V ─ assuétude
•✒ 𝙰𝚛𝚛𝚎̂𝚝𝚎𝚛 𝚍𝚎 𝚛𝚎𝚜𝚙𝚒𝚛𝚎𝚛 𝚎́𝚚𝚞𝚒𝚟𝚊𝚞𝚝 𝚊̀ 𝚊𝚛𝚛𝚎̂𝚝𝚎𝚛 𝚍'𝚊𝚒𝚖𝚎𝚛.
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En quelques jours, l'air s'était amplement rafraîchi. Un froid hiémal avait donc envahi l'hôpital psychiatrique, freinant encore un peu plus les rares apparitions des résidents. Avec un peu de chance, de curieux faisceaux lumineux pénétraient de temps en temps dans l'établissement et arrivaient à se glisser entre les stores décolorés. Mais peu de gens étaient là pour le remarquer, puisque la plupart avaient décidé de croupir sous leurs couvertures en attendant le retour du printemps.
Attablée au comptoir de la cantine, Asaka tentait de faire passer le temps du mieux qu'elle le pouvait. Ses yeux céruléens observaient sporadiquement l'entrée de cette dernière avec une attention particulière et un espoir mal voilé. Même si ses problèmes de vue ne lui permettaient pas de capter tous les détails avec attention, la jeune femme, avait, depuis le temps, développé un sixième sens qui lui permettait de réagir à tout ce qui avait une longue chevelure noire et un regard tout aussi sombre.
Aizawa avait commencé à l'éviter depuis ce qui s'était passé. Et cela l'avait profondément secouée.
Elle ne comprenait vraiment pas ce qu'elle avait fait de mal. Au début, Asaka avait fait tout son possible pour l'approcher, au moins d'un mètre. Chaque geste tenté fut repoussé, et tous les mots qu'elle prononça pour attirer son attention furent ignorés. Ses sentiments avaient été profondément blessés, et un orchestre de pensées négatives s'était amusé à jouer à l'intérieur de sa tête durant toute la semaine.
La sensation d'air frais qui lui fouetta la peau du visage au moment où quelqu'un s'engouffra dans la grande pièce renforça le sentiment de crainte qui commençait à se développer en elle. Dès l'instant où les yeux d'Aizawa se posèrent sur elle, Asaka ne sut plus quoi faire. Sentant son pouls s'accélérer, ses poils se redresser, la jeune femme fit tout son possible pour ne pas craquer sous la pression qui l'assaillit. Pendant quelques instants, tous les doutes qui la hantaient disparurent pour laisser place au soulagement.
Sentir son regard lui brûler la peau de loin était certainement la meilleure des sensations, surtout après ce qu'il s'était passé. Son être reluisait par rapport au reste, et c'était fou de constater à quel point il la captivait. Aizawa semblait clairement être la lumière au bout du tunnel, l'échappatoire. Le soleil s'était levé au moment où il était entré dans la pièce et avait béni sa peau de ses rayons tièdes. Et Asaka était restée figée en remarquant à quel point elle appréciait son charme.
Il n'avait jamais paru si beau qu'aujourd'hui.
Mais bien sûr, il avait fallu qu'il s'asseye à l'autre bout du réfectoire et fasse comme s'il ne l'avait pas remarquée. Plus les jours défilaient, moins Asaka comprenait le comportement de l'homme. La fatigue l'accablait de plus en plus et commençait à l'étouffer. Ou peut-être était-ce la solitude qui recommençait tout doucement à la submerger.
Dans tous les cas, elle ne comprenait pas. Pour une raison étrange qui lui échappait, les courts moments passés aux côtés d'Aizawa lui manquaient. Ce sentiment ne s'était plus manifesté en elle depuis un certain temps, et elle avait clairement cru perdre la possibilité de le ressentir quand son fiancé l'avait abandonnée. Elle n'était pas dupe, bien au contraire : Asaka savait parfaitement ce qui était en train de lui arriver, et c'était pour cela qu'elle devait faire en sorte de se détacher de cet homme le plus vite possible avant qu'il ne soit trop tard.
Une étincelle d'espoir s'était construite en elle, mais avait disparu aussi vite qu'elle était arrivée. Et cette situation ne manquait pas de la laisser perplexe : qu'avait-elle encore fait pour mériter cela ?
Ce fut une touche sur son épaule qui ramena la jeune femme à la réalité. En quelques secondes, l'impression de bonheur qui s'était installée dans son estomac s'évapora et ne devint qu'un vide profond. Sans le moindre égard pour l'infirmier qui venait de l'apostropher, Asaka quitta la pièce à la hâte, pressée de rejoindre sa chambre et de s'y enfermer.
Quand elle atteignit ses couvertures, elle n'eut même pas la force d'attraper son téléphone portable. Sous l'éclairage du lustre cuivré qui pendait au plafond, la jeune femme se laissa porter par ses sentiments. Si la plupart de ses nuits s'étaient déroulées sans qu'elle ne lâche une larme, elle savait que celle-ci ne serait pas aussi agréable. Engloutie dans son délire, elle n'entendit même pas les coups qui furent donnés à sa porte, et se contenta de pleurnicher de façon lamentable en serrant son oreiller contre elle.
Les questions qu'elle se posait s'enchaînaient, se bousculaient, se mêlaient en un grondement confus. Mais elle eut beau réfléchir, elle ne comprit rien du tout. Pas le moindre résultat, aucune trace de réponse. Elle ne voyait pas ce qui avait pu le brusquer. Pendant ce temps-là, les impacts donnés contre sa porte redoublèrent d'intensité, mais la jeune femme n'avait pas esquissé un geste.
─ Ouvre cette fichue porte, Sangonomiya !
Prise d'un sursaut soudain, Asaka manqua de tomber de son lit avant de se précipiter sur la porte. Quand elle l'ouvrit en grand, elle fut balayée par l'air tiède qui se promenait dans le couloir et les larmes sur ses joues se réchauffèrent au contact de celui-ci. Son teint pâle ne put qu'interpeller Aizawa, qui la suivit du regard alors qu'elle baissait la tête, décidément gênée par sa visite impromptue. Un brusque sentiment d'amertume lui creusa les boyaux, et la jeune femme prit alors conscience de son comportement plus qu'exagéré par rapport à la situation.
C'était plus fort qu'elle. Se contrôler était impossible après ce qu'il s'était passé. Et cela ne s'arrangerait pas avant un long moment.
─ C'était une erreur, dit l'homme, dont la voix froide correspondait parfaitement à son teint blafard. Je n'aurais pas dû t'embrasser. Nous ne nous connaissons pas.
Un message alluma l'écran de son téléphone, mais Asaka fut bien trop brisée pour y répondre sur le moment. Le pincement au cœur qui la figea sur place fut plus fort que tout, tandis que son pouls s'accélérait jusqu'à en devenir douloureux. Aizawa esquissa quelques pas dans la pièce.
─ On aurait pu apprendre à se connaître.
Aussitôt les mots eurent-ils franchi la paroi de ses lèvres qu'Asaka regretta directement ses paroles. La douleur qui se dessina sur le visage de l'homme ne fit qu'accroître son mal-être.
─ On aurait pu.
Aizawa vint alors s'appuyer à ses côtés, contre le mur en briques de la chambre. Ils se déplacèrent ensuite jusqu'au lit. C'était comme si chacune de ses paroles avait le pouvoir de néantiser son univers entier. Et très vite, la jeune femme se rendit compte qu'elle ne voulait pas qu'il la laisse derrière comme cela. Le prurit de lui montrer ce à quoi elle pensait l'envahit d'un coup. Cette vive démangeaison devint irrépressible, et Asaka ne tarda pas à poser sa main sur la sienne pour la faire disparaître.
Lorsque le téléphone du brun se mit à sonner, Asaka craignit de le voir s'en aller. Mais contre toute attente, il ne fit pas un geste pour répondre et se contenta de soupirer en voyant le nom qui s'affichait en grandes lettres sur l'écran.
Sur le point de s'effondrer, elle lui pressa la main. Cette fois-ci, Aizawa lui rendit son étreinte. Ses grands doigts calleux recouvrirent les siens sans problème. Tout bascula assez vite après cela, et la jeune femme en fut ravie. Asaka eut l'impression de revenir une semaine en arrière, et se laissa porter par les sensations qui lui tordaient les entrailles. Quelques baisers brûlants furent échangés dans l'intimité de la chambre. Mais ils n'allèrent pas plus loin.
Subitement, la conversation reprit alors que leurs membres fourmillaient encore de la tempête de sentiments qui s'était abattue sur eux.
─ Pourquoi est-ce que tu as essayé de te suicider ?
Ce disant, il pointa les nombreuses cicatrices écarlates et dissemblables qui décoraient son corps. Un sentiment de tristesse la prit cependant. Sa question la bouleversa et il put directement comprendre qu'elle aurait du mal à en parler. La surprise avait étiré ses traits durant un court instant avant qu'ils ne redeviennent détendus, mais cela ne l'empêcha pas de prendre tout son courage à deux mains pour répondre :
─ Je pourrais te demander la même chose. (Ses sourcils se froncèrent quelques instants avant de reprendre leur forme habituelle.) En fait, j'ai d'abord perdu mon travail.
─ Tu as perdu ton travail ? s'enquit-il, étonné.
─ Laisse-moi continuer. Ensuite, mon fiancé m'a quittée.
Les yeux d'Aizawa se plissèrent en fentes lorsqu'il entendit cela.
─ On était ensemble depuis presque sept ans. Mais il m'a abandonnée sans explications, alors, tant pis. (Ses yeux se remplirent toutefois de larmes, et l'homme vit bien à quel point cela l'avait anéantie.) Finalement, ma meilleure amie est morte. Et c'est ce qui m'a fait craquer.
Par la fenêtre, la pénombre commençait doucement à s'installer et s'imposait dans le ciel. De petits gazouillements provenant des rigoles parvinrent aussi jusqu'à eux et atténuèrent l'atmosphère écrasante. Aizawa ne fut même pas surpris par ce qu'elle venait de dire. Il n'y eut pas de réaction de dégoût, pas de regards remplis de pitié. Aucun jugement ne franchit la paroi de ses lèvres craquelées. Et Asaka apprécia grandement ce fait.
Enfin, il prit la parole à son tour, pâle à cause de la crainte, le regard assombri. La jeune femme comprit qu'elle ne devrait pas l'interrompre et que c'était sa seule et unique chance d'apprendre quelque chose à son sujet.
─ Mon meilleur ami est décédé dans un accident de voiture à cause de moi. Et l'un de mes élèves a été poussé jusqu'au suicide sous mes yeux sans que je puisse rien faire.
Si Asaka sentit son estomac se nouer en entendant ses paroles, elle ne laissa rien transparaître. Avant de lui répondre, elle prit une longue inspiration, prête pour ce qui pourrait arriver.
─ Et tu t'en veux, n'est-ce pas ? murmura-t-elle en déposant un léger baiser sur sa joue piquante. Je suis sûre que la honte te bouffe la poitrine et te consume. Tu es comme moi, et tu ne peux pas te regarder dans un miroir sans te dire que tu ne sers à rien.
Leur étreinte apaisa la multitude d'émotions négatives qui les assaillit. Son expression la plus mélancolique collée au visage, Aizawa lui fit signe d'approcher, et elle en profita pour l'étreindre de ses bras.
─ Je ne te lâcherai pas, bafouilla-t-elle, les lèvres étirées en un misérable petit sourire.
Et puis, contre toute attente, ils s'endormirent sans voir le temps passer.
Quand Asaka ouvrit les yeux le lendemain matin, la première chose qu'elle remarqua fut le fait qu'Aizawa n'était plus à côté d'elle et que les draps avaient été abandonnés depuis longtemps.
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* chapitre relu par KoyukiActar
Les sentiments sont quelque chose de difficile. Les gérer sans craquer relève être un défi. Et cela, Aizawa l'a très bien compris. Mais difficile de dire si c'est le cas d'Asaka, puisqu'elle est toujours aussi perdue.
J'espère que ce chapitre vous aura plu ! Si vous voulez me soutenir, n'hésitez pas à commenter et à voter. Cela me fera fortement plaisir !
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