
𝐄 𝐏 𝐈 𝐒 𝐎 𝐃 𝐄 - 03 : Un Mariage Béni 1/3 ✔️
Vingt ans.
Jaya avait enfin vingt ans. L'âge adulte selon le vouloir d'Ymos. « Joyeux anniversaire, princesse ! », entendait-elle à tous les couloirs. Seulement, il n'y avait pas de joie pour elle. Pas de fête, pas de pâtisseries, elle avait tout refusé. Car ce même jour, à l'aube naissante de sa majorité, son mariage arrangé avait lieu.
Après ce qui s'était passé, elle ne pouvait plus se voiler la face. Elle était contrainte d'épouser Vadim Blanchecombe. Le roi ne reverrait pas la donne et son peuple comptait sur elle. Quel bonheur les avaient traversé en apprenant les épousailles de leur chère princesse ! Ils avaient appris que cette union apporterait l'eau tant attendue des sources cassandoriennes pour irriguer la terre gelée d'Alhora. Leurs célébrations avaient presque réussi à masquer la tension palpable des soldats de la garde royale, postés à chaque coin de rue.
Le mensonge de Vadim avait apporté une psychose inattendue sur la ville. Un homme venant d'au-delà du mur pour kidnapper la princesse et l'emmener dans la Forêt des Murmures... C'était un scénario catastrophique. Depuis, sortir la nuit était devenu un acte de folie. Au coucher du soleil, les enfants étaient remballés, les rideaux tirés, des yeux guettant à travers avec l'espoir de signaler un mouvement suspect aux gardes.
Malgré les chuchotements persistants des citoyens quant à la violente réputation des Blanchecombe, Vadim avait été acclamé pour avoir sauvé la princesse de ce qui n'était finalement qu'un mirage.
Jaya enrageait à cette idée. Il s'était pris tous les honneurs à ses dépens et après, on lui demandait de lui faire confiance ? C'était au-dessus de ses forces. Lorsqu'elle se voyait dans cette longue robe blanche recouverte de cristaux, ses larmes chantaient l'appel du désespoir. Le roi Frost, assis en face d'elle dans le traîneau royal les emmenant à l'église, lui étira un sourire se voulant rassurant. Pour lui, elle devait faire bonne figure, relever fièrement le menton. Il était si fier d'elle, de sa force mentale.
Jaya s'attendait à tout instant à ce que Frost lui lance ses habituels compliments sur sa beauté. Cependant, il resta silencieux, soucieux de ne pas la troubler et de profiter pleinement de l'ambiance festive qui régnait à l'extérieur.
Autour du traîneau, les clameurs de joie noyaient les rues d'Alhora. Les habitants se mêlaient sans gêne pour avoir la chance d'apercevoir le convoi. Tant de monde s'était déplacé pour la voir épouser un défiguré... Cette idée fit monter en elle une dose de stress et de pression supplémentaire.
Le véhicule finit par s'immobiliser devant l'Église Ymosienne d'Alhora, siège du haut conseil religieux de la ville. Le cœur de Jaya se serra lorsque son père lui tendit la main.
— C'est le moment, ma petite. Soit digne.
Être digne... Elle n'aurait pas le choix. Délicatement, elle glissa ses doigts fins comme des brindilles dans ceux massifs de son père, tandis que la portière s'ouvrait devant elle. Le roi descendit en premier, faisant encore monter le volume des acclamations. L'église déployait pour chaque bénédiction nuptiale dans la royauté les fastes et l'éclat des cérémonies. C'était magnifique pour les autres, mais si angoissant pour Jaya.
Elle suivit son père de près, éblouie par la splendeur du soleil qui rayonnait en ce jour. Le ciel était d'un bleu si éclatant qu'elle ne l'avait jamais vu auparavant. À croire que les Blanchecombe l'avaient apporté avec eux depuis leurs domaines du sud. Son regard balaya la foule, à la recherche d'un visage familier ou d'un signe qui pourrait la convaincre une dernière fois de mettre fin à cette union.
Des yeux bruns s'en détachèrent, presque noirs, éclatants de tristesse.
Tiordan... ?
Le cœur de Jaya rata un battement, mais réalisa très vite que ce n'était pas lui.
Ces yeux... Symphorore. Elle avait les mêmes que son frère.
La jeune fille se tenait là, submergée par la marée de corps, regardant son amie mariée d'un air morose. Des cernes soulignaient ses paupières, signe de ses insomnies à répétitions. La joie de vivre qui la personnifiait autrefois était morte, disparue en même temps que Tiordan. Vivre seule était une torture. Devoir gérer sa maison et la chasse sans savoir où était passé son frère dont elle était si proche l'achevait.
Son sourire déchira le cœur de Jaya, mais en même temps, il lui donna la force de surmonter l'épreuve qui l'attendait. Bien qu'elle ne puisse pas la soutenir physiquement, son cœur et ses pensées étaient en permanence à ses côtés, prêts à la réconforter.
Hélas, Symphorore disparut de son champ de vision lorsque le roi l'escorta à l'entrée de la somptueuse église. D'un simple regard, Jaya comprit que l'heure était venue, l'heure pour elle de prouver qu'elle était à la hauteur de la future reine qu'elle aspirait à devenir.
Les violons reprirent de plus belle durant leur marche dans l'enceinte blanche et cristalline de l'église ymosienne. Les briques de roches incrustées de minéraux précieux descendues des montagnes scintillaient dans le couloir de lumière que formait le gigantesque et sublime vitrail situé à son fond. La mosaïque de verre aux milles teintes de bleus et de mauves apportaient une ambiance douce et légère qui, durant une seconde, apaisa Jaya avant de revenir en des kilos d'anxiété.
Il y avait tellement de monde... Toute la famille était là.
Les Northwall observait Jaya alors qu'elle marchait fièrement, tenant le bras de son père. Les oncles, les grands-tantes, les cousins venus de terres voisines, tous étaient présents. Et même Evanora avait fait le déplacement. Jaya croisa le regard de cette dernière, qui, bien qu'admirative au premier abord, se plissa rapidement de jalousie.
D'abord, Evanora n'en avait pas cru un traître mot lorsque le messager était venu dans le domaine de ses parents annoncer les épousailles de Jaya. Elle avait dû lire le faire-part d'elle-même pour constater la vérité. Sa cousine détestée allait épouser un fils Blanchecombe. Danser au bal de la floraison sous son nez avec l'un d'entre eux n'avait donc pas suffit. Il avait fallu qu'elle lui vole encore cet honneur ! Cette occasion de briller ! Elle qui avait toujours rêvé d'entrer dans cette célèbre famille et enfin faire valoir son nom, sa surprise et sa colère n'avaient été que plus volcanique. Jaya avait toujours tout et elle, pauvre noble de seconde branche, se contentait de la regarder passer entourée de son aura pailletée insupportable !
Si seulement elle savait... Jaya lui aurait laissé sa place sans hésiter.
Finalement, son regard se posa sur le bas du vitrail, où l'archevêque Olien, la principale figure religieuse d'Alhora, ainsi que Vadim, les attendaient. Jaya se raidit subitement lorsqu'il se tourna vers elle. Il portait un costume blanc cintré, confectionné dans un tissu riche et orné de cristaux sur le torse. Les manches arboraient des arabesques dorées tissées à la main. Une cape en brocard, assortie, descendait élégamment sur ses larges épaules jusqu'à ses bottes chaussées avec soin.
Il avait eu la décence de mettre son loup pour cette occasion, pensa-t-elle. Elle crispa sa poigne autour de son bouquet de fleurs flocons lorsqu'elle se remémora ce qu'il y avait en dessous...
Enfin, la belle brune atteignit l'autel, s'immobilisant devant celui-ci. Les violons cessèrent leur mélodie, et le roi Frost se tourna vers elle avec une tendresse infinie dans le regard. Il était une robuste montagne qui, pourtant, fléchissait devant ce minuscule bout de femme. Jaya lui rendit son sourire délicat. Le souverain effleura sa main d'un baiser avant de la laisser enfin se diriger vers son destin.
Il s'assit au premier rang réservé aux plus grands grades, auprès de Byron Blanchecombe et son fils, Leftheris. Celui-ci n'avait pu lâcher Jaya des yeux depuis son entrée, ses prunelles en brillaient devant sa beauté. Lorsqu'elle le remarqua, il la gratifia d'une moue qu'elle n'arrivait pas à déchiffrer. Était-ce de la compassion ? Une façon à lui de lui souhaiter bon courage ?
Finalement, elle dut l'abandonner lorsque qu'une grande main, abîmée et lacérée de marques, se tendit vers elle. Une sueur froide parcourut sa colonne vertébrale. Avait-elle encore le choix ? Plus maintenant. Elle prit une grande inspiration avant de glisser ses doigts dans ceux de Vadim, se laissant attirer vers lui sous le regard attentif de l'archevêque Olien qui ouvrit son manuscrit saint.
Un silence assourdissant tomba sur l'église.
— Peuple d'Alhora, aujourd'hui, nous assistons à un grand événement, une bénédiction, commença le religieux, sa voix portant en écho dans toute la salle. Que ce grand jour marque le début d'une ère de partage, de renaissance et d'amour. Nous sommes réunis devant notre cher dieu, Ymos, pour unir deux âmes, deux cœurs, par les liens sacrés du mariage.
Jaya déglutit. La nervosité agitait son pouls à tel point qu'elle en avait du mal à rester en place. Ses mains commencèrent à trembler autour de son bouquet. Elle devait rester digne...
— Cher peuple d'Alhora, ce n'est pas n'importe quelle union que nous célébrons aujourd'hui, mais bien celle de notre chère princesse Jaya, fille de notre roi adoré, Frost Northwall II, avec le prince Vadim Blanchecombe de Cassandore. Le mariage de deux grandes familles, deux clans valeureux pour un avenir resplendissant.
Les mains levées de l'archevêque Olien indiquèrent au couple qu'ils devaient se faire face pour réciter les prières. Jaya se demanda comment elle allait pouvoir lui soutenir le regard sans baisser les yeux. Avant qu'elle n'ait pu élaborer un plan, ils étaient déjà en position. Vadim, même stoïque, la contemplait avec émerveillement. La dépassant de plus d'une tête, il l'admirait comme une étoile étincelante dans le ciel. Ses yeux miroirs reflétaient l'image sans visage que Jaya s'était préfabriquée. Cette fille belle, sage et appréciée... Ce n'était pas elle.
C'était trop dur... La jeune femme tourna furtivement la tête vers le père Olien. Le temps lui paraissait si long sous sa voix caverneuse. Qu'il termine de crier ses prières à Ymos, qu'on en finisse...
— Que Ymos nous écoute et apporte la force et la longévité dans ce mariage. Louez notre dieu. Calastë Ymos Maïroa.
Enfin, c'était terminé, soupira Jaya, intérieurement.
— Vous pouvez désormais réciter vos vœux. Après vous, jeune homme.
Les vœux... Cette grotesque mise en scène qu'ils avaient été forcé d'apprendre. Jaya resta de marbre lorsque Vadim commença la sienne.
— Moi, Prince Vadim Blanchecombe, je vous prends vous, Princesse Jaya Northwall, comme épouse telle que vous êtes. Je promets devant Ymos de vous aimer, de vous respecter, et de vous encourager à travers les triomphes et les embûches de notre vie à deux. Je m'engage avec amour et fidélité à partager avec vous le reste de ma vie, jusqu'à ce que la mort nous sépare.
Pas un seul temps de pause ou d'hésitation ; il l'avait appris par cœur. Sa voix au timbre chaud avait bercé l'église durant ce discours. Lorsque l'amour était présent, ce devait être merveilleux d'entendre ces mots si beaux. Or, pour Jaya, cela ne faisait que la poignarder au cœur.
— À vous, princesse.
Elle jeta un regard inquiet en direction du religieux. Le stress bouillonnait dans son corps et nouait son estomac. Vadim, scrutant son visage pour déceler ses angoisses et ses secrets les plus profonds, attendait qu'elle fasse de même. Regarde-le, Jaya... Non, elle n'y arrivait pas. Ses yeux se bloquèrent sur l'écusson de sa famille greffé à son poitrail. Cette mascarade était ridicule.
— Moi... Princesse Jaya Northwall, je vous prends, P-Prince Vadim... Blanchecombe, comme époux... tel que vous êtes.
Ces derniers mots furent les plus difficiles à dire. Ils lui en piquaient la langue.
— Je promets devant Ymos de vous... aimer, de vous respecter, et de vous encourager à travers les triomphes et les embûches de notre vie... Je m'engage avec... amour et fidélité à partager avec vous... le reste de ma vie... jusqu'à ce que la mort nous... nous sépare.
Passer le reste de sa vie avec lui et dire adieu à sa si précieuse liberté... Cette pensée arrachait le cœur de Jaya et la ferait hurler de chagrin dans d'autres circonstances.
— Par les immenses pouvoirs que nous confèrent notre vénéré Ymos, je vous déclare mari et femme. Vous pouvez bénir la mariée d'un baiser.
Cette fois, Jaya s'agita pour de bon. Son regard paniqué balayait de gauche à droite, traduisant son état lamentable. Son cœur menaçait de lâcher à tout moment. Allait-il réellement l'embrasser ? Non, elle refusait que ses lèvres ne touchent les siennes ! Mais comment éviter cela devant tout le monde ? C'était impossible...
Buste gonflé, Vadim s'approcha d'elle. Sa main saisit doucement la taille fine de Jaya et diminua dangereusement le fossé entre eux. Que pouvait-elle faire ? Elle se devait de trouver une solution au plus vite !
Au seuil de l'impact, Jaya se laissa porter par son instinct. Le souffle de Vadim irradiait sur l'ourlet de ses lèvres. En fermant les paupières, elle esquiva adroitement le baiser qui se posa au coin de sa bouche. Pourtant, Vadim ne se découragea pas et prolongea le contact, cherchant à le rendre plus naturel. Lorsqu'il se détacha enfin, la jeune femme reprit un filet d'air trop longtemps retenu. Le parfum du prince persistait dans son nez, entêtant.
La chapelle se mit à applaudir. Ils n'y avaient vu que du feu...
Le roi Frost étira un large sourire en joignant l'ovation. Jaya le toisa avec peine ; si elle avait fait cela, c'était en partie pour lui. Elle espérait tant qu'il soit fier d'elle. La brune osa jeter un œil à Vadim suite à cet échange froid et maladroit. Il était resté impassible, offrant un sourire en coin à leurs familles. Il feignait une bonne figure, mais lorsque son regard croisa celui de Jaya, elle perçut une pointe de déception à son égard. Oui, il était déçu qu'elle ne lui laisse aucune chance, après tout ce qu'il avait fait pour elle. Cette fille ne jouait même pas le jeu devant l'auditoire.
Qu'est-ce qu'il espérait ? Qu'elle se laisse embrasser aussi facilement ? Il fallait mériter son amour pour cela et malheureusement, ce n'était pas son cas.
Pour clore la cérémonie, le père Olien sortit enfin le foulard immaculé ; un voile blanc dont les extrémités étaient attachées au poignet des époux, les liant ensemble sous les yeux d'Ymos. Des menottes d'éternité pour Jaya.
— Félicitations, mes enfants. La vie est un long fleuve, abordez-la avec beaucoup de sérénité. C'est le début d'un cheminement qui vous conduira vers une aventure toujours plus grande.
C'était dorénavant officiel. Elle était devenue Madame Blanchecombe-Northwall... À son plus grand dam...
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