
𝐄 𝐏 𝐈 𝐒 𝐎 𝐃 𝐄 - 04 : Un Homme Marginal 1/4 ✔️
Jaya avait passé une nuit entière à pleurer, se lamentant sur sa vie et sur ce destin qui lui avait été imposé. Les souvenirs de sa mère, de Tiordan et de Symphorore avaient envahi son esprit ; tous ces êtres qu'elle ne reverrait probablement jamais, sauf dans la mort. Cette mort, qui semblait être plus douce que la réalité qu'elle vivait présentement.
Cependant, se morfondre n'avait rien changé. Elle était toujours là, dans cette ville, dans cette chambre, oscillant entre des moments de désespoir, couchée sur ce lit froid, et des moments d'agitation où elle faisait les cents pas. C'est de cette manière qu'elle l'avait vue...
Vadim...
Depuis le bas de sa fenêtre, Jaya avait une vue partielle sur la cour qui s'étendait sur les flancs du Beffroi. Elle l'avait vu partir pendant la nuit, furtivement, en contournant les murs pour ne pas être vu. Où pouvait-il bien aller à cette heure tardive ? Peut-être avait-il besoin de prendre l'air pour apaiser ses ardeurs. Elle aurait souhaité qu'il ne revienne jamais, qu'il ne soit qu'un fantôme de son imagination, un cauchemar éphémère...
La princesse ne lui pardonnait pas ce qu'il lui avait fait, ce soir-là. Sa pureté n'avait donc aucun prix à ses yeux ? Il ne se préoccupait pas de savoir si elle était prête ou non à s'offrir, sous prétexte qu'elle était désormais son « épouse » ? Elle n'était rien pour lui, tout autant qu'il n'était rien pour elle. Cet homme était le dernier à qui elle avait envie de se donner. Un seul en était digne...
Au matin, Jaya s'éveilla, à bout de forces, et réalisa avec peine que tout ceci n'était pas un rêve. Vadim n'était pas revenu et cela ne pouvait que la soulager. Cependant, ce n'était pas les rayons de soleil qui l'avaient tirée de son sommeil, mais des coups insistants frappés à sa porte. Jaya se redressa rapidement, passant une main dans sa crinière en bataille et son visage cerné par la fatigue. Qui cela pouvait-il bien être à une heure si matinale ?
— Entrez...
Le verrou s'ouvrit pour laisser voir deux grands yeux noirs et un épais chignon de boucles appartenant à Varvara. La jeune domestique semblait particulièrement de bonne humeur, contrairement à Jaya.
— Bonjour, princesse ! J'espère que vous avez bien dormi. Il est huit heures. J'ai été envoyée par le Seigneur Byron qui vous invite à prendre le petit déjeuner en leur compagnie.
En leur compagnie ? Cela voulait donc dire que Vadim serait également présent... Cette perspective ne réjouissait guère Jaya, mais la faim tenaillait son estomac depuis la veille. Sans même lui laisser le temps de répondre, Varvara se dirigea prestement vers la fenêtre.
— Ça fait plaisir de voir ces maudits rideaux ouverts. Le prince Vadim ne les ouvre jamais et refuse qu'on le fasse.
— J'ai pu remarquer ça...
Sa voix, presque un murmure, capta tout de même l'attention de la jeune servante.
— La mer est magnifique, sous ce soleil. On la voit bien d'ici.
La mer ? Était-ce cette grande étendue de bleu qu'elle entrevoyait ? Elle qui pensait que ce n'était que le ciel. Pleine de curiosité, Jaya se leva pour l'admirer davantage. Elle n'avait jamais eu l'occasion de contempler l'océan, sachant qu'à Alhora, elle devait se contenter des montagnes, des forêts de sapins et des rivières gelées. Les rayons d'or frappaient cette immense couverture marine nappant l'horizon et illuminaient son regard.
Varvara sourit devant son adorable comportement.
— Je vous ai ramené une tenue pour le petit déjeuner, par ordre du Seigneur Byron. C'est une robe légère, parfaite pour supporter la douceur de Cassandore. Il m'a dit que vous seriez probablement plus à l'aise qu'avec vos vêtements épais de montagnes.
Effectivement, Jaya ne remarqua pas tout de suite que Varvara portait un long morceau de tissu sur son bras. Ce n'est qu'en le dépliant que la robe cousue dans un satin fin de couleur crème attira instantanément son regard, l'éloignant du spectacle océanique. La robe avait un décolleté en cœur, ouvert sur le buste, ainsi que de longues manches en voile opaque ornées de fils d'or et de joyaux cristallins. Bien que la robe soit magnifique, elle semblait si fine et si près du corps que Jaya craignait de mourir de froid dedans...
— Ne vous inquiétez pas, il y a une cape à mettre avec.
Varvara avait clairement vu l'inquiétude dans le regard de Jaya. L'héritière grimaça. Son beau-père voulait qu'elle se pavane pour eux dans cette tenue légère ? Et puis quoi encore ? Elle n'était pas une œuvre d'art que l'on peignait à sa guise.
Seulement, l'air confiant de Varvara consolida le choix final de la princesse. Elle ne pouvait qu'acquiescer sagement devant un tel sourire.
Une fois habillée et préparée, Jaya fut escortée vers la salle des repas par Varvara, située au premier étage. Cela avait échappé à l'attention de la jolie brune la veille, mais de jour, des milliers de lucarnes à travers lesquelles la lumière se faufilait, conféraient un effet hors du commun au Beffroi. Les parois brillaient, comme incrustées d'or.
Au moment où elles quittèrent l'ascenseur, les deux jeunes femmes aperçurent une silhouette se dirigeant vers la salle des repas. Une grande et élégante silhouette qui ne manqua pas d'attirer l'attention de Jaya dès qu'elle posa les yeux sur elle.
— Oh, princesse Jaya, vous nous honorez enfin de votre présence. Avez-vous passé une bonne nuit ?
Leftheris, le frère de Vadim, lui transférait un sourire éclatant. Elle ne savait quoi répondre. Évidemment que non, elle n'avait pas bien dormi et n'avait fait que pleurer en se remémorant les mains rugueuses de son cadet sur sa peau. Elle aurait tant aimé lui dire cela... Lui faire comprendre, mais le mensonge la guida.
— Oui... et vous ?
— Une très bonne nuit. Ce dont j'avais besoin pour entamer la dure journée qui m'attend.
Une dure journée probablement due à son rang dans l'armée, pensa Jaya. Selon les dires, il était un valeureux guerrier qui menait ses troupes d'une main de fer. Un futur général respectable, en somme. Leftheris la fixait toujours aussi profondément, vêtu de son éternel sourire. Un charmant sourire qui lui rappelait ceux que lui faisait Tiordan, lorsqu'ils échangeaient sur leur futur ensemble.
Comment se montrer autre que doux devant une telle beauté ? pensa-t-il.
— Varvara, s'il te plaît, retourne à tes taches, je m'occupe d'emmener la princesse à la salle des repas.
L'appelée eut un petit sursaut de conscience. Jusqu'à lors, elle était suspendue aux lèvres de Leftheris, buvant ses paroles comme un bon thé sucré. Sa voix l'avait fait descendre de haut, l'atterrissage était difficile. La rougeur à ses joues parlait de sa gêne.
— Oui, oui... Désolée. J'y vais. Bonne journée à vous.
Varvara jeta un dernier regard à Leftheris avant de partir, n'oubliant pas de saluer Jaya au passage. Les regards insistants de la jeune femme avaient piqué la curiosité de l'héritière Northwall. Que pouvait-il bien se cacher derrière cela ? Son beau-frère, quant à lui, ne prêta pas davantage attention à la situation. Dès que Varvara fut partie, il lui tendit galamment le bras.
— Puis-je ?
Il était d'une politesse exemplaire, à l'opposé de son rustre de frère. Ce fut avec plaisir et une pointe de timidité qu'elle passa sa main autour de son avant-bras robuste et ferme. Leftheris la guida sur la passerelle menant au couloir du premier étage. Leurs pas étaient les seuls à briser le calme presque solennel des lieux. Cette atmosphère apaisante aidait Jaya à laisser derrière elle les souvenirs de sa nuit précédente.
— Si je puis me permettre, cette robe traditionnelle vous va à ravir.
Elle leva ses yeux vers le futur général qui la veillait d'un œil tendre et admiratif. Gris comme un jour de neige, mais pourtant si chaleureux. Il la flattait au point où elle pensait virer au rouge pivoine.
— Oh, merci beaucoup. Elle me parait bien plus légère que celles que je porte habituellement.
— Le froid et le blizzard sont beaucoup moins présents, ici. La température est si douce que la neige ne tient quasiment pas. C'est très bon pour l'agriculture, nous sommes choyés.
Un sourire rassuré s'étira sur le visage de Jaya. Au moins, elle était soulagée de ne pas avoir à affronter le froid mordant et le vent glacial, comme à Alhora. Un silence paisible s'installa entre eux, ralentissant le rythme de leurs pas.
— Vadim a beaucoup de chance de vous avoir, vous savez.
Troublée, Jaya se ternit un instant.
— Moi, je n'en ai pas eu autant...
Cette fois, il arbora une mine soucieuse. Peut-être avait-elle parlé trop vite... Comme à son habitude. C'était incroyable comme sa langue pendue ne coopérait jamais avec sa raison.
— Votre frère est... spécial.
— Je ne vous le fait pas dire. Par ici, il est réputé pour ça. Le prince marginal attisant les rumeurs sur son chemin. Je dois bien avouer que Vadim ne rentre pas dans les standards de notre famille, ni d'ailleurs. Il vit comme s'il n'y avait pas de lendemain, s'intéresse à des choses insensées, cherche à accomplir ses propres idéaux en négligeant son devoir de prince...
Quelles rumeurs ? Jaya l'écouta sans rien dire, attendant qu'il lui en révèle davantage. Or, il ne rajouta qu'une phrase, les lèvres pincées d'amertume.
— J'espère juste qu'il sera à la hauteur de ce mariage et qu'il prendra soin de vous comme vous le méritez, princesse.
Être à la hauteur ? Elle doutait qu'il puisse l'être, car elle avait décidé de ne pas se rapprocher de lui. Elle n'était donc pas la seule à trouver Vadim étrange, voire effrayant. Même Leftheris, son propre frère, semblait penser qu'il y avait quelque chose qui clochait chez lui. Un instant, Jaya eut envie de lui demander d'où venaient ses immondes cicatrices. Il devait bien connaître la réponse. Mais elle se ravisa, découragée par l'audace de cette question.
Elle finirait bien par le découvrir, un jour ou l'autre. Il lui restait des semaines à purger ici.
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Lorsque Jaya fit son apparition dans la salle des repas, Byron Blanchecombe sembla ravi de la voir. Il lui fit un accueil chaleureux, et pendant un instant, la brune eut l'impression que sa façade bienveillante était authentique. Mais ses illusions se dissipèrent rapidement lorsque Leftheris demanda où était Vadim. Son masque de soie était en effet introuvable dans la vaste salle. Froidement, le roi leur expliqua simplement qu'il avait dû se rendre de bonne heure au camp d'entraînement pour y former les soldats.
Sans plus d'histoires sur Vadim, ils dégustèrent un succulent petit-déjeuner. Jaya goûta à des choses qu'elle n'avait jamais vues. Le régime cassandorien se révélait bien plus riche en fruits et légumes qu'à Alhora. C'était délicieux, toutes ces saveurs inconnues explosaient sur son palais affamé.
À la fin du repas, Byron invita Jaya à visiter la tour et ses environs pendant que lui et Leftheris se rendraient à la base militaire, située sur la colline près des terrains agricoles. Ils avaient pour mission de mobiliser leurs troupes pour régler un conflit avec la ville voisine de Starania. Les terres du sud étaient si fertiles qu'elles entretenaient leurs armées avec le plus grand soin.
À Alhora, les terres étaient si inhospitalières et infertiles que le roi Frost n'avait pas le temps de faire la guerre aux autres. Il avait appris à se défendre par la terreur, en tirant parti des récits sanglants sur les dangers des montagnes environnantes. Les alhoriens incarnaient la frange à part d'une société plus belliqueuse et avide au fil des années. Depuis l'épisode du Géant Gelé, aucune ville hors-territoire ne s'était intéressée en bien ou en mal à leur patrimoine, avant Cassandore. C'était une paix qui manquait à Jaya lorsqu'elle voyait les soldats des Blanchecombe partir vers les bases en rang avec leurs supérieurs.
Elle était seule au Beffroi.
Seulement, elle croisa rapidement le chemin d'une servante portant une robe différente des autres. Un galon d'or était attaché à son col. D'une quarantaine d'année, sa peau noire comme une nuit blanche détonnait dans tout ce doré environnemental. Des boucles d'ébène, structurées et tombant en partie sur son œil gauche, surplombait un visage encore beau et jeune pour son âge.
Elle l'avait déjà vue : c'était la dame de la veille.
— Bonjour, votre altesse, vous êtes vous bien reposée ?
— Très bien, merci... mentit-elle.
— Je ne me suis pas présentée hier. Je suis Omaima, intendante des ouvriers au Beffroi. C'est moi qui gère l'administration domestique ici.
La femme ponctua ses mots d'une légère révérence.
— Enchantée de vous connaître.
— Moi et mes consœurs vous servirons autant que nous le pourrons, le roi nous a demandé de vous satisfaire sur tous les égards. Si vous avez besoin de quoique ce soit, n'hésitez pas à nous le faire savoir.
Jaya remercia chaleureusement la quadragénaire malgré son air stoïque, appréciant son accueil.
— Voulez-vous faire un rapide tour du Beffroi ? Je serai votre guide. Il est important de connaître l'endroit où nous vivons.
Ces paroles firent baisser les yeux de Jaya. Cet endroit, chez elle ? Elle savait que ce n'était pas le cas. Cependant, elle garda son calme et sourit bêtement à la servante pour ne pas éveiller les soupçons.
— Avec joie.
Sans un mot, Omaima prit les devants, incitant d'un œil la princesse à la suivre au-delà des escaliers. De l'élégant salon de thé, à la spacieuse salle des banquets, puis à l'impressionnante galerie d'art, en passant par la sublime salle de réception en marbre blanc. La cuisine, le recueil des archives et le retrait des serviteurs furent également présentés dans de doux parfums d'encens. Tout était si beau, si luxueux et d'une modernité incroyable. Son cœur en ratait un battement à chaque nouvelle découverte.
Tout au long de la visite, Omaima lui raconta l'histoire de l'édifice qu'elle connaissait par cœur.
— Le Beffroi a été bâti il y a deux cent ans par Henderick Blanchecombe, l'arrière-arrière grand père du Seigneur Byron, un chevalier marquis de la noblesse d'Anteros étant tombé au combat face à l'ancien roi de Starania, à l'effondrement de son domaine pris sous la domination de l'ennemi. Lui, sa famille et ses derniers fidèles ont fui leur terres et colonisés Cassandore, cette ancienne cité agricole autrefois si pauvre et négligée, pour se rebâtir un avenir. Il y avait si peu d'habitants et tant de créatures sauvages qu'il eut l'idée de s'approprier une ancienne tour de guet qu'il érigea comme nouveau fief. Y voyant un grand potentiel caché, il renfloua la cité de ses richesses sauvées de la guerre et s'attira l'admiration du peuple. Grâce à sa solide protection apportée sur la ville et la découverte des sources chaudes sous la souche même du Beffroi, la famille Blanchecombe fut montée au rang de sommité à Cassandore. La fortune toucha cette terre abandonnée qui devint un royaume envié de tous, le plus influent des trois royaumes de Glascalia. Les soldats guerriers des Blanchecombe repoussaient les animaux des frontières, protégeaient leur peuple et dès lors, un nombre significatif d'individus s'installa ici pour mieux vivre et construire ce à quoi elle ressemble aujourd'hui. Les nouvelles générations des Blanchecombe ont apportés de nombreuses améliorations au Beffroi, tout droit venues du continent de Thenaraïm ; l'architecture industrielle, les ascenseurs, le système d'irrigation de l'eau par les tuyaux souterrains, les véhicules à moteur... Tant de choses qui nous rendent uniques aux yeux de Glascalia qui n'est pas habituée à voir cela.
Jaya était bouché bée ; quel bâtiment gorgé d'histoires ! La famille Blanchecombe était réellement devenue l'héroïne d'un peuple ayant fait ressortir tout le meilleur de leur patrimoine. La cité-état demeurait en constante évolution. C'était enrichissant de connaître le passé légué de ces hommes qui l'avaient accueillie.
Revenant en bas des escaliers du hall, les deux femmes se firent face.
— Nous avons fait le tour du plus intéressant, princesse.
— C'est vraiment magnifique.
— N'est-ce pas ? Les Blanchecombe ne sont pas peu fiers de leur patrimoine. Bien... Excusez-moi, mais je vais devoir m'en aller, à présent, votre grâce. J'ai à faire en cuisine pour ce soir.
— Oui, ne vous inquiétez pas. Merci beaucoup de m'avoir fait visiter.
Omaima fit une courbette avant de s'éloigner pour rejoindre un groupe de servantes se tenant à quelques mètres de là. Ces domestiques observaient Jaya de loin, chuchotant à son propos. Était-ce en bien ou en mal ? Elle l'ignorait. Selon Leftheris, Vadim était un homme pêchant le ragot aussi vite qu'un aigle affamé. Elles devaient certainement penser qu'elle était la femme du frère marginal et terrifiant, et qu'elle devait être un peu comme lui pour l'avoir épousé. Jaya rejeta ces sottises avec mépris.
Elle devait prendre un grand bol d'air frais afin de chasser ces idées saugrenues de sa tête. Cela lui ferait le plus grand bien.
Jaya, qui avait revêtu sa cape, décida de quitter le Beffroi sous les regards intéressés des gardes. Bien qu'ils ne disaient rien, leurs yeux parlaient pour eux. N'avaient-ils donc jamais vu de jolies femmes ?
Passer ces immenses portes apporta un sentiment incroyable de liberté à Jaya, comme elle n'en avait jamais eu à Alhora. Personne ne l'interdisait de sortir et de se mêler au village, comme le faisait son père. Personne n'était là pour la critiquer ou se moquer d'elle, comme le faisait Evanora. À cet instant, une flamme d'affranchissement qu'elle pensait autrefois éteinte venait de se rallumer.
Quel bonheur !
Cassandore était une ville magnifique et très animée, bien plus que Alhora. Les habitants modestes y travaillaient et marchandaient des victuailles aux milles parfums et couleurs. Leurs cris résonnaient entre les discussions exagérées des vieux natifs qui buvaient dans les tavernes égayées par le son d'un luth. Seul bémol à ce charmant tableau : des gardes effectuaient des rondes, scrutant avec sévérité le moindre signe de danger. Les passants s'écartaient sur leur chemin ou se cloîtraient chez eux avec crainte, témoignant de la réputation de l'armée des Blanchecombe qui savait se faire respecter. C'était tout à leur honneur, car Cassandore était la ville glascale la plus riche et la plus influente, et il fallait déployer des trésors de méfiance au cas où des espions se glisseraient parmi la population.
Jaya s'approcha d'une allée commerciale bondée où des mères veillaient leurs enfants sous le radieux soleil, en plein jeu de balle. Celle-ci, d'ailleurs, heurta la cheville de la jeune femme et s'arrêta. Trois enfants accoururent et s'immobilisèrent devant elle. Ils n'osaient pas s'approcher par respect de sa belle tenue. Qui était elle ? On voyait rarement de gens nobles au village.
Jaya leur sourit et attrapa leur balle rouge pour leur rendre.
Un jeune garçon au nez taché de suie lui reprit des mains, s'inclinant face à elle en signe de politesse.
— Merci, madame.
Ils s'en allèrent, riant avec entrain. Ce peuple lui rappelait tant celui d'Alhora ; heureux même dans la misère. Cependant, à la différence de sa cité natale, l'air était si doux et la neige inexistante. Elle ne voyait que des résidus sur les toiles tirées des enseignes. Jaya avait rarement vu la couleur de la terre sous ses pieds, c'était donc un véritable plaisir pour elle. En effet, les habitants prenaient plaisir à sortir et à s'exposer au grand ciel bleu, du plus bleu qu'elle n'en avait jamais vu.
Jaya avança de quelques mètres, se délectant des magnifiques échoppes exposant bijoux, sculptures et autres carapaces. Soudain, une en particulier attira son regard. Une spirale d'une douceur infinie, miroitant sous la lumière. La demoiselle la saisit pour l'admirer plus attentivement. Chaque mouvement faisait changer les couleurs, créant un spectacle féérique à ses yeux. C'était de toute beauté.
— Bonjour, jolie mademoiselle. Profitez, tous nos articles sont ramassés, créés et polis à la main. Un vrai travail d'orfèvre !
Le vendeur, un vieux monsieur tout maigre avec une longue barbe lui exhiba ses rangées de dents cassées.
— Puis-je savoir ce que c'est ?
Elle lui montra la spirale et récolta un petit rire gras de la part du marchand. Qui avait-il de si drôle ?
— Très chère enfant, c'est un coquillage.
— Un co... quillage ?
— Vous ne devez pas être d'ici, visiblement. On trouve ces coquillages dans la mer ou sur les plages. Mon fils va les pêcher lui-même et je m'occupe du polissage. Un vrai travail d'équipe, n'est-ce pas ? Ça vaut le coup de se l'offrir, ma toute belle.
De telles merveilles se trouvaient dans la mer ? Elle comprenait mieux pourquoi elle n'en avait jamais vues auparavant. Apprendre que des trésors comme celui qu'elle tenait se cachaient sous les eaux était prodigieux. Son sourire s'élargit encore, illuminant son visage comme celui d'une petite fille.
Elle eut du mal à le reposer sur son présentoir.
— Je suis désolée, je n'ai rien sur moi pour l'instant. Je repasserai, je vous le promets.
— Comme vous le souhaitez, mignonne. « Les Coquillages de Jackar » ne bougerons pas d'ici, comme depuis quarante-huit ans.
Son chaleureux et quoique disgracieux sourire la força à lui renvoyer la pareille. Après l'avoir salué, Jaya reprit sa marche en se perdant dans ses pensées, incapable de se sortir cette jolie spirale nacrée de la tête. Peut-être qu'elle pourrait aller à la mer, un de ces jours ? Elle trouverait peut-être des coquillages, elle aussi.
La jeune femme poursuivit sa promenade dans l'allée commerçante avec l'espoir d'apercevoir d'autres étals ou peut-être même quelques charmantes boutiques. Cependant, elle ne se rendit pas immédiatement compte que le chemin de terre sur lequel elle marchait était isolé et l'éloignait de l'agitation du centre-ville. Intriguée par un grand mur de pierres empilées, visible de l'autre côté de la ruelle, Jaya fronça les sourcils et le suivit sur une distance de dix mètres à sa gauche.
Quand elle leva les yeux, elle aperçut un panneau suspendu au-dessus d'une immense arche de bois imbriquée dans le mur. Il était écrit :
« Camp d'entraînement de l'armée cassandorienne »
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