian
- On est à Little Princetown, dans le comté de Lanstern. Je suis venue ici avec mes parents en vacances, trois fois il me semble, répond Phoebe

Ces mots, simples en apparence, sont pourtant d'une importance primordiale. Madeline le mesure en dévisageant son amie, qui s'essaye à sourire malgré les larmes bordant ses yeux marrons.

- Tu l'as fait ! Bordel, tu l'as fait Phoebe ! s'exclame la blonde
- Oui, j'ai réussi ! Merde, j'ai réussi à traverser ! poursuit la brune sur le même ton survolté

Les deux jeunes femmes se précipitent l'une vers l'autre dans un même mouvement, elles se prennent dans les bras et s'éteignent frénétiquement.

- Tu ne nous as pas lâché n'importe où, on est là où tu voulais aller ! continue l'immaculée, surexcitée

Cette dernière se recule de sa voisine de palier pour lui laisser le loisir de respirer correctement.

- Je ne sais pas si c'est un coup de bol mais en tout cas, c'est à cet endroit que je pensais, rit-elle en essuyant une larme
- C'est peut-être la chance du débutant mais ce n'est pas important, ce qui compte c'est que tu as réussi. Bravo pour ça, la félicite Julian

Les trois amis arborent des sourires similaires, plus que ravis du progrès de la lunaire.

- Je ne suis pas si cassée que ça alors ? demande Phoebe, dans un rire nerveux
- On a de quoi te réparer, ne t'en fais pas, lui assure Julian avec un hochement de tête
- On va se mettre au bricolage pour toi puisque ça a l'air de porter ses fruits, constate Madeline avec un sourire

Encore toute retournée par l'exploit qu'elle vient de réaliser, la brune pose ses mains sur le sommet de sa tête en prenant la mesure de ce récent accomplissement. Pendant qu'elle redescend peu à peu - pas du tout - de son petit nuage, Madeline en profite pour balayer le cadre qui les entoure d'un regard.

Ça faisait un moment, plusieurs années, qu'elle n'avait pas vu la mer. Elle prend conscience à quel point ces paysages sauvages, cette nature brutale et pourtant si belle lui avaient manqué. Les yeux clos, elle remplie ses poumons d'une grande goulet d'air fleurant bon les embruns iodés. Elle fait quelques pas sur les rochers de granit blanc afin de s'approcher de la falaise surplombant la mer où Phoebe les a fait atterrir.

Pendant la période estivale, lorsque le soleil est bien plus clément, ce point de vue remarquable doit assurément être envahi par un nombre colossale de touristes. Mais en ce mois de Janvier, personne ne vient troubler la quiétude de ce petit coin de paradis. Il n'y a rien d'autre que le chant des quelques mouettes qui s'aventurent dehors, le bruit des vagues s'écrasant inlassablement sur la roche et ce panorama, d'une beauté à couper le souffle.

En contemplant ce tableau qui s'offre à eux, Madeline remarque que d'autres rochers forment des îlots solitaires dans la mer. Certains sont presque entièrement noyés par la grande bleue, si bien qu'on ne distingue qu'une petite pointe blanche à paillettes dorées qui cherche à sortir la tête de l'eau. D'autres en revanche émergent davantage de la surface, s'empilent et s'entassent aléatoirement comme si un enfant avait joué avec des cubes de construction. L'une des roches attire l'œil de Madeline, sa forme élancée et arrondie fait penser à la tête d'un cygne voguant sur l'eau. L'imagination n'est même pas nécessaire, le granit représente presque parfaitement le cou gracile de cet élégant oiseau, se terminant par la pointe de son bec. La couleur blanche de la roche ne fait que renforcer cette interprétation.

- Toi aussi, tu vois un cygne ? lui demande Julian en se postant à sa gauche
- C'est exactement ce que j'étais en train de penser, concède la blonde
- Les habitants de Little Princetown ont une légende pour pas mal de rochers aux formes étranges mais celle du cygne est la plus populaire, dit Phoebe

Elle se place à droite de Madeline et tous trois portent leurs regards sur ladite roche en forme de cygne.

- Ils racontent qu'autrefois, un prince s'est enfui de son royaume pour éviter de subir un mariage arrangé dont il ne voulait pas entendre parler. Ce qui lui faisait envie, c'était voyager, voir le monde et pas rester assis sur un trône à côté d'une femme qui ne lui inspirait rien d'autre que de l'indifférence. Sauf que la princesse qui lui était promise n'a pas tellement apprécié cette fugue. Elle a chargé une sorcière, qui entretenait des liens étroits avec sa famille, de mettre la main sur le prince et de lui faire goûter sa colère. Lorsque le prince a atteint la côte de Little Princetown, la sorcière l'a retrouvé, l'a poussé dans la mer et l'a changé en rocher. Il aurait pris la forme d'un cygne parce qu'il s'agit d'un oiseau noble, doté d'ailes qui ne lui permettent pas de voler. Ainsi, le prince payait le prix de ses envies d'escapade et se retrouvait prisonnier de sa propre liberté
- C'est une belle histoire, admet Julian
- Très probablement complètement fausse mais c'est une belle histoire, raille Madeline

Un sourire rieur, à la fois présent et pourtant nostalgique, fend le visage de Phoebe.

- Mon père me l'a raconté à chaque fois qu'on est venus passer des vacances ici. Apparemment, j'ai beaucoup mieux retenu cette légende que les conseils qui a essayé de me donner à propos de mes pouvoirs, réalise-t-elle
- C'est lui qui t'a transmis ses pouvoirs ? lui demande Julian
- J'ai hérité du voyage-éclair de mon père, pas de la télépathie de ma mère, répond la brune avec un hochement de tête
- Ça fait de toi une lunaire pure souche, constate Madeline
- Et pourtant, ça ne m'a pas permis d'être première de la classe niveau maîtrise !

Une bourrasque de vent balaye le haut de la falaise, déroutant deux mouettes de leur trajectoire. Les mèches brunes ondulées de Phoebe volent dans tous les sens, Madeline se met à frissonner en resserrant ses bras autour d'elle. Le seul qui n'est pas incommodé par le vent et le froid qu'il amène avec lui est Julian, évidemment.

- Mes parents ont fait tout ce qu'ils pouvaient pour m'aider, surtout mon père. C'est lui qui m'a fait retenir une phrase censée me calmer pendant mes moments de ... " perte de pédales totale "
- « Savoir où aller, c'est savoir comment s'y rendre ou choisir de ne pas traverser », se remémore l'immaculée
- Exact, acquiesce son amie. Je crois que je commence à comprendre ce que cette phrase veut dire ...

Madeline et Julian se glissent un nouveau regard du coin de l'œil, la même pensée traversant leur esprit. Dès que les conseils de ses amis ont débloqué le cadenas enfouis en elle, le visage de Phoebe s'est complètement déverrouillé, comme reprenant vie.

- Il fallait simplement trouver la bonne méthode, dit la blonde
- Ça reste à prouver sur le long terme mais en tout cas, c'est déjà un début très encourageant, sourit Julian

Au delà de la joie apparente que procurent ces compliments, il y a une forme de soulagement profond qui détend chacun des traits de la métisse.

Un nouveau courant d'air les percute de plein fouet, plus violemment que le précédent. Les griffes acérées du froid s'enfoncent dans leurs chairs, il devient plus dur pour les jeunes femmes sensibles à cette chute de température de rester ici en tenue légère.

- Bon, ce n'est pas que je m'ennuie mais je ne tiens pas vraiment à chopper une pneumonie. On se les pèle vraiment ici ! intervient Madeline, les dents serrées
- Ça serait bête que tu refiles tes microbes à toute l'Académie, plaisante Julian

Il pose ses mains sur les bras de la blonde et tente de la réchauffer en frottant ses paumes contre sa peau. Ce contact agréable réconforte Madeline, qui sent malgré tout des frissons la parcourir de la tête aux pieds.

- J'espère que tu ne fais pas des aller sans retour, ajoute l'immaculée à l'intention de Phoebe
- Crois-moi, j'espère aussi. Pour la survie de tes doigts, je l'espère vraiment, avoue-t-elle

☽⁂☾

Heureusement pour eux, ce n'est pas le cas. Chacun a pu réintégrer la chaleur du château, avec l'intégralité de ses doigts.

Le soir, tout le monde regagne son dortoir pour se préparer à cette nouvelle semaine de cours qui les attend. Enfin, presque tout le monde. Il est presque minuit et pourtant, Madeline erre dans la salle commune, dans le calme reposant de cette pièce désertée à cette heure tardive.

Ou plus précisément, elle se tient tout près du piano à queue, comme si l'instrument avait exercé sur elle une forme d'attraction involontaire. Ses yeux verts contemplent la beauté de cet ouvrage en ébène laqué, au clavier immaculé et brillant de vernis. Elle navigue derrière le tabouret, tel un lion en cage, tout en essayant de résister à ta tentation de s'y installer. Ça fait bien trop longtemps que ses doigts n'ont plus rencontré ces fameuses touches noires et blanches, bien trop longtemps qu'elle ne s'est plus perdue dans ces accords et ces notes qu'elle affectionne tant. Une part d'elle se languit de cette absence, de ce manque qui lui paraît subitement insupportable.

Alors elle cède à cet appel et prend place sur le tabouret rectangulaire, derrière le clavier. La pianiste en elle se réveille et laisse s'exprimer sa passion, faisant résonner les notes vibrantes de River flows in you par Yiruma. La blonde entre dans une transe douce, où plus rien ne compte hormis ces touches capables de la transporter au-delà de tout ce qui est connu. Subitement, elle ne se trouve plus dans la propriété de l'Académie Dawson, Dinkleling, comté de Bilburton. Et ça fait autant de bien qu'un saut furtif au bord de la mer, si ce n'est plus.

L'instant où Madeline rouvre les yeux et redescend sur terre, c'est parce qu'une belle paire d'yeux bleu l'observe avec admiration. D'eux-mêmes, ses doigts s'interrompent et restent en suspension au-dessus des touches désormais muettes.

- Ne t'arrête pas, lui dit Julian. Je t'en prie, ne t'arrête surtout pas
- Tu as aimé ?
- Chaque seconde, acquiesce-t-il en s'approchant du piano. C'était magnifique ... je ne savais pas que tu jouais aussi bien

Une vague de chaleur s'enroule autour du cœur de l'immaculée, ravie par ce compliment. Le lunaire émerge de l'obscurité régnant dans la salle commune, dont la seule source de lumières sont les larges fenêtres illuminées par la blancheur puissante d'une lune presque pleine.

- On a tous nos petits secrets, dit-elle, l'ombre d'un sourire malicieux aux lèvres
- Je ne t'ai entendu jouer du piano qu'une seule fois, pendant une fête de fin d'année au lycée. Enjoy the silence de Depeche Mode, se remémore Julian en se rapprochant d'elle. Mais j'ignorais que tu étais aussi douée
- Oh ce n'est pas si compliqué. Il suffit d'aimer se laisser porter

Ce souvenir adolescent ravivé, elle pianote les quelques notes qui permettent de reconnaître aussitôt cette célèbre chanson. Son ami sourit et s'accoude au piano pour mieux la regarder.

- Tu n'as jamais pensé à en faire ton métier ? lui demande-t-il. Avec ton talent, tu le pourrais vraiment !
- Le nombre de fois où j'en ai rêvé est incalculable, admet-elle. Et récemment, ça m'a pas mal trotté dans la tête lorsque j'ai vu une occasion se présenter. Et puis, l'Académie est passée par là

Madeline tente d'ignorer le nœud qui s'est formé dans son estomac en repensant à cette déception amère. Julian semble saisir sa peine, son sourire s'est évanoui et il hoche la tête avec compassion.

- Ça remet beaucoup en cause, n'est-ce pas ?
- Légèrement, ironise-t-elle. Et toi ? Tu avais des plans avant de revenir ici ?
- Pas vraiment, en fait je n'ai jamais cessé d'aider ma mère. J'ai toujours voulu agir dans le monde des lunaires, me rendre utile pour ceux qui sont comme nous alors je suis rester en contact avec ma mère, même à distance. Mais dernièrement, des choses se sont passées et ça a modifié notre équilibre
- Des choses ? Quel genre de choses ?
- J'aimerais bien le savoir, réplique-t-il avec une acidité qui n'est pas à l'encontre de la blonde

Elle le comprend, assistant à la bataille intérieure du lunaire. Elle se décale légèrement sur son tabouret et tapote l'espace à ses côtés, invitant Julian à s'y asseoir.

- Je ne suis pas idiot, je sais que ma mère me cache des choses, avoue-t-elle en prenant place près de la blonde. Depuis longtemps, elle projetait de rouvrir l'Académie. En passant, elle n'a jamais voulu me dire pourquoi elle avait été fermée en premier lieu. Et puis un jour, elle est rentrée avec une balafre sérieuse sur la joue. Son envie d'ouvrir à nouveau les portes de l'Académie a redoublé après ça, elle s'est donnée corps et âme pour atteindre son objectif. Je l'ai aidé comme j'ai pu, jusqu'au jour où elle nous a demandé, à moi, Blair et Zadig, de revenir auprès d'elle par mesure de sécurité. Et c'est aussi cette excuse pétée qu'elle nous sert quand on veut en savoir un peu plus sur tout ce qu'elle préfère nous taire

En entendant les confidences de son ami, Madeline est rassurée de constater qu'elle n'est pas la seule à se poser autant de questions, que ce soit sur l'Académie Dawson, sur sa réouverture ou sur le monde apparemment complexe des lunaires. Bien qu'il soit proche de sa mère, Julian ne semble pas beaucoup plus avancé qu'elle bizarrement.

- Et donc me revoilà, comme si rien n'avait changé, ironise-t-il avec un sourire de façade
- Ne dis pas ça, on a tous changé un peu avec les années ! Sauf Zadig, réalise-t-elle. Ton frère est le seul à être rester le même
- Zadig est hors catégorie pour beaucoup de choses, s'amuse-t-il

Les yeux bleus de Julian coulent un bref regard à la blonde, Madeline hausse un sourcil signifiant « vas-y, dis ce que tu as sur le bout de la langue ».

- Vous semblez plutôt proches tous les deux ...
- C'est vrai, acquiesce-t-elle

Le lunaire réprime difficilement sa grimace penaude et déformée par la jalousie.

- C'est un bon copain, renchérit-elle. On s'est toujours bien entendus tous les deux, depuis le lycée. Et maintenant, je crois que je suis une sorte de repaire immuable pour lui. Moi aussi je suis embarquée dans cette histoire de lune alors que je n'ai pas de pouvoirs. Il n'en sait pas plus que moi sur ce monde de fous, même si lui a choisi de ne pas connaître tout ça. Je pense que je le rassure ...

Julian plisse les yeux, n'ayant pas vu la situation sous cet angle là.

- Et puis, je ne dois pas être de si mauvaise compagnie apparemment, plaisante l'immaculée
- Je t'assure que non, il ne s'embarrasse pas à traîner avec les gens qu'il n'apprécie pas ! rit Julian

Le vert et le bleu se croisent, illuminés par leurs sourires et le clair de lune. Dans la quiétude de la nuit, il y a quelque chose de beau dans cet instant de complicité simple, sans fioritures et d'une pureté absolue.

- Tu dansais avec Rebecca Kanderlong, ou plutôt tu essayais de te débarrasser de ses boucles roses envahissantes et de ses mains baladeuses, se rappelle la blonde

Des éclats de rire échappent à Julian, qui n'avait plus repensé à cette scène de leur fête de fin d'année lycéenne depuis bien longtemps.

- Oh merde, j'ai vraiment cru qu'elle avait un lien de parenté avec une pieuvre à ce moment là ! se marre-t-il.
- Même si elle ressemblait un peu à un poulpe dans sa robe beige trop serrée pour elle. Désolée si tu as les oreilles qui sifflent Rebecca, c'est normal ! s'amuse la blonde
-

C'est sûr qu'elle était beaucoup moins jolie que toi

Madeline penche la tête sur le côté, dévisageant silencieusement son ami. Ce dernier ne le remarque pas, bien trop plongé dans ses souvenirs juvéniles.

- Tu portais une robe violette aux manches et à la jupe en tulle, tu ressemblais à une princesse ... et après, je t'ai vu enfilé un perfecto en cuir et je me souviens avoir pensé que ça te définissait parfaitement bien. Tu es toujours là où on ne t'attend pas, d'une manière bien à toi, lui raconte-t-il

Un sourire soulève les lèvres de la jeune femme, elle sent que ce compliment s'insinue dans ses veines comme une merveilleuse drogue. Une fois de plus, leurs regards s'ancrent l'un dans l'autre et semblent vouloir défier l'espace temps. Jusqu'à ce qu'une porte claque non loin et les ramène sur terre, à minuit passé.

- Il se fait tard, je devrais aller me coucher si je veux pouvoir sortir du lit demain matin, dit la pianiste
- Zadig suffit amplement, pas la peine que tu lui voles sa place de cancre, plaisante Julian

Elle se lève du tabouret et se tourne vers la porte qui lui permet d'atteindre l'escalier le plus proche. Avant ça, elle se tourne une dernière fois vers Julian, toujours installé derrière le piano.

- Je suis heureuse de t'avoir retrouvé, sourit-elle

Ce dernier lui rend son sourire, il ne la quitte pas des yeux lorsqu'elle s'éclipse de la salle commune, en direction de son dortoir. Subitement, la pièce lui apparaît vidée d'une présence centrale, qu'il tente de combler par un murmure :

- Tu ne m'as jamais quitté ...

☽⁂☾

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