
Pour toi, Fruit des Neiges 5/7 ✔️
Essoufflée et le cœur battant à tout rompre, Jaya atteignit les murs du Beffroi. Sa quête effrénée n'avait qu'un but : retrouver Vadim, à tout prix ! Son âme aurait bouleversé ciel et terre pour y parvenir. Des larmes de tension perlaient à la commissure de ses yeux. Certains villageois qui la croisaient pensaient qu'elle était peut-être poursuivie ou en danger. Ce n'était pas tout à fait faux. Revoir Zeph en vie et dans la ville avait fissuré la couche d'apaisement que Vadim avait délicatement déposée sur ses souvenirs toxiques.
Dorénavant, ceux-ci la poursuivaient, lacérant son cœur d'anxiété et d'incompréhension. Elle fut contrainte de s'arrêter pour reprendre son souffle, car l'évanouissement menaçait de la terrasser, tant elle s'épuisait jusqu'à la dernière miette d'énergie. Vadim devait être encore aux écuries.
Or, à peine allait-elle contourner le Beffroi pour s'y rendre qu'elle le croisa sur le chemin du retour, accompagné d'Horngrad.
Quand il la vit à quelques mètres de lui, essoufflée et échevelée, Vadim comprit que quelque chose n'allait pas. Bien davantage quand elle courut dans sa direction et qu'il aperçut les larmes dans ses yeux.
— Vadim... je dois te parler... ça ne peut pas attendre.
— Qu'est-ce qui se passe ? lui clama-t-il, d'une voix inquiète.
D'un regard, Jaya lui fit comprendre qu'ils devaient être seuls. Horngrad, aux côtés du prince, se demandait bien ce qui pouvait mettre la princesse dans un tel état. Probablement un quelconque caprice ou ses problèmes intérieurs et émotionnels, dus à la perte de son enfant. Les servantes lui avaient raconté comme elle avait pu souffrir et ce genre d'épreuve laissait des séquelles parfois irréparables.
— Horngrad, s'il vous plaît, allez passer le message à mon père à la forge. Dites lui que les montures royales sont prêtes en cas de besoin. Les diligences de victuailles pour Starania sont également prêtes à partir à l'égard des soldats de reconnaissance établis sur place.
— Bien, mon prince.
Horngrad les salua et s'en alla, ces deux-là avaient probablement des choses à se dire. Dommage, il aurait volontiers prêté une oreille indiscrète à cette conversation afin d'alimenter ses futurs bavardages avec les domestiques. La jolie Linbia raffolait des ragots croustillants sur le célèbre couple royal.
Quand il disparut au crochet du mur extérieur, Vadim toisa longuement son épouse. Elle était littéralement ratatinée sur elle-même, les mains et les jambes tremblantes, comme ci elle avait vu un fantôme. Son comportement l'inquiétait beaucoup, elle semblait terrifiée.
— Qu'est-ce qui t'arrive, Jaya ? Et qu'est-ce que tu fais dehors ? Ce n'est pas prudent, enfin !
— Vadim... Zeph est à Cassandore.
Zeph ? Son oncle ? Le marqué haussa un sourcil, étonné de cette déclaration.
— Eh bien, oui... À ce qu'il parait. Leftheris l'aurait capturé et fait prisonnier durant notre invasion à Starania. Il a été intégré aux côtés des esclaves, ce salaud mérite d'être traîné dans la boue avec ce qu'il a fait à Cassandore et durant la guerre.
— Il ne peut pas rester ici ! Il aurait dû être exécuté !
— Pourquoi ? Qu'est-ce qui te prend ?
La brune se bloqua sous les yeux de son mari. Devait-elle lui dire le calvaire que lui avait fait vivre Zeph ? Cette raison pour laquelle elle le désirait mort et loin d'elle ? L'hésitation la tordit de l'intérieur et bientôt, elle vint à en regretter ses paroles. Devant Vadim, elle perdait ses moyens et ressentait une honte accablante. Qu'allait-il penser ou faire en apprenant cela ? Pourrait-il lui en tenir rigueur en sachant qu'elle lui avait menti ? L'idée de le voir s'énerver lui tordait les boyaux.
— Il... Il doit simplement partir, ou alors, c'est nous qui partirons. Il... Il m'a fait du mal, Vadim.
Soudain, elle vit son visage changer, adoptant une expression qui la glaça. Son regard sans pitié se posa sur elle, exigeant silencieusement qu'elle en révèle davantage. Elle éprouvait un besoin ardent de se confier, mais aurait plutôt choisi de se couper la langue ! Lorsqu'il s'approcha et crispa fermement ses grandes mains aux bras de Jaya, la voix de l'homme porta une pointe d'autorité dissimulée sous un calme déstabilisant.
— Quel genre de mal il t'a fait ?
La princesse garda le silence, tremblante. Les larmes refirent surface, ravivant les souvenirs souillés de ce jour en captivité. Son cœur battait avec frénésie, martelant ses os de ses pulsations folles.
— Jaya !
Elle sursauta sous son éclat de voix. La pression sur ses bras s'intensifia.
— Qu'est-ce que Zeph t'a fait ?! Parle ! Est-ce qu'il t'a frappée ?
Baissant la tête, elle acquiesça d'un mouvement de menton, telle une petite fille blessée. Affronter le regard de Vadim à cet instant représentait un défi insurmontable. Mais il se devait de connaître la vérité. Comprendre pourquoi elle éprouvait désormais tant de difficultés à s'ouvrir intimement, comme autrefois. Pourquoi elle dépérissait malgré ses attentions. Il était son époux, et pourtant la crainte de le voir s'embraser de colère contre elle, sachant qu'elle lui avait caché cette réalité depuis si longtemps, la transperçait telle une aiguille chauffée à blanc.
— Il... il n'a pas fait que me frapper...
À ces mots, Vadim devint pâle. Jamais elle n'avait vu un tel teint sur son visage. Il en devenait terrifiant par l'éclat de peur et de colère se mélangeant dans son regard. Sans lui laisser le temps d'hésiter, il la secoua brusquement.
— Qu'est-ce qu'il t'a fait ? Réponds ! Qu'est-ce que ce salopard t'a fait ?
— Vadim, je t'en prie...
— Réponds-moi !
C'en était trop pour Jaya. Le cri sévère de son mari fit céder les barrières protectrices érigées tout autour d'elle. Sa raison ne coopéra plus avec son envie de préserver les êtres aimés, sa propre douleur lui revenait en plein visage.
— Il a abusé de moi ! Il... il a abusé de moi... Il m'a fait des choses horribles dans cette prison et à cause de ça, j'ai perdu Danil... je l'ai perdu à cause de lui !
Enfin, l'abcès était crevé et il était plus douloureux qu'elle ne l'aurait cru. Un torrent coulait le long des joues pâles de Jaya, redoutant le contrecoup de cette annonce. À travers les rideaux de pluie, elle discernait l'œil insistant de Vadim dont les mains se resserrèrent lentement autour d'elle, frémissantes de haine. Le prince n'arrivait presque plus à respirer tant il suffoquait de rage.
— Et tu me le dis seulement maintenant ? Tu me lâches cette bombe seulement... MAINTENANT ?
Son hurlement la ramena à l'état de fourmi face au volcan.
— Tu as osé me cacher ça !
— Je suis désolée, Vadim... J'avais tellement honte...
L'état de détresse alarmant de sa femme ne parvenait pas à l'apaiser. Il lui en voulait malgré tout, malgré le chagrin qui le transperçait suite à cette révélation, c'était incontrôlable. Mais surtout, il s'en voulait à lui-même. Il aurait dû éliminer Zeph lorsqu'il en avait eu l'opportunité au château de Starania. Ce fourbe... Il avait osé toucher sa précieuse épouse de ses doigts crasseux et l'avait accueilli avec un sourire avant le combat. Il avait osé faire du mal à Jaya et tuer son fils pour satisfaire sa perversité ! La fureur grimpait en lui avec une force incommensurable. Tout son être vibrait de rage en imaginant ce monstre par dessus sa femme.
Ses pleurs, ses cris de désespoir sous la douleur... Leur écho démoniaque le laminait sans pitié. Peut-être que Jaya l'avait appelé à l'aide. Qu'elle avait espéré qu'il surgisse pour l'arracher des griffes de son agresseur... Mais il n'était pas venu et désormais, Vadim se maudissait d'avoir été si lent dans son opération.
Une seule idée brûlait dans sa tête, telle la braise prête à reprendre forme, folle et avide de sang.
— Je vais le tuer...
Sous son murmure sifflant, il lâcha Jaya et se sépara d'elle pour la contourner à toute vitesse. La jeune femme, face au comportement sauvage de son conjoint, regretta amèrement d'avoir été si stupide. Jamais elle n'aurait dû lui en parler. Il allait faire un carnage ! Tout ça par sa faute ! Si Zeph devait mourir, ce serait pendu haut et court. Pas de la main de Vadim et surtout pas en pleine ville !
Désespérément, elle le coursa et s'accrocha à son bras pour le retenir. Elle s'y pendit de tout son poids en espérant le faire changer d'avis.
— Non, Vadim, je t'en prie...
— Lâche-moi ! Je vais l'éventrer, ce batard ! Il faut qu'il meurt aujourd'hui ! Ne te mets pas en travers de mon chemin ! Je t'interdis de m'en empêcher !
S'arrachant brusquement de l'étreinte de Jaya, Vadim la repoussa et s'élança en courant sans un regard en arrière. Il ôta sa cape qui l'entravait, le tissu virevoltant derrière lui avant de s'échouer aux pieds de la brune. Noyée par les larmes, elle hurla son nom, le poursuivant tout en l'appelant, implorant le vent d'emporter sa voix jusqu'à lui.
En vain, Vadim n'entendait que le vacarme de sa haine meurtrière.
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