
La Sélection des Soldats 2/7 🍋 ✔️
Au crépuscule, l'entraînement toucha à sa fin. Les recrues prirent congé avec déférence, ne manquant pas de saluer le roi d'Alhora avec toute la vénération qui lui était due. Homme imposant et vigoureux, sa prestance était indéniable. Ils avaient du mal à concevoir que cette petite brune si menue était sa fille.
Aube fut la dernière à partir, échangeant un regard avec Jaya. Une tension électrique que la princesse raviva en fronçant les sourcils, telle une mise en garde. Un blizzard qui l'aurait balayée sans la moindre pitié.
Aube n'en avait pas peur. Cette fille ressemblait à un chaton ridicule montrant les griffes. Elle se pensait intimidante ? Un coup de pied et elle volerait vers les nébuleuses. Le sourire moqueur qu'elle lui appuya lui faisait bien comprendre que entre elles deux, dans un duel, c'était la combattante qui aurait le dessus.
Frost n'avait guère remarqué cet affrontement visuel tant il couvrait Vadim d'éloges et de questions sur sa maîtrise remarquable de l'art guerrier. Le prince glissa une main dans sa nuque ; il n'était pas habitué à être autant le centre d'attention et ses innombrables interrogations le mirent rapidement mal à l'aise.
Il tenta donc de s'en défaire en toute politesse.
— Je suis désolé de vous abandonner ainsi, mon roi, mais je dois terminer le rangement du matériel.
— Oui, ne vous inquiétez pas, mon garçon. Je suis désolé de vous noyer dans mes questions, mais je trouve cet art combattif si formidable.
— Oui, il l'est.
Vadim jeta un œil à Jaya, les tiges de pâquerettes qu'elle tenait en main attira son attention.
— Oh, voilà un joli bouquet.
— Oui, lui sourit la jeune femme. C'est un jeune enfant du village qui me l'a offert sur le chemin du camp. J'adore ces petites fleurs.
— Il en pousse partout à cette époque. Les champs en sont pleins.
— Je n'ai jamais vu un champ de fleurs en vrai...
Il arbora un sourire rieur. Elle n'en avait jamais vu ? La vie n'était donc qu'un immense labyrinthe de découvertes pour elle.
— Mais ça doit être magnifique.
— Oui, il est vrai que cela doit être joli à voir et à sentir, lui répondit Frost. Bien, il est temps pour nous de rentrer et de laisser Vadim terminer son travail, n'est-ce pas, Jaya ?
— Oui... Nous y allons.
Elle ne put que poser un œil tendre sur son mari.
— À ce soir, Vadim.
— À ce soir...
Sa voix s'était parée de velours. Seigneur... Elle brûlait d'envie de l'embrasser, là, sur-le-champ. Modère tes élans, princesse... Le roi était présent. Ce serait un manque de respect de manifester de telles preuves d'amour sous son regard.
Elle s'éloigna à contrecoeur aux côtés de son père, lançant un dernier regard triste en direction de Vadim. Elle aurait souhaité rester auprès de lui, l'embrasser ne serait-ce qu'une fois. Lui exprimer combien elle était fière de lui et de ses efforts.
Lui dire qu'elle l'aimait.
Cependant, elle se trouvait déjà sur la place du marché qui s'évidant peu à peu de ses vendeurs et clients, sous la nuance sanguine de la fin de journée. Son esprit lui envoya un signal : elle ne pouvait partir ainsi, son cœur en souffrirait jusqu'à la nuit tombée. Pensive, Jaya s'arrêta au bord du chemin, captant l'attention de son père.
— Jaya ?
— Euh... Père, je viens de m'en souvenir, j'ai oublié de dire à Vadim que le repas de ce soir est à dix-huit heures. Comme vous êtes là, j'aimerais qu'il soit présent. Il a tendance à rentrer bien plus tard, le soir, à cause de la sélection qui approche.
— Oh, je vois. Souhaites-tu que je t'accompagnes ? Ce n'est pas prudent d'y aller seule avec le jour qui tombe.
— Oh, ne vous inquiétez pas pour ça. Je suis habituée à me promener seule ici.
Elle lui cala son bouquet de fleurs dans les mains. Frost marmonna :
— Ah oui ? Mais... Ça pourrait être dangereux.
— Non, n'ayez crainte. Il y a des gardes partout, Cassandore est hautement sécuritaire. Continuez jusqu'au Beffroi, je vous rejoins dans quelques instants. Au pire, Vadim me ramènera.
Frost accepta finalement, rassuré par le sourire sincère de Jaya. Elle paraissait sûre de ce qu'elle avançait et cela lui suffisait. Il la regarda s'éloigner, un soupir au bord des lèvres. Peut-être se faisait-il trop de soucis pour elle. Il ne devrait pas, car elle était désormais adulte et libre de sortir sans son aile protectrice. Ce n'était plus comme lorsqu'elle était enfant ou adolescente... Il peinait à se faire à cette idée après vingt ans à la couver comme un poussin fragile.
Le roi secoua un pan de sa cape pour former un petit vent frais dans ses vêtements. Avec cette chaleur, il n'attendait plus de retrouver la fraîcheur du Beffroi. Le climat hivernal d'Alhora lui manquait presque...
❅
Lentement, Jaya poussa la porte de l'entrepôt du camp. Il y avait tant de matériel entassé qu'elle craignait de faire un faux pas et que toute une armoire lui tombe dessus. Des bruits retentissaient non loin. Dans un rayon de soleil orangé filtrant de la fenêtre ouverte, elle vit poindre Vadim, arbalètes et flèches en main. Quand il remarqua sa présence, il se figea.
Il n'avait donc pas rêvé ce bruit de porte. Son esprit se radoucit ; pendant un instant, il avait eu peur que Aube revienne à la charge.
Se délestant de ses lourds objets, le prince étendit un sourire plus expansif à sa tendre épouse.
— Tu as laissé tomber ton père ?
— Un... un petit peu.
Il sourit davantage, ébauchant une fossette dans sa joue. En voilà une princesse bien maligne et désobéissante...
— Tu m'épates un peu plus de jour en jour, tu le sais, ça ?
— Dans le bon ou le mauvais sens du terme ?
— Le mauvais terme n'existe pas avec toi.
Lentement, Jaya se rapprocha du guerrier. Un mètre quatre-vingt-quinze d'une douceur animale la surplombait. Une hypnose charnelle l'attirait irrésistiblement à ce corps. D'une caresse, se hissant sur la pointe des pieds, elle déposa délicatement ses lèvres sur les siennes.
— Je voulais juste un baiser avant de partir. Devant mon père, ce n'était pas très poli de le faire.
— Tu es sûre que tu ne voulais que ça ?
Jaya leva les yeux sur lui et captura son regard ; il la dévorait avec indécence. Elle comprenait parfaitement son sous-entendu. D'un simple murmure grave, il lui faisait perdre tous ses moyens. Voguer vers des mers plus profondes, inaccessibles devant foule, mais grandes ouvertes lorsqu'ils se retrouvaient seuls.
— Peut-être pas...
— Alors dis-moi... Qu'est-ce que tu veux ?
Elle se sépara légèrement de lui pour mieux le voir. Ses mains fines glissaient sur lui, sur son pectoral encore humidifié par le soleil, son biceps brûlant. Sous ses doigts badins, elle devinait l'égratignure laissée par le coup de pied d'Aube lors de l'entraînement.
— Je te veux...
Il esquissa un sourire enjôleur, mais fut surpris lorsque, soudain, elle le délaissa, se retournant pour faire quelques pas gracieux dans l'entrepôt. Les yeux envoûtés de l'instructeur s'aimantèrent à cette divine courbe de reins, qu'il devinait sans peine à travers cette robe trop légère. Elle jouait avec lui et, tel un chat avec une pelote de laine, il la suivait en toute obéissance, jonglant d'une patte à l'autre le long de ses hanches faites au moule.
D'un geste, d'un mot, elle le faisait manger au creux de sa main.
— Ici ? lui demanda-t-il.
— Ici, oui...
La repoussant doucement en avant, Vadim l'obligea à prendre appui sur une grosse caisse de bois fermée où était entreposé des munitions. Il déposa un souffle au creux de son oreille, un frisson sur son lobe. Le bout de ses lèvres frôla sa nuque, humectant cette peau si parfumée qui éveillait le feu. Une respiration se coinça dans ses poumons.
Elle était le wolpertinger et lui le braconnier.
Les yeux fermés et la bouche sèche, la douce créature comptait bien périr sous ses armes.
Jaya attrapa la main de Vadim, à sa hanche, et la guida à l'intérieur de sa cuisse. Elle l'aida à la gravir, l'escalader au ralenti jusqu'à atteindre le col sensible sous sa robe. Il produisit un mouvement languide. Elle expira un air douloureux, à l'écoute de son corps convoitant ses doigts magiques à la folie. Chaque jour, chaque heure, chaque moment passé avec lui, elle le désirait. À croire qu'il l'avait ensorcelée...
Ou bien était-ce la fougue des débuts ? La découverte exaltante de ces milliers de sensations ? Elle, tout simplement.
— Je suis vraiment chanceux d'avoir une femme comme toi. Tu n'imagines pas à quel point j'apprécie, Mëyrtania...
Ce surnom... Fruit des neiges, en glascale. Si affectueux, mais déversant une saveur érotique dans la voix de Vadim. Elle l'adorait, il lui parlait tellement, attisant une veine magmatique dans sa poitrine soulevée par épisodes.
— Qu'est-ce que tu apprécies ?
— La manière que tu as de m'exciter...
Il ne lui fallut que quelque secondes pour la retourner et se retrouver entre les jambes aguicheuses de sa femme, montée sur une caisse de rangement. Leurs bouches se rencontrèrent, avides l'une de l'autre. Le contact enfiévré de cet animal majestueux lui faisait perdre la notion de la réalité. Jaya ne s'était jamais senti aussi impétueuse, elle dévorait de ses lèvres la mâchoire de Vadim, ses joues, son menton. Elle était si étourdie par la fougue que ses hanches se pressaient toutes seules à lui dans l'anticipation de ce qu'il allait lui faire.
Ses organes internes firent un tour complet quand il réduisit sa lingerie en lambeaux sous sa poigne sulfureuse. Elle l'aimait tellement quand il laissait rugir sa bestialité. Il l'aimait bien plus quand elle lui offrait ce regard, mélange de candeur, d'amour et de perversion.
Il ne s'en lasserait jamais, en secret, en public, elle était sa douce folie.
— Soit rude avec moi, Vadim...
Il frissonna, ancrant ses yeux dans les siens.
— J'en ai envie...
— Tu veux que je sois rude... ?
Elle hocha la tête et se blottit tout contre lui, ses doigts effleurant sa mâchoire avec la légèreté d'un papillon. Son souffle vint se fondre sur ses lèvres ; Vadim sourit. C'était ce qu'il attendait au fond de lui, tant pis pour la robe et les beaux rubans qui ornaient sa chevelure. Il glissa tendrement sa main dans celle-ci, douce et brillante, comme une nuit sans lune.
— Comme ça... ?
Il tira une pleine poigne, lui arrachant un couinement. La princesse gémit quand elle sentit son autre main passer entre ses cuisses ouvertes. Il caressait sa brèche humide de haut en bas, forçant d'un doigt entre ses lèvres pour s'y enfoncer et recueillir le nectar. Elle le suppliait du regard, il la dompta d'un revers du sien.
— C'est ce que tu veux, Jaya ?
— Oui, je t'en prie...
Il écrasa un baiser ardent sur sa gorge tirée en arrière.
— Ouvre le bouton de mon pantalon.
Il relâcha du leste sur sa chevelure pour qu'elle le regarde. Si intensément, si sulfureuse, elle était enflammée.
— Ouvre le.
Elle se soumettait à son autorité et sa virilité sans la moindre contestation, répondant au vouloir du mâle qui la malmenait un peu et affolait ses envies. Se mordant la lèvre inférieure, Jaya passa ses doigts entre le vêtement et la peau de son mari. Le bouton sauta rapidement, exposant ce qui se cachait derrière.
— Caresse-la, Jaya...
Il passa sa main autour de sa gorge pour écraser sa bouche contre la sienne sans l'embrasser, plein de rigueur mais doux à la fois. C'était ce qu'elle préférait, ce dont à quoi il l'avait habituée. Leurs souffles s'épousèrent. Elle empoigna lentement le membre renflé à son honneur et commença à faire de langoureux va-et-vient. Vadim se crispa contre elle, darda un râle d'aise. Ses lèvres parcouraient chaque centimètre de la joue pâle de sa femme tandis qu'elle continuait sa délicieuse manipulation.
Ses dents mordillèrent son lobe d'oreille, son souffle s'y déposa et Jaya fut parcourut d'un grand frisson.
— Tout ça c'est pour toi, ma reine... Elle est toute à toi. Tu sens tout l'amour que je vais te donner ? Toute la rudesse que je vais apposer sur ton corps ?
Leurs regards avides se heurtèrent.
— Je le veux... Ne te retiens pas.
Il n'allait pas la faire attendre plus longtemps, lui-même en mourrait d'envie. Féroce, il se sépara une seconde d'elle pour forcer sur son décolleté. Les boutons de son bustier sautèrent sous sa force, libérant ses seins qu'il s'empressa de déguster et mordre à pleines dents. Les soupirs de cette gravure de beauté caressaient sa peau, mais il les tut quand il captura sa bouche appelant le plaisir.
Il cracha un peu de salive sur ses doigts qu'il glissa à nouveau sous les jupons.
Ce fut suffisant pour l'emplir de tout son amour.
❅
Sur le chemin du retour, Aube s'était arrêté acheter des fruits pour Madame Andermar. Cette vieille courge ne lui avait pas dit que ça lui coûterait aussi cher au producteur local. Son porte-monnaie en avait pris un coup, elle espérait donc une belle compensation pour ce soir. Un bon repas qu'elle aurait elle-même cuisiné. Son sac en main, la combattante grimaça légèrement par ses douleurs musculaires pensant sur son bras.
Même tenir un fichu sachet d'yrtans lui faisait mal. Les entraînements devenaient de plus en plus difficiles à gérer, autant physiquement que mentalement.
Aube déambulait le long des rues sinueuses qui l'avaient vu grandir. Là où elle avait traversé tant d'épreuves, ressenti tant d'impuissance face à l'amère cruauté des hommes, et vécu tant de nuits glaciales, se blottissant dans sa vieille couverture élimée, héritage maternel.
Elle poussa la porte du Logis des Renardes et s'étonna de ne pas voir Madame Andermar au comptoir. Elle avait dû partir préparer les chambres pour ce soir. Déjà, des hommes siégeaient dans les coins les plus noirs de la salle principale, en bonne compagnie. Des tintements de verre, un peu d'alcool qui se renverse, des messes-basses, des rires qui s'élèvent. Certains n'attendaient pas le soir pour profiter de ces attirantes croqueuses d'amour.
Jetant nonchalamment le sac de fruits derrière le comptoir, Aube s'octroya une seconde de répit en s'asseyant sur l'un des hauts tabourets. Les bras croisés sur la surface boisée et éraflée, elle repensa à Vadim. À ce regard qu'il avait posé sur cette princesse de pacotille... Jamais il n'en avait eu de tel à son égard.
Cet endroit... C'était un peu leur sanctuaire, à elle et Vadim. C'était ici même qu'elle et lui avaient couché ensemble pour la première fois, après une soirée un peu trop arrosée à la liqueur d'yrtans. Aube s'en souvenait comme si c'était hier : ils s'étaient infiltrés dans l'une des chambres en douce et tout le monde, même Madame Andermar, avaient cru qu'il s'agissait d'un client avec une belle de nuit. Personne n'était donc venu les déranger.
Vadim n'était pas passé par quatre chemins avec elle et c'était cette violence bestiale qui le constituait qu'elle avait appris à aimer. Elle qui n'avait connu que le viol avant lui.
Une aigreur monta à sa gorge.
Avant d'arriver au logis, Aube vivait dans la rue, à la merci du froid et de la faim au point où sa survie ne tenait qu'à ses vols sur le marché et dans les champs agricoles. Faible et fragile comme elle était à l'époque de ses dix-sept ans, elle avait été plusieurs fois attaquée et abusée par des hommes éméchés sortant des bars, pervertis par sa silhouette nébuleuse dans la nuit. Se défendre ne lui apportait aucun secours, juste des coups qu'elle revivait en boucle dans son esprit.
Elle avait dû tant de fois capituler pour atténuer la douleur et espérer survivre une nouvelle nuit. Abandonnée sur le sol du Quartier des Charmes, souillée à jamais, elle se maudissait de ne pas savoir se battre, d'être la dernière des incapables de Cassandore. Juste bonne à vider ces hommes dégoûtants de leur semence.
À cette époque, Aube se rendait souvent au Temple Ymosien pour pleurer et demander à son dieu pourquoi la punissait-il ainsi depuis toujours. Lui arracher ses parents n'avait-il pas été suffisant ? Il lui avait aussi retiré le droit de se marier.
Elle avait tant demandé son aide dans ses complaintes, qu'il lui envoie une lumière dans sa nuit éternelle...
Ce fut peu après qu'elle rencontra Vadim.
Il était venu l'aider alors qu'un groupe d'hommes s'en prenait encore à elle, près de l'entrée de la ville. Elle avait fui et ces paysans l'avaient suivie après l'avoir vue voler des fruits dans les champs. Pour la punir, ils s'étaient acharnés sur elle avec une violence inouïe sans que personne ne réponde à ses appels.
Sauf lui...
Ce jeune homme masqué dans la nuit, si grand et puissant, avait terrassé ses agresseurs. Elle se souvenait encore de lui, dominant la scène, observant avec sérieux sa lèvre ensanglantée. La main qu'il lui avait tendue, et les mots glacés qu'elle lui avait craché en la repoussant :
« Ce que je déteste le plus, ce n'est pas ces hommes qui me maltraite... Mais ceux qui ont pitié de moi ! »
Il n'avait rétorqué qu'une phrase, un écho dans sa mémoire :
« Aider quelqu'un dans le besoin est synonyme de pitié pour vous ? J'appelle plutôt ça un coup de chance. »
Un coup de chance... Oui, la chance qu'il fut dans les parages au même moment. La chance qu'elle avait eu de rencontrer ce prince marqué qui ne lui avait jamais fait peur. La chance qu'elle avait eu de l'avoir comme entraîneur pour que plus jamais elle n'ait à prendre des coups. La chance qu'il lui avait offert en faisant naître l'amour en elle.
Cet amour qu'il ne lui avait jamais rendu comme elle l'aurait souhaité.
Elle se servit un verre de vin, sirotant lentement ce breuvage de caractère, cette saveur qui la ramenait toujours à lui, au goût de ses lèvres. Un soupir gonfla sa poitrine de nostalgie.
— Hey, mais c'est Aube ! Comment tu vas, bouclette ? Ça fait un bail.
Une tape virile s'écrasa dans son dos, manquant de lui faire recracher un geyser de raisin. Elle bougonna, irritée par la voix joyeuse s'élevant derrière elle. Elle reconnut immédiatement Roban et Henki, ses anciens camarades d'apprentissage devenus soldats.
Voilà qu'ils venaient prendre du bon temps, ces inséparables idiots...
Les deux hommes l'entourèrent de chaque côté. Roban osa même se servir dans sa bouteille de vin ; toujours aussi culotté et insupportable...
— Alors, comment ça s'est passé l'entraînement avec Vadim, aujourd'hui ?
Elle soupira, déjà épuisée de discuter avec eux.
— Difficile...
— Je te crois, surtout depuis qu'il ne te donne plus tes petits remontants à la fin des cours.
Cette fois, elle écrasa un œil mauvais sur Roban qui ne démordit pas de son ton provocateur.
— Arrête, tout le monde au camp savait que tu couchais avec lui.
— Et alors ?
— Ben, tu es ce qu'on appelle une maîtresse de luxe. Tu t'es quand même tapé un prince, sois en fière.
— Ferme là un peu !
Elle lui écrasa un coup de poing dans l'épaule. Roban frotta son poing endolori, elle avait une force phénoménale pour une femme...
— Avec Vadim, c'était pas que le sexe, c'était bien plus que ça...
— Oh, la voilà romantique, se gaussa le cogné, euphorique par l'alcool. Dommage qu'il soit tombé fou amoureux de sa petite épouse royale.
Aube se crispa aussitôt à l'entente de ces mots.
— Arrête de dire n'importe quoi ! Cette fille n'est là que par obligation. Elle présente juste sa jolie personne aux côtés de Vadim pour embellir la famille Blanchecombe, rien de plus. Ce mariage, c'est... du vent pur et dur. Le cœur de Vadim est imperméable pour tous... Il n'aime personne.
— Ça se voit que tu n'étais pas avec nous quand on les a escortés pour le retour d'Alhora. Je n'avais jamais vu le prince comme ça.
Jusqu'alors silencieux, Henki avait soufflé cette bombe qui capta l'attention de la combattante.
— Comment ça ?
Roban enchérit, gloussa au nez de son ancienne collègue.
— On aurait dit que rien ne devait toucher sa chère épouse, à croire qu'elle allait se briser comme du sucre.
— De peur qu'elle se plaigne probablement, marmonna Aube, avec agacement.
— Il a prit sa défense quand il nous a entendu cancaner sur elle... ajouta Henki.
— Parce que vous êtes trop cons et indiscrets.
— Il l'a pilonnée toute la nuit entière...
Aube s'immobilisa soudainement, le cœur manquant un battement lorsqu'elle croisa l'œil lointain de Roban, souriant dans le vide. Comme s'il se remémorait des souvenirs exquis.
— Tu aurais entendu ses cris... Jamais je n'en avais entendu de tels. Cette voix... Même si j'avoue que les petites manières de cette princesse me tape sur les nerfs, elle m'en a donné des frissons. Vadim s'en est donné à cœur joie. Ah, j'étais à deux doigts d'aller écouter à la porte, voir ce qu'il se passait... Ça devait être un sacré spectacle.
Elle serra convulsivement ses poings sur le comptoir, ses yeux ambrés perdus dans son verre de vin. Imaginer même un quart de cette scène lui donnait envie de vomir ses tripes. D'un battement de cils, Aube préféra l'occulter et conserver son impassibilité avant de perdre patience.
— C'est un homme, il doit bien satisfaire ses pulsions. Si cette petite prude a finalement décidé d'ouvrir les cuisses, il ne va pas cracher dessus. Je le connais.
— Personne ne pourrait cracher sur une femme comme la princesse, rétorqua Henki. En plus d'être belle à s'en damner, elle sait tirer à l'arbalète comme personne. On pensait tous que la fois avec toi n'était que de la chance, Aube, mais quand on s'est fait attaquer par les loups, elle m'a... sauvé.
— Quoi ?
Aube et Roban avaient clamé ces mots d'une même voix, ratatinant presque le soldat métissé sur son tabouret.
— Euh... oui. Elle a tiré sur le loup avant qu'il ne me morde.
— Quelle femme ! Finalement, je crois que je l'aime bien, ricana Roban.
— J'ai compris, elle a toutes les qualités !
La bouclée se redressa, défigurée de colère. Elle n'arrivait plus à se contenir avec tous ces éloges infects qui lui hérissait les poils sur la nuque. Ses poignes abîmées tremblaient sur le plat du bois. Les deux soldats, voyant sa montée en tension flagrante, se jetèrent une œillade. Henki pensa qu'ils en avaient trop dit, mais pas Roban qui se délectait d'agacer cette balsamine prête à exploser.
— Sois pas jalouse, Aube. Tu dois bien te mettre à l'idée que même si la Princesse Jaya n'était pas arrivée dans sa vie, tu n'aurais jamais eu une seule chance d'être autre chose qu'une maîtresse pour lui. Tu espérais quoi ? Qu'il t'épouse ?
— Ferme-la, Roban ! Fermez-la tous les deux !
Il ricana, presque mauvais.
— Tu parles comme lui. Tu agis comme lui...
— Il m'a forgée comme je suis. Je le connais comme personne, sûrement mieux que cette traînée ! Ça ne s'arrêtera jamais avec lui... Jamais.
— Si j'étais toi, je n'aurais pas trop d'espoir...
Cette fois, c'en était trop. Aube recula son tabouret dans un grincement et en bondit, déformée de haine. Un cri trancha sa gorge et attira l'attention de tous sur elle.
— Tais-toi ! Tais-toi ! Ne me parlez plus !
Ignorant les yeux arrondis des deux hommes, Aube partit en courant du logis. Son cœur battait la chamade et hurlait de voir Vadim. Oui, elle devait le voir, coûte que coûte ! Mettre les choses au clair une bonne fois pour toute, lui faire cracher le morceau, elle voulait l'entendre de sa bouche, pas de celles empoisonnées de ces deux imbéciles.
Elle joua des coudes à travers la ville, sautant sans s'arrêter des clôtures et des murets pour arriver plus rapidement au camp d'entraînement. Elle savait qu'il y était encore, elle devait se dépêcher avant qu'il ne parte.
Ce serait probablement sa seule occasion.
À bout de souffle, Aube posa enfin les pieds sur les dalles polies du camp vide. Serait-ce possible qu'il soit déjà parti ? Non... L'entrepôt !
Se ruant vers la porte, elle passa ses yeux par delà le hublot afin de voir s'il y avait du mouvement. Peut-être qu'il était encore là...
Il l'était...
Mais pas seul...
Aube se pétrifia, un éclat de verre planté dans l'âme. Ce... Ce n'était pas possible...
Elle était là aussi... Cette catin des glaces...
Coincé entre ses cuisses, Vadim savourait les étreintes que Jaya lui donnait, pendue à ses épaules qu'elle caressait avant de chasser dans ses cheveux blonds. Il la recouvrait de baisers, des lèvres, à la gorge en passant par sa poitrine libérée de son corsage. Le regard passionné qu'ils échangèrent lui donna un horrible frisson. Il l'embrassait si fougueusement, la touchait avec tant d'amour, la serrait avec tellement de tendresse...
Comme il ne l'avait jamais fait avec elle...
Sa contenance fut réduite en miettes devant cette scène digne de ses pires cauchemars. Ses jambes l'auraient presque lâchée si sa soif de fuir loin d'eux ne l'animait pas. Les deux idiots avaient donc raison...
Elle avait eu sa réponse, celle qui la terrifiait...
Vadim... aimait cette fille...
Blessée jusqu'au plus profond de son être, Aube rebroussa chemin en courant, des larmes pleins les yeux. Elle galopait bien trop vite, l'amertume sous les talons, au point où elle manqua plusieurs fois de trébucher. À quelques rues du camp, elle se recroquevilla au sol dans une veine isolée, abattue et le souffle court. Un hurlement de rage s'échappa contre son gré, elle tapa des pieds, égarée dans un état second. Elle aurait rasé la ville sous sa démence.
Vadim... Comment cela avait-il pu arriver ?
Elle l'aimait depuis toujours, elle lui avait tout donné, ne l'avait jamais jugé, ni repoussé. Elle avait tout fait pour être avec lui, le satisfaire et voilà comment il la remerciait ? En s'amourachant de cette gamine venue de nulle part pour détruire leur relation ! La seule véritable relation qu'elle n'ait jamais eu.
Les nuages noirs commençaient à s'amonceler au-dessus de sa tête, masquant le soleil.
C'était si dur, ses larmes lui brûlaient comme de l'acide. Aube n'arrivait tout simplement pas à se dire qu'elle l'avait perdu. Perdu à jamais.
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