
𝐄 𝐏 𝐈 𝐒 𝐎 𝐃 𝐄 - 06 : L'Origine du Marqué 1/3 ✔️
« Ma chère Jaya.
J'espère que tout se passe bien pour toi, à Cassandore, et que la famille Blanchecombe s'occupe de toi avec attention. Pour ma part, je me porte comme un charme, hormis que tu me manques beaucoup. Le château ne m'a jamais paru aussi vide depuis ton départ. Ton rire mélodieux et tes douces attentions font échos dans mon cœur sans pour autant être présents. Je t'envoie cette lettre pour te faire part de l'avancée de nos recherches concernant l'intrus. Nos hommes sont entrés dans la Forêt des Murmures en espérant trouver l'homme rôdant autour de la ville. Sans succès pour l'instant, nous préférons battre en retraite lorsque la nuit tombe afin d'éviter les créatures qui pourraient mettre la vie de nos soldats en danger. Byron Blanchecombe m'a envoyé un escadron pour aider aux recherches. Les cassandoriens sont d'une aide précieuse, car bien plus téméraires. Ils ignorent toutes les horreurs vivant dans ces montagnes et n'hésitent pas à foncer plus en profondeur jusqu'à atteindre le pied des Montagnes Boréales. Or, je leur interdis d'aller plus loin. Nous ignorons encore ce qui s'y cache et je ne voudrais pas déranger les êtres sanguinaires y vivant. Si tout se passe bien, nous pourrons nous revoir très bientôt, ma chère petite. Il me tarde de te retrouver. Transmets mes plus chaudes salutations à Vadim.
À toi, ma tendre enfant.
Ton cher père. »
Le papier se froissa sous ses doigts tremblants. Quel bonheur d'avoir des nouvelles d'Alhora, même si ce n'était guère réjouissant. Ils pourraient chercher encore longtemps ce fameux intrus, jamais ils ne le trouveraient. Les troupes pourraient retourner la neige de la forêt interdite, chaque pierre et chaque parcelle de terre, cela ne changerait rien. Le mensonge de Vadim était encore tonique dans le cœur du roi Frost et, tenant à respecter ses promesses, il ne s'arrêterait que lorsqu'il aurait dénicher ce mirage.
Jaya soupira... Si seulement elle pouvait tout avouer à son cher père dans sa réponse...
— C'est une lettre de votre père ?
Jaya quitta des yeux la page noircie pour les poser sur Varvara. Celle-ci l'accompagnait dans sa chambre, s'affairant à changer les rideaux sous les ordres de la princesse, qui avait pris la décision de redécorer cet endroit lugubre. La jeune femme ne tolérait plus l'immonde velours vert et ce tapis poussiéreux. Des voiles plus lumineux seraient parfaits pour embellir cette chambre qu'elle risquait d'occuper encore un moment.
Autant la rendre plus agréable à vivre.
— Oui.
— Le roi, Frost Northwall... J'ai déjà entendu parler de lui. Il paraît que c'est un roi valeureux qui dirige lui-même son armée sans l'aide d'un général.
— Mon père pense que personne ne pourrait mieux protéger son peuple que lui.
— Il a peut-être raison. Ici, le Seigneur Byron compte beaucoup sur Leftheris pour guider les troupes. Il tente de le former à son futur poste de général qu'il reprendra lorsqu'il sera prêt. Si ça se fait, il deviendra le plus jeune général de l'histoire de Cassandore, à à peine vingt-neuf ans. Pour ça, je ne me fais pas de soucis, Leftheris est un expert. Il connaît tout sur l'art de la guerre, c'est même lui qui a formé son jeune frère. Il n'y a pas meilleur que lui dans tout Cassandore...
Jaya leva un œil sur la jeune servante. Tissant les voiles sur les tringles à rideaux, elle semblait rêveuse, perdue dans un autre monde qui était inconnu pour la princesse. Elle était si jolie sous cet angle, si naturelle, qu'elle attisait sa curiosité.
— Depuis combien de temps travailles-tu ici, Varvara ?
La question de Jaya fit éclater sa bulle. L'appelée leva des cils surpris sur la brune, rougissant à l'idée d'avoir été prise en pleine flânerie. Sa réaction tout à fait adorable fit sourire la princesse.
— Oh, je... À vrai dire, du plus loin que je me souvienne, j'ai toujours été ici. Ma mère travaille aussi en tant qu'intendante des ouvriers pour la famille Blanchecombe. Elle les sert depuis des dizaines d'années et j'en fais de même depuis que j'en ai l'âge.
— Tu as dû grandir avec les princes, alors.
Varvara rougit de plus belle, glissant une main dans sa nuque.
— On peut dire ça... Je n'ai pas été spécialement très proche d'eux, vu qu'ils sont bien plus âgés que moi, mais j'ai pu les côtoyer souvent et me rapprocher d'eux par moment. Le prince Vadim a toujours été solitaire, dans son coin, un peu bizarre, mais Leftheris, lui... C'était tout le contraire...
Ses yeux tombèrent sur ses mains abîmées par le ménage, valsant d'un bout à l'autre de ses longs doigts fins.
— Il a toujours été la petite célébrité du Beffroi. L'ainé talentueux qui attire l'attention de tous. Un être constamment dans la lumière qui fait la fierté de son père qui voit en lui le futur roi de Cassandore. Beaucoup disent même qu'il le préfère à Vadim. Il est si fort, si sage, si... fabuleux. Toutes les jeunes filles non-mariées du royaume tentent de s'attirer ses bonnes grâces...
— Toutes ? Même toi ?
Cette fois, Varvara projeta ses grands yeux noirs sur Jaya, humides de culpabilité.
— Moi... ? Ah... moi... Je ne suis pas grand chose. Je ne suis pas une princesse, juste une petite servante... Eh puis, Leftheris tient trop à sa liberté. Tout ce qu'il souhaite, c'est suivre le chemin de l'armée pour porter honneur à sa famille. C'est une noble cause, il veut se battre pour son royaume et le défendre contre les terres ennemies désirant nous voler. Il n'a pas de temps à consacrer à l'amour... Il part, il revient, puis il repart... C'est ainsi...
Elle l'aimait... Jaya en était persuadée. Cette tristesse dans son regard était si flagrante qu'elle avait l'envie impérieuse de la rassurer. Être amoureuse n'était pas un crime, juste une sentence lorsqu'on ne pouvait aimer librement. Une pauvre et un noble... Cela lui rappelait son idylle avec Tiordan. Elle ne pouvait que compatir et la soutenir, car Varvara le méritait.
— Princesse Jaya, s'il vous plaît, ne parlez à personne de cette conversation. Ni à ma mère, ni aux princes. Personne ne doit savoir...
— Tu peux me faire confiance. Tout ce qui a été dit dans cette chambre, restera dans cette chambre.
Le sourire de Varvara la remercia silencieusement. Qu'importait le rang, qu'importait l'âge, si l'amour était présent, il ne fallait pas le freiner. Peut-être que Leftheris la remarquerait un jour, elle qui avait toujours été présente pour lui. Jaya lui souhaitait de tout cœur.
Enfin, elles quittèrent la chambre et Varvara l'abandonna pour s'adonner à d'autres tâches. Des domestiques défilèrent le long du couloir menant à la chambre de Leftheris, sur la plateforme d'en face. C'est alors que Jaya aperçut une femme au teint noir, fièrement en tête de la file. Belle et svelte, elle arborait une poitrine bombée, signe manifeste d'une femme accomplie, forte et déterminée. D'un simple coup d'œil, elle captura l'attention de Varvara.
L'intendante, Omaima... Était-elle sa mère ? Cela ne faisait aucun doute face à leur ressemblance. Jaya n'y avait jamais fait attention avant aujourd'hui.
Avant de partir les rejoindre, Varvara offrit un dernier regard à l'héritière.
— Je suis heureuse que vous ayez épousé le prince Vadim, même si ça ne va pas très bien entre vous. J'ai pu vous connaître, ainsi.
Le sourire de la princesse s'élargit sous l'effet de ces mots. Silencieuse, elle comprit que toute réponse risquait de perturber la magie de ce moment. Jaya laissa donc Varvara rejoindre sa mère, gardant pour elle précieusement ses secrets. Elle était aussi heureuse d'avoir fait cette rencontre.
Descendant l'ascenseur pour se rendre à la salle des repas, Jaya s'attendait à y trouver Vadim. Il était l'heure du déjeuner, mais elle n'y trouva personne. Il devait encore être au camp d'entraînement.
Ressortant de la salle, un soupir mélancolique sur le bord des lèvres, Jaya fut surprise par un mouvement furtif au-dessus de sa tête. Elle leva les yeux et aperçut une ombre se faufiler à l'étage supérieur. Sa curiosité éveillée, elle s'avança d'un pas pour mieux voir et distingua une silhouette sombre en train de gravir les marches de l'escalier menant à la deuxième plateforme. Qui était-ce ? Jamais encore Jaya n'avait croisé quelqu'un vêtu de la sorte depuis son arrivée. Intriguée, la jeune femme décida de la suivre discrètement.
La cape sombre s'infiltra dans le couloir supérieur du second étage. À cause de sa capuche, Jaya ne pouvait pas voir ses traits. Était-ce une femme ? Un homme ? Ce qui était sûr, c'est qu'elle ne voulait pas être vue. C'était louche.
Dans un virage abrupt, l'héritière se cacha lorsque la mystérieuse silhouette se retourna brusquement, comme si elle avait détecté une présence à proximité. Le cœur de Jaya s'emballa. Son souffle se fit plus ténu, se fondant dans l'air ambiant, comme si elle était en train d'être traquée par un prédateur. Elle implora le sort pour qu'elle n'ait pas été repérée.
Lorsque les pas précipités se firent plus lointains, Jaya osa enfin risquer un regard furtif. Elle vit la silhouette mystérieuse disparaître derrière une porte.
Elle ignorait qui elle était, pourquoi était-elle ici, mais cela ne lui disait rien qui vaille. Si c'était un voleur ou un espion, Jaya ne pouvait rester ici les bras croisés. Vadim n'était pas là, les gardes, trop loin. Il n'y avait qu'elle. Était-ce trop risqué ?
Se dirigeant vers ladite porte, elle vit qu'elle était entrouverte. Brûlée d'hésitation, Jaya la poussa lentement, ne faisant qu'à peine grincer les gonds.
La pièce était assez sombre, les rideaux pour la plupart tirés. Cela ressemblait à une salle de réunion. Au centre, des sofas crème formaient un cercle veillé par une gerbe de fleurs fraîches et odorantes. Ça se voyait qu'elles étaient très bien entretenues. Les murs étourdissants étaient parsemés de milliers de livres nettement disposés les uns à côté des autres. Un beau et luxueux lustre de cristal pendait au plafond. Un filet de lumière s'infiltrait de l'extérieur, frappant la fine pellicule de poussière volant dans ce lieu sentant bon la cire d'abeille. Jaya avança de trois pas pour voir une seconde pièce ouverte de l'autre côté.
Des bruits en émanaient.
Elle poursuivit son ascension, prenant soin de laisser la porte entrouverte au cas où elle devrait s'échapper en urgence ou crier à l'aide. La silhouette noire était là. L'autre partie de la pièce était un superbe bureau entouré de fenêtres et de tableaux magnifiques. Le tapis à manufacture cassandorienne étouffait ses pas, rendant Jaya aussi silencieuse qu'un fantôme lorsqu'elle arriva devant l'arche qui séparait les deux espaces. L'ombre s'affairait à fouiller le bureau qu'elle supposait être celui du seigneur Byron.
Discrètement, la silhouette ouvrit les dossiers, feuilleta les manuscrits, puis se rabattit sur les tiroirs. Elle cherchait ardemment quelque chose.
Elle ne pouvait le laisser continuer.
— Qui êtes-vous, qu'est-ce que vous faites ici ?
La voix cristalline de Jaya résonna comme une décharge électrique dans l'esprit de l'étranger. Il se figea, immobile, suscitant la crainte grandissante de Jaya. Lentement, il retira sa capuche, dévoilant son visage. C'était un homme dans la quarantaine, avec une barbe sombre et broussailleuse, et des yeux électrifiants de noirceur. Deux étoiles dans la pénombre. Ses cheveux tirés en arrière, maintenus par une petite queue de cheval, dégageaient un front haut marqué d'une profonde ride du lion.
Le froncement de sourcils de l'homme révélait sa surprise et son irritation face à la présence de cette donzelle. Il ne l'avait pas entendue arriver, ce qui le mettait en colère. Au fil des années, il avait appris à être prudent et à anticiper tout danger potentiel.
— Je vous retourne la question, jeune fille.
Sa voix grave et caverneuse ne l'impressionna pas.
— Je suis la princesse Jaya Northwall, l'épouse du prince Vadim. Maintenant, dites-moi qui vous êtes et ce que vous faites ici avant que je n'appelle les gardes.
L'inconnu la fixa, assimilant enfin les informations fournies. L'épouse de Vadim ? Une princesse, de plus ! Il comprenait mieux la présence intempestive de cette mijaurée dans le Beffroi. Lui qui avait d'abord pensé à une courtisane de bien bonne famille...
Se redressant, l'homme détendit ses épaules et retira sa main qui était braquée contre sa ceinture. Jaya n'avait pas remarqué ce détail de prime abord, mais il semblait qu'il s'apprêtait à dégainer une arme contre elle. Cette pensée la fit frissonner, et elle n'avait pas tort. Il aurait parfaitement été capable de lui trancher la gorge sans ciller.
— Inutile de les appeler, ils savent que je suis ici. Je suis Adhar Horngrad, défenseur de la famille Blanchecombe, messager et accessoirement bras droit du Seigneur Byron. Je suis honoré de vous rencontrer, j'ignorais que le mariage avait enfin été prononcé.
— Ça ne me dit pas ce que vous étiez en train de fouiller ici, Sir Horngrad.
Quelle petite insolente. Bien belle, mais insupportable.
— Je cherchais sous ordre du Seigneur Byron un important document à lui transmettre. Il se trouve actuellement à Starania, où j'étais établi jusqu'à présent afin de surveiller l'activité ennemie. Il a besoin de ce traité dans la journée.
Sans un mot, Jaya le laissa parler. Pourquoi s'accoutrer d'une telle manière pour chercher un document officiel à transmettre au roi ? Malgré son apparente sincérité, elle ne lui faisait pas confiance.
— Je repasserai plus tard, si vous le voulez bien, lorsque le prince Vadim sera rentré. J'ai un message à envoyer aux troupes en place à Starania.
Passant à côté d'elle, il la surplombait de sa grandeur. Ses doigts glacés saisirent sa main qu'il embrassa avec respect.
— Je suis ravi d'avoir fait votre connaissance, votre grâce. J'espère vous revoir bientôt et dans de meilleures conditions.
Silencieuse, Jaya le regarda partir, figée. Elle attendrait de voir si cet homme étrange lui avait dit la vérité. Seul l'avenir lui donnerait tort ou raison. Vadim règlerait cela avec lui. Extériorisant un soupir afin de dissiper les kilos d'anxiété accumulés durant cet échange, elle balaya la pièce des yeux.
Le bureau de son beau-père était un endroit de prestige, où les affaires de la ville étaient gérées avec minutie et où les rencontres officielles se déroulaient avec sérieux. Cependant, ce qui avait immédiatement captivé l'attention de Jaya était le mur de droite, où des tableaux d'une finesse incroyable étaient disposés. Peints d'une main de maître, ils étaient si beaux et réalistes qu'ils semblaient presque vivants. Les ancêtres de la famille Blanchecombe, capturés pour l'éternité, dégageaient une noblesse incroyable.
Parmi eux, une femme blonde magnifique attira particulièrement son attention. Posant sur un fauteuil en velours rouge, elle arborait un pendentif qui ressemblait à une larme cristalline de couleur bleue transparente, coulant entre ses clavicules. À ses côtés se tenait un jeune homme dont Jaya crut reconnaître les traits, bien que sa crinière ne soit plus blanchie par l'âge, mais d'un châtain clair vif.
Ces yeux si sévères...
C'était le Seigneur Byron, dans sa jeunesse. Et cette femme... Était-ce son épouse ? La mère de ses fils ?
Jaya reporta son attention sur un autre tableau imposant, superbement encadré, trônant juste derrière le bureau. Niché entre deux bibliothèques regorgeant de livres, elle se demanda comment elle avait pu ignorer une telle merveille. Le seigneur Byron y était représenté de nouveau, mais cette fois-ci assis, entouré de ses deux fils, âgés d'environ dix et huit ans. Leftheris se tenait fièrement à côté de son père, dont il était le portrait craché, une main sur son épaule. Son élégante redingote laissait deviner un corps athlétique et volontaire malgré son jeune âge.
De l'autre côté, il y avait Vadim...
Il se tenait là, les bras le long du corps, portant un regard inclément et triste à la fois. Tout comme aujourd'hui, ses yeux n'avaient pas changé. Cependant, un élément frappa la jeune femme : il n'avait aucune cicatrice. Son visage enfantin, d'une indescriptible finesse, était dénué de toute imperfection. Jaya était irrémédiablement attirée à lui, telle un papillon de nuit envoûté par sa seule lumière. C'était un si beau petit garçon, d'une blondeur chaleureuse, mais d'une mélancolie accusée.
Il ressemblait à sa mère...
Que lui était-il arrivé pour qu'il soit ainsi dès l'enfance ? Comment avait-il été défiguré par la suite ?
Son désir de comprendre ne faisait que s'intensifier tandis qu'elle contemplait ce tableau de famille. Jaya voulait savoir, découvrir les secrets dissimulés derrière l'énigmatique façade de son époux.
Ce soir-là, perchée à sa fenêtre, elle l'observa encore une fois partir en pleine nuit, attiré par une destination inconnue qui semblait l'appeler dès que minuit sonnait. Sa silhouette se découpait dans les ténèbres nocturnes avant de disparaître derrière les barricades du Beffroi.
Si elle n'avait la force de le confronter à ses agissements, alors Jaya n'avait plus qu'une solution. Attrapant une cape pour se garder du froid mordant du soir, elle le suivrait pour découvrir. Pour comprendre et enfin savoir.
Déceler le mystère de Vadim Blanchecombe.
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