
Préjugés et Oreilles Indiscrètes 3/7 🍋 ✔️
Le soir dans sa chambre, noyé dans la douce pénombre du clair de lune, Leftheris repensa à ce qu'il avait vu sur la passerelle. Son frère n'était pas sérieux du tout. Ne réalisait-il pas qu'il pouvait la blesser en agissant ainsi durant sa grossesse ? Était-il si affamé ? Si vorace ? C'en était désespérant, autant pour le nom des Blanchecombe que pour la pauvre Jaya.
La conclusion du banquet avait été animée, son prénom et celui de Vadim étaient sur toutes les langues. Ophénia Vecturio n'avait pas daigné venir les saluer avant de s'éclipser, sans doute morte de honte après que le prince l'ait menacée devant tout le monde. Byron se trouvait dans une fureur noire, convaincu que cette célébration avait été gâchée par la stupidité de sa belle-fille et le caractère impossible de son fils. Ni l'un ni l'autre ne semblaient faire le moindre effort, et le comble était que la princesse, jadis si respectable et discrète, sombrait sous la mauvaise influence de Vadim.
Heureusement, le silence était revenu et Leftheris venait à penser que s'il l'avait épousée, Jaya n'aurait jamais pris de tels chemins.
Assis sur son lit dans lequel il lézardait depuis de longues heures, il ne pouvait l'enlever de sa tête. Entre ses doigts, il la caressait, la serrait...
Sa cape.
Certes, c'était osé de l'avoir emportée avec lui. Nul n'avait remarqué la subtilité de son geste, alors qu'elle traînait sur un meuble près de l'entrée de la salle des banquets. Non, il ne l'avait pas volée. Cette cape... Jaya elle-même la lui avait confiée. À lui, et à nul autre. Un trésor si précieux, si délicat... qu'il ravivait en son âme les souvenirs désireux de son rêve des thermes. Le satiné de sa peau, l'amour fou qu'il lui vouait...
Le jeune homme tenta de nager, de ne pas se faire submerger par cette vague d'images, de bribes de conversations, de sourires complices, de frôlements. Sans ménagement, il donna un coup de pied à ses souvenirs, les refoulant une nouvelle fois avant que ceux-ci ne reviennent au galop, bien plus forts.
Jaya était de ces êtres qui suscitaient un sentiment de dépendance : une fois qu'elle s'immisçait dans votre vie, elle s'y enracinait jusqu'à ce que vous cédiez, et cela, Leftheris l'avait pressenti dès leur première rencontre au château d'Alhora. Jaya lui insufflait l'impression que son quotidien était morne, obscur, sans issue. Et puis, tel un rayon de soleil, elle réapparaissait sous ses yeux, un large sourire aux lèvres, et le monde prenait enfin un sens.
Était-ce sa faute ? Pourquoi devrait-on le blâmer d'aimer si sincèrement ? Ce serait immoral. Ses sentiments avaient bien plus de droiture que le comportement puéril et pervers de son cadet.
Leftheris était seul, désormais. Plus aucun invité ne pourrait freiner ses envies.
Sans crainte, il porta la cape à son visage et en inspira tous les parfums. D'enivrants bouquets qui explosèrent aux quatre coins de ses sens. Il garda ce bonheur dans ses poumons jusqu'à l'asphyxie, avant d'expirer par la bouche. Son souffle chevrota de douleur.
Cette senteur de roses... Son odeur, sa présence dévorante dans son isolement forcé.
Il cajola le tissu contre ses lèvres, les yeux fermés pour mieux se représenter une vie avec elle. Ce serait si parfait... Tellement qu'il avait envie de dormir avec pour l'imaginer auprès de lui. Lui et lui seul. Sans Vadim, sans son père et sans interdiction.
Imaginer tout ce qu'il aurait pu lui faire, ici, dans ce lit...
Qu'avait-il fait ? Il n'aurait jamais dû s'enivrer de ce parfum. Le voilà qui tremblait, le ventre tordu, avide devant ses souvenirs.
Il avait tant besoin d'elle, tant besoin de quelqu'un pour tuer sa solitude.
Besoin de quelqu'un pour ne pas virer fou.
❅
La porte verrouillée, la petite pièce se drapait dans la clarté argentée de la lune, presque aussi ténébreuse que l'ombre qui l'habitait. Varvara repoussa sa chevelure défaite, laquelle claqua sur sa nuque moite, tandis que les traits de son visage se tordaient, altérés par les assauts répétés prodigués par son partenaire.
Elle s'était jurée que c'était la dernière fois qu'elle bravait les interdictions en laissant entrer Leftheris dans sa chambre. Elle se le disait à chaque fois, mais n'arrivait pas à résister à l'affection et l'attention qu'il lui portait.
Son âme la poussait toujours vers cet homme, car l'amour était une vie qu'elle adorait malgré tout.
Debout face au mur de sa chambre pour minimiser les bruits, Varvara ferma les yeux. Ses lèvres s'entrouvrirent, peinant à coincer ses soupirs. La brutalité de son amant était telle qu'elle aurait été tout bonnement incapable de décliner son propre nom s'il le lui avait demandé. Se consumant derrière elle, les mains bien accrochées à ses hanches, Leftheris laissait le feu ravager son bas ventre. Pour son plus grand bonheur, Varvara n'était jamais très difficile à convaincre. Sa douceur et son étroitesse étaient de parfaites substitutions à ses désirs refoulés.
Les allées et venues se faisaient de plus en plus insistantes, ignorant avec audace les âmes endormies à proximité. Nul ne les entendrait. Leftheris s'enfonçait en elle, submergé par un déluge de plaisir, mordant avec force sa lèvre inférieure pour réfréner tout gémissement trahissant sa jubilation. En proie à un désir effréné, il se pencha vers son objet d'ivresse pour englober de ses mains plus grandes, plus fermes et plus avides, celles qu'elle avait appuyées contre le mur.
Cette proximité, Varvara s'en délectait. Elle l'aimait tant, tellement qu'elle pourrait tout abandonner pour lui. Sentir sa peau était le meilleur réconfort.
Un baiser dans le cou de la métisse, il ferma les yeux. Son parfum était comparable au sucre des yrtans mûris et craquelés par le soleil. Un délice. Mais il n'était pas si agréable que celui de Jaya.
Jaya...
Il percevait encore son parfum gravé dans ses narines, sur ses lèvres. Ce bouquet de roses rouges, semblable à sa bouche. L'aperçu fugitif et charnu de son sein sur la passerelle. Un soupir de douleur le transperça face à ces visions interdites.
Jaya...
Il accéléra, plus violent et fougueux. Leurs peaux se heurtèrent dans une série de claquements endiablés. La chair brune devant lui pâlit sous ses paupières closes, arborant les teintes de la lune... Jaya y prenait toute la place. Assaillie sans ménagement, Varvara implora le prénom du prince dans un murmure plaintif, espérant le faire ralentir. À cette allure, ils allaient réveiller tout le couloir.
Il fit la sourde oreille, en transe.
Jaya...
Cette délicate créature le rongeait de l'intérieur. Sa respiration irrégulière se bloqua un instant, son corps frémit, en proie à l'arrivée d'un orgasme dévastateur qui embrouilla son esprit au point où sa langue ne coopérait plus avec sa raison.
— Oh... Jaya...
Inhibée.
La bulle avait éclaté, ses pieds avaient retrouvés la terre ferme et leur court moment de complicité s'était envolé. Qu'avait-il dit ? Rouvrant les yeux avec stupeur, Varvara crut halluciner. Il avait soufflé à son oreille, si passionnément, exulté au moment où il avait joui. Non... il ne pouvait avoir prononcé ce prénom, elle avait assurément mal compris ses paroles. Cela devait être une méprise. Une effroyable méprise !
Or, se persuader du contraire ne faisait qu'assurer la culpabilité du prince.
Il... il avait réellement gémit le prénom de Jaya.
Un nœud entravant sa respiration, son corps se mit à trembler, incontrôlable. La scène du banquet défilait devant ses yeux. La façon dont Leftheris avait embrassé la main de Jaya, leur échange de regards, leur proximité... Elle avait tout vu et ça lui déchirait les entrailles. Il se tenait constamment près d'elle, à la regarder, cherchant toujours à être à ses côtés, comme au salon de thé.
Une seule pensée germait en son esprit, une idée sombre et effroyable, mais elle se refusait d'y accorder foi, tant elle semblait défier l'entendement.
Non, son amie ne pourrait lui avoir fait une telle chose... Elle était mariée, allait être mère et savait à quel point elle aimait Leftheris. Varvara lui avait tout confié : ses sentiments, sa foi et ses secrets...
La princesse ne pourrait l'avoir trahie en s'amourachant de lui dans son dos et dans celui de Vadim. Serait-elle réellement capable de s'approprier les deux frères en toute impunité ?
Et cet enfant... Ce bébé à naître...
Leurs regards se rencontrèrent lorsqu'elle tourna son visage vers son amant qui, prenant conscience de l'audace de ses mots murmurés dans l'extase, blêmit. Par Ymos... C'était l'erreur la plus monumentale de sa vie. Il se maudissait avec hargne, maudissait Jaya de ne jamais laisser son esprit en paix. Varvara paraissait totalement désemparée, voguant dans l'incompréhension ; un reflet de sa propre confusion. Avait-elle entendu ? Elle semblait perdue, ses yeux humides le jugeant sans vergogne.
— Je suis... désolé...
Varvara ne rétorqua rien, tétanisée, et le laissa se retirer avec lenteur. Soumise à sa présence. Il déposa un baiser sur sa tempe tandis qu'elle laissait son regard vide errer sur le mur. C'était si difficile à admettre, mais pourtant, son cœur vacillait face à ce doute, rongé par le chagrin et la rancoeur.
Jaya...
Ce prénom, autrefois si doux à son oreille, ne lui avait jamais paru si détestable qu'à cet instant.
❅
Le lendemain matin, un rayon de soleil caressa le visage de Jaya, emmitouflée dans ses draps. Elle peina à ouvrir les yeux, tant ceux-ci la piquaient. Une lamentation quitta le lit sous toute cette aveuglante lumière. Quelle heure était-il ? Engourdie et la tête lourde comme du plomb, elle se redressa lentement, vacilla un instant, assaillie par la douleur. Une main sur le front et l'autre sur la place à côté d'elle, elle réalisa que Vadim n'était pas là, pourtant, elle sentait une présence dans la chambre.
En effet, une silhouette sombre se découpait dans les effluves matinales.
— Enfin réveillée, princesse ?
Cette voix... Battant des cils, Jaya reconnut Omaima, debout devant la fenêtre, les bras croisés. La femme avança lentement vers le lit.
— Qu'est-ce que... vous faites ici ? la questionna la princesse, faiblement.
— Le prince m'a demandé de venir vous surveiller après son départ, à l'aube. Il se fait beaucoup de souci pour vous, vous savez.
Son cher Vadim... En y repensant, le déroulement de la soirée de naissance refaisaient surface avec une honteuse vivacité, bien qu'elle n'en conservait que les contours généraux. Jaya s'était montrée ridicule, mais elle n'y pensait guère tant sa tête bourdonnait. Il y avait trop de bruit, impossible de réfléchir.
— Eh bien, vous avez fait le spectacle hier soir, durant le banquet. J'ignorais que vous buviez autant.
— Je... Je ne bois pas habituellement. Mais... la fille Vecturio... elle m'a parlé et m'a incitée à le faire.
Omaima ricana gentiment.
— Je ne sais pas ce qu'elle vous a raconté, mais je vous conseille de ne plus l'écouter. L'alcool est très mauvais lorsqu'on porte un enfant. Vous avez eu de la chance, néanmoins. Je vous ai auscultée pendant que vous dormiez et tout m'a l'air d'aller pour le mieux pour votre bébé. Il bouge toujours beaucoup et ne semble pas content que sa mère se soit mise dans un tel état.
Un instant, Jaya flatta son abdomen sous la couverture. Son pauvre petit... Il avait dû être tellement secoué la veille, dans son euphorie. Il lui donna un léger coup de pied, comme pour la punir d'avoir été si naïve. Elle esquissa un sourire triste. Quelle mère stupide et irréfléchie était-elle... Sur la table de chevet, une théière fumante trônait. Omaima versa une tasse dans un doux parfum de plantes avant de la tendre à Jaya. Selon elle, cela l'aiderait à soulager ses maux de tête. La gorge asséchée, la princesse ne se fit pas prier pour savourer l'infusion sans attendre.
Il était si goûteux qu'elle s'en brûla la langue, avant de souffler piteusement dessus. Omaima sourit devant cette scène.
— Vous me faites penser à Varvara, elle aussi est naïve à en manger du foin.
Manger du foin ? Pourquoi irait-elle manger du foin, ça n'avait pas de sens pour son esprit encore embrumé. L'intendante éluda l'air perplexe de la princesse et s'assit au bord du lit.
— Je comprends pourquoi vous vous entendez si bien, toutes les deux.
— Oui, Varvara est ma meilleure amie, ici.
— Je le sais. Je vous vois très souvent ensemble et... je voulais vous remercier, princesse.
Jaya arqua un sourcil.
— Pourquoi ?
— Parce que vous considérez ma fille à sa juste valeur. À vrai dire, ce n'est pas seulement elle. Vous n'êtes pas hautaine envers les domestiques et... malgré vos petites bévues, vous êtes quelqu'un d'entier et de sincère. Et Varvara est beaucoup plus heureuse depuis que vous êtes là. Elle a si peu d'amis. Avec vous, elle a trouvé une personne de son âge qui, même si vous n'avez pas le même rang, se montre gentille et amicale avec elle.
— Comment ne pas être gentil avec votre fille ? Elle mérite tant de bonnes choses... Une vie magnifique, un sourire sur son visage et un mari qui l'aime.
À ces mots, Omaima se figea, le regard tombant au sol. Jaya rechercha un contact, en vain. La femme au teint torréfié semblait égarée dans le lointain, dans ses refus d'imaginer un tel futur.
— Vous n'aimeriez pas que votre fille se marie ? Elle est en âge de le faire, pourtant.
— Non... répondit Omaima. Varvara est encore trop jeune pour ça, trop insouciante. Je ne veux pas qu'elle souffre.
— L'amour ne fait pas toujours souffrir.
— La plupart du temps si, votre altesse.
Pourquoi tant de résistance à l'idée que Varvara puisse connaître le bonheur aux côtés d'un homme ? Jaya ne le comprenait pas. Certes, l'amour pouvait faire mal, comme sa relation éphémère avec Tiordan l'avait profondément ébranlée. Toutefois, celle qu'elle entretenait à présent avec Vadim était plus belle que le plus doux des rêves. Alors, pourquoi cette réticence ?
Varvara pourrait être si heureuse avec Leftheris...
— Si Varvara est amoureuse... Peut-être un jour, elle le sera... Vous ne pourrez pas éternellement la retenir.
Omaima leva un œil triste sur Jaya. Elle savait qu'elle avait raison et cela se révélait être sa plus grande crainte.
— Je la retiendrai le plus longtemps que je pourrais, car elle est mon unique enfant. Ma seule raison de me lever chaque matin et d'avoir le courage d'avancer. Je l'ai élevée seule, vous savez, je veux la préserver du monde cruel dans lequel nous vivons. Malgré tout l'amour que je lui porte, elle est le fruit d'une bêtise de ma jeunesse qui, pourtant, me fait encore du mal aujourd'hui.
— C'est le père de Varvara qui vous a fait du mal ?
Omaima contracta sa mâchoire. Elle ne souhaitait point s'épancher sur ce pan douloureux de son existence, car elle connaissait la vitesse avec laquelle les gens, surtout les dévots, jugeaient sans connaître le fond d'une histoire. Néanmoins, en dépit de sa volonté, les mots trop longtemps tus s'évadèrent et s'écoulèrent telle une rivière d'antan.
— Il a juste préféré prendre ses responsabilités d'homme plutôt que celles de père. Je... Je l'ai aimé si fort, mais il ne me l'a pas rendu. Il n'était jamais là, venait me voir seulement quand il avait envie et m'a un jour dit qu'il ne voulait plus de moi. Il m'a laissée seule... avec une enfant...
Elle s'interrompit, aspirant une bouffée d'air hurlant de souvenirs. Un venin qui l'accablait de réminiscences douces et acerbes, où elle croyait encore en l'amour avant d'être terrassée par la réalité et la cruauté des hommes. Elle ne pouvait tolérer d'y sombrer ne serait-ce qu'une seconde de plus...
Se levant, Omaima s'excusa auprès de Jaya et s'en alla, l'abandonnant dans le flou, dans le doute d'avoir peut-être été trop loin dans ses questions avec cette femme respectable.
❅
Lorsqu'elle fut prête et habillée, Jaya quitta la chambre pour le petit-déjeuner, toujours perturbée par son échange avec Omaima. Elle ne cessait d'y repenser avec peine, s'interrogeant sur ce que cette femme avait enduré de si grave aux côtés du père de Varvara pour qu'elle se montre si sévère avec sa fille. Au détour d'un couloir, une voix enjouée s'éleva à sa rencontre.
— Princesse ! Bonjour !
Léontine s'élança vers Jaya qui, devant son enthousiasme, sourit. La tisane d'Omaima était miraculeuse, ses cheveux ne lui faisaient presque plus mal. Plus tôt, même le geste innocent d'étirer ses lèvres lui était insupportable.
— Comment allez-vous, ce matin ?
— Ça va mieux...
— Heureuse de l'apprendre. Avec l'alcool que vous avez ingéré hier soir, je m'attendais à vous voir ramper au sol. Ha ha, vous tenez bien l'alcool visiblement.
Le rire suraigu de Léontine traversa le couloir et résonna dans les oreilles encore fragiles de Jaya. Presque aussi irritant que le bruit d'une craie sur un tableau. Néanmoins, la princesse trouva la force de lui rétorquer une moue sympathique.
— Ne vous moquez pas de moi, je vous en prie.
Soudain, Jaya entrevit une silhouette dissimulée derrière Léontine. Se penchant, elle vit Varvara, la tête inclinée. La jeune servante se cachait derrière sa consœur, comme si elle cherchait à fuir ou échapper aux regards.
— Bonjour, Varvara.
L'appelée se figea et planta des yeux torves sur la princesse. Elle lui souriait si innocemment, ignorant totalement la rancoeur empoignant son âme. Faisait-elle semblant de ne pas savoir ? Une bonne figure pour cacher ses infidélités ? La métisse n'était pas dupe. Ce qu'elle avait vécu hier soir avec Leftheris produisait un bien terrible écho dans son cœur.
Elle entendait encore le prince gémir son prénom dans sa mémoire. Une vraie torture pour son amour propre. Un coup de lame dans ses sentiments.
Jaya intercepta l'étrange regard que lui adressa Varvara avec crainte. Pourquoi une telle distance ? Habituellement, elle était si rayonnante envers elle.
Prise au piège sous les yeux perplexes de Jaya et Léontine, la métisse se racla la gorge et rassembla son courage pour paraître naturelle. D'une voix monocorde, elle débita sans plus tarder :
— Bonjour, princesse. Je suis désolée, j'ai du travail, je dois y aller.
Sans même un sourire, Varvara tourna les talons, son panier de serviettes propres au bras et s'éloigna sans se retourner. Autant partir avant de perdre contenance devant cette fausse sainte !
Jaya eut l'impression de recevoir un coup de poing dans l'estomac devant une telle attitude.
Son amie était différente : craintive, sauvage et inaccessible.
— Qu'est-ce qui lui prend ? demanda la princesse, perdue.
— Je l'ignore, elle est comme ça depuis ce matin. On dirait qu'elle a passé une mauvaise nuit.
Elle manquait peut-être de sommeil, en effet. Mais pourquoi se montrer si peu chaleureuse ? Était-ce parce qu'elle avait bu au banquet et s'était faite remarquée ? Peut-être Varvara avait honte d'être aux services d'une princesse aussi peu mature ? Pensait-elle du mal d'elle pour avoir exposé son bébé au danger ?
Ou bien était-ce autre chose ?
Jaya espérait que non et que son amie se calme bientôt. La voir ainsi, terne, alors qu'elle était un soleil, l'attristait beaucoup.
Lorsque Léontine retourna à ses occupations, Jaya reprit doucement le chemin de la salle des repas. Parvenue à la porte, elle tendit la main pour l'ouvrir, avant de constater qu'elle était déjà entrouverte. Des voix s'en échappaient, murmurées.
Passant un œil curieux à travers la brèche, Jaya y surprit une bien étrange réunion. Près de la table, elle voyait quatre silhouettes familières en cercle : celles de Vadim, Leftheris, Byron et son père. Ils portaient tous des masques d'inquiétude et de sériosité.
Des bribes de leur conversation lui parvinrent :
— Vous êtes sûr de ce que vous avancez ? dit Frost, sans appel.
— Parfaitement, lui rétorqua Leftheris. Les troupes sur le terrain sont formelles et m'en ont informé ce matin. Ils traînent du côté du Val Roan, près de la sortie des vallées.
Une main frottant nerveusement son menton, Byron maugréa :
— Ces fourbes rôdent encore autour de notre territoire... Ils préparent probablement une nouvelle attaque, ils tâtent le terrain, nous épient pour frapper les premiers. Je n'accepterais pas d'être à nouveau devancé !
— Nous ne sommes pas encore prêts, père, ajouta Leftheris. Les recharges totales des armes seront prêtes dans une semaine tout au plus.
— Nous devons accélérer le processus ! Je ne laisserai pas Starania m'atteindre de nouveau. Leftheris, va préparer des troupes de reconnaissance et envoie les directement dans les vallées en prévention. Vadim, tu seras en charge de la forge, aujourd'hui. Fait ton possible pour terminer l'inventaire d'ici trois jours maximum.
— Trois jours ? Ce sera difficile en si peu de temps, il reste encore près de cent arbalètes à monter et épées à fondre, grimaça le cadet.
— Peu importe ! Nous devons être prêts !
Derrière la porte, Jaya avala difficilement sa salive. Starania se trouvait donc sur le territoire cassandorien ? Cela ne présageait rien de bon. Il lui fallut cinq bonnes minutes pour se remettre de sa stupeur et reculer, tout en se tenant le ventre. Jaya retint ses larmes de frayeur qui menaçaient de couler.
La guerre était proche... Juste sous leur fenêtre.
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