† VINGT-CINQ †
La nuit est tombée. Je l'attendais avec impatience.
Tel un spectre, j'erre dans les rues désertes de Traverse City avec une seule idée en tête. Cette même idée qui ma tourmentée toute la journée. Alaska m'a refusée son aide, ce n'est pas grave... On est jamais mieux servi que par soi-même, selon l'adage populaire.
Au-dessus de ma tête, les nuages s'amoncellent. La pluie me guette en chien de faïence. Je ferais mieux de me dépêcher. Lorsque je serais dedans, l'averse me masquera aux yeux des autres. Ce que je m'apprête à faire est complètement dingue. J'aimerais dire que c'est la première fois pour moi, mais ce serait mentir. Avec Shayne, on est déjà entrés par effraction dans les cuisines d'un restaurant. On a bu pas mal de leurs bouteilles de rosé mises en réserve pour finir par s'envoyer en l'air sur le plan de travail.
Un gros n'importe quoi qui nous a bien fait rire, n'empêche. Quand je pense aux pauvres restaurateurs qui sont venus constater les lieux le lendemain, j'ai un petit remord de conscience. La jeunesse est folle, la jeunesse est débile, mais surtout, la jeunesse a des idées folles et débiles ! Il n'y a rien de plus à dire.
Enfin, je la vois.
La boutique d'antiquités est au bout de la rue. Mes yeux sont greffés dessus, comme aspirés par sa devanture encore plus morne que la première fois où j'y suis venue. L'effet du mauvais temps, sans doute. Ou peut-être les circonstances.
— Tu y es presque...
Angela... J'ai senti les jupons de ta robe frôler ma main et ton regard infini sur moi. Je savais que vous seriez à mes côtés. Vous ne me quittez jamais. Cette pensée m'engorge de courage. Non, je ne serais pas seule dans mon opération. Plus seule...
Mes pas se réactivent comme une horloge trop longtemps endormie. Je jette à peine un œil à mon environnement, afin d'être sûre de ne pas être vue. La noirceur ambiante et mes vêtements noirs me camouflent du monde vivant. J'ai l'air d'une piètre cambrioleuse de séries B habillée comme ça. Arrivée devant l'entrée, je guette un moyen d'entrer sans faire de casse. Sur la porte, une fiche est accrochée, parlant de la fermeture précoce de la boutique suite au décès de la propriétaire. Un message de respect est ensuite adressé à Haleema. Je ne m'y attarde pas trop. J'essaye d'ignorer les images horrifiantes de ma dernière rencontre avec la mère d'Alaska, puis me faufile dans la ruelle bordant le flanc de la boutique.
J'y déniche rapidement une fenêtre me semblant fragile. Mes doigts s'accrochent au rebord et tentent de la relever. Putain, elle est coincée ! J'appuie sur ma force physique et réussi, après quelques minutes de combat, à arracher le vieux verrou. Il n'y a personne en vue, la voie est libre. C'est le moment d'y aller.
Tel un chat, je me glisse dans la boutique. Je ne me connaissais pas une telle aisance de mouvement. Avant, je serais probablement resté bloquée et pliée en deux dans l'encadrement. Mes sens sont en éveil, tout me paraît plus limpide, étrangement. Regardant autour de moi, je remarque que j'ai atterri dans le salon de voyance. Il est entièrement vide, seuls deux cartons traînent dans un coin. Or, sur le parquet, la marque du bois griffé par la séance de spiritisme stagne tel un souvenir maudit. Je revois la main d'Evan saisir Yolanda à la gorge, son envol contre la commode ayant résulté à ces marques sur le sol.
Mes souvenirs s'effacent dans un nuage lorsque j'entends une voix dans le réel.
— Ouvre la porte.
Réel ou pas, j'obéis et avance lentement vers la porte menant au cœur de la boutique. Les enfants sont là et me suivent du regard, alignés les uns à côté des autres dans le salon de voyance. Evan, Angela, Myrtle, Phébus... Leur vue ne m'effraie plus. Au contraire... Mon esprit dérangé les vois désormais comme mes guides. Ils sont là pour me montrer ma vérité. Depuis tout ce temps, c'est ça, la raison de leur apparition dans ma vie. J'en suis persuadée. Ce pourquoi, mes mouvements s'accordent à leurs mots. Je les laisse me guider, me montrer, me dévoiler ce que je cherche si ardemment.
La boutique est plongée dans le noir, seulement, je devine l'absence d'une bonne partie des objets autrefois en vente ici. Alaska et sa famille ont dû en retirer lors de leur grand ménage. Et s'il avait déjà pris le livre ? J'aurais fais tout ça pour rien ? Non, je dois chercher, je vais bien finir par mettre la main dessus. Les marionnettes glauques ont été retirées du plafond, les bibelots des meubles massifs. Les croix, par contre, sont toujours là, partout sur les murs. J'ai même l'impression malaisante... qu'il y en a plus que la dernière fois.
C'est peut-être juste moi...
Mes recherches commencent. J'ose ouvrir les cartons négligemment fermés afin de pousser mon investigation. Les étagères et placards ne réchappent pas à mon œil de lynx, même si je ne trouve rien. Je m'arrête très vite vers la bibliothèque proche du guichet, là où je l'avais vu pour la première fois. Elle est vide, or, une boîte repose à son pied. M'accroupissant, mes doigts écartent les battants en carton pour me dévoiler ses entrailles. C'est plein de bouquins en tous genres. Pas la peine de m'y attarder, le temps me manque. Je les empile à côté de moi jusqu'à ce que je tombe enfin sur l'objet de mes convoitises.
Il est là.
Sa lourdeur pèse sur mon poignet lorsque je le déloge de son sarcophage. Une pellicule de poussière le recouvre, brouillant les inscriptions déjà anciennes sur son épaisse couverture. D'un souffle, elle part et une miette se faufile dans ma gorge, m'arrachant une toux. Maudite saleté ! Mes esprits retrouvés, mes yeux habitués à l'obscurité analysent enfin ce sésame.
Un pentagramme pourpre est dessiné dessus, avec des lettres étranges –semblable à des runes– ébauchant le nom de « l'Inferorum Atrium ». L'impatience me dévore, de concert avec les sueurs froides qui ronge ma chair. Mon cœur bat la chamade à m'en faire haleter. Pourquoi cette peur soudaine ? Est-ce ce manuscrit ? Ce qu'il renferme ? Ou l'aura générale et malsaine qui s'en échappe ?
— Ouvre-le, Sephora...
Phébus se tient à mes côtés, son adorable visage figé dans une expression neutre. Je tente de déchiffrer quelque chose au fond de ses yeux noirs, sans succès. Il me lance juste ces mots. Ces simples mots qui me pénètrent et m'enclenchent.
Mes doigts tremblants tire la première page avec lenteur jusqu'à dévoiler des schémas qui me sont totalement inconnus et délirants. Des illustrations, puis du texte s'ajoute en dessous. Or, j'ai du mal à le lire. On dirait... du latin. Je continue à tourner le papier et à découvrir les scènes d'horreur incompréhensibles qui se déroulent sous mes yeux. Des créatures immondes et informes surplombent un rassemblement de personnes en pleine prière. Une femme attachée se tient au centre, nue et des lacérations sur la totalité de son corps. Des coupes récoltent le sang qui semble être ensuite offert aux créatures qui, dans la page suivante, s'en prend à la femme. Du moins, l'une d'entre elles. La plus colossale et effrayante. Elle...
Elle la viole... Lui fait du mal...
Cette image est si insoutenable que je ne peux focaliser mon attention dessus. La nausée me monte aux amygdales. Ma mère... Ma mère a vécu quelque chose de similaire ? C'est inimaginable, ça me tord les boyaux rien que d'y penser. Détournant mes yeux de la page, je vois qu'un petit paragraphe est écrit en anglais. Je commence ma lecture :
« L'humaine doit être donnée en sacrifice quand la sève du maître aura grandi en elle. Par la force de nos rituels, le Diable et ses fils apparaîtront sur Terre. »
Le Diable ? Ces malades lui louent un culte immoral et barbare avec l'espoir de le faire venir sur Terre ? À voir en réalité, je me croirais dans un film. Jamais je n'aurais cru lire de telles choses ; apprendre de telles choses. Ça ne peut pas être vrai... Je tourne une nouvelle page et découvre une illustration prenant toute la largeur du livre. Sept corps enflammés entourent ce qui ressemble à sept petites boules de lumière. J'ignore ce que ça signifie, mais il y a des noms manuscrits à côté de chaque silhouette : Méphistophélès, Mammon, Belphégor, Asmodée, Bélial, Belzébuth et Azazel.
Les fils du Diable.
Je déglutis contre mon gré. J'ai vraiment du mal à garder mon calme et ma contenance. L'une de mes mains s'accroche à mes cheveux. Qu'est-ce que je dois comprendre ? Qu'est-ce que ces dessins représentent ? J'aimerais le décrypter, mais je n'y arrive pas ! En baissant les yeux de désespoir, je vois qu'il y a une autre phrase en bas de l'illustration, écrite en latin :
« Veritas reveletur Decensus Diaboli ad vitam aeternam. Mortem aliorum liberabo eum. Laudare creator. »
Qu'est-ce que ça veut dire ? Je n'ai jamais été très forte en langue vivante, hormis la mienne, alors en langue morte... Qui pourrait me traduire ces mots ? Reflechi, Sephy...
Je ne connais qu'une personne ayant des connaissances poussées dans ce genre de domaines occultes.
Lehb.
Il connaît les langues mortes, je suis persuadée qu'il saura me dire ce que ça raconte. Du moins, s'il accepte de me parler après que je l'ai abandonné à Grand Rapids. Il va probablement être très énervé contre moi, voire pire, mais je dois essayer de le retrouver. Mes choix sont malheureusement restreints. De plus, ce livre pourrait définitivement l'intéresser, connaissant ses goûts prononcés pour ces sombres faits. Grâce à lui, je pourrais peut-être en savoir plus sur l'Inferorum Atrium, ainsi que sur tous ces mystères liés au Diable. Je prends donc quelques clichés des diverses illustrations et des paragraphes en latin avec mon smartphone. Avec le flash, tout devient très net. Or, je crois que la lumière de mon portable a alerté ma présence.
J'entends des bruits à l'extérieur de la boutique, par-dessus le cliquetis de la pluie... Comme des portières de voiture.
Pas le temps de trainer, je n'ai pas envie de m'attirer davantage d'ennuis. À vive allure, je replace les livres à leur place, dont le manuscrit de la secte, puis regagne la fenêtre de la salle de voyance. Je repars en toute discrétion, sans éveiller les soupçons. J'ai tout ce qui me faut en poche, il ne me manque qu'une chose... Plutôt une personne.
Mon rouquin d'amant d'un soir : Lehb.
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