
𝐄 𝐏 𝐈 𝐒 𝐎 𝐃 𝐄 - 19 : La Cruauté Staranienne 1/10 ✔️
Jusqu'à l'essoufflement, Jaya courut dans les rues du village.
Son souffle se perdait dans ses sanglots, elle ruminait sur ses dernières déceptions, sans faire cas à la nuit. Le froid cognait sur ses joues mouillées comme une punition à sa naïveté. Tout ce qu'elle venait d'apprendre tirait de l'inconcevable, elle peinait encore à y croire. La fourberie des Blanchecombe, les mensonges de Vadim, son soi-disant mariage avec Leftheris démantibulé à la dernière minute...
Comment cela pouvait être possible ?
Byron avait orchestré cette machination avec une main de fer dissimulée dans l'ombre. Cet homme fourbe, ce serpent se cachant derrière une façade irréprochable. Elle aurait dû s'en douter. Elle aurait dû percevoir les signes... La manière dont Vadim se soumettait au moindre mot de son père. Comment celui-ci commandait ses fils d'un simple regard... et eux, malgré leur âge, leur force et leur grandeur, lui prêtaient allégeance sans hésiter. Tout ce que ce roi égoïste désirait, c'était Alhora... et son père n'avait rien vu venir, tout comme elle...
Et il s'était servi de ses fils, surtout de Vadim, pour arriver à ses fins.
Une aigreur incommensurable lui monta à la gorge. Elle dut s'arrêter dans une ruelle pour laisser son cœur se reposer et reprendre un fil d'air. Oui, il avait tant besoin de répit, de paix. Elle percevait à quel point il était épuisé, usé. Bien trop malmené entre des mains qui n'en prenaient pas soin. Elle suffoquait face à ses souvenirs. La rencontre pré-nuptiale, Vadim dévoilant son visage, sa peur... Il avait tout prévu. Et Leftheris...
Seigneur...
Ses regards insistants, sa proximité amicale et certaines de ses paroles trouvaient enfin une signification. Une signification qui lui nouait la poitrine. Il s'était joué d'elle, de Varvara et même de son frère... Il était aussi faux que son père. Lui aussi lui avait tout caché, lui avait forgé une réputation malgré elle, au point que Varvara en vienne à la détester.
C'en était trop pour son esprit torturé. Jaya baissa la tête en laissant filer une larme qui s'écrasa au sol. Elle refusait que Vadim la retrouve, son cœur lui faisait mal en pensant à lui.
Ce maudit Beffroi allait la rendre folle ! Elle ne voulait plus jamais y remettre les pieds.
Pendant ce temps-là, marchant dans les ombres, une silhouette parcourait le village vêtue de sombres desseins. Encapuchonnée, Aube soupira. Le vieil archevêque ne lui laissait aucun répit, il devenait fou à vouloir récolter ces maudites informations sur les manieurs clandestins de Risen. Ce soir tout particulièrement. Il avait entendu dire qu'un certain Monsieur Jackar avait aperçu des gens étranges entrer et sortir de la caverne de la plage en pleine nuit. Une visite chez ce vieil homme allait donc être de mise.
Cependant, Aube marqua une pause sur les chaussées surélevées des quartiers défavorisés lorsqu'elle aperçut une silhouette inhabituelle en contrebas. Éclairée par la faible lueur d'une lanterne de maison, une jeune fille semblait pleurer, seule. Il s'agissait probablement d'une pauvre paysanne réprimandée par son père ou son mari, ou même d'une fille de joie délaissée par un amant trop brutal... Les sombres vicissitudes de la vie.
Or, en y regardant de plus près, une ressemblance la frappa au point de la glacer.
Ces longs cheveux noirs, ces vêtements hors de prix... Non, ce n'était pas une paysanne.
Elle...
La princesse...
L'épouse de Vadim ! Que faisait-elle ici, isolée dans une ruelle du village, en pleine nuit ? Toute trace de compassion s'était envolée devant cette petite garce. Bien au contraire, elle était heureuse de la voir dans cet état lamentable, si satisfaite de sa tristesse. Quelle aubaine... La voir ici faisait ressortir toute la haine qu'elle ressentait à son égard et tordait ses boyaux. Son cœur était à l'usure. À force de recoudre ce qui avait été brisé mainte et mainte fois, les fils finissaient toujours par sauter.
C'était à cause d'elle que sa vie était devenue si noire, que l'homme qu'elle aimait la détestait. Oh oui... et Aube la détestait aussi si fort. Tellement que ses poings serrés se mirent à trembler sous sa cape.
Elles étaient seules. Spectre dans les ténèbres, Jaya ne la voyait pas...
Elle n'avait qu'à sortir son poignard pour l'achever ici.
Nul ne la verrait, nul ne la soupçonnerait ; cette bonne à rien de princesse était incapable de se battre ou même de se défendre sans arme. Les villageois ne la découvriraient que le lendemain, sans vie dans cette ruelle, avec son maudit rejeton dans le ventre... Ainsi, peut-être que sa vie d'antan reviendrait, voire plus radieuse encore. Vadim, fou de chagrin, se tournerait vers les bras consolateurs qu'elle tendrait gracieusement vers lui.
Oui... Ce serait si parfait.
Lentement, Aube posa sa main sur le manche de sa dague, accrochée à sa ceinture. L'acier scintilla dans un rayon de lune, comme son regard doré. Elle avait sa proie en ligne de mire... Voir son sang couler devenait sa plus pure obsession. Que Ymos la pardonne...
Rien ne pourrait l'arrêter dans sa quête de vengeance.
Sauf peut-être des cris...
Aube se pétrifia, monta un œil vers le fond de la ruelle qu'elle occupait. Des voix résonnaient au loin, puissantes et effrayées. Que se passait-il ? Plus bas, Jaya, sans le savoir, l'imita. Les larmes inondaient ses yeux écarquillés, son cœur marqua un arrêt lorsque le sol trembla sous ses pieds. Une détonation fit tressaillir son corps dans un mouvement incontrôlable. Des lueurs orangées et menaçantes léchaient le ciel assombri au-dessus des habitations, mêlant leurs teintes au chaos ambiant et à la peur qui s'insinuait.
Cela venait de l'entrée principale...
Pour elle, il n'y avait aucun doute sur la nature de cette explosion. Elle avait déjà connu cela...
❅
Au cours de sa vie, Adhar Horngrad avait appris une chose : ne jamais perdre de temps en cas de danger.
Le danger était partout, n'importe où, à n'importe quelle heure, l'important était de rester prudent et en alerte. Ce pourquoi, la sueur au front, Horngrad courait sans faiblir vers le bureau seigneurial. La montée des marches lui sembla expéditive tant ses pas volaient au-dessus de l'air. Ses pensées étaient tournées vers l'instant présent. Il enfonça la porte sans même y être invité, brusquant l'attention de Byron en plein tête-à-tête avec Leftheris. L'homme de main s'écria sans ménagement :
— Mon roi ! Starania est ici !
Byron blêmit tout autant que son fils. Cette annonce lui fit l'effet d'un bain de glace.
— Comment ça, ils sont ici ? hurla le père Blanchecombe.
— La garnison envoyée en reconnaissance dans les vallées a été prise de court. Elle a été entièrement exterminée. Leur approche près du Massif Sempervirent n'était qu'une ruse. Les hommes du roi Kyos sont à nos portes et nous attaquent !
Ils avaient osé faire preuve d'une telle audace ! Encore une fois ! Ce à quoi il s'attendait depuis des jours se concrétisait enfin. L'ennemi lançait une attaque pour les affaiblir et prendre l'avantage avant la grande bataille. Byron accueillait cette nouvelle avec un mélange de colère et d'amertume. Les douces brises automnales s'étaient envolées, laissant place au vent de sang soufflant depuis les plaines, cognant à leur porte.
— Déployons toutes nos unités pour protéger la ville ! Nous devons les repousser !
Le roi quitta son bureau avec son fils qui, même encore marqué par son récent combat avec son cadet, ne perdit pas un instant. Les explications viendraient plus tard, tout comme la haine se reléguait dans un tiroir. Il ne fallait pas perdre son sang-froid.
Sur leur route, ils rencontrèrent Vadim dans l'escalier. Leur hâte ne l'étonna guère, tant sa colère demeurait tonique et électrisante. Ruminer sous le clair de lune n'avait fait qu'exacerber son irritation suite à la querelle avec son épouse. Il ne prit aucun virage pour exiger des éclaircissements quant à leur agitation.
— Qu'est-ce qui se passe ?
— Starania est à nos portes ! Nous devons de ce pas aller les repousser ! Où est le seigneur Northwall ? cria Byron.
— Je suis là !
Frost arriva à leur hauteur sans faire cas à la pâleur de son gendre, la sienne était déjà cadavérique.
— Où est Jaya ? Je voulais m'assurer qu'elle reste bien ici, en sécurité, mais elle n'est pas dans sa chambre !
La raison pour laquelle Vadim arborait les traits d'un mort... Immobile sous le regard inquiet et inquisiteur de Leftheris, le cadet l'ignora et se tourna vers la sortie béante du Beffroi donnant sur la cour.
— Jaya...
Par tous les sangs... Elle était dehors ! Seule dans le village, vulnérable et sans défense. Un frisson d'horreur parcourut l'échine du prince qui, entendant au loin la première déflagration, n'attendit personne pour se précipiter hors de la tour. Il avait commis une erreur impardonnable, il n'aurait jamais dû la laisser partir ! Se maudissant lui-même, sa colère et cette funeste soirée, l'idée de la savoir exposée au danger le lacérait de l'intérieur. Il devait la retrouver sans délai avant qu'elle ne croise la funeste trajectoire de l'ennemi.
❅
Les soldats staraniens étaient investis d'une mission on ne peut plus précise en approchant des portes de Cassandore en cette sombre nuit. Leur souverain avait exprimé ses volontés avec une clarté incontestable, à la suite du rapport de son général, marqué par les stigmates de l'adversaire. Si Byron Blanchecombe s'entêtait à résister en manifestant sa force et sa cruauté par la sinistre exhibition de têtes décapitées aux frontières de son territoire, le roi envisageait une unique stratégie pour en finir de façon résolue et définitive.
L'abattre.
Anéantir le cœur d'un conflit pour mieux assujettir ce qui l'environne : telle était la stratégie de Starania. Et ce soir, lorsque les grenades furent lancées sur l'entrée principale, fauchant les gardes qui eurent à peine le temps de donner l'alerte, leur objectif premier était de s'emparer du bastion royal : le Beffroi, afin de venger leurs défunts et leurs prisonniers de guerre.
Les flammes dévoraient les bois neufs de la porte, qui succomba rapidement sous l'intense chaleur. Des guerriers armés franchirent l'enceinte de la cité, à pied ou à cheval, et se ruèrent sur les soldats cassandoriens défendant de leur vie la fière cité-état. Le sang macula les lames, se mêlant au chaos et aux résonances métalliques des combats.
Au creux de la ruelle, Jaya comprit qu'il s'agissait d'une attaque. L'ennemi envahissait la ville. Son cœur, face à l'étreinte de la peur, ne lui murmurait qu'un seul impératif : fuir. S'éloigner le plus possible et trouver refuge en sécurité. Elle ne songea plus à sa propre stupidité d'avoir pénétré cette allée, loin de son havre protecteur, ni même aux récents conflits. Des grenades explosaient, des villageois et des soldats tombaient, et les staraniens gagnaient du terrain. Ainsi, sans plus d'hésitation, la princesse s'élança en sens inverse, en direction du Beffroi.
Depuis sa plateforme, Aube était restée figée, elle aussi tétanisée par les événements. Le mouvement de Jaya fut le déclencheur qu'elle attendait. Elle ne pouvait pas la laisser partir ainsi. Une idée germa dans son esprit, et Aube la suivit sans se faire remarquer.
Même surprenante et terrifiante, cette attaque tombait à pic.
Elle ne se salirait pas les mains sur cette petite prude de malheur, elle laisserait l'ennemi s'en charger et pour ça... Elle avait un plan déjà tout trouvé.
Essoufflée, Jaya parcourait les ruelles tentaculaires du village en quête d'un abri. Une nouvelle explosion lui arracha un cri. Tenant son ventre à bout de bras, elle croisa des troupes de soldats partant au front, à quelques mètres d'elle. Son salut. Seulement, quand elle tenta de les rejoindre, elle heurta un corps de plein fouet dans le chahut. Ce fut si puissant qu'elle failli tomber à la renverse.
— Princesse ?! Par les baloches de l'évêque, je vous retrouve enfin !
Ce hurlement grossier lui étant adressé lui fit relever des yeux humides devant elle. Elle rencontra alors un visage barbu et des yeux caramélisés.
Roban ?
Effectivement, lorsque Roban était entré en collision avec Jaya au détour d'une ruelle, il avait d'abord cru à une illusion avant d'éprouver un soulagement intense. Le prince Vadim lui avait donné pour mission de la suivre, mais il n'aurait jamais imaginé qu'elle s'aventurerait si loin du Beffroi.
S'accrochant à lui comme une damnée, Jaya tremblait de tous ses membres.
— S'il vous plait ! Aidez-moi !
— Du calme, princesse, ça va aller. Je vais vous ramener en sécurité. Suivez-moi !
Saisissant la main de Jaya, le soldat ne perdit pas un instant et se mit à courir. La sécurité des membres de la famille royale était primordiale. Cette situation lui échappait complètement, Roban avait du mal à saisir pourquoi Jaya avait fui ici, sans Vadim, pour une simple querelle de couple. Enfin, d'après ce qu'il avait compris suite à la bagarre dans le hall...
Un coup d'œil vers elle, son visage enflé d'effort et de larmes arborait des teintes écarlates. Elle avait beaucoup de mal à courir, son ventre devait lui faire horriblement mal.
Des toits, tel un oiseau de malheur, Aube les avaient bien vu fuir... Voilà que Roban jouait les soldats exemplaires. Il allait faire tomber son plan à l'eau !
Jusqu'à ce qu'elle aperçoive une pile de caisses en bois empilées sur une chaussée aérienne reliant les toits. Estimant la trajectoire, la sortie de la ruelle et la vitesse à laquelle le duo progressait, elle avait une chance de les coincer. Tant pis pour l'autre idiot de Roban...
Elle l'aimait bien, c'était un bon coup au lit, mais pas assez pour remettre son plan en question.
Galvanisée par la détermination d'en finir une fois pour toutes, Aube se plaça contre les imposantes caisses et les poussa alors qu'une nouvelle détonation illuminait le ciel derrière elle. Les staraniens utilisaient leurs grenades en défense, rapidement surpassés par la puissance armée des cassandoriens soutenus par les soldats alhoriens venus en renfort pour leur roi. Détournant son regard du spectacle, Aube se recentra sur sa tâche. Une goutte de sueur perla sur son front tandis qu'elle serrait les dents. Ses muscles se contractèrent, ébranlant les caisses qui vacillèrent avant de s'effondrer dans le vide.
Attiré par du mouvement en hauteur, Roban vit arriver les caisses meurtrières et plaqua un bras protecteur devant Jaya afin de l'immobiliser. Dans un vacarme innommable, le bois heurta violemment le sol à leurs pieds et vola en éclats. Le soldat se plaça devant la princesse pour recevoir les échardes à sa place. Il sentait son corps frêle trembler contre le sien.
Ce n'était pas passé loin. Un pas de plus et ils étaient broyés sous ces lourdes charges bloquant désormais la sortie étroite de la ruelle. Levant la tête vers les sommets, Roban aperçut une silhouette noire être avalée par les ténèbres au-dessus d'eux.
— Prenons un autre chemin, par la gauche nous pouvons regagner le Beffroi ! Venez !
Aube les vit retourner sur leurs pas. Elle en aurait presque le sourire aux lèvres devant la détresse de la noble épouse. La seconde partie de son plan s'amorçait enfin. Escaladant les tuiles d'un toit, la bouclée aperçut de l'autre côté de la rue une troupe de staraniens pénétrant le territoire. Ce serait parfait.
Projetant de nouveaux obstacles de toutes sortes sur les différentes issues sur son chemin, elle n'en laissa qu'une libre : celle conduisant à la mort. Dressée sur les tuiles, elle en détacha une qu'elle lança d'en haut, atteignant l'épaule d'un soldat ennemi. Puis une autre, et encore une autre. Leur attention fut aussitôt greffée sur elle, cette silhouette ténébreuse si rapidement repartie, un sourire fendu aux joues, après son méfait accompli.
Des visages en sueur se renfrognèrent de rage.
— Allons par là !
Cinq hommes se détachèrent pour suivre la ruelle avec l'espoir de retrouver l'audacieuse et inconsciente garce leur ayant balancé ces tuiles. Seulement, ils ne s'attendaient pas à tomber nez à nez avec non pas une personne, mais deux. Un couple en fuite, dont le meneur à l'aura protectrice portait un uniforme des soldats cassandoriens.
Confronté à l'ennemi, Roban s'immobilisa dans sa course. Ces cinq hommes lui barraient la route, il se tenait seul face à eux, dégainant leurs épées et affichant un sourire malveillant. Accrochée à son bras, Jaya les pensait perdus. Ils étaient encerclés !
— Princesse... Courez ! Ne vous arrêtez sous aucun prétexte !
L'ordre de Roban ne souffrait d'aucune contestation. D'un bras en arrière, il repoussa Jaya en dégainant à son tour son épée. Il se battrait sans faillir, même en sachant pertinemment qu'il allait mourir. Seul face à cinq hommes aguerris, il n'avait guère de chance de survie, en dépit de son expérience. Mais la princesse pouvait encore s'échapper et se cacher. Son cœur palpitait à un rythme effréné, martelant ses tympans. Préparé pour ce genre d'affrontement, il n'éprouvait aucune crainte à l'idée de rendre l'âme. Un soldat digne de ce nom ne fléchissait jamais devant l'ennemi, même en surnombre. L'honneur, la fierté et la dignité : les trois valeurs que Vadim leur avait inculquées et qui prenaient toute leur signification en ce jour.
Roban ne lui accorda pas un seul regard, pas une miette de consolation. Jaya n'avait pas envie de le lâcher, mais dans cette situation, elle n'avait plus le choix de se décrocher de sa bouée et voguer seule.
Reculant, Jaya tenta de s'échapper tandis que les cinq hommes se chargèrent Roban. Une lutte ardente s'engagea dans la ruelle. Le cassandorien parvint à porter un coup à l'un d'entre eux, lacérant son torse d'une profonde entaille. L'homme s'effondra, sans vie. Trois autres assaillants se précipitèrent sur lui. Il esquiva les attaques sans faillir, combattant avec toute la force de son courage. Mais ils étaient bien trop nombreux, bien trop armés face à lui.
L'acier traversa le soldat dans le dos.
Le souffle coupé, une effroyable sensation de froideur le traversa. Une seconde lame s'enfonça dans son flanc. Encore debout, le jeune homme ne ressentait plus ni douleur ni fatigue, seul un état d'apesanteur sereine. La sérénité d'avoir accompli son devoir. Ses jambes commençaient à vaciller, mais jusqu'à la fin, il tint bon.
Pour l'honneur, la fierté et la dignité d'un vrai soldat.
La triste fatalité fit finalement glisser ses genoux au sol. Un filet de sang coula de ses lèvres, tandis qu'il leva les yeux au ciel, implorant sa grandeur de l'accueillir. Il était si désolé. Désolé de ne pas avoir pu protéger la princesse. Désolé d'avoir échoué. Désolé d'avoir déçu l'armée, son général et son roi.
Quelqu'un allait être heureux de le voir poindre vers l'au-delà... D'un côté, il l'était aussi. Si longtemps qu'il rêvait de la revoir...
Quand ses bourreaux le délestèrent de leurs lames, il hoqueta et toucha enfin le sol marbré de son propre sang. Jaya n'avait rien vu, elle courait, courait, courait comme il lui avait demandé. Tout ceci était invraisemblable, plus aucune pensée cohérente ne lui venait, juste une terreur sans nom à l'idée de mourir, elle et son bébé.
Et lorsqu'elle se sentit tirée en arrière, son cri de détresse n'avait jamais paru aussi perçant.
Le cinquième soldat staranien l'avait filée lorsqu'elle avait pris la fuite, laissant ses complices se charger de son protecteur. Des bras l'enserrèrent, plus puissants et inébranlables que les tentacules d'une pieuvre. Gesticulante, hurlante, elle implora sa liberté, noyée de larmes. D'un geste vif, elle détacha sa cape, espérant tromper son assaillant. Le morceau de tissu resta entre les mains de l'homme tandis qu'elle s'éloignait. Cependant, une vive douleur à l'abdomen la fit plier.
Son bébé en avait assez de ces cavalcades. Non, je t'en prie, pas ici, pas maintenant...
À nouveau décollée du sol, elle fut ramenée de force vers l'attroupement ennemi.
— Eh ! Regardez ce que je ramène ! Elle a voulu s'enfuir...
Ce fut à cet instant qu'elle vit le corps de Roban, face contre terre.
— Par Ymos, non ! Non !
Elle ne pouvait juguler ses larmes face à tout ce sang parsemant le chemin et les épées de ses ennemis. Elle était la prochaine sur la liste. Non... Elle refusait de mourir ! Elle était si désespérée et rongée par la peur que Jaya ne pensa qu'à un seul et unique prénom qu'elle hurla à pleins poumons :
— Vadiiiiiim !
Elle priait si fort pour qu'il vienne la sauver, l'arrachant à cette mort certaine comme il l'avait fait tant de fois. Mais il ne vint pas... Sa voix ne portait pas assez loin au milieu du tumulte de la guerre.
— Eh mais... Voyez-vous ça... C'est la princesse. La princesse d'Alhora. En voilà une bonne surprise.
S'en approchant, ces hommes la regardaient avec amusement et une pointe de noirceur dans l'œil. Ils n'étaient que des porcs sanguinaires à ses yeux.
— C'est que t'as raison ! C'est bien la princesse !
— Ha ha... Quelle aubaine de vous croiser ici, votre majesté.
— Lâchez-moi ! Lâchez-moi immédiatement ! rugissait-elle, hors d'elle.
Attrapant la mâchoire de la jeune femme entre ses doigts crispés et crasseux, son interlocuteur principal ramena son attention sur lui, se délectant de ce si beau visage gorgé d'effroi. Il étira un sourire malsain.
— Je crois qu'on vient de trouver un magnifique présent pour notre roi.
Ces mots... Ces simples mots résonnaient d'une manière énigmatique et glaciale aux oreilles de Jaya. Plus rapide que l'éclair et sans qu'elle ne puisse offrir la moindre résistance, elle fut bâillonnée et emportée avec eux, sous le regard satisfait d'Aube qui observait la scène depuis les toits.
— Adieu, sale petite prude...
Peu importait les pertes et le combat, la vengeance était si douce sur son palais.
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