
Préjugés et Oreilles Indiscrètes 6/7 ✔️
Vadim s'arrêta devant son frère, droit en plein centre du hall. Son regard menaçant ne parvenait pas à impressionner Leftheris, qui se demandait foncièrement ce qu'il avait encore fait pour mettre son cadet dans cet état. Avait-il mal évalué le nombre d'armes achevées ? Ou bien, s'agissait-il d'une crise de jalousie quelconque parce qu'il portait un plus joli veston que lui ? Une futilité de ce genre, sans aucun doute...
L'ainé n'était pas d'humeur à se prendre le chou avec ses bêtises.
— Toi... Il faut qu'on parle, tout de suite !
— Qu'est-ce que tu me veux ? Je viens à peine de rentrer, tu ne veux pas discuter de tes problèmes plus tard ?
Avec une violence inouïe, Leftheris fut saisi par le col de sa gabardine. D'une main agile, bien que ferme, Vadim le rapprocha de lui, le fusillant du regard. Le général fronça les sourcils. Quelle mouche l'avait piqué ?
— Ne cherche pas à t'enfuir ! Ça ne fera qu'aggraver ton cas, sale petit bâtard !
— Tu es fou ? Lâche-moi immédiatement !
Leftheris tenta de se dérober des mains de son frère, sans succès. Celui-ci resserra sa poigne autour de son haut, lui offrant un rictus de colère.
— Alors, on crie le prénom de ma femme dans son plaisir ?
À ces mots, le général plissa subtilement les yeux, pris de court, avant de pâlir. Les souvenirs refaisaient surface, tels des vagues déferlant sur son visage. Comment pouvait-il être au courant ? Seule Varvara aurait pu divulguer ce secret. Par Ymos... La situation devenait critique maintenant que Vadim le savait.
Face à la culpabilité évidente de son aîné, perceptible à travers son expression figée, le marqué entra dans une fureur abyssale.
Simultanément, Jaya avait descendu à la suite de son mari. Ce ne fut qu'en atteignant le sommet des marches du premier étage qu'elle marqua une pause. Depuis cette position élevée, elle dominait l'ensemble du hall et pouvait aisément voir la confrontation entre Vadim et Leftheris. Que se passait-il ? Se cachant derrière une colonne, la princesse les observa discrètement.
Pourquoi Vadim semblait-il si contrarié ? Que faisait-il près de l'étage du salon de thé ? Aurait-il surpris sa querelle avec Varvara ? Cette pensée terrifiante la glaça jusque dans l'âme. Quelle image pourrait-il avoir d'elle face à ces faits dont elle n'était pas responsable ? Pourtant, sa colère paraissait entièrement dirigée vers son frère, qui, sorti de sa transe, arracha d'un geste vif la main qui le retenait.
Le son cinglant de sa voix porta jusqu'à Jaya.
— Qu'est-ce que tu racontes ? Où est-ce que tu as entendu ça ?
— Rien ne reste éternellement caché. J'ignorais que tu avais des pratiques sexuelles aussi étranges. Visiblement, ta partenaire en a gros sur le cœur.
Varvara... Il était clair qu'elle avait dû en parler ! Il avait commis une terrible erreur et en payait à présent les conséquences. Cependant, il était hors de question de montrer la moindre faiblesse face à Vadim.
— Qu'est-ce que tu as sur ma femme ? Quel genre d'obsession malsaine tu nourris à son égard, espèce de malade ?
— Ça ne te regarde pas, siffla Leftheris, piqué en plein cœur.
— Oh que si, ça me regarde entièrement, car c'est de Jaya qu'on parle ! Et ce que j'ai entendu ne me plait pas du tout. Mais alors... vraiment pas du tout ! Je n'aurais aucun scrupule à te faire un beau coquart comme à l'époque. Oh oui, je vais tellement marteler ta petite figure sous mes poings, tu ne peux même pas imaginer...
Le général posa un regard empli de haine sur ce maudit marqué, si intense qu'il aurait pu l'anéantir d'un simple coup d'œil. La vérité lui crevait le ventre. Ce secret qu'il avait préservé si longtemps, jusqu'à en corrompre son existence. Il était arrivé à sa limite ! Réduisant l'écart qui le séparait de Vadim, Leftheris le fixa dans le blanc de l'œil. Dans un grognement chargé de souffrance, il prononça ces mots :
— C'est moi qui aurait dû l'épouser... Ça devait se passer comme ça, selon le plan et tu le sais ! Elle aurait dû être ma femme, pas la tienne...
Depuis sa cachette, Jaya se tendit et chancela. Un coup invisible semblait l'avoir frappée à l'estomac, lui coupant le souffle. Avait-elle vraiment entendu ces paroles ? Leftheris... aurait dû l'épouser ? Selon le plan ? Quel plan ? Et Vadim était au courant. Non, cela ne pouvait être possible... Vadim lui avait toujours affirmé avoir personnellement demandé sa main au roi. Il n'était pas question de plan, mais de choix ! Et Vadim avait fait son choix en la demandant en mariage ! Pétrifiée, son corps tout entier se mit à trembler de manière incontrôlable.
Et si... Vadim lui avait menti depuis tout ce temps ?
La suite accentua cette désagréable sensation de tromperie face à la révélation.
— Père m'avait choisi pour honorer l'alliance avec Alhora ! C'est moi qui aurait dû être à ta place !
— Mais tu ne l'es pas et tu ne le seras jamais ! clama Vadim, défiguré de rage. Ravale tes envies et ta haine, tu ne peux t'en prendre qu'à ton père ! Tu as toujours tout eu durant ta vie contrairement à moi, Leftheris, tu m'as toujours tout volé sous le nez : les éloges, la considération de notre peuple, l'amour de notre père... et tu voudrais encore ma femme ? Tu as un sacré culot ! Alors, écoute-moi bien, je ne le répèterais pas deux fois... À partir d'aujourd'hui, je t'interdis formellement de t'approcher de Jaya. Tu ne la regardes pas, tu ne lui parles pas, je ne veux même pas te voir dans le même secteur qu'elle, sinon...
— Sinon quoi ? Tu vas m'en empêcher ?
La tension monta et brûla l'atmosphère. Vadim commençait à perdre patience devant tant d'arrogance et Leftheris aussi. Une veine enfla sur sa tempe quand il cala son visage face à celui défiguré de son cadet. Cet effroyable faciès qu'il avait envie d'aplatir sous sa colère.
— Je n'ai pas peur de toi, Vadim, ton visage effraie peut-être les autres, mais pas moi. Ne fais pas le malin parce que père a décidé de te faire une fleur pour la première fois de ta vie. Jaya mérite tellement mieux que ça ! Un jour, elle ouvrira les yeux et tu ne pourras pas la retenir. Tout le monde te fuit, pourquoi en ferait-elle exception ?
— Qu'est-ce que tu en sais ? Qu'est-ce que tu sais de nous hormis ce qu'on veut bien te montrer ?
— Je vois beaucoup de choses, tu sais... Vous n'êtes pas très discrets. J'ignore quelle magie démoniaque tu as utilisé sur elle pour qu'elle tienne autant à toi. Pour qu'elle te laisse lui faire des choses... comme tu lui fais chaque soir...
Ce dégoût dans sa voix... L'évidence frappa Vadim de plein fouet. Comme la foudre, elle éclaira sa mémoire. Outre sa féroce envie de le réduire en pièces, des éclats se glissèrent dans ses pensées. L'ombre sous sa porte... Tout était désormais très limpide, forçant la venue d'un sourire fébrile et narquois sur les joues du plus jeune.
— Oh, je vois... En réalité, tu es frustré. Je vois très clair. Oh oui, frustré à un point où tu es si désespéré que tu m'espionnes en compagnie de ma femme. C'était donc toi, cette ombre sous ma porte... Peut-être même celle du couloir... Ha, tu n'es pas si parfait que tu le laisses croire, mon frère. Et après on dit que c'est moi la brebis galeuse de la famille. J'espère que le spectacle t'a plu. Tu m'envies tellement, tu es si jaloux que tu te rabaisses à ce genre d'extrémités au-delà de la perversité. Mais à trop t'asticoter sur ma porte, tu vas finir par te la coincer dans la serrure, et ce jour-là, ça va te faire très mal. Si tu veux un conseil, tu devrais songer à te trouver une femme au lieu de mater la mienne et passer la frustration de ta petite pousse en violant les servantes.
C'en était trop ! Leftheris ne pouvait tolérer davantage de ces insanités. Il perdait peu à peu contenance devant ses actes que la morale réprouvait, mais plus encore devant la condescendance de Vadim. Il ne parvenait plus à contenir sa haine envers cet infâme salaud. Son poing frémissant échappa à son contrôle et s'abattit brutalement sur le visage de son rival.
Depuis son perchoir, Jaya sursauta en voyant son époux tanguer avant de retrouver son équilibre. Il avait osé... Il n'aurait jamais dû. Vadim leva un regard révulsé sur son aîné, la pointe de la jauge avait explosé. Plus aucune chaîne ne le retenait.
Cet odieux coup de poing les avait toutes brisées.
Exhalant un cri de combat, Vadim se rua sur son frère. La bête s'éveilla et Leftheris eut beaucoup de mal à éviter les premiers assauts, tant Vadim était désaxé de rage. Un coup de pied se ficha dans la poitrine du général qui recula, comme en pleine ivresse. Peu importait pour Vadim, il était déterminé à ne laisser à ce sale privilégié aucune chance de riposter. Ses mouvements virulents et précis parvenaient à contrer chacune des attaques de l'ainé.
De sa place, Jaya assista au combat avec terreur. Des cris s'élevèrent dans le hall quand, attirées par le bruit et les râles de douleur, une troupe de servantes arriva pour constater l'horrible scène. Le cœur de la princesse ne fit qu'un tour. Elle ne pouvait rester là sans rien faire à les regarder se massacrer ! Quittant sa cachette, elle fonça vers les marches qu'elle dévala pour rejoindre le hall, à bout de souffle.
L'affrontement perdurait dans la rage. Vadim asséna un coup de tête brutal au visage de son adversaire, le sang gicla du nez de Leftheris qui tomba à la renverse. Il balaya rapidement les étoiles tournoyant autour de sa tête pour se redresser. S'il ne réagissait pas, il était mort. Il parvint à décocher un coup de pied retourné en hauteur, atteignant directement la mâchoire de son assaillant qui recula, la lèvre entaillée.
Une goutte de sang roula au sol. Vadim vit rouge... Personne ne faisait couler son sang !
À peine relevé, l'animal devança le général. Il rappliqua d'un coup de coude à l'arcade sourcilière, suivie d'une rotation terminant par un genou dans l'estomac. Leftheris se plia en deux, chancelant sur ses pas mal assurés. Un nouveau crochet et il se retrouvait par terre, Vadim à califourchon sur lui.
Un coup de poing s'écrasa sur sa joue.
Puis un autre...
Et un autre.
Telle une histoire sans fin, Vadim ne trouvait le repos dans sa folie. Même les hurlements alentours ne pouvaient le calmer, ni les gardes tentant de les séparer ou la présence de Jaya qu'il n'avait même pas remarquée.
Troublée, elle aussi, par le vacarme, Varvara avait couru jusqu'au hall pour s'arrêter en bas des escaliers.
Leftheris... Il saignait. Les princes se battaient comme des chiens.
Haletante et glacée par la vue du rouge parsemant le marbre miroitant et les visages des deux frères, elle retint un cri de détresse.
Tout ça, c'était de sa faute...
Si elle n'avait pas laissé échapper ses doutes et ses incertitudes, rien de tout cela ne serait arrivé. Jaya avait dû tout révéler à Vadim ou même confronter Leftheris aux faits, jusqu'à ce que la situation s'envenime. Elle se sentait profondément coupable devant l'ampleur des événements.
Or, un cri sévère entra en scène et tourbillonna dans le hall.
— Ça suffit !
Un écho qui pétrifia le malheureux public et interrompit les princes dans leur rixe. Par dessus son frère, pantelant, Vadim garda le poing levé, prêt à refaire feu au moindre mouvement de la part de ce rat. Ses phalanges révélaient des traces écarlates. Leftheris le fixait avec répugnance, du sang plein le visage et la joue tuméfiée.
— Que se passe-t-il ? Qu'est-ce qui vous prend ?
Au pied des escaliers apparut Byron, suivi de près par Frost. Alerté par un garde, il n'avait pas tardé à venir s'enquérir de la situation de ses propres yeux. Quelle ne fut pas sa surprise et sa déception de découvrir ses fils dans une posture si déplorable, se donnant en spectacle sans honte au beau milieu du Beffroi. Sa seule présence instaura un silence mortuaire, ponctué uniquement par les respirations haletantes des deux combattants. Son regard noir se posa sur son benjamin, tremblant sous l'effet de ses nerfs à vif.
— Vadim, lâche ton frère.
Il ne bougea pas. Plus sec, Byron insista :
— Lâche... ton frère.
L'ordre était sans appel. Il déglutit devant l'autorité écrasante qu'employa Byron pour marteler chacun de ses mots. Vadim le relâcha violemment, puis se redressa sous les yeux terrifiés de tous les employés. Le Marqué était un monstre pour eux... Qu'ils aillent mourir avec leur jugement !
— Vous me décevez tellement... Vous n'êtes plus des enfants pour vous battre de la sorte ! Je ne vous ai pas élevés comme ça ! Des princes exemplaires ne doivent pas se battre inutilement avec leurs alliés et leur famille ! Avez-vous perdu la raison ?!
Sous les réprimandes de son père, Leftheris se releva, essuyant d'un revers de manche le sang perlant de son nez. Il en avait partout. Des servantes accoururent à son chevet, Varvara y compris. Malgré tout, le voir en si mauvais état la prenait au cœur. Quand elle posa ses mains sur lui pour voir sa blessure, il s'arracha de sa portée. La jeune métisse se pétrifia, l'estomac noué devant l'œil hostile qu'il lui adressa.
Cet œil qui lui hurlait à quel point il la détestait.
Il avait pris une belle raclée devant tout le monde, il ne ressentait que le besoin de s'isoler un instant. Vadim ne le quittait pas des yeux ; un geste brusque et il lui sauterait à nouveau à la gorge. Le général ravala avec difficulté sa salive mêlée au sang et à la bile.
Autant partir, la fête était finie.
Leftheris s'éloigna précipitamment en direction des escaliers qu'il gravit à toute allure. Byron ne comptait pas en rester là et le poursuivit, accompagné d'un Frost encore complètement chamboulé. Seule Jaya n'avait pas bougé, noyée au milieu de la foule. Lorsque Vadim croisa son regard, il se figea.
Elle était là...
Les yeux humides, son morceau d'amour le jugeait sans pitié, avec animosité et une larme de déception. À cet instant, il comprit : elle avait tout vu, tout entendu. Les regards fourchus sur ses travers n'avaient plus aucune importance.
Le sien le tuait plus que les autres.
Peinant à trouver sa respiration, Jaya détourna la tête et se dirigea vers la sortie du Beffroi. Elle avait besoin de prendre l'air dans l'immédiat pour ne pas s'évanouir. Cachée derrière les âmes sous le choc, personne ne la vit hormis Vadim qui se lança aussitôt à sa poursuite.
Des explications allaient être de mise.
Autant pour lui que pour elle.
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