
† VINGT-HUIT †
— Ça y est, tu es presque prête...
Face à mon miroir, le soir même, alors que je me prépare à agir, Evan m'apparaît. Derrière moi, à seulement quelques centimètres de mon corps. La vision de ses yeux ne me fait plus peur, bien au contraire. Il ne m'a jamais paru aussi rassurant qu'à cet instant. J'ai l'air d'une petite fille lorsque je le regarde.
— Bientôt, tu sauras tout.
Je saurais tout ? Vraiment ? La crainte de justement tout savoir m'empoigne les tripes une seconde, mais est vite remplacée par la soif de l'inconnu. La faim insatiable de la découverte. Tant de destins ont été changés par le biais de ces événements incongrus et inattendus, en bien ou en mal. Christophe Colomb est devenu une légende pour avoir découvert l'Amérique ; Neil Armstrong, un héros pour avoir découvert le sol lunaire. Pour certains, cela se révèle plus noir, comme pour la totalité des chercheurs et archéologues ayant découvert le tombeau de Toutânkhamon. La malédiction du pharaon a fait beaucoup de victimes et a noirci les vies d'énormément de gens pensant avoir trouvé de l'or en barres.
Quelle fin me sera destinée ?
Le bien... Le mal... Y a t-il réellement une passerelle entre les deux ?
— Evan... Ce que je m'apprête à faire, ce soir... Est-ce bien ou mal ?
Pourquoi j'ai posé cette question ? Mes sens désespérés ou la petite fille effrayée blottie en moi en ont peut-être forcé la demande. J'espère des mots pouvant me faire reculer, ou bien même avancer tête baissée, comme ça, je serais enfin définitivement débarrassée. Evan me fixe, sans bouger. Quelle idiote...
Pourquoi poser des questions à un fantôme ? Contre toute attente, un sourire bordant le coin de ses lèvres, Evan finit par m'offrir une réponse :
— Nous sommes l'incarnation du mal, Sephora... Cet acte est nécessaire à ton développement personnel. Estime-le alors bon pour toi. Tu n'es pas n'importe qui et bientôt, tu apprendras la véritable raison de ta venue sur Terre. Et lorsque cela arrivera...
Lentement, je pivote en face de lui, comme attirée par son aura magnétique. Nous sommes encore plus proches de cette manière. Il n'y a qu'un pas entre lui et moi, et cette proximité attise en moi un drôle de brasier dans mes entrailles. Sa main glacée glisse enfin sur ma joue rougie. Evan... Qu'est-ce que tu me fais ?
— Je serais là pour te seconder... Ma reine.
Evan... Ne me laisse pas... Je t'en prie... J'ai besoin de toi...
Sans que je ne pense à le repousser, il s'approche davantage de moi, sa main toujours posée sur ma joue. L'espace entre nous et désormais dérisoire, si bien qu'il n'a aucun mal à me donner un baiser sur le bout des lèvres. Or, je n'ai le temps d'y goûter qu'Evan disparaît dans un nuage de fumée noire.
Les yeux ouverts sur ses dernières volutes, je réalise que je suis enfin prête. Plus moyen de reculer, désormais.
Projetant un dernier regard sur ma personne, je ne me reconnais pas. Mes cheveux ont repris leur bouclé naturel et sauvage. Ils sont d'un noir profond, accordés à mon fard à paupières charbonneux et mon mascara. Un rouge incendiaire peint ma bouche et une mini-jupe en cuir sombre découvre mes longues jambes nues. J'achève ma séduisante panoplie avec des talons hauts et deux boutons dégrafés sur mon décolleté.
J'ai l'air d'une femme fatale, d'une aguicheuse prête à partir à la chasse.
C'est un peu le cas...
Déterminée et armée de mon précieux scalpel, j'avance vers mon entrée avant de voir mon vieux chat en peluche, sur mon étagère. Serré dans mes mains, il me regarde tristement, comme s'il me suppliait de rester ici et de ne pas écouter mes pulsions. Mon pauvre petit... C'est plus fort que moi. J'ignore même si je vais pouvoir rentrer à la maison, après ce que je vais faire. Il est hors de question que je te laisse ici tout seul, tu l'as été durant bien trop d'années. Il trouve rapidement une place dans mon sac à bandoulière, sa tête dépassant de la fermeture éclaire.
Je me rends à pied au cabinet. La nuit est tombée depuis un moment, mais je sais que ce soir, Marsch travaille tard pour arranger son bureau. J'espère ne pas le louper en arrivant après son départ. Arrivée sur l'avenue, le cabinet dentaire n'est plus qu'à quelques mètres. Où est-il, ce foutu dentiste ?
Il est là...
Au loin, je vois une silhouette sortir du bâtiment. Il ne porte plus sa blouse blanche, mais je le reconnais. C'est Marsch. C'est le moment... Je déglutis et ma salive me paraît acide. Seulement, un feu immense brûle en moi et me hurle d'y aller. Les flammes dissipe l'acidité et tel un félin, je défile sur mes escarpins, tout droit vers ma proie inconsciente que j'accoste :
— Docteur Marsch, quelle surprise. Comment ça va ?
Il relève des yeux étonnés sur moi, avant de me reluquer de haut en bas ; il ne s'attendait pas à me voir, surtout pas vêtue et maquillée de la sorte. Son attention se porte presque immédiatement sur ma poitrine très bien mise en valeur.
— Mademoiselle Ravenscroft, je... Je vais bien, merci. Qu'est-ce que vous... faites ici ?
— Oh, je... Je me baladais. J'avais envie de sortir, ce soir. Tirer profit de la nuit.
— Ah, marmonne-t-il avec hésitation, sans pouvoir me quitter des yeux. Profitez de votre week-end, alors. Au moins, lundi, vous serez en forme à l'ouverture du cabinet. Bon, passez une bonne soirée.
Il s'en va, m'accordant un dernier sourire contrit. Je ne peux pas le laisser fuir ! Ce pourquoi, je m'élance et l'arrête d'un éclat de voix :
— Attendez ! Je... Je voulais vous parler.
Mon air suppliant à l'effet escompté ; Marsch s'arrête et se retourne dans ma direction.
— Je sais que... Je n'ai pas été une employée très... diplomate, avec vous, ces derniers temps. Je voulais vous présenter des excuses.
— Me... présenter des excuses ? dit-il, presque méfiant.
— Oui. Je n'étais pas moi, dernièrement. J'ai vécu beaucoup de choses qui m'ont un peu fait perdre la raison. J'ai rompu avec mon copain, mon père ne me parle plus, j'ai perdu des amis, et... ça m'a beaucoup touchée et déconnectée du monde réel. J'ai été bête tout ce temps, insensible et détestable... surtout avec vous.
Il se revêt d'un air compatissant envers moi. Je ne me croyais pas si bonne comédienne.
— Mais non, voyons... Je peux comprendre que vous aillez eu un moment de faiblesse. On en a tous. J'accepte vos excuses, Sephora.
— Merci, Docteur Marsch. Et... Je sais que ça peut paraître soudain, mais...
Le jeu démarre enfin. À pas de velours, telle une élégante panthère, je m'approche de mon employeur qui reste bouche bée devant ma prestance. Il me regarde avec une intensité malsaine, malgré son air neutre de circonstances. Je peux presque entendre son cœur battre la chamade dans mes oreilles.
Je lui fait un effet fou.
Lorsque j'arrive face à lui, ma langue caresse doucement ma lèvre inférieure dans un mouvement sensuel. Ses yeux me dévorent littéralement, appuyant une étincelle d'envie sur mon balconnet en dentelle rouge flamboyant, dépassant de mon chemisier. Il fantasme sur mes courbes sans la moindre trace de honte. Qu'il se rince l'œil tant qu'il le peu encore...
Très proche de lui, je lui souffle enfin mon désir :
— Si vous êtes toujours d'accord, bien entendu, je veux bien envisager quelque chose avec vous.
L'enclume est tombée, activant un haussement de sourcil de la part de la victime. Il reste muet quelques secondes et j'en profite pour tenter mon coup de bluff. Je place vite un espace entre lui et moi qui semble le désarçonner. J'enchaîne alors, en lui tournant le dos :
— Mais je ne veux pas que vous pensiez que je fais ça pour l'intérêt, ce n'est pas du tout mon intention. J'ai simplement... besoin de quelqu'un. D'un ami, d'un amant... Je me sens si seule...
La tristesse dans ma voix me semble presque réelle, je m'épate moi-même. Il va me prendre pour une jeune biche esseulée et en détresse, c'est justement ce que je veux. Il va très vite tomber dans mes filets et à cet instant, c'est ce qui arrive.
— Attendez, Sephora... !
Gagné. Sa main empoigne la mienne, me retournant vers lui. Il n'a aucun scrupule à me surplomber avec son petit sourire mielleux.
— C'est un peu soudain, oui, surtout avec ce qu'on a vécu ensemble, que ce soit nos disputes ou nos... échanges. Mais sachez que je suis toujours sensible à vous. Vous êtes une vraie beauté, Sephora.
— Je vous remercie, minaudé-je, avec une fausse timidité.
— Donc... Vous êtes d'accord pour me laisser une chance de vous séduire ?
— Parfaitement, Docteur Marsch.
Un sourire écœurant nait sur son visage assez bien ciselé pour son âge. Une mine joueuse accrochée à la bouche, il me susurre alors, tout proche de moi :
— Très bien. Dans ce cas... Appelez-moi Daniel.
Daniel... Mon beau Daniel...
Tu vas bientôt crier à la mort.
En moins de temps qu'il ne faut pour le dire, on se retrouvent dans la ruelle déserte à côté du cabinet, en pleine séance d'embrassade fougueuse. J'ai déjà connu mieux comme endroit où s'envoyer en l'air. On ne peut pas dire que ça respire la propreté, ou même le romantisme, mais ça ira pour mettre mon plan en œuvre. Au moins, nous sommes à l'abri des regards indiscrets.
Marsch goûte à toutes mes coutures, au moindre grain de ma peau caramel, glissant sa main sur ma cuisse fraîche jusqu'à passer sous ma jupe où il palpe mes fesses avec envie. Un gémissement sort de mon empreinte corporelle, simulant un plaisir qui n'existe pas. J'enfonce mes doigts dans l'arrière de ses cheveux, tandis qu'il butine ma gorge et que sa main continue son ascension jusqu'à mes sous-vêtements qu'il baisse jusqu'à leur faire toucher le goudron sale.
Cet homme est dégoûtant de perversité et moi, je joue le jeu à fond, entourant ma cuisse autour de ses hanches, espérant lui faire croire que mes barrières sont ouvertes. Pressée contre la peau de son torse en dessous de sa chemise ouverte, je caresse sa poitrine velue et glisse jusqu'à son flanc gauche, tâtant l'endroit précis où je le planterai.
Ce salaud mérite tellement ce que je m'apprête à lui faire subir.
Lorsque je sens des doigts effleurer mon antre secrète, je réalise qu'il est l'heure d'agir. Je ne peux plus attendre davantage. J'ouvre les yeux par dessus son épaule. Le scalpel glisse de ma manche et atterri dans ma main libre. J'en ai l'ambition... Je dois le faire...
Je dois le tuer !
— Fais-le, Sephora... Au nom de la vérité...
Une voix me souffle à l'oreille ; celle d'Evan. Très vite, il est suivi par celle d'Angela, Myrtle et Phébus, en cacophonie. Ils m'encouragent, me soutiennent. Je... Je ne peux pas les décevoir. Leurs complaintes font trop de bruit dans ma tête, ça bourdonne si fort... Arrêtez, ça suffit... Arrêtez !
Tremblante à la folie, ma main s'élance finalement vers le flanc de Marsch où le scalpel se loge violemment.
Il ne s'y attendait pas. Pris par surprise, mon patron crie avant que je ne recommence deux fois, perforant sa chair sans remord. Ses plaintes ne me font ni chaud, ni froid, je suis aveuglée par mon objectif. Un liquide poisseux coule sur ma poigne de fer. Marsch réussit à s'éloigner de mon emprise en reculant, tenant ses côtes saignant abondamment et imbibant sa chemise claire d'un rouge foncé magnifique. Son visage est pâle, strié de douleur. J'ai frappé fort... et je n'ai pas fini.
— P-pourquoi ? me susurre-t-il, faiblement.
— Pour la vérité...
Mes mots sans émotions s'accordent avec l'horreur de la scène. M'élançant à nouveau, je lève le scalpel ensanglanté vers lui, prête à lui enfoncer dans la gorge. Seulement, avec ses dernières forces, Marsch me charge et tente de me maîtriser. Bon sang ! Lâche-moi, enfoiré !
Ma victime me tient le dos contre sa poitrine, tirant sur les muscles de ses bras pour atteindre mon scalpel que j'essaye d'agiter pour le couper. Je me débat comme une lionne enragée, mais je ne suis définitivement pas assez forte. Marsch arrive à m'arracher mon arme des mains et à me jeter au sol comme un détritus. Perchée sur mes talons, j'en perds l'équilibre et m'écrase.
Cet insecte purulent s'en va en boitant de la ruelle, appelant à l'aide à gorge déployée. Pas question de le laisser partir !
Me redressant vivement, les mains tachées de sang et la colère en éveil, je retire mes escarpins et ramasse mon chat en peluche par terre, tachant malencontreusement son poil gris. Tu ne m'abandonnes pas, mon ami. L'accrochant à la ceinture de ma jupe, j'observe ma victime qui se cavale, au loin. Ma haine à son égard me fait exhaler un cri de rage. Mon corps ne m'écoute plus, tant et si bien que je poursuis ma proie dans toute la ville, sans prendre cas aux pierres et aux morceaux de verres se plantant dans mes pieds nus.
Absolument et par tous les vents, je dois le finir cette nuit.
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