La Reception 2/8 ✔️
Un vent de combativité souffla sur le camp d'entraînement. La tension s'intensifia, s'ajoutant à l'atmosphère électrique qui planait entre les deux frères. Des souvenirs affluèrent dans la mémoire de Vadim, le ramenant à ses années adolescentes, superposant l'image du garçon frêle et gorgé de haine à celle de l'homme sans pitié qu'il était devenu. Il s'était tant battu ici avec son aîné qu'il ne pouvait plus dénombrer les confrontations. C'était en ce lieu, de cette manière, qu'il s'était façonné sous ce regard gris d'acier le méprisant de son excellence. Endurci dans une cuirasse forgée de souffrances et de larmes, une carapace indestructible de colère et de rancoeur.
Il n'avait plus peur désormais, et ce, depuis bien longtemps.
Rajustant ses bandages de protection autour de ses poignes fermes et impatientes d'en découdre, l'instructeur observait Leftheris ôter sa redingote beige qu'il laissa tomber lentement au sol. Son torse athlétique, sculpté de muscles secs et surmonté d'une fine toison claire, était revêtu d'un simple débardeur de lin qu'il retira à son tour pour dévoiler ses abdominaux saillants. Leurs regards se croisèrent, si similaires dans leur forme et leur transparence. Un salut conforme aux règles du Vhaïka original : un pied glissant en arrière, une courbette que Vadim ponctua d'un sourire narquois.
— Tu as encore une chance de changer d'avis, mon frère.
Il adorait le provoquer et attiser ses nerfs, c'était un jeu où il sortait toujours gagnant. Les poings serrés devant lui, Leftheris répondit sur le même ton, ne cachant pas une courbe condescendante au coin de sa bouche.
— Est-ce une ruse pour abandonner, faiblard ?
Vadim eut un léger frisson d'aigreur à l'entente de ce surnom, comme un glaçon coulant sournoisement le long de sa colonne. Cela faisait des années qu'il ne l'avait pas appelé ainsi... Autrefois, « Faiblard » faisait éclore sa rage, exploser le sel de ses yeux, frapper les dalles du camp à s'en faire saigner les mains, car cela signifiait qu'il avait échoué face à lui, encore une fois terrassé sous la supériorité physique de son aîné. Aujourd'hui, ce n'était plus la même chose. Le « Faiblard » était mort et il comptait lui montrer de la meilleure des façons.
— Tu aimerais bien...
— Approche donc, si tu l'oses.
Aux extrémités du camp, les frères Blanchecombe s'impressionnaient du regard, tels deux animaux sauvages et majestueux, prêts à déchiqueter l'autre. Plus affamé que son adversaire, Vadim fut le premier à s'élancer. Leftheris enchaîna aussitôt, galopant en ligne droite, fonçant tel un char de guerre. Le choc titanesque de leurs bras les repoussa chacun à l'opposé.
Leftheris chancela sous la force colossale de son cadet. Habilement retombé sur un genou, les paumes au sol, le vice-général leva un œil vif sur la créature marbrée se redressant face à lui. Il frappait fort dès le début et le toisait avec tant d'insolence, comme s'il se régalait à le mettre à rude épreuve. C'était le cas ; une douce vengeance dont il se délectait autant qu'un bon verre de vin.
Il ne devait pas perdre un instant, le Marqué revenait à la charge.
Leftheris, mettant à profit ses compétences et son savoir-faire, bondit sur le côté et balaya le sol d'un pied agile pour faire chuter Vadim. Cependant, celui-ci sauta adroitement par-dessus son frère. S'appuyant sur ses avants-bras, l'aîné souleva le bas de son corps pour poursuivre l'assaut sur ceux de l'enseignant, croisés en bouclier sur sa poitrine. Des marques rougeâtres apparurent sur sa peau ; il gagnait en assurance, cela devenait de plus en plus amusant.
Vadim recula de deux pas, laissant le temps à son frère de se remettre debout. Leftheris ne faiblissait pas et étira un poing sulfureux qui fut esquivé lorsque le plus jeune se baissa, profitant d'une diminution dans sa garde pour enchérir d'un groupe de phalanges dans les côtes.
Leftheris se plia en deux, étouffa un râle. Quelle petite enflure d'attaquer ici...
— L'esquive, la défense personnelle... Il faut savoir s'en servir au bon moment. Cesse de foncer dans le tas, ça ne fait que t'affaiblir.
Fier de son coup, Vadim répliqua avec une rapidité stupéfiante, assénant un coup de tibia retourné dans l'épaule du vice-général qui se contracta. Ses muscles travaillés formaient un rempart contre la douleur lorsqu'il les durcissait de la sorte. Aussi fermes et inébranlables que le métal.
Cela allait très vite, bien trop... Vadim ne lui laissait aucun répit, se riant presque de façon insolante de chaque assaut donné en sa faveur.
Ce n'était pas fini, il n'avait pas dit son dernier mot.
— Tu t'amuses bien, petit frère ?
— Je savais que ta défense ridicule rendrait ce duel divertissant, mais... Je ne pensais pas à ce point-là.
L'instructeur tenta de réitérer son geste, mais ses réflexes furent devancés ; les mains de Leftheris saisirent sa cheville, la bloquant violemment en pleine course. Il profita de cet avantage pour faire pivoter le tibia de son assaillant. Le cadet n'allait pas se laisser immobiliser de la sorte. Il s'appuya sur son adversaire et s'élança latéralement dans un saut vrillé qu'il exécuta avec une maestria époustouflante. Une fois retombé sur ses jambes, le corps en tension, Vadim se projeta sur le côté pour fondre sur son frère.
Tels deux éclairs qui dardaient leur fureur, le marqué le foudroya du regard, tentant de lui faire perdre l'équilibre en le martelant sous la fureur de ses poings que Leftheris bloqua courageusement.
Vadim était plus lourd que lui, légèrement plus portant en masse musculaire. S'il lui tombait sérieusement sur la couenne, Leftheris pourrait être blessé. Cependant, on lui avait appris que la masse ne faisait pas forcément la puissance. L'ainé réussit ainsi à le repousser.
C'était le moment de l'atteindre.
Renchérissant d'une volée du droit, il l'empala à la mâchoire. Vadim recula faussement, ricanant dans son col, l'engourdissement le guettait. Sa stratégie était déjà bien établie dans sa cervelle depuis de longues minutes. Il avait dansé tout autour du camp pour atteindre la place où était son frère avant lui. Comme toujours, ce bourrin fonçait tête baissée comme un taureau exulté par un linge rouge. Il fallait se la jouer plus fine pour atteindre et affaiblir l'ennemi.
Lorsqu'il fut suffisamment proche, Vadim mit son plan à exécution.
D'un coup de talon arrière, il frappa la veste de Leftheris, abandonnée au sol, la faisant s'envoler au-dessus de lui et tournoyer dans les airs. Avec agilité, il la rattrapa et la lança au visage de son rival. Plongé soudainement dans le noir, Leftheris fut grandement déstabilisé. Le temps d'arracher le vêtement de son visage, il reçut un violent coup de botte dans l'abdomen. Étendu sur le dos, en manque d'air, le vice-général aperçut, dans les ultimes rayons du soleil, la silhouette de son frère surgir, poing en avant, tel un astre filant prêt à s'écraser sur son crâne.
Les yeux grands ouverts, Leftheris roula in extremis sur la droite quand Vadim retomba à genoux, ses phalanges broyées sur les dalles de pierres. Des taches de sang imbibaient le tissu de ses bandages par endroits, griffant le sol d'une haine rougeoyante.
Si sa tête était restée en dessous, elle aurait été brisée à coup sûr...
Leftheris réalisa amèrement qu'il ne combattait pas à l'amiable, ni même amicalement.
— On avait dit un combat à la loyale, un Vhaïka original ! Tu cherches réellement à me faire du mal ! clama l'aîné, renfrogné de colère.
— Oh, navré, se moqua-t-il sans vraiment l'être, je suis bien trop habitué au guerrier.
Cet homme nonchalant se moquait royalement de lui et des règles. Ici, ils se trouvaient sur son terrain sacré, son domaine, où aucune règle ne prévalait s'il ne l'avait pas décrété. Si c'était la guerre qu'il cherchait, il allait la trouver. Jusque-là, Leftheris avait fait preuve de clémence à son égard, mais c'en était fini. Qu'il soit original ou guerrier, il ne ferait désormais plus de distinction.
Ce sale gamin le narguait de son imbuvable sourire, sautant d'un pied à l'autre comme un stupide bilboquet.
Aussitôt remis d'aplomb, Vadim ne lui accorda aucun temps de réaction. Une pluie de coups s'abattit sur lui sans retenue, impétueuse et malade de rancœur. Leftheris érigea une défense pour se protéger et saisit une faille pour frapper Vadim au thorax, enchaînant d'un crochet du gauche vif et ciblant son visage. L'anticipant, Vadim se contorsionna en arrière pour l'éviter, réalisant un saut périlleux qui aboutit à une surprise de taille.
Leftheris ne l'avait pas vue venir : cette botte frénétique portée à son flanc.
La douleur pulsa, s'infiltra dans ses os et se propagea jusqu'à sa poitrine. Le sol se déroba sous ses pieds. Leftheris fut éjecté à deux mètres de distance, désarticulé, avant de se redresser sur les rotules au terme de sa roulade. Époumoné et en sueur, il jeta un regard sombre à son jeune frère. Il n'en revenait pas de la force de ce dernier. Depuis quand était-il devenu si souple, si habile, si...
Puissant ?
Il le savait doué, mais pas à ce point. S'il avait prêté davantage attention à son évolution au fil des ans, peut-être l'aurait-il remarqué.
— Tu as perdu de ta force d'autrefois, Leftheris, je suis déçu.
Exacerbé par cet affront, les lèvres du concerné se peignirent d'une bien sombre nuance.
— Ne me sous-estime pas, faiblard. Ce n'est qu'un échauffement.
Voilà ce qu'il aimait : un adversaire ne cédant pas face à la moindre difficulté. Il reconnaissait bien là le tempérament de Leftheris. Trop fier pour assumer ses faiblesses, trop robuste pour se laisser piétiner aussi facilement. Ils avaient été élevés et forgés de la même façon.
Il avançait, lentement, très lentement, réduisant l'espace vital entre eux. Vadim reprit sa posture d'attaque face à ce comportement intrigant. Son esprit pressentait une ruse ; il valait mieux rester sur ses gardes après l'avoir ainsi poussé à bout.
Un pas...
Deux...
Trois...
Le quatrième accéléra légèrement, le cinquième bien plus, le sixième fila sous le vent. Une rafale de colère s'abattit sur Vadim qui para sans la moindre trace de fatigue. Plus question de le laisser avoir le dessus. C'était lui l'ainé, celui qui lui avait tout appris ; il lui devait son savoir et ses connaissances guerrières ! L'élève ne pouvait dépasser le maître !
Vadim tenta de saisir le poignet de son frère, mais celui-ci enfonça un coude redoutable à l'intérieur de son bras, puis un crochet à la tempe. Un tournis, un flash noir. Il clôtura la courte ivresse du cadet par l'essence même du Vhaïka : les paumes invulnérables. Faisant remonter toute sa puissance dans ses mains, Leftheris se tint solidement sur ses pieds, comme enraciné dans le sol. La terre sembla lui offrir toute sa force, l'engorgea d'une énergie suffisante pour terrasser Vadim au plexus.
Il tomba lourdement au sol, sonné et le souffle coupé. Qu'est-ce qui venait de se passer ?
Sorti de son étourderie, Vadim vit Leftheris le surplomber, haletant, mais fier.
— Alors... on fatigue ?
Un pouce sur sa lèvre inférieure, le plus jeune cueillit une perle de sang.
Il avait réussi à le faire saigner...
La dernière personne à l'avoir fait était Jaya... Pour elle, ça passait, mais pour Leftheris, il n'acceptait tout simplement pas. Il refusait qu'il lui vole même une goutte de ce précieux liquide qu'il avait tant fait couler par le passé.
Hors de lui, Vadim balaya d'une jambe virulente les chevilles de son frère qui chuta lamentablement au sol, s'aplatissant de tout son poids dans la poussière. L'arrière de son crâne heurta violemment la dureté des dalles, élevant une plainte douloureuse malgré lui. Vengeance accomplie, le spectacle était fini. À l'opposé l'un de l'autre, les fils Blanchecombe s'allongèrent pour reprendre un souffle d'air, une seconde de repos. Un silence ardent s'installa sur le camp rougi par le crépuscule.
Il fallait se rendre à l'évidence...
Entre eux, ce serait un combat sans fin jusqu'à l'épuisement. Ils possédaient tous deux la même force, la même hargne. Armes égales bâties sur une éducation jumelée qui leur laissaient en secret une once d'amertume sur la langue.
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