La Caverne 2/3 ✔️
Une main agrippa le bras de Jaya et se resserra autour d'elle. La jeune femme sursauta à s'en rompre l'échine, le cœur vibrant. Elle était perdue, les gardes l'avaient trouvée ! D'instinct, elle se retourna, les yeux implorant la silhouette derrière elle de la lâcher.
Ce visage...
— Par le ciel maudit, qu'est-ce que vous faites ici ?
Vadim ? C'était bien lui, encapuchonné et la mâchoire serrée de colère. C'était encore pire que tout ce qu'elle avait imaginé. Il l'avait vue, il savait désormais... Jaya resta muette, telle une enfant coupable et effrayée.
— Vous m'avez suivi ?
Cette simple question éhontée soufflée dans un murmure l'activa à nouveau, tel un carburant de colère. Quel culot avait-il !
— Oui, je vous ai suivi ! Et vous, qu'est-ce que vous fichez ici ? Pourquoi vous désertez le Beffroi tous les soirs pour vous rendre dans cette caverne ?
Les yeux de Vadim s'élargirent, elle le vit nettement malgré la pénombre. Or, sa surprise ne dura qu'une seconde et fut remplacée par un œil glacial.
— Je vois que ce n'est pas la première fois que vous désertez aussi, princesse. Alors comme ça, vous m'espionnez ? Vous avez du cran, mais vous êtes aussi très stupide. Vous vous êtes mise volontairement en danger sans réfléchir !
Elle ? Stupide ? Quelle effronterie ! Prête à lui répliquer avec véhémence, sa tirade fût interrompue par des voix émanant de l'issue des ruelles avoisinantes. Les lueurs des lampes se rapprochaient, annonçant l'arrivée imminente des gardes. Ces derniers avaient probablement perçu leurs chuchotements malgré le vacarme assourdissant de la pluie battante sur les tôles.
Un coup d'œil et Jaya comprit qu'ils venaient vers eux.
L'héritière n'eut guère le temps de réagir avant que les bras de Vadim ne l'encerclent et l'immobilisent. Bien qu'elle tentât de protester, sa bouche fut étouffée par sa main puissante. Son dos se colla à son torse trempé, tandis que sa respiration devenait de plus en plus saccadée. Telle une pieuvre, il la guida vers un renfoncement étroit entre deux bâtiments, tout en glissant ses lèvres près de son oreille, laissant son souffle chaud caresser sa peau.
— Ne bougez pas et ne criez surtout pas.
Ses mots la pétrifièrent. Comment ça ne pas crier ? Pourquoi ? Soudain, Vadim leva sa main devant eux et durant un millième de seconde, Jaya crut voir un flottement dans l'air. Comme si l'espace s'était distordu sans pour autant changer.
Avait-elle rêvé ?
Les lanternes se rapprochaient à grands pas ; ils étaient fichus. Les gardes ne tarderaient pas à les découvrir et les arrêter. La colère du seigneur Byron serait sans limites. La princesse, prise de tremblements, sentit l'angoisse l'étreindre plus fort que jamais lorsque les deux hommes se dressèrent devant eux. Elle ferma les yeux, espérant échapper à cette honte imminente qui allait la submerger.
Seulement, rien ne se passa.
— Qu'est-ce qu'on vient faire dans cette ruelle ? grogna le premier garde.
— J'avais cru entendre quelque chose.
— Tu vois bien qu'il n'y a rien, c'est vide. Allez, viens, on a pas de temps à perdre. Je suis frigorifié...
Les deux hommes s'éloignèrent pour disparaître de l'autre côté de la ruelle. Que venait-il de se passer ? Ils... Ils étaient face à eux, leurs lanternes braquées dans leur direction. Elles l'avaient même éblouit.
Mais ils ne les avaient pas vus...
Jaya était perplexe et son esprit se mit à l'arrêt, terrassé par tant d'étrangetés. Vadim la relâcha enfin, lui permettant de respirer plus convenablement. Avec prudence, elle recula de trois pas, gardant son regard fixé sur lui, remplie de confusion.
— Co... Comment vous avez fait ça ?
Dans un silence lourd, il pesait méticuleusement ses arguments avant de lui asséner cette vérité en plein visage. Le sens rationnel de la jeune femme était en proie à une lutte intérieure, car elle peinait à accepter ce qu'elle venait de vivre. Des paroles simples ne seraient pas suffisantes pour la convaincre, il devait donc lui montrer.
— Venez avec moi, Jaya, et vous saurez tout.
Il lui tendit sa main, comme une invitation à l'étrange. Son cœur tremblait à l'idée de la saisir.
— Au point où nous sommes, je vous dois des explications.
C'était ce qu'elle désirait à la folie. Savoir pourquoi les gardes ne les avaient pas vus, pourquoi il partait tous les soirs, pourquoi tant de mystères. Son âme était embrasée par cette soif de vérité, mais son corps frémissait de peur. La question essentielle se posait : pouvait-elle réellement lui faire confiance ?
Ses doigts fins se glissèrent dans les siens qu'il referma délicatement. C'était un accord tacite entre eux. Si elle l'avait suivi jusqu'ici, sous cette forte pluie, c'était dans ce seul but. Elle arrivait finalement au bout du tunnel.
Vadim la gratifia d'un regard hésitant, sachant qu'il ne pouvait plus faire marche arrière.
Ensemble, ils réussirent à quitter Cassandore sans se faire remarquer. En direction de la base militaire, ils bifurquèrent vers la forêt. Avec l'orage qui grondait, l'atmosphère devint de plus en plus lugubre et angoissante. Jaya se surprenait à tenir fermement la manche de Vadim alors qu'ils avançaient sur le sentier boisé. Elle ne voulait pas le perdre de vue, sachant qu'elle serait incapable de rentrer seule sous cette averse.
Lui, sourit de l'intérieur. Elle n'était pas si forte que ça, cette petite chose braillarde. Elle avait bien besoin d'un chaperon dans ces ténèbres ; il ne s'en plaignait pas, au contraire.
La plage émergea très vite avec à son pied, la fameuse caverne.
Au seuil de l'entrée, Jaya se bloqua, pétrifiée par la crainte de la découverte. Le cri inhumain, entendu quelques jours auparavant, refit surface dans sa mémoire. Vadim prit l'initiative d'avancer, mais se retourna lorsqu'il ne sentit plus sa main. Jaya avait lâché prise. Malgré une pointe d'agacement dans son regard, il l'encouragea à le suivre.
Il serait là, avec elle... Elle ne devait pas avoir peur. Que pouvait-il lui faire, après tout ?
Jaya le talonna dans cet antre noir et retint son souffle.
La belle brune dut faire attention de ne pas trébucher sur les pierres parsemant le sol. Une forte odeur d'algue et de poisson lui assaillit les narines. Des cliquetis se multipliaient en échos, habillant le silence funèbre de ces lieux. Vadim finit par sortir une torche attachée à sa ceinture. Marchant derrière lui, Jaya vit la flamme s'allumer et les inonder de sa lumière vive.
Comment avait-il pu la brûler si vite ? Elle ne l'avait même pas entendu gratter une allumette.
Au fil de leur ascension, le chemin se fit plus étroit. Le sable disparaissait et ne laissait place qu'à des rochers rongés par l'eau de mer qui s'y infiltrait. Étaient-ils directement dans la falaise ? Ou même sous l'océan ?
— Soyez prudente, c'est assez glissant par ici.
Elle put le constater lorsqu'elle se retint de justesse aux parois rocheuses. Ses semelles n'aimaient pas l'humidité de cet endroit.
— Nous y voilà.
Soudain, un creux apparut. Vadim se pencha pour y entrer, puis lui brandit une main. Jaya fut obligée de se tordre en deux pour passer ce trou. Lorsqu'elle releva enfin la tête, elle n'en crut pas ses yeux.
Dans l'éclat du feu, sommeillait une pièce creusée dans le roc, où se déployaient, sur plusieurs mètres de hauteur, mille et un trésors. Statues, poteries, bijoux, et argenteries s'alignaient avec une précision millimétrée, entre des bancs taillés à même la pierre. Dans cette tanière ne résidait ni humidité, ni gouttelettes d'eau, les pierres étaient sèches, épargnées par les assauts de la marée. Levant les yeux, Jaya aperçut des peintures rupestres sur le plafond. Elle fut émerveillée par la présence de formes humanoïdes gravitant autour d'une montagne. Un spectacle prodigieux, dont elle ne percevait pas encore la signification.
Comment imaginer qu'un tel endroit puisse se cacher dans la falaise.
— Waouh, mais... Qu'est-ce que c'est que tout ça ?
— C'est mon sanctuaire secret.
Vadim la dépassa et fit quelques pas vers un socle où il coinça la torche.
— Qu'est-ce que c'est que tous ces objets ?
— Pour la plupart, ce sont des choses que j'ai trouvé sous la mer.
Malgré son émerveillement, ces mots interpellèrent Jaya.
— Sous la mer ?
— Oui. L'océan est vaste et demeure la tombe de millions de ces merveilles appartenant aux anciennes civilisations englouties sous la mer. Elles me fascinent. C'est fou comme les anciens glascales avaient la patte artistique. Cette caverne était l'un de leur lieu de ralliement, probablement religieux. Les peintures du plafond représentent des schémas me faisant penser à l'avènement d'un dieu sur l'île. Qui sait ? Peut-être la naissance du culte d'Ymos. Cette grotte est connue à Cassandore pour être hantée, du coup, personne n'y vient jamais. J'y suis tranquille.
— C'est incroyable. C'est donc ici que vous venez, tous les soirs ? Qu'est-ce que vous y faites ? Vous dépoussiérez vos trouvailles, ou peut-être tentez de percer le mystère de cette ancienne civilisation.
Il ricana doucement devant tant de curiosité.
— On peut dire ça, même si j'en ai découvert déjà pas mal. D'habitude, je ne viens pas aussi souvent ici. C'est un endroit où je me recueille quand je ne peux plus supporter le Beffroi. Mais là, il y a quelqu'un qui a besoin de moi.
Qui donc ? Vadim s'éloigna vers le fond de la caverne, incitant Jaya d'un regard à le suivre. Soudain, un bruit d'eau coulant sur la roche lui parvint. Une marche descendait un peu plus profondément dans la caverne. Elle laissa son époux avancer, peu rassurée à l'idée de continuer.
Surtout lorsqu'un gémissement animal émana de ces profondeurs.
— Venez, n'ayez pas peur.
Il se dirigea vers un vaste creux dans le sol, entouré d'une haute margelle. À l'intérieur, un filet d'eau s'écoulait, le remplissant comme une mare. Jaya, empêtrée dans la pénombre, avait du mal à distinguer les contours du lieu, la torche se trouvant bien trop loin. À proximité, accroché au mur, un bocal contenait des insectes somnolents. Vadim le décrocha et le secoua, rallumant la lumière que produisaient ces lucioles.
De nouveaux gémissements émergèrent, plus audibles à présent.
— Approchez, Jaya. N'ayez crainte.
La demoiselle avala péniblement sa salive, s'obligeant à avancer, malgré l'absence d'envie. L'inquiétude grimpait en elle à une vitesse vertigineuse, mais la curiosité, elle, activait ses rouages intérieurs. Vadim était assis sur le bord de la margelle, une main plongée dans l'eau du bassin. Enfin, la lumière ravivée lui permit de voir plus clair.
Qu'était cette chose ?
Dans l'eau, une créature ressemblant à un reptile au corps long et fin se reposait. Elle avait des attraits de poisson. Des écailles blanches la recouvraient, brillantes, avec des reflets irisés lorsqu'elle ondulait. Des algues incolores s'alignaient de son front, en passant par son dos jusqu'au bout de sa queue. Autour de sa tête, des sortes de nageoires divisées en quatre perçaient les filaments ; leur position rappelait les ailes d'un papillon. Ses pattes minuscules, ornées de griffes, ne se voyaient qu'a peine lorsqu'elle était enroulée, comme à cet instant. Quand elle ouvrit ses yeux, d'immenses billes jaunes la flagellèrent.
Elle était magnifique... Jaya n'avait jamais rien vu de tel.
— Qu'est-ce que c'est ? lui murmura-t-elle, subjuguée.
— Je vous présente Liloïa. C'est un Dragon Néréide, ou un dragon des mers.
Un dragon des mers ? Un vrai ? Comme ceux dont lui parlait sa mère dans ses contes ? Jaya ignorait qu'ils existaient vraiment.
— Je l'ai trouvé au large de la plage, il y a presque deux mois. C'est une petite femelle qui était gravement blessée par la morsure de ce que je pense être un requin. Sa mère n'était pas loin de la côte, me surveillant, comme si elle me demandait de la soigner. C'est étonnant, car ces reptiles farouches ne s'approchent jamais des rives, ni même des humains. Pour beaucoup, ce ne sont que des mirages. Moi, je pense que ces si belles créatures ont raison. Elles vivent sous l'océan, à l'abri de la méchanceté humaine. C'est une bonne chose.
— Pourquoi ne pas en avoir parlé avant ?
— Qui m'aurait pris au sérieux ? Mon père ? Leftheris ? Vous ? Non... Je transporte l'image d'un précepteur sévère, d'un fils qui se veut modèle, d'un époux et d'un frère horrible... Qui pourrait croire que je soigne des bébés dragons le soir venu ? Ma réputation n'est déjà pas au beau fixe, alors pourquoi en rajouter ?
Vadim se débarrassa de sa cape afin de se sentir plus à l'aise, puis empoigna un seau rempli de petits poissons. Lorsqu'elle entendit le frémissement des sardines, la minuscule dragonne releva la tête jusqu'à la faire sortir de l'eau. C'est alors que Jaya remarqua la longue blessure rosée en cicatrisation qui s'étendait sur une grande partie de son corps, jusqu'au côté droit de sa tête.
Elle avait dû énormément souffrir, un peu comme Vadim...
Il semblait prendre grand soin d'elle et c'était le cas. Liloïa était un peu comme sa seule amie, ici bas. La seule qui l'acceptait tel qui l'était et ne le jugeait jamais sur aucun point. Les animaux étaient parfois de meilleures compagnies que les hommes. Ils se moquaient de savoir si l'humain était riche ou pauvre, intelligent ou idiot, beau ou marqué, ils ne voyaient le mal nulle part. Il suffisait simplement de leur donner votre cœur pour qu'ils offrent le leur.
Il lança trois poissons à Liloïa qui les attrapa goulûment et les avala tout rond, sans même les mâcher. Dans un élan de joie, elle se mit à danser, dressant fièrement son cou tout en pivotant sur elle-même. Ses barbillons émettaient une douce lueur, témoignant de son bonheur.
Cette petite bête était adorable, pensa Jaya. Elle ne devait pas faire un mètre, mais avait un gros appétit.
— Voilà pour qui je sors tous les soirs. Elle a encore besoin de moi, je ne peux pas l'abandonner. Lorsqu'elle sera à nouveau sur pied, elle pourra repartir vers sa famille. Ce sont des créatures qui me fascinent, elles peuvent vivre autant dans la mer que sur terre, tant qu'elles ont un point d'eau pour s'hydrater régulièrement.
Jaya se focalisa sur le profil du jeune prince. Leftheris lui avait dit que petit, Vadim aimait prendre soin des insectes et animaux mal en point. Ça n'avait pas vraiment changé, à un détail près. Elle voyait un tout autre visage de lui, à cet instant. Celui d'un homme attentif et doux. La manière dont il caressait Liloïa lui montra à quel point il pouvait se dévoiler tendre malgré ses gros sabots caractériels.
Les rumeurs à son sujet étaient donc en partie vraies. Non, ce n'était pas des créatures terrifiantes de la nuit qu'il côtoyait, mais de belles bêtes blessées réclamant de l'aide.
Leurs regards se croisèrent. Jaya ne baissa pas les yeux devant la force avec laquelle il la perfora. Son corps commençait à s'y habituer, comme une douleur que l'on finissait par apprécier.
Une question la taraudait depuis son arrivée ici. Elle profita du calme instauré par le repas de Liloïa pour l'amorcer.
— Vadim... Comment avez-vous fait tout à l'heure pour que les gardes ne nous voient pas ? J'aimerais comprendre... Mais, je crains votre réponse.
Liloïa émit un petit cri aigu, réclamant un nouveau poisson sans se préoccuper de la fébrilité fermentant dans le corps de son maître. Glissant une main dans ses mèches humides tombant en brins sur son front, Vadim baissa la tête, échappant au regard lourd de son épouse. Lui qui avait tant espérer qu'elle oublie...
— Remontons, je vais vous expliquer.
Projetant une sardine droit dans le gosier de la dragonne, il se redressa et regagna la pièce principale de la caverne. L'appréhension gagna Jaya. Il lui avait dévoilé tant de ses secrets, mais... était-elle prête à entendre celui-ci ?
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